13/04/2008
De la flamme olympique.
Bon, on parle beaucoup du Tibet, ces derniers temps. Je dirais même qu’on n’en a jamais autant parlé. C’est bien et c’est normal. Je suis le premier, quand un ministre français, belge, allemand ou anglais va signer des contrats économiques en Chine à dénoncer le fait qu’une fois de plus les intérêts économiques passent avant tout le reste. Donc, pour une fois que cela bouge un peu, on ne va pas se priver de son plaisir.
Cependant, il y aurait beaucoup de choses à dire.
D’abord, on remarquera qu’on parle moins de la situation des droits de l’homme en Chine que de l’occupation du Tibet. Par-là je ne veux pas dire que le Tibet, ce n’est pas important, je veux dire que l’initiative ne nous revient pas, qu’elle revient en fait aux Tibétains eux-mêmes, ceux qui sont en exil (peut-être même sous l’instigation du Dalaï-Lama lui-même). Ce sont eux qui ont commencé à s’agiter, profitant de ces jeux pour attirer l’attention du monde sur leur situation. Le mérite leur revient et il faut bien avouer que nous n’avons fait que suivre. Donc, s’ils n’avaient pas bougé, il se pourrait bien que nous n’aurions pas bougé non plus.
Ensuite, c’est très bien toute cette agitation, mais à partir du moment où l’événement devient médiatique et mondial, il faut toujours se méfier. Il y a trop de tapage là-derrière pour que quelqu’un n’en tire pas les ficelles (et je ne crois pas que ce soit les Tibétains). A une époque où l’impérialisme occidental n’a jamais été aussi fort (je pense bien entendu aux Etats –Unis, pas à l’Europe, qui ne fait que suivre), à une époque où des troupes se retrouvent en Afghanistan et en Irak et alors que l’Union européenne s’étend sans arrêt vers l’Est (au point qu’on se demande où elle va s’arrêter) et que l’Otan fait de même, il ne serait pas étonnant, la Russie étant déjà ébranlée, qu’on ne s’en prenne déjà au futur ennemi, à savoir la Chine. Enfin, ce n’est qu’une hypothèse. Mais on pourrait imaginer que certains voient déjà la Chine faire certaines concessions si les manifestations s’arrêtaient soudain. Quelles concessions ? Et bien par exemple accepter que des firmes occidentales s’installent là-bas ou promettre d’acheter tel ou tel produit. Sait-on jamais ?
Mais quittons les hypothèses pour du concret. Manifester contre la Chine, c’est bien. Mais pourquoi alors le CIO a-t-il choisi ce pays pour y organiser les jeux ? Serait-ce pour satisfaire aux exigences des grandes multinationales qui le financent ? Celles-ci espéraient–elles pouvoir ainsi s’implanter dans l’Empire du Milieu ? On est loin, semble-t-il de l’idéal olympique, qui est supposé rassembler toutes les nations autour du sport. Entre parenthèses, je plains les sportifs, eux qui se sont préparés pendant quatre ans pour cette épreuve, je ne sais pas ce qu’ils doivent penser de toute cette agitation. Si par hasard leur pays refusait subitement d’aller aux Jeux, ils verraient tous leurs efforts anéantis. Ceci dit, qu’ils se rassurent, aucun pays n’a émis une telle hypothèse et au mieux parlent-ils d’un boycotte de la cérémonie d’ouverture, ce qui témoigne d’un caractère nettement moins revendicatif, convenons-en.
A ce propos, il faut rappeler à ceux qui l’auraient oublié que les Etats-Unis avaient refusé d’aller aux Jeux de Moscou en 1980 à cause de l’invasion de l’Afghanistan. Belle démarche, il faut le dire, mais quand on voit ce qui s’est produit depuis, cela fait sourire et même franchement rire. Car c’est bien les Etats-Unis qui sont aujourd’hui en Afghanistan et nous avec eux (Maître Sarkozy n’a-t-il pas promis d’envoyer mille militaires français de plus ? La Belgique a également répondu à l’appel et elle va en envoyer cent). Alors, toute cette agitation autour des Jeux, cela semble cohérent dans le feu de l’action, mais au regard de l’Histoire, cela paraît bien dérisoire.
