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09/08/2008

Eternel présent

Le mécanisme qui rattache nos contemporains aux générations passées semble s’être modifié. Je ne dis pas que c’est un bien ou un mal, je le constate, tout simplement. Il n’y a pas encore si longtemps que les gens vivaient dans des villages, toutes générations confondues et qu’une sorte de savoir impalpable se transmettait de la sorte, des aînés vers les cadets. Puis petit à petit, s’est imposé le mythe d’une éternelle jeunesse, largement véhiculé par la publicité d’ailleurs, laquelle nous a proposé une série de recettes pour ne pas prendre une ride. L’homme moderne est jeune et dynamique, cela va de soi et cette théorie est encore renforcée par l’idéologie libérale ambiante : un cadre supérieur se doit de travailler sans compter pour sa firme et en dessous de soixante heures semaines, il n’a pas droit à notre considération. Dans un tel contexte, tomber malade semble malséant. Du coup, voilà tous les souffreteux relégués à l’hôpital (le nouvel endroit où l’on meurt en toute discrétion et sans importuner son voisin)et les vieillards à l’hospice (d’habitude on dit maison de repos, c’est plus positif, mais dans les faits il s’agit bel et bien d’un simple mouroir dans lequel la société vous installe de force en espérant que vous n’abuserez pas trop longtemps de la petite pension qu’elle vous a chichement accordée).

La plupart des jeunes grandissent donc de nos jours dans une sorte de présent permanent. L’histoire, d’ailleurs, ne s’enseigne plus vraiment. Il est vrai qu’avant on n’en enseignait qu’une partie, celle qui intéressait la classe politique au pouvoir, mais enfin cela créait indéniablement des liens entre les gens. Tout le monde connaissait Vercingétorix, la guerre de cent ans ou la prise de la Bastille. Aujourd’hui, les jeux vidéo ont remplacé tout cela.

Pourtant, les noms de nos rues sont encore remplis de souvenirs pour qui conserve un peu de mémoire : hommes illustres, noms de batailles, etc. Mais la jeune génération préfère l’amnésie. Il est vrai que se souvenir des horreurs du XX° siècle, cela n’a rien de réjouissant : carnage de 14-18, horreurs de la barbarie nazie, guerre d’Algérie, d’Indochine, du Vietnam, génocides, goulag, on a le choix. Dans un tel contexte mieux veut peut-être en effet oublier et devenir fataliste : rien ne changera jamais.

Pourtant le XX° siècle a eu aussi ses faits positifs : décolonisation, disparition du travail des enfants, scolarité obligatoire, sécurité sociale, salaire minimum, émancipation des femmes, progrès médicaux sans précédents. Cela aussi, du coup, on finit par l’oublier.

Certes, il ne faut pas vivre dans le passé, mais il me semble qu’un minimum de mémoire permettrait tout de même, non pas d’empêcher que de nouvelles horreurs ne se reproduisent (il ne faut pas se faire d’illusions sur la nature humaine),mais tout au moins de pressentir leur arrivée.

Mais non, la jeune génération a été conditionnée pour vivre dans un présent éternel. Supposée immortelle, elle n’est là que pour acheter les produits de consommation parfaitement inutiles que la société leur propose et qui sont supposés faire son bonheur. A la limite, elle est plus tournée vers le futur (la sortie de la Playstation III, le dernier Harry Potter) que vers le passé, prenant pour un signe d’ouverture d’esprit ce qui n’est qu’une preuve d’asservissement aux lois du marché.

Je parle de la jeune génération, mais les autres ne valent pas beaucoup mieux. Tout le monde se complaît dans une sorte d’hédonisme jouissif (ou supposé tel, car ne je vois toujours pas en quoi le fait de posséder tel ou tel objet me rend plus heureux, surtout si je n’en ai pas besoin)qui permet de ne plus penser que le temps avance et qu’une tombe nous attend au bout du chemin. Consommant frénétiquement, notre société vit dans un présent éternel, sorte d’Eden fictif et artificiel qui enrichit quelques industriels au passage. Le passé n’a plus de sens et si on en parle, c’est pour en rire (tu te souviens ? A la fin des années soixante-dix on n’avait même pas de micro-ondes ! Comment ont-ils fait dans les années quatre-vingts pour se passer de MP3 ?)

