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29/04/2008

TV 5-Monde

Nous avons déjà parlé de ce dossier. On sait que Nicolas Sarkozy voulait réorganiser l’audiovisuel extérieur français, ce qui n’avait pas manqué d’inquiéter les partenaires francophones (Belgique, Suisse et Québec), lesquels craignaient que la chaîne ne se transforme en outil de rayonnement franco-français (ou tout simplement en outil de rayonnement sarkozien).

Il existe maintenant un accord de principe sur le fait que la chaîne sera présidée par le Français Alain de Pouzilhac, lequel sera épaulé par un directeur général. Distinct du poste de président, le directeur général de la chaîne devrait jouir d'une véritable autonomie.

Reste à savoir qui sera ce directeur. Des propositions devraient bientôt être faites par M. de Pouzilhac.

»Sa nationalité n'a pas encore été décidée. L'important, c'est que ce soit le meilleur candidat possible, qui puisse faire la part des choses entre la volonté de rationaliser de Paris et le désir de maintenir l'autonomie et le côté multilatéral de TV5 des partenaires francophones », a expliqué le porte-parole de la Belgique et celui-ci a ajouté: « "Ce n'est plus un tabou que ce soit un Français».

M. de Pouzilhac a d’ailleurs précisé qu'il était « totalement faux » de croire que TV5Monde « perdrait son indépendance et deviendrait la voix de la France ».

Les partenaires francophones non français présideraient deux des quatre comités stratégiques de la chaîne francophone. Pour le directeur de la télévision suisse romande. « L'heure est à l'apaisement, on a l'impression que les partenaires français nous ont entendus. »

Tant mieux. Reste à savoir qui sera nommé. Tout dépendra à mon avis de la personnalité de ce directeur. Si par malheur c’est un des proches de Sarkozy, les partenaires francophones se seront fait avoir en signant cet accord de principe.

27/04/2008

Mémoire

Grand beau temps aujourd’hui, en ce 26 avril, au Royaume de France et de Navarre. C’était l’occasion de faire comme le Candide de Voltaire : cultiver son jardin.
Par contre, il n’en fut pas toujours ainsi et il convient de se souvenir que

Le 26 avril 1937, par un après-midi de marché, la petite ville de Guernica (Pays basque espagnol) fut bombardée pendant trois heures par l'aviation allemande et il y eut plus de 1.600 victimes. Hitler, ne l’oublions pas, était l’allié du général Franco dans la guerre civile d'Espagne. Il avait voulu à la fois terroriser la population civile et en même temps tester les capacités de son armée. Pablo Picasso peindra cette année-là son célèbre tableau, sûrement le plus dramatique de sa carrière.

Le 26 avril 1986, c’est le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl en URSS qui explose. Discret, le régime soviétique rend difficile l'évaluation des dégâts et les taux de radiation à venir. En France, l'Etat se fait rassurant, en Belgique aussi, comme si le nuage radioactif s’était mystérieusement arrêté aux frontières. La vérité c'est que le bilan est impossible à établir. Comment prouver que des cancers qui apparaissent aujourd’hui remontent bien à l’incident de Tchernobyl ?

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00:59 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : guernica, tchernobyl

26/04/2008

Citation

"Les hommes naissent égaux, dès le lendemain, ils ne le sont plus."

Jules Renard

20:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jules renard

24/04/2008

Le blogue : du privé au public.

Il y a tout de même un paradoxe fondamental dans le phénomène des blogues. En effet, qu’on le veuille ou non, ouvrir un blogue revient à parler de soi. Certains en font un véritable journal intime (l’écran a juste remplacé le bon vieux cahier dans lequel ils racontaient leurs impressions), d’autres, plus réservés quant à leur vie privée ou leurs états d’âme, de dévoilent cependant aussi puisqu’ils abordent des sujets qui leur tiennent à cœur. C’est finalement mon cas ici. Je ne parle pas de moi directement, mais à travers mes prises de position ou mes choix de lecture, les lecteurs arrivent, par recoupements, à se faire une idée générale assez exacte de mes opinions (peut-être mieux, d’ailleurs que les personnes qui m’entourent, qui elles ne me découvrent que par mes actes et non par l’exposé de ce que je pense).

Donc, que le blogue soit tout à fait intime ou qu’il le soit un peu moins, c’est tout de même une part de soi que l’on vient ainsi livrer en pâture au public. On pourrait donc se demander ce qui est à la base dune telle démarche. En effet, ce qui est intime ne doit-il pas justement le rester? Rappelez-vous votre adolescence : pour rien au monde vous n’auriez apprécié que quelqu’un s’empare à votre insu de votre journal personnel et le lise. Pourtant, ici, c’est volontairement qu’on s’expose devant le public, curieux, non ? De plus, ce public est tout à fait inconnu (du moins au départ, car les mois passant on finit par deviner un peu ses correspondants). On pourrait encore imaginer que l’on se confie à des personnes bien connues, mais non, ici, c’est au premier venu qu’on se livre en toute confiance. Etrange.

L’engouement que le phénomène des blogues connaît prouve assurément que ce type de démarche répond à un besoin. Il est vrai qu’autrefois, dans les petits villages de campagne, tout le monde se connaissait et qu’il était peut-être plus facile de se confier à un voisin ou à une voisine que dans nos cités tentaculaires et anonymes. J’avance cette hypothèse, mais je n’y crois pas trop moi-même, sachant aussi combien la province peut être mesquine et cancanière, ce qui fait que beaucoup doivent hésiter avant de se dévoiler devant leur entourage.

Le blogue remplacerait-il le psychologue que nous n’allons jamais consulter ? C’est peut-être vrai pour ceux qui parlent de leurs problèmes intimes, mais les autres, ceux qui se contentent d’aborder leurs passions (lecture, photographie, musique ou que sais-je) ?

Il semblerait bien, en fait, que le vrai but soit de pouvoir s’exprimer soi-même. Dans une société impersonnelle qui nous demande surtout d’être rentables, chacun éprouve manifestement le besoin de dire qui il est et ce qui lui tient à cœur. Un blogue, c’est une tribune. A partir du moment où je vis en décalage avec la version officielle donnée par la société, il me faut réagir et clamer haut et fort (c’est le cas de le dire) mes opinions. Ainsi si je n’apprécie pas que la littérature soit en train de se transformer en une vaste opération commerciale et si je n’ai pas forcément envie de lire les ouvrages que la publicité veut m’imposer, au moins, si je possède un blogue, je peux montrer ma désapprobation. Comme d’autres personnes pensent la même chose que moi, nous voilà déjà plusieurs à dialoguer et à nous remonter le moral les uns les autres. C’est une lapalissade, mais il est clair qu’on se sent moins seul quand on est plusieurs. Dite comme cela, la phrase est ridicule, mais si on y regarde d’un peu plus près, on s’apercevra qu’elle ne l’est pas. Le fait de ne plus se sentir seul de son opinion console, réconforte et aide à survivre.

Vous me direz que les personnes qui viennent laisser des commentaires ne sont pas toujours d’accord avec l’auteur du blogue. C’est exact, mais cela a peu d’importance car dans ce cas le blogue se transforme en ring ou en tatami sur lequel on vient défendre ses opinions contre l’adversaire. Ce qui compte, c’est qu’on le fasse devant un public attentif qui compte les coups et qui à l’occasion donne son avis. Ici aussi, donc, il s’agit de dire qui on est, ce que l’on pense, et finalement d’oser affirmer ses opinons les plus intimes. Le blogue a donc une vertu cathartique et l’on pourrait presque dire qu’il s’apparente à la vieille maïeutique socratique puisque par le truchement de l’écriture il nous oblige à aller dans nos derniers retranchements pour mettre clairement à l’écran (j’allais dire sur le papier) des pensées qui souvent restaient confuses pour nous-mêmes parce qu’elles étaient enfouies au plus profond de notre être.

Tenir un blogue, c’est donc écrire. Ecrire, c’est penser et ici, c’est penser devant un public.

Donc, maintenant que nous avons compris comment on est passé de l’analyse de l’intime au besoin d’un public (la sphère privée se dévoilant volontairement à l’extérieur), il reste encore un autre paradoxe à analyser.

Quand le succès d’un blogue devient trop grand, celui qui en est l’auteur se retrouve parfois coincé entre son être intime et son personnage. Certes il parle toujours de lui ou de ses passions, mais il se rend compte que son public se fait une certaine image de lui et insensiblement il aura tendance à vouloir correspondre à cette image fabriquée, ne serait-ce que pour ne pas perdre ses précieux lecteurs. Doit-il rester lui-même ou doit-il jouer un rôle ? Personnellement la réponse me semble claire. La société nous fait déjà jouer tellement de rôles que si c’est pour venir en jouer un de plus sur un blogue qui se voulait au départ recherche d’authenticité, cela n’a pas de sens.

Mais on le voit rien n’est simple. Quand la sphère intime devient publique, elle court le risque de ne plus être que publique.

Que les dieux de l’informatique nous préservent d’une telle dérive !

14:42 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : blogues, prive-public

23/04/2008

Défense de Césaire

Nous avons déjà parlé longuement de Césaire et je ne croyais plus y revenir. Cependant, en lisant le texte qui lui est consacré sur le blogue littéraire le plus lu de Hautetfort, je ne puis m’empêcher de réagir, tant il semblerait que le combat mené par le poète martiniquais est loin d'avoir porté tous les fruits qu'on escomptait et que lui-même comme ses idées doivent encore être défendus.