Bon, revenons à la Chine. Le problème de ce pays, c’est qu’il concilie un capitalisme pur et dur (celui que je fustige toujours ici) et un communisme dictatorial qui ne peut évidemment avoir notre sympathie. Forcément, l’union de ces extrêmes permet à ce pays de progresser économiquement d’une manière incroyable. Il est clair que dans vingt ans ils seront la première puissance mondiale (raison de plus pour les critiquer, donc).
Mais pourquoi donc, dès lors, a-t-on accordé à ce pays l’organisation des Jeux ? Tout le monde savait et le CIO le premier que la Chine n’allait pas subitement modifier sa politique en matière de droits de l’homme. Alors que moi, citoyen lambda, j’aille manifester, c’est très bien, mais c’eût été plus profitable que le pouvoir organisateur des Jeux mette son veto dès le premier jour.
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Poser cette question, cela revient à se demander pourquoi l’organisation des Jeux revient toujours à un pays riche. Serait-ce parce que Coca Cola (qui finance notamment des centres de recherche du CIO), ne voit pas l’intérêt de s’établir en Afrique ou en Papouasie ? Il y aurait donc des intérêts économiques énormes derrière tout cela ? Evidemment et le sport (qui me laisse indifférent à titre personnel, soit dit en passant) n’est souvent qu’un prétexte, un prête-nom pour permettre à la culture occidentale de pénétrer certains marchés.
Et le premier de ces marchés, c’est évidemment la construction du village olympique. On en parle rarement avant les Jeux, mais souvent ces constructions supposent catastrophes écologiques et urbanistiques. Il faut savoir qu’en Chine le vieux Beijing, va être plus ou moins rasé, afin d’ériger une ville nouvelle, sans parler des pauvres, qui sont impitoyablement chassés, comme cela avait été le cas à Moscou, d’ailleurs (et notre bonne presse, toujours très objective, ne s’était pas privée de le signaler. Il est vrai que ce n’est pas chez nous qu’on agirait de la sorte, bien entendu. D’ailleurs il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de pauvres dans nos cités, c’est connu)
Cette destruction urbaine n’est pas propre qu’à la Chine. A Atlanta, les anciens quartiers pauvres ont été rasés et demain à Londres ce sera pareil. Ce n’est pas que je trouve ces quartiers particulièrement intéressants, mais enfin ils étaient tout ce qu’une tranche de la population avait pour vivre. Les détruire, c’est obliger tous ces gens à partir ailleurs (où ?) et c’est surtout cacher la pauvreté ambiante, ce qui permet de la nier et donc de dire qu’elle n’existe pas. Belle hypocrisie propre à tous les régimes politiques du monde.
En Chine, cependant, la situation semble particulièrement grave. On apprend que des paysans chinois sont obligés par dizaines de milliers de venir à Beijing travailler sur les autoroutes en construction. Déracinés, arrachés à leur famille, ils viennent là pour des salaires de misère. C’est ça aussi, les Jeux. Chez nous, ce ne serait pas beaucoup mieux. Il y a fort à parier qu’on verrait affluer sur ces chantiers des centaines de travailleurs clandestins venant de l’Est, travaillant dans des conditions précaires et se logeant Dieu seul sait comment. Donc, quel que soit le régime politique en place, on assiste de toute façon à des dégâts humains et environnementaux.
On dira bien entendu que cela procure du travail. C’est vrai. Mais d’abord il s’agit de chantiers limités dans le temps, ce qui signifie qu’après les Jeux la situation redevient comme avant (si ce n ‘est que tout est détruit et que les communes sont endettées, comme cela avait été le cas à Albertville chez nous). Ensuite, comme on vient de le dire, ce sont rarement les habitants du coin qui profitent de la situation, puisque les ouvriers viennent de loin (et sont souvent en situation irrégulière). Enfin, si quelques emplois sont tout de même laissés aux personnes habitants dans la région où ont lieu les Jeux, il s’agit généralement d’emplois subalternes (garçons de café, femmes de ménages, etc.), ce qui est négligeable par rapport à la fortune que les grands entrepreneurs peuvent, eux, réaliser.
