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02/04/2008

De l'équilibre intérieur (2)

Nous parlions l’autre jour de l’équilibre intérieur, qu’il est primordial de préserver, même s’il faut pour cela se tenir parfois à l’écart de la rumeur du monde.

Je dis cela, certes, mais on comprend bien que si on pousse une telle attitude à l’extrême, on se retrouve dans la philosophie extrême-orientale, où le Maître s’abîme dans la contemplation, restant indifférent à tout ce qui l’entoure. Cette « sagesse », qui en est certainement une, m’a toujours semblé inquiétante, car entre le fait de savoir conserver son calme et l’ataraxie la plus complète, il y a une marge. Cette philosophie qui est aussi une religion (méfiance donc) consiste à se détacher du monde pour ne pas souffrir. Tout lui devenant indifférent, le sage, en effet, ne souffre plus. Mais vit-il encore ? Ce qui est pour certains de la sagesse, peut confiner aussi à la bêtise la plus complète, car au nom de l’indifférence on finit par accepter (ou plus exactement par refuser de voir) les injustices ambiantes.

Donc, personnellement, je me suis toujours montré très réservé face à cette sagesse hindoue ou bouddhique. Je préfère une attitude lucide devant l’adversité (et donc devant notre condition mortelle). Cependant, le bruit et la fureur du monde risquent bien de nous détourner de cette vision essentielle. Le travail, la famille, l’actualité, tout ce que nous vivons (mais est-ce vivre ou tenir des rôles ?) nous occupe l’esprit en permanence. Mais qu’est-ce que vivre, finalement ? Telle est la question, comme disait un certain dramaturge anglais. Philosopher dans sa chambre, ce n’est pas vivre, mais être submergé par les tâches ménagères et les difficultés financière non plus. Il est clair que si je suis un réfugié subsaharien en exil à Paris ou ailleurs, je ne penserai qu’à ma survie matérielle, déjà bien content d’avoir échappé à la mort au cours d’une traversée maritime des plus dangereuses. Prêt à travailler quinze heures par jours, je cumulerai les petits boulots pour faire vivre ma famille, ce qui me laissera peu de loisirs pour apprécier les subtilités de la « Recherche du temps perdu ». A l’inverse, si je suis un fils de famille qui a tout reçu et que je n’ai même pas à gérer une fortune que des spécialistes gèrent pour moi, le loisir forcé où je me trouverai risque d’être bien stérile ou futile. Il faut donc un équilibre entre les deux situations. Point trop occupé par les tâches matérielles (mais un petit peu tout de même), il me faut du temps libre pour pouvoir le consacrer à ce qui m’intéresse vraiment, par exemple à la lecture. Ce temps libre, Montaigne l’avait ou se le donnait. Il avait hérité de son château et il dit quelque part dans les Essais qu’il ne lui sert à rien de vouloir amasser de l’argent, même en prévision de l’adversité (puisque cet argent risquerait bien, de toute façon, de ne pas suffire) et qu’il préfère jouir de sa fortune en voyageant. Ce qui ne l’a pas empêché de travailler au Parlement de Bordeaux, mais il faut sans doute voir là l’attrait d’une fonction honorifique un peu obligée plutôt que la recherche d’un travail rémunérateur. Car il est vrai que dans les siècles passés, pas mal de nos grands écrivains étaient fortunés, ce qui leur laissait le loisir d’écrire. J’ai cité Montaigne, on pourrait citer Proust ou Gide. Cela signifie qu’il faut avoir du temps pour se retirer, observer et être en dehors du monde.

D’une manière générale, j’aime bien ce décalage, qui me permet certes d’être dans l’action, mais en même temps un petit peu à côté. J’observe, je réfléchis, je prends du recul. D’autres préfèrent diriger, prendre les difficultés à bras le corps et agir. Peu importe ce qu’ils décident, à la limite, tant que ce soit eux qui aient pris la décision et qu’ils aient fait figure de chefs. Le sens de leur vie est là : dans le regard des autres, où ils peuvent lire qu’ils sont d’une race supérieure et à ce titre admirés. Belle illusion, évidemment, mais comme ils ont agi, ils sont contents.

A l’inverse, philosopher dans sa chambre n’amène certainement à rien non plus. De tels penseurs, coupés du monde et de ses réalités, finissent par vous développer des systèmes philosophiques certes cohérents sur le plan intellectuel, mais qui ne sont qu’une simple vue de l’esprit. Sans doute par cette « création » d’un système croient-ils avoir trouvé une échappatoire. Dommage pour eux, la mort les attend au bout de chemin comme les autres.