Selon cet article, Césaire, en revendiquant sa négritude, n’aurait fait que suivre l’air du temps, en l’occurrence la théorie nazie sur l’importance de la race. En bon opportuniste, il aurait profité de la décolonisation qui a suivi la guerre pour afficher son nationalisme. On parle de « la lourdeur de sa plume, la pauvreté de son inspiration et la redondance de ses thématiques » tout en signalant que sa révolte est bien modeste si on la compare à l’action menée par Fidel Castro. Cette dernière remarque politique n’est pas entièrement dénuée de fondement, Césaire n’ayant pas proclamé l’indépendance de son île (ceci dit, il état maire d’une commune, pas dirigeant suprême) mais elle fait sourire quand on sait que le site littéraire en question a généralement pour habitude de fustiger la révolution castriste qu’il prend ici comme modèle.

Plus loin, on nous redit ce que l’on savait déjà, à savoir que ce sont les deux vainqueurs de la guerre 40-45 qui ont plus ou moins obligé les puissances européennes à liquider leurs colonies dans le but, soit d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs propres produits (USA), soit d’agrandir leur espace idéologique (Russie). Ceci étant dit, on ne comprend pas :

- pourquoi ce même site littéraire voue habituellement une admiration sans bornes aux Etats-Unis alors qu’il est le premier à reconnaître que ce pays a une bien curieuse conception de l’amitié en faisant passer ses intérêts économiques avant toute chose. Il est vrai que c’est surtout Moscou qui est ici accusé d’aller inciter nos anciennes colonies à la révolte. Il faut bien, dans cette histoire, qu’il y ait un méchant et un bouc émissaire et je me réjouis que l’auteur de l’article ait lu René Girard.

- Pourquoi on passe sous silence le rôle des populations indigènes elles-mêmes, qui ont cependant largement contribué à leur émancipation. Que je sache, ce n’est pas pour rien qu’on a parlé de guerre en Algérie et je ne sais pas ce que diraient les Algériens si on leur disait qu’ils n’ont pris aucune part à leur indépendance.


Poursuivons. Nous apprenons ensuite que Césaire ne fut qu’un bourgeois qui n’était pas prêt à sacrifier son train de vie à son idéal d’indépendance (c’est curieux, je croyais que ce terme de « bourgeois » était habituellement employé dans la dialectique marxiste et voilà que nos « amis » de droite se l’approprient)

« Profitant des subsides de l’État français, il détournera pendant plus d’un demi-siècle cette manne financière contre le pays qui l’a élevé, éduqué et nourri »
On croit rêver. Même au temps du colonialisme le plus dur on a rarement vu des propos aussi outranciers et haineux. Cela se passe de commentaires. Quant au fait que l’Etat français a ouvert ses écoles aux indigènes et a permis précisément cette prise de conscience nationaliste parmi les diplômés, je crois surtout qu’il faut s’en réjouir et y voir un bienfait de l’égalité républicaine plutôt que de venir fustiger ceux qui se sont révoltés. De plus, s’agissant de Césaire, on ne peut pas dire qu’on avait affaire à un terroriste sanguinaire mais plutôt à un homme de grande culture et de grande modération, qui a compris, précisément, ce que son pays avait à gagner à rester français tout en affichant fièrement sa singularité. Et quoi ? Césaire aurait dû prendre les armes et proclamer l’indépendance de son île ? Celle-ci serait aujourd’hui sous la coupe des Etats-Unis et je ne vois pas ce que l’on y aurait gagné.

L’article se termine en affirmant que « Césaire et sa négritude ont été récupérés à d’autres fins. Ce n’est pas un hasard si, de la gauche affairiste à la droite mercantile, l’hommage à Césaire rivalise de grandiloquence avec le culte stalinien de la personnalité. » Là, il faudrait voir s’il n’y a pas un fond de vérité. Moi-même j’ai ironisé sur la présence, aux obsèques, de la gauche et de la droite pour une fois réunies dans une fausse fraternité de façade.

Il se pourrait bien que le grand capital mondial continue son combat contre le colonialisme (et les protectorats qu’il a créés) en rappelant quand il faut aux Martiniquais qu’ils auraient pu être indépendants et aux Français qu’ils ont été d’affreux colonisateurs, le but de tout ceci étant de casser les échanges économiques privilégiés qui se font classiquement entre l’ancienne colonie et sa métropole. Mais au lieu de fustiger ce néocapitalisme, l’article déplore une volonté de « métissage de l’Europe », renouant sans s’en rendre compte avec une identité raciale qu’il convient de condamner fermement et reproduisant inconsciemment les thèses qu’il reprochait lui-même (à tort) à Césaire dix lignes plus haut. Bref, quand un Martiniquais revendique sa négritude, c’est un nazi, mais quand un Français accepte le métissage, c’est un traître qui renonce au prestige de sa race. Il faut savoir ! En attendant, on se croirait revenu dans la période d’avant la guerre, et si je ne me trompe c’est bien comme cela que l’on a commencé avant d’imposer l’Etoile jaune à certains.

Ce que l’on regrette, dans cet article, c’est que Césaire ne soit point resté un noir inculte et soumis, baissant la tête devant le prestige de ces hommes blancs venus de France qui ont daigné lui apporter au compte-gouttes les bienfaits leur civilisation. Comme théorie réactionnaire on ne fait pas mieux. La seule chose qu’il y a à espérer, c’est que ces horreurs ont été écrites dans le seul but de se singulariser et de se faire remarquer en choquant la galerie. Par contre si les vérités ici exposées reflètent l’opinion de leur auteur, il n’y a plus grand chose à espérer de l’humanité.

Pour conclure, je voudrais faire parler Césaire lui-même en reprenant quelques extraits de son Discours sur le colonialisme, publié en 1950 :

« Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.

Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. »

(…)


« Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourne, en chicote et l'homme indigène en instrument de production.

A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J'entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.

Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.

Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.

On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés.

Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières. »


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22/04/2008

Littérature et Internet

Dans la dernière note sur les blogues, sont apparues quelques remarques intéressantes sur la littérature et les rapports que celle-ci pourrait entretenir à l’avenir avec Internet. Ainsi, Cigale s’est demandée si la littérature ne serait pas "obligée", avec le temps, d'user de l'outil informatique et cela ne serait-ce que parce que les jeunes utiliseront de plus en plus ce moyen pour lire.

En fait, à l’heure actuelle, il faut bien reconnaître que personne ne peut prévoir l’évolution future de ce nouvel outil de communication. Ceci dit, nous pouvons essayer de poser quelques jalons :

· Il est possible que le public finisse par se familiariser de plus en plus avec la lecture sur écran, ce qui risque d’avoir des conséquences à moyen terme. Nous tous, via nos blogues, nous ne faisons pas autre chose que d’avoir le nez collé sur notre ordinateur. Personnellement, je constate que j’ai tendance à lire les informations (site du journal Le Monde, etc.) plutôt que de les écouter à la télévision. En effet, je peux le faire quand je le désire et cibler les sujets qui m’intéressent.

· Le risque, c’est que les éditeurs y verront une opportunité de réduire leurs coups de fabrication. Avec des livres à la demande, ils n’auront plus de gestion de stocks ni de pilons. De plus, si on améliore encore ces petits écrans portables qui permettent de lire des romans entiers avec un maximum de confort, l’édition papier pourrait bien disparaître. En effet, il suffirait d’acheter un mini CD ou même de télécharger le livre directement sur Internet. Si une telle tendance devait se généraliser, cela signifierait la disparition des bibliothèques personnelles. Celles-ci se réduiraient à la mémoire de votre machine. Cela voudrait dire aussi, la technique évoluant sans arrêt, qu’il vous faudrait racheter périodiquement une « liseuse » plus performante, en espérant que les livres stockés en mémoire sur l’ancienne puissent toujours être lus par la nouvelle. On n’ose non plus imaginer ce qui se passerait en cas de panne du disque dur…

· D’un autre côté, la Littérature étant devenue une grande affaire commerciale et le milieu de l’édition privilégiant ce qui se vend au détriment de la qualité, on pourrait imaginer que des auteurs authentiques se tournent vers Internet pour s’assurer un lectorat qui finalement ne sera pas moindre que le public confidentiel auquel leur œuvre était destinée.

· Le problème, pour le profane, c’est de savoir reconnaître sur le Net les œuvres de qualité car la Toile est ouverte à tous et tout le monde peut y écrire. Plus rien ne sera gravé dans le marbre et tout appartiendra au domaine de l’éphémère. On pourrait d’ailleurs se demander si une société qui efface ainsi toutes les valeurs et qui ne distingue plus l’œuvre d’art authentique des balbutiements de la concierge (ceci dit sans aucune animosité de ma part envers les concierges) n’est pas en pleine décadence. Tout ne serait plus qu’un immense discours, une logorrhée sans fin, une sorte de « bruit et de fureur » n’ayant d’autre but que d’exister par lui-même. S’il n’y a plus de message à transmettre, s’il n’y a plus une hiérarchie des valeurs (même si celle-ci est contestable), on risque bien de se retrouver devant un fond sonore sans signification.

· Le gros avantage d’Internet, c’est l’échange immédiat avec des personnes ayant les mêmes centres d’intérêt que vous. Pour un auteur, c’est donc aussi une manière de dialoguer avec des lecteurs qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer. Vous me direz qu’il y a les Salons du livre, mais que peut-on raconter en deux minutes au milieu du brouhaha de la foule ? Rien du tout. Rien en tout cas qui soit comparable au type d’échange que l’on peut avoir sur un blogue ou via un courriel privé avec un(une) lecteur (trice).

