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30/01/2009

Pierre Reverdy (2)

Je reviens encore une fois à Reverdy dans une approche cette fois plus biographique. Il est né à Narbonne en 1889 et a fait ses études à Toulouse. De là il « monte » à Paris avec la ferme intention de se consacrer aux lettres. Il est introduit dans le milieu parisien par un ami peintre, qui lui fait connaître Picasso et il rencontre peu après Apollinaire et Max Jacob. Comme il travaille comme correcteur dans une imprimerie, il en profite pour imprimer ses propres poèmes, lesquels seront illustrés comme il se doit par Picasso. Il collabore également à une revue fondée par Apollinaire.

Ici, il convient donc se poser la question que je me suis souvent posée pour d’autres écrivains ou d’autres peintres. Quand nous relisons la biographie de ces artistes, nous apprenons souvent qu’ils entretenaient, au début de leur carrière, des relations sociales ou même amicales avec les célébrités du moment. Reste la question insoluble (et sans doute sans intérêt) de savoir si ce sont ces relations qui les ont « lancés » ou si c’est leur génie propre qui a fait qu’ils ont été remarqués et compris par leurs aînés à une époque où ils n’avaient encore rien produit (ou alors des choses insignifiantes). Un peu les deux sans doute. Ils avaient tellement conscience de la force créatrice qu’ils avaient en eux qu’ils n’hésitaient pas à monter à la capitale, où leurs conditions de vie étaient souvent précaires. En prenant de tels risques, cependant, ils ont pu se mettre dans les conditions idéales pour promouvoir leur carrière. Si Reverdy s’était replié sur Narbonne après ses études, que serait-il devenu ? Déjà, il n’aurait pas eu l’occasion d’imprimer gratuitement ses premiers poèmes ou alors ceux-ci auraient eu une répercussion beaucoup moins importante. Si Verlaine n’avait pas eu les penchants homosexuels qu’on lui connaît, se serait-il autant intéressé à Rimbaud ? Si Proust n’avait pas eu des relations pour influencer le jury du Goncourt, qui parlerait encore aujourd’hui de la « Recherche » ? Pourtant si nous sommes tous d’accord pour dire que Rimbaud et Proust méritent assurément leur gloire, l’idée ne nous effleure jamais que leur nom aurait pu ne jamais parvenir jusqu’à nous. Il y a donc toujours une part de chance dans toutes les entreprises humaines, y compris dans la consécration des plus grandes œuvres. Le hasard restera toujours un élément important.

Ce fut par exemple le cas pour ces vers d’Ovide qui viennent d’être retraduits par Marie Darrieusecq sous le beau titre de « Tristes Pontiques ». Le poète est en exil dans le Pont Euxin et il n’a plus que l’écriture pour survivre au milieu des « Barbares ». Ces textes sont donc comme une véritable bouteille lancée à la mer et il ne se doutait sans doute pas qu’ils arriveraient jusqu’à nous, pour nous toucher d’une manière incroyable car on n’a jamais vu quelqu’un pour qui l’acte même d’écrire était aussi primordial puisque sa survie mentale et physique en dépendait. Pourtant, en toute logique, jamais ces vers n’auraient dû nous parvenir. Il s’agit de lettres (en vers) adressées à des correspondants différents et qui étaient confiées aux rares bateaux en partance pour Rome. Il fallait déjà que la lettre atteigne son destinataire. Il fallait ensuite que quelqu’un puisse les rassembler toutes afin de reconstituer les deux recueils (« Tristes » et « Pontiques »). Il fallait enfin que ceux-ci traversent les siècles et passent au travers des invasions barbares, des guerres et des incendies. Il fallait encore qu’un éditeur veuille bien remettre les lettres latines à l’honneur. Bref, il fallait beaucoup de conditions…

Bon, tout cela nous éloigne un peu de Reverdy…

En 1917, celui-ci crée la revue Nord-sud. Il ne faut pas voir dans ce nom une allusion à la langue d’oc et à la langue d’oïl, mais simplement à la ligne de métro qui relie Montmartre à Montparnasse. On retrouve dans cette revue des textes de notre poète, bien entendu, mais aussi d’Apollinaire, de Max Jacob et des futurs surréalistes comme Breton, Tzara, Soupault et Aragon.

En 1926, Reverdy se convertit au catholicisme et s’installe avec sa femme à Solesmes, dans une rue près de l’abbaye. Il ne quittera plus ce lieu, sauf pour de brefs voyages à Paris liés à ses publications.

Remarquons qu’il ne fut pas le seul à se convertir de la sorte, au point qu’on peut se demander s’il n’a pas existé chez certains intellectuels une sorte de mode à se tourner vers la religion, peut-être par réaction envers une société qui se laïcisait radicalement. Ainsi, on pourrait citer Claudel, Péguy, Paul Bourget, Jacques Copeau, Jacques et Isabelle Rivière, Max Jacob et jean Cocteau.

"En allant à Dieu, on perd toute illusion sur soi pour gagner une vue sur son être réel",
dira Reverdy.