Abordons maintenant l’aspect écologique. Vous me direz qu’un coureur de cent mètres ne pollue pas beaucoup et je devrai bien en convenir. Mais l’infrastructure qui entoure les Jeux, elle, est particulièrement néfaste pour l’environnement Savez-vous qu’en Chine, on construit des oléoducs (plus exactement des aqueducs, mais cela nous fait plutôt penser au Pont du Gard) pour détourner l’eau de zones déjà arides afin d’alimenter la cité olympique ? Donc, alors que tout le monde se demande comment lutter contre le réchauffement climatique, les organisateurs des Jeux, eux, ont semble-t-il le droit d’oublier cet aspect et personne ne le leur reproche. D’un côté l’Occident vient faire la morale aux pays émergents (Inde et Chine précisément), les empêchant certes de faire les mêmes bêtises qu’eux, mais leur niant aussi le droit de se développer, et de l’autre ce même Occident ferme les yeux quant il s’agit du sport. Il est vrai que cela rapporte beaucoup d’argent (retransmissions, etc.). Par ailleurs, il paraît qu’en Russie, pour les Jeux de 2014, on s’apprête déjà à détruire un parc naturel.
En résumé, que nous manifestions pour l’indépendance du Tibet, c’est bien et c’est normal, mais d’un autre côté il ne faut pas perdre de vue que les organisateurs des Jeux s’en moquent complètement. N’ont-ils pas accepté autrefois qu’Hitler détourne les Jeux au profit de son idéologie politique ? La Chine ne va-t-elle pas tenter de faire la même chose en imposant ses athlètes ? Le sport en général n’est-il pas une vaste supercherie, qui a permis par exemple à la Russie de nous imposer de super athlètes déformés par les hormones (au point qu’on ne savait même plus reconnaître les femmes des hommes) pendant des décennies ? Et aujourd’hui la situation n’est-elle pas toujours la même ? Alors franchement, moi, le sport, je commence à en avoir vraiment assez. Tout ce tapage autour des Jeux m’irrite déjà, bien qu’ils n’aient pas encore commencé. Il faut dire que je reste de marbre devant toute manifestation sportive et que les périodes de coupes du monde de foot sont pour moi bien pénibles.
Mais revenons encore une fois aux Jeux chinois. Voici ce que je trouve dans la presse :
« Le CIO développe à partir de 1985 une stratégie d’alliance avec de grandes sociétés industrielles et commerciales, notamment états-uniennes, afin de pérenniser les Jeux : le programme TOP (The Olympic Partner Programme) garantissant au petit cercle de firmes transnationales entrant dans le mouvement olympique un usage exclusif et mondial de toute l’imagerie olympique. Il reste que ce sont les droits payés par les chaînes de télévision pour retransmettre les Jeux Olympiques qui assurent le financement majeur du Mouvement olympique. (…) Depuis Séoul 1988, ses décisions associent une dimension patrimoniale, le népotisme et des préoccupations strictement financières (pénétration des marchés asiatiques à l’occasion des « Jeux Adidas » de Séoul 1988 et de Pékin 2008, ou américains avec les « Jeux Coca-Cola » d’Atlanta 1996). »
Eclairant, non ? Alors, le fait que dans tous les pays du monde où la flamme est passée, les policiers se soient toujours rangés du côté chinois et non du côté tibétain devrait surprendre dans la mesure où les présidents de ces mêmes états, Sarkozy en tête, aiment bien montrer leur désapprobation en public, laissant croire, par exemple, qu’ils pourraient bien ne pas assister aux cérémonies d’ouverture. Pourquoi, dès lors, donnent-ils l’ordre à leur police de réprimer les manifestants pro-Tibétains ? Parce qu’une fois de plus ils nous mentent et qu’il ne faut rien attendre d’eux. D’un côté, tel Janus, ils présentent une face démocratique qui plaît aux foules, de l’autre ils représentent l’argent et le pouvoir (et même le pouvoir de l’argent). Assez logiquement, ils utilisent donc les forces de police pour rétablir l’ordre. C’est pour cela qu’elles ont été créées et c’est toujours à cela qu’elles ont servi.