· Pour être édité, c’est le parcours du combattant, tout le monde le sait et des relations ou un nom déjà connu peuvent seuls vous ouvrir les portes. Au contraire, avec Internet la littérature se démocratise puisque tout un chacun peut venir déposer des textes. Il suffirait donc de modifier l’idée qu’on se fait d’un auteur pour avoir de la littérature une autre conception. Je pourrais très bien avoir un métier ordinaire et rédiger des textes de qualité qui seraient alors appréciés sans pour cela avoir comme seule occupation l’écriture (car c’est tout de même comme cela qu’on voit encore l’écrivain, même si en fait une grande partie de son temps est consacrée à une écriture alimentaire : articles de presse, compte-rendus, etc.)

· Il resterait le problème de la diffusion, qui est finalement le même que dans l’édition classique. Pour être lu, il faut être vu. A la publicité traditionnelle se substituerait donc l’art d’être repéré par les moteurs de recherche, ce qui est aussi une manière de s’imposer.

· Si le texte enligne devait remplacer la littérature sur papier, il resterait le problème de la mouvance du texte, qui ne serait jamais figé. Un auteur traditionnel a en effet tendance à améliorer son texte jusqu’au moment de la publication qui le fixe alors définitivement. Sur écran, il n’en va pas ainsi. Déjà que les versions antérieures sont souvent impitoyablement écrasées, le risque est grand de se retrouver devant un texte mouvant, en perpétuel devenir et qui évoluera sans cesse au gré de son auteur. Mais qu’est-ce qu’une société qui ne sait plus fixer les choses mais les présente dans un ordre aléatoire et arbitraire ? Si rien ne vaut rien et si tout vaut tout, j’ai bien peur que la décadence ne soit proche.

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20/04/2008

Retour au pays natal

Ainsi donc ils étaient tous là, aux obsèques d’Aimé Césaire. La gauche, bien sur, histoire de rappeler que les idées généreuses de l’homme qui a défendu la négritude sont aussi les siennes. Du moins convient-il de le faire croire. Elle ne pouvait donc pas faire moins que d’être là. Mais la droite aussi était là, ce qui n’est curieux qu’en apparence. En effet, une fois mort, on ne vous trouve que des qualités, c’est bien connu, et cet homme, ce poète, qui s’est toujours battu contre le colonialisme et donc en faveur de la dignité humaine, cet homme qui s’est donc opposé à l’état central, voilà que tout le monde aujourd’hui dit qu’il avait raison. Comment faire autrement, d’ailleurs ? Vous vous voyez, si vous êtes politicien, aller critiquer le défunt en ce moment précis où les émotions sont les plus vives ? Impensable. Electoralement suicidaire. Humainement contestable. Donc la droite était là aussi, histoire de montrer qu’elle approuvait le combat de cet homme auquel elle a pourtant bien dû s’opposer en son temps au nom de la raison d’état. Si certains en doutent, qu’on se souvienne des événements en Nouvelle–Calédonie au moment de la deuxième élection de Mitterrand. Chirac avait fait envoyer la troupe, espérant que son geste d’autorité séduirait les Français. Hélas pour lui se fut mal perçu et c’est son rival qui fut élu. Vous me direz que la Nouvelle- Calédonie, ce n’est pas la Martinique, mais bon, vu de Paris, c’est du pareil au même.

Ceci étant dit, s’il y en a bien un que je croyais tout de même ne pas voir devant le cercueil du poète, c’est bien Sarkozy. N’avait-il pas dit et répété qu’il ne fallait pas avoir honte de notre passé colonial ? N’avait-il pas prononcé à Dakar un discours enflammé dans lequel il faisait comprendre aux Africains qu’ils ne devaient pas regarder en arrière vers leurs anciennes cultures, mais qu’il était grand temps pour eux d’aller de l’avant et de tirer profit de ce que l‘Occident leur avait apporté ? N’avait-il pas fait voter une loi dans laquelle on redisait que le colonialisme avait eu du bon (qui le nierait ? Il suffirait d’ajouter qu’il a eu aussi beaucoup de mauvais et sans doute davantage). Alors que vient faire à Fort-de-France (ce nom en soi est déjà tout un symbole) ce champion de la droite capitaliste et donc néo-coloniale ?

Avait-il peur que son absence fût remarquée et qu’elle ne soit la cause d’une nouvelle dégringolade dans ses sondages ? Lui a –t-on dit qu’il ne pouvait pas faire moins que les socialistes ? Avait-il envie d’une escapade en Martinique (tiens, où est Carla ?) Ou bien tout simplement était-il un passionné des livres de Césaire et s’endormait-il tous les soirs en lisant quelques pages du « Cahier d’un retour au pays natal » ? Laissez-moi rire !

Déjà qu’il nous a fait croire lors de sa visite à Tipaza qu’il lisait Camus ( ''Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes… »). Il ne manquerait plus que cela maintenant, qu’il devienne un chantre de la négritude ! Et dire que certains Français avaient voté pour lui en espérant qu’il règle le problème des banlieues ! Quant aux autres, ceux qui ne voteront jamais pour lui, ils rigolent franchement, mais c’est d’un rire crispé, en fait. On n‘a jamais aimé voir le pouvoir faire des courbettes devant la dépouille d’un poète, surtout si celui-ci a consacré sa vie à lutter contre ce pouvoir qui asservit l’individu. Bref, on se serait bien passé d’une photo comme celle-ci :

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18/04/2008

Il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire.

Pour revenir un instant encore à Césaire, il convient de souligner l’importance de ces cultures autres, situées en dehors de l’Hexagone et qui ont adopté la langue française comme moyen d’expression. Le paradoxe est double ou même triple.

- D’une part ces peuples des Antilles durent subir la colonisation, mais c’est aussi par cette colonisation qu’ils eurent accès à une grande langue universelle et de culture.

- C’est en adoptant la langue du colonisateur et en écrivant en français que des hommes comme Césaire vont s’opposer à la colonisation elle-même. Juste retour des choses, mais qui suppose jusqu’à un certain point l’abandon d’une partie de leur propre culture. On retrouve ce problème en Amérique du Sud. Quand celle-ci se souleva contre l’Espagne au XIX° siècle, c’est en espagnol que les courants intellectuels et littéraires s’exprimèrent, non sans souligner le paradoxe. Des gens comme le Cubain Marti, si je ne me trompe, ont dû écrire la-dessus. Devant l’impossibilité d’unifier ces territoires immenses, aux langues indigènes multiples, il n’y avait qu’une solution : adopter définitivement la langue de celui qui vous avait oppressé, d’autant plus que c’était aussi une grande langue qui convenait bien pour manier les idées et les concepts abstraits. Mais en s’exprimant en espagnol, les écrivains de cette génération précisent bien qu’ils n’ont pas l’intention de trahir leurs origines. Pas question, donc, de jouer au singe savant en imitant ces Espagnols qu’on vient de vaincre, mais plutôt se servir de leur propre langue pour les battre sur leur propre terrain. Aimé Césaire, c’est cela aussi, mais pour la France.

- Alors que la France, l’ancienne métropole, est en perte de vitesse économique et que sa puissance politique s’effrite dans le cadre de la mondialisation, alors que la langue française, par contrecoup, perd de son importance tous les jours, nous sommes bien heureux de pouvoir citer des chiffres rassurants quant au nombre de locuteurs francophones de par le monde. Si, numériquement, le français conserve encore un certain poids, c’est bien à ces populations qui vivent dans les anciennes colonies qu’on le doit. Inversement, il faut bien avouer que nous connaissons mal cette littérature exotique. A part précisément ces figures historiques que sont Senghor et Césaire, on lit peu de littérature africaine ou antillaise écrite en français. Il faut dire aussi qu’on n’en trouve pour ainsi dire pas dans les rayons des librairies.

Evidemment, les Senghor et les Césaire avaient complètement intériorisé la culture française et l’avaient superposée à la leur. En cela ils offrent un bel exemple de mixité culturelle (en quoi ils sont sans doute précurseurs. Il suffit de regarder le nombre de personnes de couleurs que vous croisez dans le métro pour vous rendre compte que demain notre propre culture sera le fruit de ce brassage et de cette mixité. Le fait que la planète est devenue un village va encore accentuer le phénomène). Par contre, il est certain qu’en ce qui concerne les pays qui ont acquis leur indépendance depuis longtemps déjà (Sénégal, etc.), les spécificités locales vont se marquer beaucoup plus que chez des hommes comme Césaire ou Senghor. Le risque est donc grand de voir l’écart se creuser chaque jour davantage avec la France. Cette littérature, même si elle est écrite en français, pourrait finir par aborder des problèmes qui ne nous concerneraient plus (survivance des traditions tribales, excision, sécheresse, famines, etc.). Ce serait dommage. D’un autre côté, il est certain que l’analyse du cœur humain donnera toujours une littérature classique universelle et à ce titre les ouvrages de ces pays nous parleront toujours. Profitons du fait qu’ils sont écrits en français pour les lire sans passer par le truchement de la traduction.

16/04/2008

Aimé Césaire

On apprend qu’Aimé Césaire, né en juin 1913, a été hospitalisé pour des problèmes cardiaques jugés très sérieux. A 95 ans, il ne faut plus espérer grand chose. Ce grand classique, en fait, appartient déjà au monde immortel de la littérature. Il aura tout connu : la colonisation mais aussi la possibilité de faire des études en France. C’est à cette époque qu’il se liera d’amitié avec Léopold Sédar Senghor, avec qui il inventera le mot « négritude », donnant ainsi naissance à un courant littéraire original hors de France. Maire de Fort-de-France, il a ensuite forgé le mot « départementalisation », pour remplacer le mot ambigu d'« assimilation ».