Maintenant, on comprend, en lisant ses poèmes, que Reverdy ne devait pas se sentir à l’aise dans un monde qu’il trouve froid et distant. Rien d ‘étonnant donc, à ce qu’il ait cherché une voie qui le satisfît dans le domaine spirituel. Mais alors ses poèmes devraient être imprégnés de cette confiance retrouvée et éclairés de cet amour divin, or personnellement je n’y vois qu’une distance par rapport à un monde froid et incompréhensible. Ou alors en écrivant il n’a fait que démontrer à quel point il était en dehors de ce monde terrestre, pour lui incompréhensible et sa recherche personnelle et son cheminement auraient été tout intérieurs et tournés vers la foi et l’apaisement. En tout cas cela n’apparaît pas de manière évidente dans ses poèmes, mais je ne suis certainement pas un spécialiste de ces questions de foi et laisse les commentateurs plus compétents que moi sur ce sujet donner leur avis éclairé.

Il reste que l’abbaye de Solesmes est un haut lieu du chant grégorien et que c’est à ce titre que je la connais. Rien de plus envoûtant que ces chants monotones et gutturaux qui, sur le plan musical, parviennent à créer des équilibres et des architectures sonores époustouflants. Recherche d’harmonie donc, à partir du chaos, recherche du bonheur à partir du néant. Peut-être était-ce cela que Reverdy aimait à Solesmes ? Une manière pour l’être intérieur d’exprimer sa joie devant la création tout entière. Ou mieux : une manière de créer la joie en permettant à l’individu de dépasser l’étroitesse de son moi et de sa condition physique pour atteindre à une harmonie beaucoup plus vaste et pour ainsi dire cosmique.

Dommage que ce que je ressens en écoutant du grégorien, je n’en trouve pas vraiment la trace dans les poèmes de Reverdy. Il y a chez lui davantage d’angoisse que de sérénité et cette angoisse n’est pas exprimée humainement (avec des cris de désespoir ou de révolte par exemple) mais simplement retranscrite comme un constat. Un constat glacial qui fait froid dans le dos.





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Abbaye de Solesmes

28/01/2009

Pierre Reverdy

J’ai lu l’autre jour le poète Pierre Reverdy, que je n’avais jamais lu. Il s’agissait du recueil « Main d’œuvre », qui reprend des textes de 1913 à 1949 et qui est publié dans la collection Poésie-Gallimard. Ce livre fait tout de même 557 pages, ce qui devrait suffire pour se donner une idée de la production de l’auteur.

Et bien, moi qui adore la poésie, je dois avouer que pour une fois je ne suis pas parvenu à me trouver véritablement en harmonie avec l’auteur. Ce n’est pas que je ne comprenne pas ce qu’il dit, mais je n’arrive pas vraiment à partager son point de vue, comme s’il avait une sensibilité différente de la mienne.

En fait, ce qui m’effraie, c’est un peu cette absence de sensibilité. C’est comme si l’auteur contemplait le monde de l’extérieur, sans jamais parvenir à trouver un point de contact entre lui et ce monde. Il semble y avoir toujours une distance entre son être intime et la réalité qu’il décrit, comme si celle-ci était inaccessible. Souvent les écrivains parlent de la difficulté à retranscrire par l’écriture ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont éprouvé. Ici, ce n’est pas vraiment cela. C’est plutôt comme si le monde était situé à distance et ne se laissait jamais saisir. Le poète donne un peu l’impression d’être un fantôme qui se promènerait dans un univers étrange, incompréhensible et qui ne le concernerait en rien.

Un poète comme Jaccottet, que j’adore, parle aussi de la difficulté à saisir le réel, mais il parvient tout de même à en percevoir une partie et même à nous relater son expérience par la magie de mots. Jaccottet semble nous dire qu’il n’a pas pu exprimer tout ce qu’il avait ressenti et qu’il n’a pas pu percevoir tout ce que le réel contenait comme nuances, mais ce qu’il nous donne à voir est déjà beaucoup. Ici, avec Reverdy, j’ai l’impression inverse, comme si le poète avait fait le constat une fois pour toutes que le monde extérieur lui était étranger et qu’il répétait ce message à l’infini, dans des centaines de poèmes qui sont tous finalement un peu les mêmes. Si on voulait s’exprimer autrement, on pourrait dire que Reverdy a compris que le monde n’était fait que de matière inerte et froide, sans rapport aucun avec notre sensibilité d’homme (et de femme, bien entendu) et qu’il était vain d’en attendre quelque chose. Sa poésie se veut donc un constat de cette froideur et de cette indifférence du milieu dans lequel nous vivons.

Mais il va plus loin, car les êtres humains qu’ils croisent sur sa route semblent eux aussi appartenir à ce même monde extérieur et incompréhensible, ce qui, j’avoue, me met assez mal à l’aise. Il n’y a pour ainsi dire aucun personnage dans ses poèmes ou alors ce sont de simples ombres qui passent ou bien encore une simple tête penchée à une fenêtre (un peu comme un objet détaché du corps).