Pourtant, peut-on ramener une vie humaine à ces simples considérations de confort domestique ? Notre destinée n’aurait-elle donc aucune autre portée ? J’ignore quel sens elle a ni même s’il y a un sens à trouver, mais ce qui est sûr c’est que l’Antiquité grecque, qui avait inventé la tragédie, avait une autre conception de notre existence. Certes les dieux étaient méchants et se moquaient des hommes, mais ceux-ci tentaient malgré tout de lutter pour survivre, acquérant ainsi une dignité que nous avons manifestement perdue. Quand je vois à quel degré d’avilissement la publicité peut conduire (ces cadres supérieurs qui se roulent par terre pour manger un yoghourt, ces femmes qui ne vivent que pour engloutir un fromage !), j’en viens à regretter le temps du vieux Montaigne (même s’il a failli mourir de la peste). Au moins il y avait encore des hommes pour tenter de réfléchir sur le pourquoi de leur présence sur terre. Mais qui se souvient encore de Montaigne ? Ce n’est même pas le nom d’une marque de fromage.

00:12 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (11)

Commentaires

Hors sujet, peut-être mais le blé vert des mots lève à la lecture de ces pensées de Feuilly...
Ouvrir ces portes , celles des hôpitaux, des mouroirs, des prisons et tenir dans ses mains la joie et la solitude de l'autre, ébouler des soleils, des aurores, des fêtes géantes à la mesure de ce qui se joue là, de pauvre, de tremblant, de souffrant, de pâle, de moite, de blessé; de fiévreux. Faire de nos "trop" de vie des enchantements mouillés pour les lèvres brûlantes, du rire pour ces chagrins, des sourires pour ces mélancolies mais, simplement, comme les enfants partagent un bonbon, des jouets, des cascades de vie, sans savoir...simplement parce qu'on est ensemble jusqu'au bout de la route. Alors la beauté sera incandescente et pleine...

Écrit par : Christiane | 11/08/2008

"on est ensemble jusqu'au bout de la route. "
Le problème, c'est que l'homme étant aussi un loup pour l'homme, il est bien rare que cette communion fraternelle (qui pourtant s'imposerait) puisse donner le meilleur d'elle -même.

Écrit par : Feuilly | 12/08/2008

Oui, mais une goutte d'eau a son poids de joie. Un souffle de vent aussi. Il est bon que tout cela soit noyé dans un océan où une vague devient invisible... La bonté me fait plus peur que le mal car elle peut oublier d'être légère et gratuite, parce qu'elle peut blesser celui auquel elle est destinée...et celui-là, il ne faut pas le blesser...mais il faut être ensemble, n'est-ce pas ? Sinon, à quoi ça sert d'avoir des yeux, des mains, un coeur...
Et puis, la surprise est cachée au fond de la fragilité. C'est le plus pauvre qui est le plus riche de dons. Seuls les pauvres savent donner... et là, ils sont heureux... Ce serait comme échanger, comme une respiration, du vivant, du vivant, du bonheur plus fort que le malheur.
J'ai un peu de mal à dire tout cela. Ce sont des choses qui se font et qui ne se disent pas. Et puis, j'ai besoin de vous quitter car j'écoute sur FC un bien beau portrait de De Gaulle qui mérite toute mon attention. Considérez que je n'ai pas su répondre à votre question. Allez, hop ! j'écoute cette voix...ces deux...voix...