Le paradoxe, évidemment, c’est qu’il a assimilé mieux que d’autres la civilisation française, de par ses études, mais une fois son diplôme en poche, il utilise son instruction à promouvoir la culture de son peuple : tous ces anciens esclaves venus d’Afrique et oubliés par l’Histoire. On ne peut que se réjouir de cette réaction, qui visait d’une part à lutter contre la colonisation (surtout l’action culturelle beaucoup plus que politique) et d’autre part à redonner une dignité humaine à ses concitoyens. Il est parvenu à dépasser une vision raciale du monde (risque dans lequel il aurait pu tomber : voir la Serbie et les Balkans en général) et a toujours clamé qu’il était « de la race de ceux qu’on opprime ». Voilà qui est joli et qui nous prouve que la culture et la littérature ont manifestement un rôle à jouer dans notre univers qui ressemble à une jungle.

Quand il rentre en Martinique en 1930, il n’y a pas de littérature martiniquaise ou alors elle intériorise le regard exotique que le colonisateur peut porter sue l’île. Aussi, quand il publie en 1939 Cahier d'un retour au pays natal , l’œuvre est remarquée parce que remarquable :

« Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l'intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d'une seule misère, je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d'une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit. »

Plus tard il rencontrera Breton et certaines de ses œuvres seront préfacées par Sartre. Lui, il œuvre pour que son île soit dirigée par les Antillais et non d’office par les descendants des colons. Ceci dit, il ne réclame pas encore l’indépendance comme le fait le Viêt-Nam ou l’Algérie à cette époque, ce qui lui vaudra la réserve des partis de gauche indépendantistes (lui qui était pourtant sur les listes communistes). Plus tard il prendra ses distances avec le PCF et créera son propre parti, revendiquant alors l’autonomie.

Il a encore fait parler de lui récemment, en s’opposant à la Loi du 23 février 2005, laquelle consacrait le côté positif de la colonisation. Il avait aussi refusé de recevoir Nicolas Sarkozy, ce qui nous le rend bien évidemment sympathique. Ceci dit, il l’a fait l’année suivante, estimant qu’il faudrait attendre et juger le Président sur son oeuvre.

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13/04/2008

De la flamme olympique.

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Bon, on parle beaucoup du Tibet, ces derniers temps. Je dirais même qu’on n’en a jamais autant parlé. C’est bien et c’est normal. Je suis le premier, quand un ministre français, belge, allemand ou anglais va signer des contrats économiques en Chine à dénoncer le fait qu’une fois de plus les intérêts économiques passent avant tout le reste. Donc, pour une fois que cela bouge un peu, on ne va pas se priver de son plaisir.
Cependant, il y aurait beaucoup de choses à dire.

D’abord, on remarquera qu’on parle moins de la situation des droits de l’homme en Chine que de l’occupation du Tibet. Par-là je ne veux pas dire que le Tibet, ce n’est pas important, je veux dire que l’initiative ne nous revient pas, qu’elle revient en fait aux Tibétains eux-mêmes, ceux qui sont en exil (peut-être même sous l’instigation du Dalaï-Lama lui-même). Ce sont eux qui ont commencé à s’agiter, profitant de ces jeux pour attirer l’attention du monde sur leur situation. Le mérite leur revient et il faut bien avouer que nous n’avons fait que suivre. Donc, s’ils n’avaient pas bougé, il se pourrait bien que nous n’aurions pas bougé non plus.

Ensuite, c’est très bien toute cette agitation, mais à partir du moment où l’événement devient médiatique et mondial, il faut toujours se méfier. Il y a trop de tapage là-derrière pour que quelqu’un n’en tire pas les ficelles (et je ne crois pas que ce soit les Tibétains). A une époque où l’impérialisme occidental n’a jamais été aussi fort (je pense bien entendu aux Etats –Unis, pas à l’Europe, qui ne fait que suivre), à une époque où des troupes se retrouvent en Afghanistan et en Irak et alors que l’Union européenne s’étend sans arrêt vers l’Est (au point qu’on se demande où elle va s’arrêter) et que l’Otan fait de même, il ne serait pas étonnant, la Russie étant déjà ébranlée, qu’on ne s’en prenne déjà au futur ennemi, à savoir la Chine. Enfin, ce n’est qu’une hypothèse. Mais on pourrait imaginer que certains voient déjà la Chine faire certaines concessions si les manifestations s’arrêtaient soudain. Quelles concessions ? Et bien par exemple accepter que des firmes occidentales s’installent là-bas ou promettre d’acheter tel ou tel produit. Sait-on jamais ?

Mais quittons les hypothèses pour du concret. Manifester contre la Chine, c’est bien. Mais pourquoi alors le CIO a-t-il choisi ce pays pour y organiser les jeux ? Serait-ce pour satisfaire aux exigences des grandes multinationales qui le financent ? Celles-ci espéraient–elles pouvoir ainsi s’implanter dans l’Empire du Milieu ? On est loin, semble-t-il de l’idéal olympique, qui est supposé rassembler toutes les nations autour du sport. Entre parenthèses, je plains les sportifs, eux qui se sont préparés pendant quatre ans pour cette épreuve, je ne sais pas ce qu’ils doivent penser de toute cette agitation. Si par hasard leur pays refusait subitement d’aller aux Jeux, ils verraient tous leurs efforts anéantis. Ceci dit, qu’ils se rassurent, aucun pays n’a émis une telle hypothèse et au mieux parlent-ils d’un boycotte de la cérémonie d’ouverture, ce qui témoigne d’un caractère nettement moins revendicatif, convenons-en.

A ce propos, il faut rappeler à ceux qui l’auraient oublié que les Etats-Unis avaient refusé d’aller aux Jeux de Moscou en 1980 à cause de l’invasion de l’Afghanistan. Belle démarche, il faut le dire, mais quand on voit ce qui s’est produit depuis, cela fait sourire et même franchement rire. Car c’est bien les Etats-Unis qui sont aujourd’hui en Afghanistan et nous avec eux (Maître Sarkozy n’a-t-il pas promis d’envoyer mille militaires français de plus ? La Belgique a également répondu à l’appel et elle va en envoyer cent). Alors, toute cette agitation autour des Jeux, cela semble cohérent dans le feu de l’action, mais au regard de l’Histoire, cela paraît bien dérisoire.

Bon, revenons à la Chine. Le problème de ce pays, c’est qu’il concilie un capitalisme pur et dur (celui que je fustige toujours ici) et un communisme dictatorial qui ne peut évidemment avoir notre sympathie. Forcément, l’union de ces extrêmes permet à ce pays de progresser économiquement d’une manière incroyable. Il est clair que dans vingt ans ils seront la première puissance mondiale (raison de plus pour les critiquer, donc).

Mais pourquoi donc, dès lors, a-t-on accordé à ce pays l’organisation des Jeux ? Tout le monde savait et le CIO le premier que la Chine n’allait pas subitement modifier sa politique en matière de droits de l’homme. Alors que moi, citoyen lambda, j’aille manifester, c’est très bien, mais c’eût été plus profitable que le pouvoir organisateur des Jeux mette son veto dès le premier jour.

Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Poser cette question, cela revient à se demander pourquoi l’organisation des Jeux revient toujours à un pays riche. Serait-ce parce que Coca Cola (qui finance notamment des centres de recherche du CIO), ne voit pas l’intérêt de s’établir en Afrique ou en Papouasie ? Il y aurait donc des intérêts économiques énormes derrière tout cela ? Evidemment et le sport (qui me laisse indifférent à titre personnel, soit dit en passant) n’est souvent qu’un prétexte, un prête-nom pour permettre à la culture occidentale de pénétrer certains marchés.
Et le premier de ces marchés, c’est évidemment la construction du village olympique. On en parle rarement avant les Jeux, mais souvent ces constructions supposent catastrophes écologiques et urbanistiques. Il faut savoir qu’en Chine le vieux Beijing, va être plus ou moins rasé, afin d’ériger une ville nouvelle, sans parler des pauvres, qui sont impitoyablement chassés, comme cela avait été le cas à Moscou, d’ailleurs (et notre bonne presse, toujours très objective, ne s’était pas privée de le signaler. Il est vrai que ce n’est pas chez nous qu’on agirait de la sorte, bien entendu. D’ailleurs il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de pauvres dans nos cités, c’est connu)

Cette destruction urbaine n’est pas propre qu’à la Chine. A Atlanta, les anciens quartiers pauvres ont été rasés et demain à Londres ce sera pareil. Ce n’est pas que je trouve ces quartiers particulièrement intéressants, mais enfin ils étaient tout ce qu’une tranche de la population avait pour vivre. Les détruire, c’est obliger tous ces gens à partir ailleurs (où ?) et c’est surtout cacher la pauvreté ambiante, ce qui permet de la nier et donc de dire qu’elle n’existe pas. Belle hypocrisie propre à tous les régimes politiques du monde.

En Chine, cependant, la situation semble particulièrement grave. On apprend que des paysans chinois sont obligés par dizaines de milliers de venir à Beijing travailler sur les autoroutes en construction. Déracinés, arrachés à leur famille, ils viennent là pour des salaires de misère. C’est ça aussi, les Jeux. Chez nous, ce ne serait pas beaucoup mieux. Il y a fort à parier qu’on verrait affluer sur ces chantiers des centaines de travailleurs clandestins venant de l’Est, travaillant dans des conditions précaires et se logeant Dieu seul sait comment. Donc, quel que soit le régime politique en place, on assiste de toute façon à des dégâts humains et environnementaux.