On retrouve par exemple des formules comme :

« Quelqu’un vient »
« Ceux qui sont autour n’ont encore rien dit »
« Il y a toujours quelqu’un qui regarde »
« En haut une tête se penche
»

Donc, ces êtres humains ressemblent finalement plus à des objets qu’à des êtres faits de chair et de sentiments. Le poète pourrait s’effrayer de sa solitude, perdu qu’il est au milieu d’un monde aussi hostile, mais non, il se contente de dire cette réalité d’un ton neutre et détaché. C’est cela, je crois, qui ne me plait pas trop chez lui. On aurait envie de le voir hurler ou même pleurer devant sa solitude mais il reste impassible, voulant sans doute, par cette attitude, dire précisément tout son malheur, mais donnant du même coup une impression de froideur à ses poèmes.

On croise des femmes, pourtant dans ses écrits. Enfin quelques-unes, pas beaucoup. Mais, il n’y a pas de sentiment non plus quand Reverdy évoque leur existence. Il s’agit chaque fois d’amours qui auraient pu exister mais qui ne se sont pas concrétisées ou bien d’amours qui sont déjà terminées. Autrement dit, une nouvelle fois, ces femmes se retrouvent à la même place que les objets et la matière : mises à distance, désormais inaccessibles, elles n’appartiennent pas au monde du poète. A vrai dire on en est peiné pour lui.

Je le rejoins plus dans les quelques poèmes où il exprime enfin autre chose que le vide qui l’entoure et où il semble enfin prendre conscience de sa solitude (mais ils sont rares, ces poèmes) :

« je suis seul sur la lèvre tremblante du rivage
Seul sur le roc glissant des fièvres de la mort
."

Mais s’il revendique un instant le fait qu’il soit vivant, c’est pour nous faire comprendre que tout cela est éphémère puisque la mort est proche. Finalement, être de passage dans un monde minéral indifférent, il va bientôt lui-même atteindre l’immortalité privée de sens des pierres.
En fait, en exagérant un peu, on irait presque jusqu’à dire qu’il éprouve du dégoût pour ce qui l’entoure, que ce soit le ciel et les étoiles ou encore les champs et les forêts (alors que chez Jaccottet, les mêmes réalités semblaient détenir un secret qu’il nous appartenait de découvrir).

Pour illustrer mes propos, voici un poème de Reverdy, dans lequel on perçoit bien le monde glacé dans lequel il vit :


Poème


La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.


Reverdy, Poème, in Sources du vent, 1929, repris dans « Main d’œuvre », page 134



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21/01/2009

La Montagne Sainte-Victoire

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Il est des lieux, comme cela, qui appartiennent de plein droit à la culture. On les connaît sans les avoir jamais vus et le jour où on les voit, c’est moins leur réalité que l’on découvre que l’œuvre d’art qu’ils finissent par représenter à nos yeux. Un lieu comme Venise, par exemple, décrit par de nombreux écrivains, appartient assurément à notre imaginaire collectif. Difficile de s’y rendre sans penser à Goldoni, l’enfant du pays, à Georges Sand et à ses amours avec Musset, à Rilke, qui y séjourna souvent ou encore à Casanova qui se morfondit dans ses prisons avant de parvenir à s’en échapper.

En France, il y a Paris, bien entendu (comment visiter Notre-Dame sans penser à Hugo et à Esméralda ?), mais aussi des sites naturels. Maurice Barrès, dans sa « Colline inspirée » cherche le sacré dans de tels lieux et y voit comme l’essence même de la France :

"Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse. L'étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son gave rapide; la plage mélancolique d'où les Saintes-Maries nous orientent vers la Sainte-Baume; l'abrupt rocher de la Sainte-Victoire tout baigné d'horreur dantesque, quand on l'aborde par le vallon aux terres sanglantes; l'héroïque Vézelay, en Bourgogne; le Puy de Dôme; les grottes des Eyzies, où l'on révère les premières traces de l'humanité; la lande de Carnac, qui parmi les bruyères et les ajoncs dresse ses pierres inexpliquées ; la forêt de Brocéliande, pleine de rumeur et de feux follets, où Merlin par les jours d'orage gémit encore dans sa fontaine ; Alise-Sainte-Reine et le mont Auxois, promontoire sous une pluie presque constante, autel où les Gaulois moururent aux pieds de leurs dieux ; le mont Saint-Michel qui surgit comme un miracle des sables mouvants; la noire forêt des Ardennes, toute inquiétude et mystère, d'où le génie tira, du milieu des bêtes et des fées, ses fictions les plus aériennes ; Domremy enfin, qui porte encore sur sa colline son Bois Chenu, ses trois fontaines, sa chapelle de Bermont, et près de l'église la maison de Jeanne. Ce sont les temples du plein air. Ici nous éprouvons soudain le besoin de briser de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière."

Bon, Barrès, avec son patriotisme qui prépare la guerre de 14-18 et sa symbolique religieuse, nous semble un peu dépassé aujourd’hui. Ainsi, quand il parle de la montagne Sainte-Victoire, il n’y voit qu’une « horreur dantesque » alors que pour nous ce massif évoque d’abord la peinture et semble indissociable de l’histoire de l’impressionnisme. La première fois que je l’ai vue, à partir de l’autoroute, il m’a d’ailleurs semblé rouler dans un tableau de Cézanne. Difficile en effet de ne pas contempler ce massif sans penser aux nombreux tableaux que ce peintre en a faits.


