24/08/2008
De la résistance passive
Dans les commentaires de la note précédente, notre ami Bertrand Redonnet nous disait que pour lui « Une révolution commence quand les fusils se taisent. »
Il n’a peut-être pas tort. Voici un exemple qui voudrait illustrer son propos.
J’ai souvent parlé ici du conflit israélo-palestinien. Par nature, je me suis toujours placé du côté du plus faible, en l’occurrence du côté où n’étaient pas les tanks. L’Etat israélien est entré dans une spirale de violence dont il ne sortira jamais s’il ne fait pas des concessions. Chaque fois qu’un accord est trouvé (accord ô combien fragile), il est aussitôt ruiné par une nouvelle politique de colonisation. Délibérément, on grignote encore un peu plus le petit morceau de terre qui avait été laissé aux Palestiniens, ce qui amène immanquablement quelques extrémistes à lancer une roquette ou à commettre des attentats suicides. Parfois, les faits se passent dans l’ordre inverse et ce sont les Palestiniens qui commencent, mais cela revient au même : la paix est menacée, la colonisation poursuivie et la honte et la colère devant l’oppression grondent.
Car il se passe tout de même la-bas des choses anormales. Les uns se sentent en permanence menacés par un attentat potentiel et les autres sont perpétuellement victimes de brimades dans leur vie quotidienne. Or ce sont ces brimades répétées qui font qu’un individu se renferme, développe de la haine et finit par décider de riposter.
Nous avons parlé du poète Mahmoud Darwich qui n’a pu être enterré dans son village, village détruit en 1948 déjà. Cette situation est fréquente. J’ai connu un prêtre catholique (ayant de bonnes fréquentations) qui avait fait un voyage en Israël pour y rencontrer les Chrétiens arabes (les descendants, donc, de la première christianisation). Ils sont deux fois minoritaires, évidemment : comme Arabes ayant la nationalité israélienne et comme Arabes non musulmans. Leurs villages furent confisqués (ils ont été expulsés de leurs maisons) ainsi que leurs terres les plus fertiles (on leur a laissé quelques arpents caillouteux) afin de construire un village israélien. Leurs maisons furent donc temporairement occupées, puis, quand le nouveau village fut construit, ils purent racheter leur propre maison. Malgré une telle injustice, c’est ce qu’ils ont fait pour pouvoir rester.
Entre-temps, les champs d’oliviers avaient été systématiquement coupés, afin de les inciter à partir.
Ils sont quand même restés.
Privés de leurs champs, ils sont allés chercher du travail en ville, mais la ville n’est accessible que quand l’armée les laisse passer.
Néanmoins, ils sont quand même restés.
Maintenant, à ce qu’on dit, le mur avance vers leur village, et ce qui reste des champs risque de se trouver du mauvais côté.
Mais ils vont quand même rester.
Quand on en arrive à une telle situation, rien d’étonnant à ce que la haine réponde à la haine.
Mais j’en reviens à mon propos du jour sur la révolution sans fusil.
Car il faut être juste. De même que le peuple américain n’approuve pas tout ce que fait celui qu’elle a pourtant élu, de même que tous les Français n’applaudissent pas à notre présence militaire en Afghanistan (même si un grand homme d’état en a ainsi décidé pour eux), en Israël aussi des personnes se lèvent contre les traitements inhumains que leur état fait subir aux Palestiniens. Car à force de ne parler que des exactions de cet état, on finirait par s’imaginer que sa politique est approuvée par cent pour cent de sa population. Or, c’est loin d’être le cas.
Ainsi, je découvrais hier l’histoire de cette femme de soixante-douze ans, qui a pour nom Hanna Barag. Elle consacre sa retraite à dénoncer les exactions des soldats de son pays aux postes frontières et à tenter de venir en aide aux Palestiniens qui restent bloqués aux fameux « Check Points » Les jeunes, dit-elle, ne veulent rien savoir de ce qui se passe de l’autre côté du mur. Cela ne les intéresse pas de connaître le comportement de nos soldats. Moi si. Ils sont payés avec mes impôts et il s’agit de notre futur à tous. Or, ces contrôles militaires la remplissent de honte car sous prétexte d’assurer la sécurité, ils permettent en fait de miner le développement économique des Palestiniens en les empêchant de travailler un jour sur deux. De plus, cela limite fortement l’arrivé de l’aide humanitaire.