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On dira bien entendu que cela procure du travail. C’est vrai. Mais d’abord il s’agit de chantiers limités dans le temps, ce qui signifie qu’après les Jeux la situation redevient comme avant (si ce n ‘est que tout est détruit et que les communes sont endettées, comme cela avait été le cas à Albertville chez nous). Ensuite, comme on vient de le dire, ce sont rarement les habitants du coin qui profitent de la situation, puisque les ouvriers viennent de loin (et sont souvent en situation irrégulière). Enfin, si quelques emplois sont tout de même laissés aux personnes habitants dans la région où ont lieu les Jeux, il s’agit généralement d’emplois subalternes (garçons de café, femmes de ménages, etc.), ce qui est négligeable par rapport à la fortune que les grands entrepreneurs peuvent, eux, réaliser.

Abordons maintenant l’aspect écologique. Vous me direz qu’un coureur de cent mètres ne pollue pas beaucoup et je devrai bien en convenir. Mais l’infrastructure qui entoure les Jeux, elle, est particulièrement néfaste pour l’environnement Savez-vous qu’en Chine, on construit des oléoducs (plus exactement des aqueducs, mais cela nous fait plutôt penser au Pont du Gard) pour détourner l’eau de zones déjà arides afin d’alimenter la cité olympique ? Donc, alors que tout le monde se demande comment lutter contre le réchauffement climatique, les organisateurs des Jeux, eux, ont semble-t-il le droit d’oublier cet aspect et personne ne le leur reproche. D’un côté l’Occident vient faire la morale aux pays émergents (Inde et Chine précisément), les empêchant certes de faire les mêmes bêtises qu’eux, mais leur niant aussi le droit de se développer, et de l’autre ce même Occident ferme les yeux quant il s’agit du sport. Il est vrai que cela rapporte beaucoup d’argent (retransmissions, etc.). Par ailleurs, il paraît qu’en Russie, pour les Jeux de 2014, on s’apprête déjà à détruire un parc naturel.

En résumé, que nous manifestions pour l’indépendance du Tibet, c’est bien et c’est normal, mais d’un autre côté il ne faut pas perdre de vue que les organisateurs des Jeux s’en moquent complètement. N’ont-ils pas accepté autrefois qu’Hitler détourne les Jeux au profit de son idéologie politique ? La Chine ne va-t-elle pas tenter de faire la même chose en imposant ses athlètes ? Le sport en général n’est-il pas une vaste supercherie, qui a permis par exemple à la Russie de nous imposer de super athlètes déformés par les hormones (au point qu’on ne savait même plus reconnaître les femmes des hommes) pendant des décennies ? Et aujourd’hui la situation n’est-elle pas toujours la même ? Alors franchement, moi, le sport, je commence à en avoir vraiment assez. Tout ce tapage autour des Jeux m’irrite déjà, bien qu’ils n’aient pas encore commencé. Il faut dire que je reste de marbre devant toute manifestation sportive et que les périodes de coupes du monde de foot sont pour moi bien pénibles.

Mais revenons encore une fois aux Jeux chinois. Voici ce que je trouve dans la presse :

« Le CIO développe à partir de 1985 une stratégie d’alliance avec de grandes sociétés industrielles et commerciales, notamment états-uniennes, afin de pérenniser les Jeux : le programme TOP (The Olympic Partner Programme) garantissant au petit cercle de firmes transnationales entrant dans le mouvement olympique un usage exclusif et mondial de toute l’imagerie olympique. Il reste que ce sont les droits payés par les chaînes de télévision pour retransmettre les Jeux Olympiques qui assurent le financement majeur du Mouvement olympique. (…) Depuis Séoul 1988, ses décisions associent une dimension patrimoniale, le népotisme et des préoccupations strictement financières (pénétration des marchés asiatiques à l’occasion des « Jeux Adidas » de Séoul 1988 et de Pékin 2008, ou américains avec les « Jeux Coca-Cola » d’Atlanta 1996). »

Eclairant, non ? Alors, le fait que dans tous les pays du monde où la flamme est passée, les policiers se soient toujours rangés du côté chinois et non du côté tibétain devrait surprendre dans la mesure où les présidents de ces mêmes états, Sarkozy en tête, aiment bien montrer leur désapprobation en public, laissant croire, par exemple, qu’ils pourraient bien ne pas assister aux cérémonies d’ouverture. Pourquoi, dès lors, donnent-ils l’ordre à leur police de réprimer les manifestants pro-Tibétains ? Parce qu’une fois de plus ils nous mentent et qu’il ne faut rien attendre d’eux. D’un côté, tel Janus, ils présentent une face démocratique qui plaît aux foules, de l’autre ils représentent l’argent et le pouvoir (et même le pouvoir de l’argent). Assez logiquement, ils utilisent donc les forces de police pour rétablir l’ordre. C’est pour cela qu’elles ont été créées et c’est toujours à cela qu’elles ont servi.

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Sur un plan plus philosophique, maintenant, on pourrait se demander quelle représentation de lui-même l’homme veut donner en se surpassant dans le sport. Pourquoi faut-il toujours être le meilleur, le plus fort, celui qui court ou qui nage le plus vite ? Cela pouvait peut-être se comprendre dans la Grèce antique, où la liberté de la cité dépendait en grande partie de la forme physique de la population mâle, mais aujourd’hui ? Quand je vois à quelles scènes d’hystérie se livrent parfois les champions qui viennent de gagner une médaille, il y a de quoi réfléchir. Même scène quand on voit dans quel désespoir noir certains tombent pour être arrivés deux centièmes de seconde après le premier, j’avoue ne pas bien comprendre. Est-on moins homme pour deux centièmes de seconde ? Ce n’est pas possible. Alors que représente ce désir propre à l’espèce humaine de toujours se surclasser ? Quand un chat n’attrape pas une souris, il ne fait pas une crise de désespoir, il recommence, c’est tout. Et quand enfin il en a attrapé une et qu’il l’a mangée, il s’endort paisiblement, satisfait de sa condition de chat et heureux de n’être pas né souris. Chez l’homme au contraire, on dirait que sa condition première ne lui suffit pas. Il a besoin de se dépasser sans cesse pour prouver qu’il existe. Etrange animal, finalement, qui a ruiné la planète, détruit tout sur son passage et qui n’est pas encore satisfait.

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11/04/2008

Nocturne

Il est des choses qui ne se comprennent bien que la nuit, quand tout dort autour de vous et que la ville s’est pour ainsi dire évanouie. Nul bruit, nul soupir. Le temps s’est arrêté. Dans la pièce vide, il n’y a plus que vous pour écouter le silence et tenter de percevoir la respiration endormie du monde. Mais si vous êtes seul, ce n’est point pourtant de solitude qu’il s’agit ici, bien au contraire. C’est que l’espace, petit à petit, s’est empli de votre présence. Vous n’avez jamais été aussi pleinement vous-même et tout vous appartient. Les autres sont ailleurs, pas bien loin d’ailleurs, mais provisoirement ils n’existent plus. Vous voudriez faire durer indéfiniment ce moment privilégié et continuer à être le maître du monde. Derrière vous, les livres semblent s’animer d’une vie propre et être plus présents que d’habitude. Vous pouvez les toucher, caresser leur couverture, en ouvrir l’un ou l’autre au hasard. Ils se laissent faire, complices. Pour eux aussi ce moment est privilégié au point qu’il arrive que la pensée des auteurs plane dans la pièce, surgie du passé, pour se matérialiser de nouveau. Toute la littérature est là. Le vieil Homère, Sophocle, Euripide. Mais aussi Virgile, Chrétien de Troyes et surtout Montaigne. A chaque fois, celui-ci est le premier à sortir de l’ombre et à jeter un regard mi-amusé, mi-dubitatif sur les rayons où s’entassent ses successeurs. Ceux-ci, à leur tout, s’échappent des pages et des livres bien ordonnés. Ils sont tous là, issus de vos souvenirs. Toutes ces heures de lecture pour arriver à cela : cette communion des esprits, dans le grand silence de la nuit.

Parfois, dehors, miaule un chat, juste pour vous rappeler que le monde existe encore. En attendant, il est peuplé de bêtes sauvages, livrées à elles-mêmes et qui vivent leur vraie vie de bêtes, à l’abri du regard des humains. L’envie vous prend de sortir dans le jardin. Il fait frais, mais la lune est là qui vous accueille, et le spectacle est inoubliable. Un doux rayon caresse les thuyas, donnant aux contours des choses un éclat atténué, qui convient bien à votre rêverie. Les souvenirs, une nouvelle fois vous submergent et vous croyez reconnaître d’autres contrées, dans des lieux improbables et des mondes indéfinis. Dans le grand sapin, une rumeur se fait entendre, sans doute est-ce le soupir des êtres disparus et vous frissonnez quand une légère brise vient vous atteindre.

Il faut rentrer, il commence à faire froid. Dans la pièce doucement éclairée, ils sont toujours là à vous attendre : Stendhal et le gros Flaubert, Proust l’aristocrate et puis tous les poètes. Vous prenez un livre. Ce sont Les Fleurs du mal et aussitôt, dans un fauteuil, Baudelaire vous fait un signe de connivence. Puis c’est Verlaine qui se manifeste et enfin Rimbaud, celui-ci n’en finissant plus de descendre des fleuves impassibles.