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Image Internet









Située à l’Est d’Aix-en-Provence, la montagne Sainte-Victoire s’appelle en réalité en occitan le Mont Venturi, autrement dit la montagne de la victoire. De quelle victoire parle-t-on ? Probablement de celle de 102 avant JC, que remporta Caïus Marius et ses légions romaines sur les Cimbres et les Teutons. Certains linguistes pensent cependant que l’origine du nom serait plus lointaine et que les Celto-Ligures qui occupaient le pays 1000 ans avant l’arrivée des Romains appelaient déjà cette montagne le « Vintour », en faisant allusion au vent que l’on rencontre à son sommet (voir aussi l’appellation « Ventoux »).

Ce qui est sûr, c’est que cette montagne a été sanctifiée au Moyen Age et qu’elle porta alors le nom de Sainte Venture. Une chapelle fut d’ailleurs construite à son sommet au XIII° siècle, m’apprend Google qui en sait plus que moi. Au XVII° siècle on a francisé le nom provençal et le massif s’est donc appelé Ste Victoire. Tout étant religieux au Moyen Age, citons encore, non loin de là, le massif de la Sainte Baume (d’après le provençal « baume », qui signifie grotte et qui remonte à une légende selon laquelle Marie-Madeleine, qui aurait débarqué aux Saintes-Maries-de-la-Mer et qui aurait ensuite évangélisé la Provence, se serait retirée dans une grotte de ce massif).

Mais revenons à notre Sainte Victoire. Ce massif de 6 525 ha est classé depuis 1983. Selon une étude par satellite, il serait toujours en train de grandir (7mm par an, ce qui n’est pas rien quand on est une montagne et qu’on a l’éternité devant soi). En outre, on y a découvert des œufs de dinosaures. En 1850, un barrage fut construit par… Zola, le père de l’écrivain. Ses eaux, malheureusement ne permirent pas d’éteindre l’incendie qui ravagea le versant Sud en 1989.

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Notons encore qu’au pied du versant Nord se trouve le village de Vauvenargues, célèbre pour son château, qui appartenait aux archevêques d' Aix, puis à la famille de Clapiers, dont le plus célèbre représentant est Luc de Clapiers, autrement dit l’écrivain Vauvenargues. Celui-ci était né à Aix mais il a séjourné dans ce château (que Louis XV avait élevé au marquisat pour services rendus pendant la grande peste de 1720 par Joseph de Clapiers, le père de Luc)

En 1958, ce château devint la propriété du peintre Pablo Picasso qui voulait se rapprocher des lieux peints pas Cézanne, qu’il admirait. Selon ses vœux, il a été enterré dans le parc du château. Pour les heureux et heureuses qui habitent la Provence, signalons qu’une exposition Picasso est prévue à Vauvenargues durant l’été 2009.


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Evidemment, parler de la Montagne Ste Victoire, c’est parler de Cézanne, l’enfant du pays (il était né à Aix). Il la peignit un très grand nombre de fois, dans un geste répétitif, comme pour tenter désespérément d’en atteindre l’essence. Cette manière de peindre cent fois le même sujet fait penser à Monet avec ses Nymphéas ou sa cathédrale de Rouen ou bien encore aux natures mortes de Picasso. On dirait que le peintre veut atteindre l’âme du sujet traité mais, en allant de plus en plus loin dans son étude, il semble perdre ce sujet lui-même car c’est chaque fois une autre Ste Victoire que Cézanne nous propose ou une autre cathédrale que Monet nous donne à voir. L’angle de vue a changé, les conditions météorologiques aussi, la lumière est différente, le regard du peintre lui-même n’est plus le même.

Bref, dans cette tentative désespérée de rendre le réel, l’artiste s’essouffle en rendant compte de détails qui sont à chaque fois autres. Il a beau s’acharner à reproduire ce qu’il voit, les tableaux sont toujours différents, ce qui l’amène à recommencer encore et encore, dans un travail sans fin qui s’annule lui-même puisque la dernière toile semble contester la précédente. Nous touchons là l’essence même de l’art et son impossibilité à dire quoi que ce soit. Tout n’est qu’approche imparfaite, approximation, vague rendu de ce qui existe et qui demeure insaisissable. On comprend dès lors qu’un peintre comme Van Gogh soit devenu à moitié fou, tant cette tentative obsessionnelle de saisir le réel reste finalement décevante. Cela me fait penser aussi au poète Jaccottet et à son malaise pour dire l’indicible.



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En fait Cézanne comme Monet sont engagés dans une course au détail (rendre la lumière sur telle partie de la Montagne ou de la cathédrale) qui finit par leur faire négliger l’ensemble. L’objet peint finit par disparaître au profit d’un détail qui est à chaque fois changeant (la lumière ou le point de vue ont été modifiés). On pourrait encore dire qu’ils tentent de rendre leur sujet en se plaçant dans des conditions différentes pour l’aborder (angles de vue, etc.), croyant par ces approches variées parvenir finalement à l’exprimer pleinement. Hélas, Cézanne pourrait continuer à peindre ses Ste Victoire à l’infini, il ne parviendrait jamais à dire ce qu’est la Ste Victoire.