La difficulté consiste donc à se tenir suffisamment éloigné des événements extérieurs pour ne pas se perdre en eux, mais tout en les tenant du coin de l’œil, car il ne faut pas ignorer leur existence. Le nec plus ultra consisterait à parvenir à imposer aux événements extérieurs sa propre vision du monde et à transformer la réalité selon ses rêves. Bien peu y arrivent, on en conviendra.

Dans un tel contexte, décrire le monde tel qu’il est par l’intermédiaire d’une oeuvre d’art (peinture, sculpture, littérature, film, etc.) constitue sans doute un bon équilibre entre cette lucidité devant la vie et l’affirmation de sa propre vision des choses. Tout semble en effet se situer dans ce mouvement perpétuel de va-et-vient entre le monde et moi, entre la réalité et mon rêve.

Ce rêve, il me faut le cultiver et d’abord en le préservant. Il faut savoir s’arrêter de temps à autre (ce que hélas, pas plus que d’autres, je n’arrive que rarement à faire) et écouter la voix du monde qui est en moi (et non en dehors de moi) car finalement je suis un monde à moi tout seul, je suis mon monde. Point de narcissisme quand je dis cela, mais plutôt la recherche d’une vision intérieure. Ecouter du Palestrina ou les hymnes d’Hildegarde von Bingen y contribuera grandement, à la fois par l’architecture musicale mise en œuvre et par la spiritualité qui s’en dégage et qui ne déplaît certes pas à l’athée que je suis. Ensuite, réconforté, je pourrai de nouveau ouvrir les yeux autour de moi.



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Commentaires

Beaucoup de choses dans cette longue note, mais je ne retiendrai que le début si vous me le permettez.

Vous faites allusion à la philosophie hindouiste et bouddhique dans lesquelles le "Maître s'abîme dans la contemplation, indifférent à tout ce qui l'entoure" (ce qui s'appelle nirvana).

"Détaché du monde pour ne pas souffrir, plus rien ne le touche" dites-vous.

Il me semble que vous faites erreur sur l'interprétation de cette pensée.

Cette philosophie - car c'est bien une façon de penser et d'envisager le précepte de vie - ou cette religion - car cette pensée est bien reliée à un Dieu - vise à se réaliser dans "l'Amour" c'est à dire une sorte de sérénité parfaite entre l'être et le monde qui l'entoure. Loin d'être indifférent, le sage (appelons le comme ça) est tout à fait conscient du monde dans lequel il vit, et s'il en est détaché sentimentalement, cela ne veut pas dire qu'il s'en moque ! Car qui dit "sage" dit "disciple", le sage enseigne donc, montre le chemin à celui qui ne connaît pas encore le nirvana. Et par cette voie, il s'implique dans le monde.

L'exemple de Gandhi (inutile de le présenter) en est une belle preuve : hindouiste profond, considéré et reconnu comme sage par tout un peuple, il s'est impliqué complètement dans la politique de son pays avec la seule arme qui lui paraissait légitime : la non-violence. Il soutenait également toute une philosophie de vie tendant à mettre en pratique la réalisation de cette idée de nirvana.

Enfin, le sage ne se détourne pas du monde pour ne pas souffrir, c'est le fait de s'en détacher qui le conduit à la "non-souffrance". Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Je ne suis pas spécialement croyante, mais j'ai eu à l'adolescence et mon jeune âge adulte ma période "mystique", comme c'est souvent le cas. C'était dans les années 80, la mode était à l'hindouisme, ce qui m'a orientée également vers le bouddhisme (c'est à cette époque que j'ai été très sensibilisée au Tibet) mais je m'intéressais aussi à la Bible. J'ai donc eu l'occasion de lire pas mal d'ouvrages sur ces sujets, de les digérer et de tenter d'en saisir la quintessence, ce qui pour un occidental, n'est pas facile.

Je ne dis pas que j'ai réussi. Mais j'arrive à peu près à comprendre que quoi ils parlent.

L'expliquer est une autre affaire... ;-)

Écrit par : Cigale | 02/04/2008

Ah, je savais que vous réagiriez, ayant lu chez vous votre période mystique.

J'ai failli citer Gandhi, comme un exmple à suivre. J'aurais dû le faire, comme cela vous comprendriez que je ne suis pas forcément rétif à cent pour cent à cette manière d'envisager la vie.

Tout est dans la phrase suivante, cependant:"le sage ne se détourne pas du monde pour ne pas souffrir, c'est le fait de s'en détacher qui le conduit à la "non-souffrance".

D'accord, mais il n'en reste pas moins qu'il s'en détache. Dès lors, tout lui devient indifférent. Pourquoi alors Gandhi n'acceptait-il pas l'occupation anglaise? Parce qu'il était imppliqué dans ce monde dites-vous. Mais n'est-ce pas parce qu'il était le plus occidentalisé des sages, ayant fait ses études en Angleterre? N'est-ce pas par sa culture qu'il a pris conscience de l'exploitatin de son peuple. Vouloir le changement, c'est déjà ne plus accepté tout. Mais c'est vrai qu'une fois cette détermination prise (l'indépendance de son pays), il y arrive par des moyens de sage, par la non-violence.