Vous êtes seul au monde, vous êtes le monde. Il n’y a plus que vous dans le grand silence. Vous vous demandez alors d’où vous vient ce sentiment de calme et de plénitude. C’est qu’enfin vous êtes vous-mêmes, seul au milieu de la nuit noire. Si vous avez quelque peine, si une touche de nostalgie vient vous frapper, ce n’est pas bien grave, vous connaissez la formule, elle est magique : « Soit sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille… » Il n’y a plus que vous de vivant et pour un instant qui semble éternel, vous avez vaincu la mort.

Mais la fatigue vient. Dehors, une voiture passe, troublant vos pensées et vous rappelant que d’autres êtres, comme vous, continuent à vivre quelque part. Le charme commence à se rompre. Vous feuilletez un dernier livre, mais les mots sont rebelles et leur sens vous échappe. Il est temps de fermer la lampe et d’aller se coucher. Demain sera un autre jour.


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10/04/2008

Du cheval caparaçonné, de la tortue et de sa carapace.

Valclair, sur son blogue, a employé cette tournure : « je me suis caparaçonné dans de tels réflexes individualistes que.. »

Ce que j’aime bien avec ce verbe «caparaçonner» (recouvert d’un caparaçon) c’est qu’indirectement il renvoie, par une sorte de métonymie euphonique, au mot carapace (celle de la tortue qui se protège).
Il est vrai que dans son sens premier ce verbe a signifié «recouvrir entièrement» ( Il avait les pieds caparaçonnés d'épaisses chaussures). Evidemment, le verbe a fini par prendre le sens de « se protéger moralement, s'endurcir » (Il s'est caparaçonné contre les critiques). Quoi qu’on en dise, on retrouve l’image de la tortue qui se protège.

Ceci dit, cela n’a rien d’étonnant. Le Robert historique nous apprend que carapace vient de l’espagnol carapacho (,quelquefois altéré en caparacho sans doute sous l’influence de capa : manteau).
Le mot carapacho viendrait du préroman « karapp » dont les variantes »kal » et donc « gal » se retrouveraient dans « galapago », tortue (et qui a aussi donné calebasse)
D’autres linguistes y voient plutôt l’influence directe du provençal « caparasso » (sorte de manteau), capa devenant cara par métathèse.

Pour le mot caparaçon lui-même Le Robert historique nous dit qu’il viendrait de l’ancien espagnol « caparasson » (ornement protecteur ou ornemental du cheval), lui-même provenant soit de « capa » (manteau) soit du préroman « karapp », comme il a été dit (ici, il rejette le mot provençal, qui serait de formation postérieure et calquée sur le français)

Ceci dit, dans l’exemple de notre ami Valclair, je me demande s’il a bien fait d’employer la préposition « dans » avec la forme réfléchie du verbe. En effet, dans ce cas, le verbe signifie

- soit « s’affubler d’un vêtement encombrant et ridicule (plutôt suivi de « avec » ou « au moyen de »)
- soit « s’endurcir » (on attendrait alors préposition «contre»).

Manifestement, c’est l’idée d’être entièrement recouvert qu’il a voulu mettre en évidence et non celle d’endurcissement. Dès lors, j’aurais eu tendance à employer le forme non réfléchie (je suis caparaçonné de tels réflexes ou par de tels réflexes). Mais bon, allez reprendre Valclair et sa prose toujours si limpide, ce serait assez malvenu.

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08/04/2008

Des blogues et des blogueurs(euses)

Ce que j’aime bien avec les blogues, c’est aller butiner à gauche et à droite sur des sites intéressants, en apprécier le contenu, en sentir l’esprit, et revenir chargé de toutes ces impressions, qui vous accompagnent finalement la journée et vous font réfléchir sur les sujets les plus variés.

Voici quelque temps, cependant, que je me rends compte que les auteurs des sites que je visite habituellement semblent se poser beaucoup de questions quant à la pertinence de leur expérience de blogueur, allant même jusqu’à remettre en question leur présence sur le Net.

A chaque fois ces personnes déplorent le fait suivant : venir exposer devant tout le monde les sujets qui leur tiennent à cœur ne débouche finalement sur rien. C’est vrai, évidemment. En fait, le problème tient au fait qu’il y a une inadéquation entre le désir initial de s’exprimer et les conséquences, qui elles sont nulles. D’un côté il y a ce que l’on a à dire et qui pour la personne est fondamental et de l’autre il y a le côté futile du blogue, qui finalement semble avoir bien peu d’impact si on le compare à la presse écrite par exemple.

Pourtant, l’écriture blogueste (c’est comme cela qu’on dit ?) permet d’aborder des thèmes qu’on n’aurait peut-être pas abordés dans la vie quotidienne ordinaire mais qui sont fondamentaux pour l’individu. On ne se voit pas parler d’intertextualité avec un inconnu dans le métro ni réfléchir sur ce qu’est la maturité dans une file d’attente à la Poste. Ce n’est généralement pas avec vos collègues que vous abordez les livres que vous avez lus et c’est rarement avec votre voisin que vous essayez de réfléchir à l’adéquation possible entre votre vie intérieure et votre « être au monde ». Je ne me vois pas, tout en tondant ma pelouse, poser des questions par-dessus la haie audit voisin sur la manière de traduire par des mots un malaise intérieur ni dialoguer sur la beauté des chants d’Hildegarde von Bingen dans la file d’un grand magasin. Or tout cela, Internet vous le permet. Je veux dire par-là qu’ils nous arrivent tous d’aborder dans nos blogues respectifs des sujets délicats ou pointus qu’on n’aurait pas eu l’occasion d’aborder dans notre vie quotidienne. Ou alors nous aurions développé intérieurement ces sujets, sans qu’aucun dialogue ne soit possible. Par certains côtés, donc, le blogue permet, comme toute démarche d’écriture, de réfléchir sur des sujets qui sont pour nous importants et qui correspondent à ce que nous sommes vraiment (par opposition à toutes les fonctions sociales et professionnelles que nous occupons par ailleurs, fonctions que nous assumons du mieux que nous pouvons mais qui sont avant tout des rôles). Donc, les blogues ouvrent sur nous-même une petite fenêtre qui permet aux autres de venir voir comment nous fonctionnons vraiment. Il y a là une sorte de confidence étrange puisqu’elle est publique. Certains en disent trop sur eux –mêmes et ils le regrettent, d’autres trouvent au contraire qu’ils ne parviennent pas à concilier leur être social avec leur être comme blogueur. Dans tous les cas, cependant, il est clair que chacun livre une part intime de lui-même (soit en parlant de soi, de ses problèmes, soit en parlant de sa manière d’être et de sa façon d’envisager l’existence, soit encore en parlant de ses centres d’intérêts : la lecture, la nature, etc.).

Le problème commence quand le blogueur constate qu’il est peu lu ou pis qu’il est moins lu qu’avant. Il pressent alors un désintérêt du public pour ce qu’il a à dire et il le vit donc comme une condamnation de son être intime. Il se demande alors s’il fait bien de continuer cette expérience qui manifestement ne débouche sur rien puisqu’elle semble soulever une indifférence générale.

Le blogueur, cependant, ne devrait pas se jeter la pierre (je suis sans intérêt) ou la jeter aux autres (personne ne comprend la gravité des faits que je dénonce). Sa déception est bien compréhensible, mais à mon avis elle provient de la nature même du blogue. D’un côté on y dévoile des choses fort personnelles (et par personnelles je veux dire essentielles, pas forcément de nature privée) et de l’autre on se retrouve dans un espace public qui ne débouche sur rien. En effet à part l’estime et la reconnaissance de mes lecteurs (mais cela peut aussi être l’inverse) ce que j’ai voulu faire passer comme message n’aura aucune conséquence concrète. Le monde continuera à tourner de travers, les riches continueront à exploiter les pauvres gens, la misère (matérielle ou existentielle) continuera à se répandre. Au-delà de la satisfaction d’avoir pu dire ce que je pensais (ce qui est déjà beaucoup, avouez-le) et au-delà du contentement d’avoir été lu (ce qui n’est pas mal non plus puisqu’il apparente ma modeste démarche à celle d’un véritable écrivain), aucune mesure ne sera prise pour concrétiser ce que j’ai dit. Quand un président de parti, un haut magistrat, un philosophe de renom prend sa plume et écrit un article dans le Monde, cela a tout de même un impact sur le cours des événements. Certes tout n’est pas modifié tout coup de crayon, mais le fait qu’ils aient marqué leur désapprobation sur un sujet précis va tout de même freiner le parti adverse, qui réfléchira à deux fois avant de poursuivre dans la même voie. Sur mon blogue, par contre, je peux certes dire tout ce que je veux (sur ma personne et mes centres d’intérêt mais aussi sur la marche du monde) mais cela n’a aucun impact, au mieux puis-je espérer que cela aura éveillé une petite lueur dans le fort intérieur de quelques lecteurs, mais encore n’est-ce pas sûr.

D’où le découragement de beaucoup, qui se demandent s’ils doivent continuer à poursuivre cette expérience étrange, qui leur laisse un goût amer. Cela me fait penser que le mien a juste un an (le quatre avril 2007, pour être précis). Il faudrait aussi que je me mette à réfléchir sur la pertinence de poursuivre l’expérience, qui me semble cependant intéressante...

11:57 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (13)

06/04/2008

Petits calculs sur la vie chère (suite et « faim »)

Résumons : d’un côté les prix sont libres, n’étant plus réglementés par les états et le champ libre est laissé à la concurrence, laquelle est supposée éviter tout dérapage en créant un nouvel équilibre.