Nous-mêmes, quand nous visitons un lieu, nous ne sommes jamais dans les mêmes dispositions d’esprit. Prenez une forêt. Un jour vous êtes sensible à son calme, un autre jour au bruit des feuilles, puis à la masse noire ou bleue formée par l’ensemble, quand vous n’êtes pas attentif à la musique des frondaisons ou à la forme majestueuse des troncs centenaires. C’est qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, les philosophes grecs de l’Antiquité le savaient bien.

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Cézanne, en tentant de peindre cette Ste Victoire qui lui échappe sans cesse, essaie surtout de nous faire passer ses sentiments à lui. La montagne n’est finalement qu’un prétexte. Ce qu’il veut nous dire et nous communiquer en peignant, c’est l’émotion qu’il a ressentie devant elle et qu’il n’arrive jamais tout à fait à exprimer. C’est que l’artiste, comme tout être humain, est seul, enfermé dans cette solitude de son corps et de ses sentiments qui fait que chacun de nous est unique et que ce qu’il ressent au plus profond de lui, il a bien du mal à le communiquer aux autres, lesquels, à leur tout, ont bien du mal à le comprendre. La Ste Victoire pour Cézanne devient aussi complexe qu’une femme dont il serait amoureux et dont il tenterait en vain de nous révéler la perfection. Mais la Montagne reste inaccessible, grande et fière dans le beau ciel de Provence. Il n’empêche, quand nous la contemplons, nous ne pouvons pas la voir sans penser à Cézanne, dont elle est devenue le symbole. Quelque part, c’est tout de même avec ses yeux que nous la voyons. Elle n’est plus pour nous un simple amas rocheux, mais un paysage fait de courbes et de lumières, un paysage bien connu par les tableaux que l’on a contemplés (enfant dans les dictionnaires déjà, puis plus tard dans des expositions). La Sainte Victoire n’est plus une montagne, elle est devenue un personnage de culture et c’est à Cézanne que nous le devons, lui qui a su nous transmettre son amour pour cette belle dame de Provence.

Mais il n’y a pas que les peintres qui ont été séduits par la Ste Victoire. Jacqueline de Romilly, de l'Académie Française, possède une maison à proximité et je me souviens d’un article poignant du journal le Monde dans lequel elle expliquait son désespoir quand elle s’était rendu compte, arrivant en Provence après un long séjour à Paris, que de sa fenêtre elle ne pouvait plus apercevoir sa montagne préférée (ave l’âge elle devenue presque aveugle). Mais en se munissant de jumelles, elle était quand même parvenue à en saisir des bribes, alors elle avait su qu’elle était vraiment revenue en Provence.

Notons que l’historien Georges Duby, de l'Académie française et Edmonde Charles-Roux, de l'Académie Goncourt ont aussi habité dans les environs.


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19/01/2009

Mortelle passion

Que veux-tu que l’on fasse, petite, dans ce monde de fous ? Que veux-tu que l’on fasse ? Partir, c’est impossible, tout est partout pareil. Au Nord, au Sud, à l’Est, partout je te dis, ce ne sont que crimes, combines louches et exploitation. Que faisons-nous dans cette galère, nous qui ne cherchons qu’à être nous-mêmes, nous qui ne cherchons qu’à nous connaître et à nous aimer ? Il n’y a plus qu’à s’embarquer sur un bateau de rêves et voguer au hasard, à l’aventure, imaginant ce que nous ne parvenons pas à trouver ici.

Je te raconterai des histoires incroyables que tu auras raison de ne pas croire mais qui seront si belles que tu en finiras par pleurer. Ce seront de vraies larmes de bonheur et à travers elles je verrai qui tu es vraiment, je te découvrirai et je t’en aimerai encore davantage. On voguera sous des tropiques imaginaires, l’eau sera d’un bleu que tu n’as jamais vu et les poissons, multicolores, ressembleront à des arcs-en –ciel sous-marins. Il y aura des vagues immenses et un vent si chaud que notre étrange voilier semblera prendre feu, mais nous continuerons à aller droit devant. Tu croiras voir l’incroyable dans les yeux des dauphins dansant dans l’onde ultramarine et finalement nous découvrirons les falaises du bout du monde au-delà desquelles il n’y a plus rien. Nous tournerons alors sur nous-mêmes à la recherche d’un vrai port qui pourrait nous abriter et nous permettre enfin de jeter l’ancre. Nous fuirons comme la peste les lieux habités, préférant longer des côtes sauvages où l’homme n’a jamais osé pénétrer. Là-bas, probablement, nous trouverons ce que nous cherchons, il n’y a pas de raison.

Ce sera une petite baie de sable fin. L’eau n’y sera pas profonde et c’est à la nage que nous rejoindrons le rivage, laissant notre voilier s’éloigner au gré des vents. Nous serons seuls comme nous ne l’avons jamais été, loin de tout, perdus pour le monde. Je te prendrai par la main pour découvrir notre nouvel univers qui se résumera à la couleur de tes yeux et à la profondeur de ton regard. Alors, petite, ce sera un autre voyage qui commencera, un voyage qui n’aura pas de fin et au cours duquel nous n’en finirons pas de disparaître, jusqu’à l’ultime éclair bleu de la mort.