Barag est une Juive d’origine allemande. Quelques membres de sa famille avaient péri à Auschwitz, mais la plupart avaient fui en Palestine. Elle-même naquit en Israël, où elle connut une autre menace : les attaques palestiniennes.
A huit heures du matin, on la retrouve devant le poste qui contrôle l’entrée de Naplouse. Là, des hommes, des femmes et des enfants font la file. Les soldats doivent vérifier leurs papiers et décider s’ils vont les laisser passer. Ceux qui ont reçu le feu vert, ressortent du contrôle à moitié déshabillés et la figure rouge de honte. Barag, elle, note tout dans un carnet. C’est qu’il y a à écrire sur ces postes douaniers, qui sont devenus des microcosmes avec leur vie propre. Les délais d’attente sont si longs, certains jours, que les gens dorment par terre sur des cartons, sans quitter la file ou que des femmes accouchent sur place, sans aide médicale aucune. Des amitiés se lient, des conflits éclatent. Bref, c’est la vie et chacun se demande s’il arrivera à temps à son travail.
Parfois, un officier vient menacer Barag. Il lui dit qu’il va appeler la police. Mais elle, qui connaît les règlements à fond, sait très bien à quel endroit elle peut être et à quel endroit elle ne peut pas. Elle ne craint pas les soldats et ne les écoute pas quand ils lui crient qu’elle ferait mieux de retourner à ses casseroles.
Elle, elle reste là.
A la fin, les officiels ont fini par la connaître, ce qui lui permet, de temps à autre, d’intervenir pour demander une faveur ou transmettre une plainte. Quand une centaine de Palestiniens qui se rendent à une noce restent bloqués, c’est elle qui intervient, souvent avec succès (surtout si les futurs époux font eux aussi partie du lot). Parfois il s’agit d’aller accoucher dans un hôpital ou encore de venir mourir dans sa maison.
Petit à petit, les soldats de garde se sont mis à l’écouter. Du haut de son grand âge, elle leur parle comme elle le ferait avec ses petits enfants, leur expliquant qu’il y a des choses qu’on ne fait pas, par respect pour les personnes humaines qu’ils ont en face d’eux.
Notons qu’elle n’est pas la seule à agir de la sorte. L’organisation « MachsomWatch » comporte environ cinq cents membres, des femmes surtout, d’un certain âge et de bons milieux (classes moyennes, universitaires, professeurs, chimistes, doctoresses…). Leur but est de vivre mieux dans un pays plus agréable. Et quand on dit à Barag qu’elle est une dangereuse gauchiste elle éclate de rire car elle se considère comme une véritable sioniste, mais une sioniste qui veut un pays juste, en accord avec la foi judaïque.
Comme quoi, tout espoir n’est pas perdu, même si la situation se présente assez mal. Ce sont des personnes comme cela qui parviendront peut-être à faire changer les consciences et donc, in fine, a modifier les comportements.
21:07 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : israël, palestine, « machsomwatch
Commentaires
Je pense à un très beau film d'Eran Riklis "Les citronniers" qui raconte magnifiquement l'histoire de Salima, veuve, qui vit dans sa plantation de citronniers, heureuse, en Cisjordanie, jusqu'au jour où le ministre de la défense, israélien, s'installe, avec tous ces militaires dans le terrain d'en face et désire raser le champ de citronniers... Et là, subtile connivence entre Salima et le femme du ministre..; Enfin, c'est fort et beau. J'ai vu aussi de lui "La fiancée syrienne" et d'un autre réalisateur " la visite de la fanfare" (Eran Kolirin). Ces trois films sont pour moi liés à votre texte. Ah, la paix, dans cette région du monde, comme ce serait bien !
Écrit par : Christiane | 24/08/2008
Si les gens pouvaient se parler, simplement se parler. Comprendre qu'on a un individu en face de soi et pas un porte drapeau du camp adverse.