C’est la thèse libérale classique. En pratique, elle permet aux plus grosses firmes d’élimer les petites (et donc toute une classe moyenne de petits artisans et de petits commerçants), de se retrouver en positon monopolistique et donc de proposer les prix qu’elles veulent. D’un côté elles recherchent le prix de revient le plus bas (n’hésitant pas à délocaliser leurs entreprises dans des pays où la main d’œuvre est sous-payée et où la législation ne réglemente pas la sécurité des travailleurs ou bien encore en grignotant quelques euros sur la qualité du produit proposé), de l’autre elles jouent sur la spéculation pour parvenir au prix le plus élevé possible. On affame les producteurs et on presse les consommateurs, ce qui permet de dégager des bénéfices plantureux qui reviennent à des actionnaires qui sont finalement en dehors de la chaîne de production tout en étant les principaux bénéficiaires. La situation est donc comparable à celles des seigneurs du Moyen-Age qui exploitaient le monde paysan, lequel subvenait seul aux besoins de tout le monde (noblesse et clergé) alors qu’il était lui-même dans la misère la plus noire.

Nous avons déjà parlé des prix du pétrole ou des denrées alimentaires, qui grimpent selon une courbe exponentielle particulièrement inquiétante. Nous avons vu qu’en Afrique, où le niveau de vie était déjà très bas, la situation est en train de devenir catastrophique, au point que les manifestations commencent à devenir régulières, faisant même des morts.

On apprend aujourd’hui qu’en Europe même, en Slovénie, les syndicats européens ont organisé une grande manifestation contre la vie chère, à deux pas de l’endroit où les ministres des finances de l’Union parlaient, eux, argent et gros sous. Interrogés sur cette manifestation de syndicats, leur réponse est tout de même incroyable. « Ils veulent une augmentation des salaires ? Soyons sérieux, ils savent très bien que pour que cela soit possible il faudrait que la production augmente, autrement dit que tous ces gens décident enfin de travailler un peu plus. » Ce ne sont pas les termes exacts qui ont été employés, mais le ton y est. Devant une telle situation, on ne peut que rester silencieux.

Ainsi donc, on culpabilise ceux qui sont à la base du système de production (c’est-à-dire nous tous, ouvriers, employés, fonctionnaires, enseignants, petits indépendants, etc.) en leur faisant croire que s‘ils ont du mal à boucler les fins de mois, c’est à cause de leur fainéantise innée. Alors que pendant ce temps- là des actionnaires rentiers ne font que réclamer aux firmes qu’ils détiennent plus de rentabilité encore, ce qui entraîne aussitôt des licenciements en cascade.. Je crois qu’il n’est pas besoin de s’étendre ici plus longtemps sur ces problèmes. Nous sommes arrivés à un point de rupture. La fracture entre les gens qui survivent par leur travail et ceux qui prospèrent par leurs actions est en train de devenir si importante qu’aucun dialogue ne sera bientôt plus possible.

A moins que… Car au lieu de se révolter, tous ces gens à petits salaires admirent les sportifs de haut niveau qui eux gagnent des fortunes colossales. Jamais autant qu’aujourd’hui la formule latine « panem et circenses » n’a été autant d’actualité. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir sa télévision (ce que je vous déconseille vivement) pour s’en rendre compte.

A propos des sportifs, j’apprends à l’instant qu’un certain footballeur français dont j’ignorais même le nom a gagné l’an passé 17,5 millions d’euros, tandis que plusieurs autres ont reçu entre 9 et 12 millions d’euros. C’est tout de même incompréhensible ou en tout cas je ne parviens pas à comprendre en quoi le fait de jouer avec un ballon peut justifier un tel salaire. Ont-ils fait avancer l’humanité ? Non, bien sûr, mais la moitié de la nation s’est intéressée à leur jeu-spectacle et ceci explique cela. Décidément, on se croirait dans la Rome antique, avec des esclaves exploités, des personnes sans emploi, quelques riches affranchis genre nouveaux riches, deux trois nobles de vieille souche, par ailleurs désabusés, et une série de politiciens véreux qui s’enrichissent sur le dos des provinces qu’ils administrent (tout en étant entourés d’une foule de clients qui espèrent quelques miettes). Comme quoi, l’Histoire est un éternel recommencement. Il suffit de le savoir pour ne pas plonger dans le désespoir.

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05/04/2008

Petits calculs sur la vie chère (suite)

Cette fois, ce n’est pas moi qui le dis, mais le journal Le Monde : « la rue africaine ne parle que de cela : les prix des denrées quotidiennes sont devenus fous. En quelques mois, la conjonction des hausses du blé, du riz, de l'huile sur les marchés mondiaux, de médiocres récoltes locales et l'absence de contrôle des prix, a accru les tensions sociales et compromis la stabilité politique. »
Avec une hausse moyenne de huit pour cent en un an, les denrées alimentaires deviennent inabordables pour une large tranche de la population africaine, dont le salaire moyen est très bas.

Et les réactions sont partout les mêmes : « Beaucoup de gens ne mangent plus qu'un plat par jour", entend-on à Dakar. "Avec 1 500 francs CFA (2,25 euros) pour nourrir ma famille, je ne sais plus quoi faire", dit une ménagère sur un marché de Bamako, au Mali. » Les manifestations se succèdent, ayant déjà fait des morts. Les gouvernements promettent de baisser les taxes, afin de maintenir tant que bien mal un certain pouvoir d’achat. Mais diminuer les taxes, cela veut dire aussi appauvrir encore davantage des états déjà largement endettés et donc diminuer la possibilité qu’ils auraient de développer les infrastructures par exemple (et on sait à quel point celles-ci sont nécessaires pour le redressement de l’économie).
Un pays comme la Mauritanie, qui importe soixante-dix pour cent de son alimentation, court droit dans le mur. Vive le libéralisme, donc, la mondialisation et la politique du laisser-faire. Car non seulement cette économie mondiale qui nous dirige tous a fait lever tous les systèmes internes de régulation des prix au nom de la sacro-sainte concurrence (qui prouve bien maintenant son inefficacité), mais, pendant des décennies elle a encouragé en Afrique les cultures d'exportation comme le coton, au détriment évidemment des cultures vivrières. Du coup, il valait mieux acheter sur le marché mondial, à bas prix, des denrées alimentaires, et produire du coton que l’on vendait bien cher. Maintenant que tous ces pays sont devenus dépendants pour leur alimentation, voilà que ces denrées de première nécessité sont devenues inabordables, d’où la colère des populations.

Que faut-il faire quand le peuple commence à mourir de faim et que certains s’enrichissent exagérément ? Ma bonne dame, il suffit de relire ses manuels d’histoire : on fait la révolution. Et c’est bien ce qui risque d se passer, en effet. On n’en est pas encore vraiment là, mais des manifestations ont commencé à voir le jour un peu partout. L’étape suivante, ce sera la transformation de ces manifestations en émeute. Et après me direz-vous ? Après on n’ose imaginer ce qui pourrait se passer, mais ce qui est sûr c’est que même la Banque mondiale et le FMI craignent que les régimes politiques en place ne soient ébranlés.

La Banque mondiale, paraît-il « a fait amende honorable dans son dernier rapport annuel et a mis l'accent sur la renaissance des cultures vivrières. » Mais bien sûr il faudra des années pour reconstruire l’agriculture locale qu’on avait ainsi un peu vite démantelée. Merci à vous, messieurs les techniciens et merci aussi à vous, messieurs de la haute finance.

Evidemment, ce que je dis ici, ce ne sont que des mots. Mais il y a déjà aujourd’hui en Afrique des familles qui se contentent d’un seul repas par jour et cela c’est une réalité bien concrète..


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04/04/2008

Petits calculs sur la vie chère

Pour une fois, laissons la littérature de côté et sortons nos calculettes.
En 2000, le dollar valait 1,2 euros et le baril de pétrole était à 60 dollars, autrement dit à 72 euros. Aujourd’hui, un dollar vaut 0,65 euro et le baril de pétrole a grimpé à 110 dollars. Faites comme vous voulez, mais cela nous fait 71,50 euros.

On se demanderait donc bien pourquoi l’essence est devenue si chère à la pompe. Elle a pourtant augmenté d’environ 0,40 centimes par litre en huit ans

On n’ose imaginer ce qui se passerait si demain le dollar dépassait de nouveau l’euro…

La chaîne très libérale Euronews tentait hier de nous faire croire que le coupable est le vénézuélien Hugo Chavez, qui ne ferait rien pour faire baisser les prix mais qui se féliciterait au contraire que le prix élevé du baril profite à son pays. Moi, je me dis que ce n’est pas Chavez tout seul qui produit le pétrole dans le monde et puis si cette ressource naturelle profite au pays qui l’exploite et à ses habitants, tant mieux. Je ne vois pas en quoi le fait d’enrichir les actionnaires d’Esso, de Schell ou de Total serait meilleur. Tiens, au fait, qui exploite les gisements d’Irak ? Le peuple libre irakien ?

Vous me direz qu’il suffit de ne pas prendre sa voiture et c’est ce que je fais souvent. Mais bon, les produits alimentaires, qui sont transportés par camion, augmentent eux aussi en fonction du prix du gazole, donc tout le monde est concerné.