"Feuilly"


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00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, poésie, amour

15/01/2009

La fin d'un monde

Texte sombre, des jours de guerre, dédié aux victimes de tous les conflits.

Nous étions là, au bord du fleuve tranquille, à vivre des jours heureux. Dans les champs alentour poussait le blé tendre, que nous avions semé au début du printemps. Le village prospérait, dans la douce lumière de juin et les femmes, partout, vaquaient à leurs occupations, tout en marchant d’une démarche ondulante, jolies comme des déesses. Nous, quand nous étions las de les regarder, nous partions à la chasse dans la forêt profonde et ramenions du gibier en abondance: sangliers noirs, cerfs à la ramure démesurée, biches au regard tendre ou daims roux tachetés d’étoiles. Le soir, sur des feux gigantesques, on grillait la viande et l’air embaumait de cette cuisson offerte aux dieux. Le village s’assemblait et le festin commençait dans l’odeur acre de la fumée, égaillé de chansons, d’éclats de rire et d’histoires du temps passé que racontaient les anciens. On mettait en perce une barrique de vin achetée aux rares marchands romains qui s’étaient aventurés jusqu’ici et nous buvions à notre santé et à celle de l’Empire auquel, finalement, nous appartenions nous aussi, étant de ce côté-ci du fleuve. Cela durait comme cela toute la nuit et l’aube venait nous surprendre alors que nous écoutions encore ce poème épique qui disait la passion d’un roi pour une belle princesse aux cheveux d’or.

Puis un jour ils sont arrivés, comme cela, sur leurs grands chevaux. D’abord il n’y en eut qu’un ou deux, en face, sur l’autre rive, là où tout est sauvage. On distinguait leur pelisse en peau d’aurochs et leur casque orné de cornes de taureau. On voyait surtout la grande lance qu’ils tenaient en main et comment ils regardaient par ici, scrutant la profondeur du fleuve, estimant sa largeur. Puis ils sont partis en remontant le courant, ce qui ne présageait rien de bon car là-haut, à trois jours de marche, il y avait les cascades. L’eau était rapide mais peu profonde et en sautant de rocher en rocher il y avait sûrement moyen de traverser. On disait que certains des nôtres l’avaient fait, autrefois. Qui sait ?

Alors on a préparé nos armes de chasse et on les a aiguisées avec soin. On a aussi préparé des lances de bois, taillées bien en pointe, puis on a rassemblé la volaille et les cochons, qu’on a enfermés tous ensemble dans un grand enclos. Personne ne disait rien, mais il n’y avait plus aucun chant dans le village. Les femmes rasaient les murs ou se terraient chez elles. Nous, nous parlions de nos exploits de chasse, comme si nous voulions nous rassurer sur notre propre valeur. L’Empire était vaste et Rome était loin. Il ne fallait compter que sur nous-mêmes ou sur la providence. Peut-être, finalement, que le fleuve était infranchissable, comme le disait le chaman, qui parlait avec les dieux.

Puis la terre a tremblé sous les sabots des chevaux et ils sont arrivés.

Ils sont arrivés dans un nuage de poussière, criant, gesticulant, les lances brandies en avant et le regard terrible. Alors ce fut le carnage. Que faire à pied devant des hommes à cheval ? Que faire pour se défendre devant des guerriers dont c’est le métier de voler et de tuer ? Les premiers corps tombèrent dans la poussière, les premières flammes s’élevèrent des toitures de chaume. Tandis qu’ils revenaient dans un galop infernal, on entendait les femmes qui criaient dans les maisons, terrorisées à l’idée de ce qui les attendait. On n’a rien pu faire et tout fut vite terminé. Trente corps gisaient maintenant à terre, répandant un sang aussi rouge que le soleil quand il se couche. Ils nous ont tout pris. D’abord la volaille et les cochons, qu’ils massacrèrent et dont ils pendirent les dépouilles aux flancs de leurs chevaux. Puis ils vidèrent les maisons de tout ce qu’elles contenaient. Meubles de bois et vaisselle s’entassèrent en un grand tas sur lequel ils jetaient tous les vêtements de lin et tous les matelas de paille qu’ils trouvaient, puis ils y mirent le feu. Cela fit de hautes flammes qui s’élevèrent vers le ciel, tellement hautes qu’on n’aurait jamais cru que ce fût possible si on ne les avait pas vues. Nous, les survivants, ils nous avaient rassemblés sur la place et nous obligeaient à regarder et à entendre. C’est que dans les maisons cela hurlait fort, à cause des femmes. On ne voyait pas ce qui se passait, mais il suffisait d’écouter pour comprendre. Soudain, un d’entre nous voulut se précipiter mais il fut aussitôt cloué au sol par une grande lance et il rendit l’âme avant d’avoir eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