Sur un plan plus philosophique, maintenant, on pourrait se demander quelle représentation de lui-même l’homme veut donner en se surpassant dans le sport. Pourquoi faut-il toujours être le meilleur, le plus fort, celui qui court ou qui nage le plus vite ? Cela pouvait peut-être se comprendre dans la Grèce antique, où la liberté de la cité dépendait en grande partie de la forme physique de la population mâle, mais aujourd’hui ? Quand je vois à quelles scènes d’hystérie se livrent parfois les champions qui viennent de gagner une médaille, il y a de quoi réfléchir. Même scène quand on voit dans quel désespoir noir certains tombent pour être arrivés deux centièmes de seconde après le premier, j’avoue ne pas bien comprendre. Est-on moins homme pour deux centièmes de seconde ? Ce n’est pas possible. Alors que représente ce désir propre à l’espèce humaine de toujours se surclasser ? Quand un chat n’attrape pas une souris, il ne fait pas une crise de désespoir, il recommence, c’est tout. Et quand enfin il en a attrapé une et qu’il l’a mangée, il s’endort paisiblement, satisfait de sa condition de chat et heureux de n’être pas né souris. Chez l’homme au contraire, on dirait que sa condition première ne lui suffit pas. Il a besoin de se dépasser sans cesse pour prouver qu’il existe. Etrange animal, finalement, qui a ruiné la planète, détruit tout sur son passage et qui n’est pas encore satisfait.
23:36 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : flamme olympique, tibet
Commentaires
Rhaaaaâa ! Feuilliiyii ! Pourquoi tu n'as pas scindé ton article en 2 ou en 3 ? Comme pour la faim dans le monde? Il est super intéressant et je suis super d'accord avec toi méééé cé pas simple à suivre................
Écrit par : Pivoine | 14/04/2008
L'Occident souffre toujours d'un anti-communisme (primaire?) (Secondaire?) retardataire. C'est ça, je le parierais sur ma chemise rouge (que je n'ai pas) qui motive tout ce battage... La Chine: un pays encore un peu communiste (très peu, ce n'est plus qu'une vitrine) et à la pointe... Pays dangereux! Entre parenthèses, je me fiche de la Chine et d'ailleurs du Tibet (sauf pour les paysages et le patrimoine de l'humanité), mais ce battage médiatique m'insupporte tout de même...............
En effet, dans un resto chinois... Quand viennent des clients chinois qui mangent à l'orientale, la boisson reste le thé et l'assiette une assiette creuse de bouillon clair. Peut-être qu'un jour le thé cédera la place au coca-cola. Sûrement même, c'est déjà le cas dans d'autres pays qui buvaient traditionnellement du thé ou des citronnades home made (comme la Turquie). OU des boissons traditionnelles...
Écrit par : Pivoine | 14/04/2008
Oui, l'article est trop long pour un blogue, tu as tout à fait raison. Cela décourage le lecteur (malgré la présence d'une ou deux photos).
Les autres articles avaient été rédigés en plusieurs fois en fait, une idée en entraînant une autre.
Anticommunisme primaire: tout à fait. Il suffit de voir comme on parle de Cuba. Non pas que ce ne soit pas quelque part une dictature (dans la mesure où il n'y a pas d'élections libres), mais en attendant tout est fait pour l e peuple qui mange à sa faim, ce qui n'était certes pas le cas avant et ne sera plus le cas après. Quand les multinationales s'empareront des champs de canne à sucre, je ne pense pas que le paysan local sera plus riche. Il y aura des plus riches, mais qui seront-ils? Les exilés qui pavanent en ce moment à Miami.
Et nous, sommes-nous libres, malgré notre système électoral ? Qu’on vote à gauche ou à droite, le résultat est plus ou moins le même. Et quand on voit les décisions prises… La compétitivité justifie de baisser les impôts sur les sociétés et donc d’augmenter la pression sur le travail.
Écrit par : Feuilly | 14/04/2008
Oui, vu comme ça, l'homme est une drôle de bête (et j'insulte les bêtes)... Ca me frappait encore hier en regardant un film sur le génocide rwandais... L'homme est surtout un prédateur. Ses victoires le confortent sans doute dans sa condition de prédateur... Le reste est affaire d'humanisme.
Écrit par : Pivoine | 15/04/2008
Effectivement nous avons la même analyse. L'homme est un loup pour l'homme...
Écrit par : Aédia | 12/07/2008
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