Remarquez que les carburants ont bon dos, car de toute façon le prix des denrées alimentaires a augmenté vertigineusement. On nous avait annoncé la couleur :

1) Les produits laitiers augmentent parce que la Chine consomme plus de lait. Ah bon ? Espérons que cela va faire baisser le prix du riz.
2) les farines seront plus chères car on va consacrer une partie de notre blé à produire du carburant, ceci afin d’alléger notre facture énergétique et notre dépendance à l’égard des pays producteurs. Ce n’est pas pour cela que l’essence sera moins chère à la pompe, au contraire. Et ce n’est pas pour cela que les Américains vont se retire d’Irak. Au contraire. Donc, il faut juste retenir que non seulement l’essence ne diminuera pas mais que le pain, les pâtes et les biscuits vont faire un bond en avant. Le savoir rend la chose plus aisée et aide à accepter l’inévitable.

Ce qu’on ne comprend pas, par contre, c’est que nos agriculteurs et producteurs locaux se plaignent qu’on leur achète leurs produits moins cher que l’année dernière. Il y en a donc un qui gagne moins (le producteur), un qui paie plus (le consommateur) et entre les deux, que se passe-t-il, à votre avis ? Mieux vaut ne pas le savoir si vous voulez garder le moral.

Eloge de la poésie

Loin de cette « rumeur du monde », nous trouvons donc la poésie. Ceci dit, on a connu des poètes engagés, non seulement dans leur vie active, mais aussi dans leurs écrits. On pourrait même affirmer sans trop s’avancer que leur célébrité est venue précisément à cause de leurs écrits engagés. Ainsi en va-t-il de Pablo Neruda et de son « Canto general » (mis en musique par Mikis Theodorakis, autre figure de proue de l’opposition politique). Plus près de nous, citons Mahmoud Darwich, qui doit assurément la popularité dont il jouit parmi ses concitoyens à ses poèmes politiques, qui dénoncent l’occupation israélienne (cf. « l’Arabe »). Pourtant, lui-même a ensuite délaissé cette poésie de combat pour retourner à ses souvenirs d’enfance et à la description de son pays, la Palestine, sentant bien quelque part que la poésie, précisément, se doit de parler d’autre chose que d’événements contemporains, par essence éphémères.

Il existe certes différentes sortes de poésie. Plaisante ou enfantine (Maurice Carême), centrée sur la prosodie et la versification (Hugo), hermétique (Char, Ponge), désespérée et initiatique (Rimbaud), galante (Verlaine), ou bien à la recherche d’une vérité cachée dans la nature (Jaccottet).

Dans tous les cas, la poésie replace l’homme au centre de l’univers et cherche à lever un coin du voile sur le mystère ambiant. Du coup, par cette démarche maïeutique, elle nous conduit plus loin, vers des vérités jusqu’alors insoupçonnées (« Et j’ai vu ce que l’homme a cru voir »). Cadeau des dieux, dictée par les muses, elle relève d’une vérité autre, presque mystique, en tout cas sacrée. Par cet aspect de sa nature, elle établit un lien entre l’homme et le monde dans lequel il vit (pas au sens politique ici, mais au sens cosmique), lui permettant précisément d’accéder à une partie de lui-même que sans elle il n’aurait même pas soupçonnée.

Certes les cartésiens la dénigreront, ne voyant en elle qu’une vérité tronquée, établie sur une inversion des valeurs et des termes (ex : « soleil noir de la mélancolie »). Mais les initiés savent qu’elle ouvre les portes d’un autre monde et que le poète, tel le chaman des peuples antiques, parvient à dire la vérité de l’univers tout en faisant comprendre à l’homme qui il est vraiment.




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02/04/2008

De l'équilibre intérieur (2)

Nous parlions l’autre jour de l’équilibre intérieur, qu’il est primordial de préserver, même s’il faut pour cela se tenir parfois à l’écart de la rumeur du monde.

Je dis cela, certes, mais on comprend bien que si on pousse une telle attitude à l’extrême, on se retrouve dans la philosophie extrême-orientale, où le Maître s’abîme dans la contemplation, restant indifférent à tout ce qui l’entoure. Cette « sagesse », qui en est certainement une, m’a toujours semblé inquiétante, car entre le fait de savoir conserver son calme et l’ataraxie la plus complète, il y a une marge. Cette philosophie qui est aussi une religion (méfiance donc) consiste à se détacher du monde pour ne pas souffrir. Tout lui devenant indifférent, le sage, en effet, ne souffre plus. Mais vit-il encore ? Ce qui est pour certains de la sagesse, peut confiner aussi à la bêtise la plus complète, car au nom de l’indifférence on finit par accepter (ou plus exactement par refuser de voir) les injustices ambiantes.

Donc, personnellement, je me suis toujours montré très réservé face à cette sagesse hindoue ou bouddhique. Je préfère une attitude lucide devant l’adversité (et donc devant notre condition mortelle). Cependant, le bruit et la fureur du monde risquent bien de nous détourner de cette vision essentielle. Le travail, la famille, l’actualité, tout ce que nous vivons (mais est-ce vivre ou tenir des rôles ?) nous occupe l’esprit en permanence. Mais qu’est-ce que vivre, finalement ? Telle est la question, comme disait un certain dramaturge anglais. Philosopher dans sa chambre, ce n’est pas vivre, mais être submergé par les tâches ménagères et les difficultés financière non plus. Il est clair que si je suis un réfugié subsaharien en exil à Paris ou ailleurs, je ne penserai qu’à ma survie matérielle, déjà bien content d’avoir échappé à la mort au cours d’une traversée maritime des plus dangereuses. Prêt à travailler quinze heures par jours, je cumulerai les petits boulots pour faire vivre ma famille, ce qui me laissera peu de loisirs pour apprécier les subtilités de la « Recherche du temps perdu ». A l’inverse, si je suis un fils de famille qui a tout reçu et que je n’ai même pas à gérer une fortune que des spécialistes gèrent pour moi, le loisir forcé où je me trouverai risque d’être bien stérile ou futile. Il faut donc un équilibre entre les deux situations. Point trop occupé par les tâches matérielles (mais un petit peu tout de même), il me faut du temps libre pour pouvoir le consacrer à ce qui m’intéresse vraiment, par exemple à la lecture. Ce temps libre, Montaigne l’avait ou se le donnait. Il avait hérité de son château et il dit quelque part dans les Essais qu’il ne lui sert à rien de vouloir amasser de l’argent, même en prévision de l’adversité (puisque cet argent risquerait bien, de toute façon, de ne pas suffire) et qu’il préfère jouir de sa fortune en voyageant. Ce qui ne l’a pas empêché de travailler au Parlement de Bordeaux, mais il faut sans doute voir là l’attrait d’une fonction honorifique un peu obligée plutôt que la recherche d’un travail rémunérateur. Car il est vrai que dans les siècles passés, pas mal de nos grands écrivains étaient fortunés, ce qui leur laissait le loisir d’écrire. J’ai cité Montaigne, on pourrait citer Proust ou Gide. Cela signifie qu’il faut avoir du temps pour se retirer, observer et être en dehors du monde.

D’une manière générale, j’aime bien ce décalage, qui me permet certes d’être dans l’action, mais en même temps un petit peu à côté. J’observe, je réfléchis, je prends du recul. D’autres préfèrent diriger, prendre les difficultés à bras le corps et agir. Peu importe ce qu’ils décident, à la limite, tant que ce soit eux qui aient pris la décision et qu’ils aient fait figure de chefs. Le sens de leur vie est là : dans le regard des autres, où ils peuvent lire qu’ils sont d’une race supérieure et à ce titre admirés. Belle illusion, évidemment, mais comme ils ont agi, ils sont contents.

A l’inverse, philosopher dans sa chambre n’amène certainement à rien non plus. De tels penseurs, coupés du monde et de ses réalités, finissent par vous développer des systèmes philosophiques certes cohérents sur le plan intellectuel, mais qui ne sont qu’une simple vue de l’esprit. Sans doute par cette « création » d’un système croient-ils avoir trouvé une échappatoire. Dommage pour eux, la mort les attend au bout de chemin comme les autres.

La difficulté consiste donc à se tenir suffisamment éloigné des événements extérieurs pour ne pas se perdre en eux, mais tout en les tenant du coin de l’œil, car il ne faut pas ignorer leur existence. Le nec plus ultra consisterait à parvenir à imposer aux événements extérieurs sa propre vision du monde et à transformer la réalité selon ses rêves. Bien peu y arrivent, on en conviendra.

Dans un tel contexte, décrire le monde tel qu’il est par l’intermédiaire d’une oeuvre d’art (peinture, sculpture, littérature, film, etc.) constitue sans doute un bon équilibre entre cette lucidité devant la vie et l’affirmation de sa propre vision des choses. Tout semble en effet se situer dans ce mouvement perpétuel de va-et-vient entre le monde et moi, entre la réalité et mon rêve.

Ce rêve, il me faut le cultiver et d’abord en le préservant. Il faut savoir s’arrêter de temps à autre (ce que hélas, pas plus que d’autres, je n’arrive que rarement à faire) et écouter la voix du monde qui est en moi (et non en dehors de moi) car finalement je suis un monde à moi tout seul, je suis mon monde. Point de narcissisme quand je dis cela, mais plutôt la recherche d’une vision intérieure. Ecouter du Palestrina ou les hymnes d’Hildegarde von Bingen y contribuera grandement, à la fois par l’architecture musicale mise en œuvre et par la spiritualité qui s’en dégage et qui ne déplaît certes pas à l’athée que je suis. Ensuite, réconforté, je pourrai de nouveau ouvrir les yeux autour de moi.



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