Par signes, ils ont demandé qui était le chef du village et ils firent un cercle autour de lui, en riant à gorge déployée. Ils parlaient une langue étrange qu’on ne comprenait pas, une langue gutturale et obscène, faite d’interjections et de mots sonores. On aurait dit un bruit de cailloux roulés par une rivière. Alors, d’une des maisons, ils firent sortir la fille du chef, qui n’avait pas vingt ans. Le haut de sa robe était déjà lacéré et, d’un geste sec, un de ces sauvages la lui déchira complètement. D’une bourrade, il la força à s’agenouiller devant un des soldats et à lui baiser les pieds. Elle restait là, pliée en deux, honteuse, la poitrine nue devant tous ces hommes et elle pleurait. Eux, ils s’amusaient de voir ses seins tressaillir à chacun de ses sanglots et quelques-uns les touchèrent même du bout de leur lance aiguë. Puis, soudain, ils en eurent assez de jouer. Alors, dans un grand cri, une de ces brutes prit une hache et d’un seul coup trancha la tête de cette pauvre fille. Son père fit un pas en avant : aussitôt, il fut transpercé par une dizaine de lances et s’affala d’un coup. La place n’était plus qu’une mare de sang et ils riaient tous de plus belle, jusqu’à s’étouffer.

Puis ils remontèrent sur leurs grands chevaux, en riant toujours. Ils prirent quelques femmes, qu’ils ligotèrent ensemble et qu’ils poussèrent devant eux, comme des biches apeurées. Ils sont partis comme cela, calmement, après avoir mis le feu aux dernières maisons encore intactes. Dans le lointain, on entendait encore leurs cris et leurs rires. Nous, nous restions là, n’osant même plus bouger, dans la fumée de l’incendie qui montait jusqu’aux cieux.

"Feuilly"

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12/01/2009

Manipulation (2)

Toujours dans cette optique de la manipulation, je reviens à la manifestation qui a eu lieu à Paris le 03 janvier2009. Il s’agissait clairement de dénoncer l’attaque israélienne sur Gaza. Des militants de gauche étaient présents, ainsi que des associations laïques. Parmi la population immigrée, on retrouvait des personnes ayant dû fuir l’Algérie à au cause de l‘islamisme radical. C’est ainsi qu’étaient présentes des femmes, à qui les islamistes avaient reproché là-bas le fait qu’elles aient pu faire des études ou encore le fait qu’elles veuillent travailler. Elles ont choisi l’exil en Europe. Comme tout le monde, elles sont indignées par la situation à Gaza et elles manifestent pour le dire.

Malheureusement, la manifestation s’est vite transformée en une critique virulente d’Israël (ce qu’on peut comprendre), mais surtout en une déferlante islamique. Beaucoup de personnes se sont senties piégées : les représentations laïques, bien sûr, mais aussi toutes ces femmes arabes qui ont dû fuir leur pays à cause de l’intégrisme.

Et là est tout le problème : peut-on rester sans dénoncer ce qui se passe à Gaza ? Non, bien sûr, conserver le silence dans un tel contexte serait coupable. Faut-il manifester ? Pourquoi pas ? Mais si manifester revient à répandre à son tour la haine par des propos incendiaires et faire indirectement l’apologie du Hamas, qui quelque part récupère la manifestation à son profit, il y a un problème.

Dans un tel contexte, on se doute que les Juifs de la diaspora qui auraient peut-être pu manifester aussi contre les bombardements décidés par Israël (du moins certains d’entre eux) vont se faire rares dans les manifestations suivantes ou en tout cas vont s’y sentir pour le moins fort peu à l’aise. Pourtant, leur présence à de telles manifestations n’auraient-elles pas plus d’impact auprès du gouvernement israélien que celle des Français ou des musulmans ? Dans une situation comme celle-ci, il faut se montrer pragmatiques et efficaces. Or le danger est d’attiser la haine à son tour. On ne dénonce plus l’attitude criminelle d’un gouvernement, on crie sa haine des Juifs, ce qui est déjà autre chose. Ensuite on affiche un islamisme militant en brûlant quelques voitures, ce qui ne fait qu’apeurer la population française, qui, alors qu’elle est globalement opposée aux frappes de Gaza, va bientôt craindre une extension du conflit dans l’Hexagone.

Maintenant, qui étaient ces casseurs ? Des jeunes irresponsables ? Des casseurs professionnels, pour qui toutes les occasions sont bonnes ? Des gens manipulés qui ne se rendent pas compte qu’en agissant de la sorte ils desservent leur propre cause ? De véritables intégristes qui essaient de mettre le feu aux poudres et d’internationaliser le conflit ? Difficile à dire et chacun, selon son opinion ou sa sensibilité, jugera dans un sens ou dans un autre. En fait, ce qui compte, ce n’est pas ce qui s’est réellement passé, mais la manière dont cela a été perçu par le public.

Quant au Hamas lui-même comment faut-il le voir ? Une organisation terroriste qui s’est emparée du pouvoir et qui profite du malheur des Palestiniens pour étendre sa cause ? Ou bien comme un groupement combattant qui a compris que la négociation pacifique n’aboutirait jamais à rien et qui a décidé de prendre les armes après s’être fait élire démocratiquement ?