Écrit par : Feuilly | 02/04/2008

"J'ai failli citer Gandhi, comme un exmple à suivre. J'aurais dû le faire, comme cela vous comprendriez que je ne suis pas forcément rétif à cent pour cent à cette manière d'envisager la vie. "

Cher Feuilly, peu importe ce que nous pensons vous et moi de ce que sont les religions hindouiste et bouddhiste qui existent depuis des millénaires et dont on peut parier qu'elles vivront encore longtemps après nous :-)

"Se détacher du monde" n'est pas le terme exact car il montre une césure et arrive au chiffre 2. Il faudrait plutôt dire "se fondre dans", telle une goutte se fond dans l'océan et devient l'océan.
Le sage n'a plus de frontières, plus de limites, il les a dépassées comme s'il s'était fondu dans le décors. Il fait parti d'un tout, il est l'univers. Ne lui reste que son enveloppe charnelle.

Je sais c'est hard pour une pensée occidentale qui ne repose pas du tout sur les mêmes concepts.

Souvenez-vous de la fable des deux moines sur le pont regardant les poissons :
http://babillagesprofonds.hautetfort.com/archive/2007/11/22/fable-bouddhiste.html

"Vouloir le changement, c'est déjà ne plus accepté tout"
C'est exact, mais je ne crois pas que la sagesse en question "accepte tout".
Tout comme il n'y a aucune résignation dans la non-violence comme les gens le pense souvent, bien au contraire.

Écrit par : Cigale | 02/04/2008

"Se fondre dans": cette idée me séduit, en fait. C'est une sorte d'acceptation de sa condition et elle n'est pas réductrice puisqu'il s'agit d'englober le tout. L'individu se sent une partie du monde, il en est un élément. A la limite, il est ce monde. Donc, pas de désespoir ici. L'individu se dépasse et ses limites deviennent celles du monde.

Mais n'est-on pas proche alors des religions primitives animistes? Dieu est la nature, les pierres sont Dieu, je fais partie de l'univers donc je suis Dieu.

Il y a là une idée à creuser. Il me semble parfois que l'homme n'a été créé (s'il l'a été) que pour être le regard de Dieu. Dieu n'existe que par nous. Comme il est mort depuis Nietzsche, il n'y a donc plus que nous pour justifier l'univers par notre présence.

Evidemment, on inverse là l'humilité propre aux sages, qui eux se dissolvent mas le tout.

Vous dites"peu importe ce que nous pensons l'un et l'autre". Certes. Mais rien n'empêche de discourir. Pourquoi cette animosité soudaine qui sied peu à une sage?

Écrit par : Feuilly | 02/04/2008

Corrigeons immédiatement une erreur de taille : je ne suis pas sage (du tout) ! :-)

Discourir : oui bien sûr, c'est même la raison d'être des blogs à moins d'être adepte du monologue égocentrique.

Animosité soudaine : alors pas du tout ! La preuve en est qu'il y avait un souriard => :-) à la fin de la phrase, signe kabbalistique de l'internaute moyen pour faire comprendre qu'il plaisante ou affirme quelque chose sur un ton non agressif.
Je sais, pour avoir fréquenté des forums passé un temps, que rien ne peut être plus aléatoire qu'une discussion sur le net, car s'il y a bien le texte, il manque la musique ! D'où certaines prises de bec sanglantes par erreur d'interprétation ...

Je voulais juste dire qu'il me semblait dérisoire de philosopher sur des croyances ancestrales - avons nous le droit de dire "c'est bien, c'est mal ? " savons-nous " qui a tort, qui a raison ?" - croyances que nous ne changerons pas de toute façon (petit Feuilly et petite Cigale perdus dans le cosmos de l'univers), croyances qui perdureront bien longtemps après notre bref passage sur terre. => ;-)) clin d'oeil appuyé !

Écrit par : Cigale | 03/04/2008

Je n’avais effectivement point vu le « souriard » et me retrouve à la fois confus d’avoir mal compris et heureux de vous retrouver telle qu’une cigale doit être et n’a jamais cessé d’être, c’est-à-dire chantante.

Écrit par : Feuilly | 03/04/2008

Un peu comme la cigale Cacarla, en fait... Au fait, vous avez déjà son dernier CD, Feuilly ? Est-ce qu'il y a un hommage à Ingrid dessus ? Quand on fait appel à Houelleberk et Schumann (???) c'est bien le moins...