Hélas, avec le temps, les brimades, les vexations, les morts, ce n'est plus possible.
Écrit par : Feuilly | 24/08/2008
Je pense aussi au message de paix porté par le très beau roman d'Hubert Haddad "Palestine" dont nous parlions l'autre jour. C'est vrai que tous ces petits signes mis bout à bout sont d'une colère qui chante l'olivier... Nous aurions envie de dire : plus de murs, plus de frontières, plus de fractures... Il faut que l'autre existe, le découvrir, vivre avec lui, l'entendre plutôt qu'entendre la violence des armes... Se réconcilier...Peut-être inventer une autre manière de construire la paix...
Écrit par : Christiane | 24/08/2008
Je l'ai acheté cette semaine.
Écrit par : Feuilly | 24/08/2008
J'aime bien que vous ayez ce tourment.
Les peuples juif et arabe ont du mal à porter leur histoire religieuse. Dieu est comme une faille entre eux...
Et cette terre,de Palestine, à l'origine semi-déserte qui a vu se succéder les turcs, puis les anglais, puis les israëliens. Le monde arabe derrière les uns, l'Amérique et une bonne partie de l'Europe derrière les autres...
Et ces morts, ces bombes, ce terrorisme...ces maisons détruites, ces murs qui séparent , ces check-points grillagés, ces villages divisés... Ces deuils des deux côtés... La peur...la haine...
Et cette Europe "chrétienne" , dit-on- bien pressée de régler le problème de cette façon à la fin de la guerre.
Que de sang versé au nom de Dieu ! Cela ne donne pas envie d'être croyant...ni de vivre sur cette terre.
Mais la façon dont vous pesez ce rétrécissement continuel de la terre pour les palestiniens est juste.
Nous sommes un peu écartelés ce soir par deux fils de discussion un peu"étrangers l'un à l'autre. Cela donne une drôle d'impression que nous ne connaîtrions pas dans une vraie conversation, hors blogue. Je crois qu'on parlerait de l'un ou de l'autre...pas des deux en même temps... et puis il y aurait moins de temps entre nos questions et nos réponses. Internet a aussi ces check-points et ses attentes, heureusement pacifiques..;mais comme on fait autre chose entre ces temps d'écriture, parfois quand la parole de l'autre revient il faut se concentrer sur ce qu'on était en train de dire...
Demain, justement, à trois, nous brisons un tabou ! Sur le blogue de ma ville, très vivant, je me suis fait deux amis, aussi différents que le jour et la nuit, et nous échangeons passionnément nos points de vue depuis des mois sur écran. Une belle amitié s'est mise en place qui amuse beaucoup les audoniens qui fréquentent le blog. Et bien demain nous avons décidé de nous retrouver dans un café et de bavarder en vrai !!!
Écrit par : Christiane | 25/08/2008
Belle initiative, en effet. Que vos échanges soient fructueux.
Écrit par : Feuilly | 25/08/2008
J'ai entendu parler de Barag lors de la diffusion de " Iron Wall " par France Palestine. Contrairement à ce que l'on pourrait croire depuis chez nous, il y a des Juifs qui ne sont absolument pas d'accord avec la politique de leur pays notamment concernant la Palestine. J'en connais même qui militent pour la Palestine.
Pour en revenir à la résistance passive, les mères de la Place de Mai nous en ont donné un exemple extraordinnaire en tournant un jour par semaine en silence et sans provocation des années durant. La force d'inertie est souvent plus efficace que la force tout court parce qu'elle s'inscrit dans le temps et dans les esprits. L'exemple de Barag en est l'illustration. En résistant aux portes de Naplouse, elle s'est inscrite dans un phénomène de proximité, puis de connaissance, puis d'échange et de tempérance avec entre les deux partis en présence. Il n'y a que la constance qui peut permettre ce genre d'évolution.
Écrit par : Aédia | 25/08/2008
Oui, la constance et la ténacité, à la longue, doivent porter des fruits.
Écrit par : Feuilly | 25/08/2008
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