Écrit par : Christiane | 12/08/2008

Cher Feuilly, quelle déception !
Je pensais que vos vacances vous permettraient (peut-être) de positiver et que le fait de respirer un grand bol d'air vous aiderait à parvenir à cet état, mais je vois, à peine rentrée, qu'il n'en est rien ! Vous me faites rire... ;-)

Écrit par : Cigale | 12/08/2008

Justement, je regrette la vie simple au milieu des montagnes ensoleillées. Rien de pus agréable que de se laisser vivre en regardant courir les lézards ou, dans la nuit profonde d’écouter les hiboux qui se répondent.
Mais je ne suis pas pessimiste, n’allez pas croire cela. J’ai même de l’humour vous savez, même si je ne le montre pas assez ici. Il est vrai que c’est souvent de l’humour grinçant, je vous le concède.
Mais vous voilà déjà revenue des sommets alpestres ? Comme les chats fugueurs, vous revenez sans faire de bruit…

Écrit par : Feuilly | 13/08/2008

Des derniers commentaires, ici et là-bas, je retiens la grâce de ces petits lézards courant sur les murs et le chant des hiboux, la nuit. Pour le reste, je reste en retrait, surtout pour les envolées lyriques à propos de conversion...

Écrit par : Christiane | 13/08/2008

@ Cigale: mais si mes propos désabusés vous font rire, pourquoi vouloir que je change de style ? Je ferais dans le comique pur que vous seriez déçue.

A moins que vous ne vous inquiétiez pour mon bonheur et que vous ne souhaitiez me voir atteindre une sorte de contentement, étant enfin en paix avec le monde et avec moi-même. C’est toujours votre approche « zen », n’est-ce pas ? Je finirai bien par y arriver un jour, quand je serai fatigué de faire l’inventaire de ce qui ne me plait pas dans ce monde.

Écrit par : Feuilly | 14/08/2008

Ce ne sont pas vos propos désabusés qui me font rire (car ils sont réalistes et n'ont rien de drôle) non, c'est vous ! Votre pessimisme latent qui ne peut s'empêcher de s'exprimer !

Je ne m'inquiète pas pour votre bonheur (nous savons si peu de choses de votre vie) mais plutôt de l'apaisement de votre "âme" (appelez cela comme vous voulez). Les soucis de ce monde mais aussi l'idée de la mort et plus encore de ce qu'il restera après notre passage sur terre vous tourmentent sans relâche, on aimerait bien vous voir sourire de temps en temps.

Mais comme vous le dites dans votre première réponse, il est beaucoup plus facile d'être détendu dans les montagnes ensoleillées. Après, c'est affaire de tempérament.

Écrit par : Cigale | 14/08/2008

« Votre pessimisme latent qui ne peut s'empêcher de s'exprimer » C’est grave ça, docteur ?
« Nous savons si peu de choses de votre vie » Hé hé, je vois poindre votre curiosité féminine, mais vous ne saurez rien. A quoi bon étaler sa vie privée ? Cela n’intéresse personne (sauf moi, bien entendu).

« L'apaisement de votre "âme". Diable, vous vous y mettez aussi ?
« On aimerait bien vous voir sourire de temps en temps. » Mais au moins c’est vous qui riez devant mon pessimisme intrinsèque. Vous voyez que cela a tout de même du bon.

Écrit par : Feuilly | 14/08/2008

1 - non, et d'ailleurs chacun fait librement son blog à son image et comme il l'entend

2 - "curiosité féminine" : pas du tout, c'était une simple constatation liée à votre "bonheur".
"Etaler sa vie privée" c'est ce que fait un grand nombre de blogs, mais encore chacun fait comme il veut. Personnellement j'aime bien les blogs "reflets de vie", ils m'apprennent la vie (différente de la mienne).

3 - ;-) (laissez le diable où il est des fois que...)

4 - je crois que j'ai vexé M. Feuilly et pourtant il n'y avait rien de méchant et j'espère de déplaisant dans mes remarques. Si c'était le cas je m'en excuse.

Écrit par : Cigale | 15/08/2008

Mais non, chère Cigale, je plaisantais (humour noir) et vous êtes déjà pardonnée.

Écrit par : Feuilly | 15/08/2008

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