Écrit par : Joseph Orban | 03/04/2008

@ Joseph Orban : merci beaucoup de ne pas mêler les torchons et les serviettes !
Cigale vous en prie.

Écrit par : Cigale | 03/04/2008

Ah nous étions en plein nirvana et voilà l'ombre de Sarkozy qui revient planer...
C’est le moment d’appliquer ce que je viens d’apprendre sur le détachement.

Écrit par : Feuilly | 03/04/2008

Feuilly,
c'est vous qui avez parlé de Hildegarde von Bingen, impossible, en entendant cette voix, de ne pas dériver vers celle de...

Cigale, désolé, mais je n'ai jamais compris la différence entre torchons et serviettes...

Écrit par : Joseph Orban | 04/04/2008

Mais Hildegarde, à travers sa poésie et ses chants, devait voir Dieu ou quelque chose qui lui ressemble. Carla, elle, n'a qu'un Dieu. Du moins pour le moment.

Écrit par : Feuilly | 04/04/2008

@ Joseph Orban : une simple hiérarchie : l'un essuie le cul des verres, l'autre...
En l'occurrence, peu importe ici qui est quoi, seul compte le fait de ne pas être rangé dans le même tiroir.

Écrit par : Cigale | 04/04/2008

Mais notre ami Joseph, poète de son état, revendique sa belgitude (le moment est mal choisi car le pays est au bord du gouffre). Il faut donc savoir qu'en France, un torchon est un linge de maison servant à essuyer la vaisselle (essuie de vaisselle en Belgique) ou une lavette.

En Belgique, un torchon est une serpillière, linge servant à nettoyer les sols. Exemple: "donner un coup de torchon par terre".


Quant au mot serviette, il a le même sens des deux côtés de la frontière politique mais non-linguistique (par opposition à la vraie frontière, la linguistique, qui sépare la Gaule Belgique en deux parties rivales et antagonistes)

1) la serviette de table, soit en papier, soit en tissu (souvent de forme carrée).

2) la serviette de bain, qui sert à s'essuyer (souvent de forme rectangulaire, afin de ne pas confondre)

3) la serviette de plage, pour les lecteurs pressés qui en profitent pour bronzer tout en lisant

4) la serviette hygiénique (qui n’est utilisée que par la moitié de la population, au grand désespoir des marchands et responsables en marketing).

Mais Joseph savait évidemment tout cela. C’était sa manière à lui de rappeler que sa belle cité de Liège fut une capitale (de la principauté du même nom) et qu’elle n’entend pas courber l’échine devant le centralisme parisien, fût-ce en matière sémantique. Que celle qui a fui la ville lumière pour une Provence ensoleillée ne lui jette pas la première pierre.

Écrit par : Feuilly | 04/04/2008

Bonjour, un jour laiteux a complètement absorbé la nuit, ou bien, la terre a tourné...
quand je me plonge dans ces instants de vacuité, ils me soudent au monde au lieu de m'en préserver mais dans une sorte de quiétude qui absorbe ce qui va mal, la souffrance aussi qu'il m'appartient, modestement, (à la taille d'une...souris) de porter un peu comme une peau bien douloureuse qui, peu à peu, s'allègerait, non pour que j'aille mieux mais pour qu'ils aillent mieux, une sorte d'échange, un peu sacré mais pas religieux, une sorte d'osmose, de respiration... J'échange ce que je regarde, parfois, loin derrière ce que je vois, contre là-bas quelque part, le mur d'une cellule, un HLM bruyant, une classe où ça chauffe, une qui recompte ses sous parce que c'est la fin du mois, un qui hurle parce qu'il vient de se recevoir un obus en plein ventre et que des tripes sanguinolentes sortent de son ventre, des, qui s'agrippent à une planche parce que leur terre vient encore d'être recouverte par la crue du fleuve... L'échange se fait là, mystérieusement. Ce qu'ils reçoivent ? Je ne sais...peut-être rien, peut-être de quoi tenir ou mourir en paix... J'aime ne pas croire en Dieu de cette façon, c'est Lui faire honneur. J'aime croire en Dieu de cette façon, c'est placer comme chemin de rébellion entre Lui et moi ces douleurs, ces souffrances...Une sorte de damier de l'échiquier (comme dans "Le septième sceau" d'Ingmar Bergman...)
"Et lorsque l'agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence...."
C'est là qu'Antonius Blok rencontre la Mort sur son chemin, qu'il lui demande un délai et lui propose une partie d'échecs... pendant que la vie continue dans ce pays de nulle part, en proie à la peste. Il cherche à trouver une réponse à des doutes qui l'assaillent...combat entre une espérance sacrée et une angoisse païenne....
Voilà ce qui me monte aux mots quand je chemine lentement dans votre texte...

Écrit par : Christiane | 08/07/2008

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