Le seule chose dont on soit vraiment certain, ce sont ces enfants, ces jeunes, ces femmes, ces parents qui meurent à Gaza. Ce sont ces nouvelles armes que l’on essaie et qui sectionnent les membres ou brûlent atrocement. Ce sont ces enfants que la croix rouge a retrouvés, hagards, à côté des corps de leurs parents morts depuis deux jours.
Mais brandir ces images, c’est encore faire le jeu de la haine, c’est favoriser la guerre des civilisations si chère à Bush, c’est préparer la vengeance qui va suivre. D’un autre côté, taire ces images, c’est se rendre complices, c’est approuver le massacre par son silence. Et puis comment pourrait-on cacher de telles atrocités ?

Le risque, pourtant, c’est de voir la violence gagner l’Europe. On commence à vouloir incendier des synagogues, bientôt on s’en prendra aux personnes, cela renforcera le sentiment d’insécurité que les Juifs gardent ancrés en eux depuis toujours, ce qui amènera de leur part à de nouvelles mesures de protection, puis d’agression. Une fois que le sang a coulé, il ne s’arrête plus de couler.

11/01/2009

Manipulation générale

En fait, dans ces conflits du Proche-Orient, je me dis que tout le monde manipule tout le monde et que tout le monde exploite tout le monde.
Les Américains, par haine du communisme, ont armé et entraîné les musulmans intégristes afin qu’ils se battent à leur place contre les Russes en Afghanistan.

Les mêmes Américains se sont servis de l’Irak, qu’ils ont armé, pour combattre l’Iran.

Israël, de son côté, s’est servi de l’Occident lors de la première guerre du golfe. En effet, il fallait ruiner l’Irak et l’empêcher de devenir une puissance de frappe nucléaire. Pour cela, il ne suffisait pas de bombarder une centrale, il fallait beaucoup plus, mais Israël ne pouvait pas mener cette guerre lui-même contre un pays musulman sans avoir tout le monde arabe contre lui. Il a donc délégué. La France, pourtant à gauche à l’époque, a suivi.

Les Américains, cependant, ont stoppé leur progression militaire et ne sont pas rentrés dans Bagdad, sans doute par crainte de trop grandes pertes dans les troupes de la coalition. Ils ont alors manœuvré les Populations du Sud de l’Irak, en les invitant à se rebeller contre Sadam Hussein. Ce dernier leur infligea des représailles sanglantes, ce qui n’émut pas beaucoup l’oncle Sam.

Mais le problème n’était pas réglé. Il fallait anéantir l’Irak. Pendant 10 ans l’aviation américaine et anglaise se sont donné le droit d’effectuer des frappes sporadiques en dessus du 36° parallèle. Puis ce fut la deuxième guerre d’Irak, pour le plus grand soulagement d’Israël. Comme la France et l’Allemagne refusèrent d’y participer, les Usa firent le travail eux-mêmes (non sans recevoir l’appui d’anciens pays de l’Est, comme la Pologne). Il faut dire qu’ils mettaient au passage la main sur les puits de pétrole, permettaient aux actionnaires de ce secteur de s’enrichir et faisaient tout payer par le contribuable américain, celui qu’on envoyait au front en fait. Enfin, pas vraiment, car pour cela on avait trouvé les latinos récemment arrivés du Sud, tout contents, eux, de devenir américains. Ils pouvaient bien, pour cet honneur, aller donner leur vie dans le désert irakien.

Ensuite, les Etats-Unis soutinrent les Kurdes du Nord et mirent en place la plus belle guerre civile qu’on avait connue depuis longtemps, qui réduisit un pays prospère et riche, qui s’occidentalisait et où le niveau d’instruction était élevé, en une ruine fumante jonchée de morts.

Malheureusement les Kurdes en question commencèrent à s’agiter un peu chez l’allié turc, qui se mit à les pourchasser jusqu’en Irak même, avec l’accord tacite de ces mêmes Américains qui s’étaient appuyés sur eux.

Ensuite, pour grignoter la Russie, on se servit des Géorgiens (armés par Israël, tiens, tiens) et on provoqua le vieil ours russe jusqu’au moment où celui-ci estima qu’il devait réagir s’il voulait conserver son ancienne zone d’influence. Mais les russes ne font pas mieux, tentant de mettre l’Ukraine à genou en réduisant l’approvisionnement en gaz pour punir cette ancienne province de se tourner vers l’Occident.

Tout le monde, c’est la règle, exploite donc tout le monde. Le Hezbollah se sert du soutien de la Syrie, laquelle se sert du Hezbollah pour maintenir sa zone d’influence et contrer Israël. Le Hamas se sert des Palestiniens pour imposer sa nouvelle conception de l’Islam et Israël se sert des tirs de roquettes du Hamas pour massacrer les Palestiniens. Le Hamas se sert aussi de notre émotion pour qu’on condamne Israël et Israël se sert de notre culpabilité face au massacre de la Shoa pour que nous approuvions son action.

Je suis atterré quand je me mets à réfléchir de la sorte. Sur les événements en eux-mêmes, d’abord, qui sont toujours atroces comme on peut le voir en ce moment. Sur la complexité des phénomènes, dont nous ne percevons qu’une partie. Sur la mauvaise foi qui règne de tous côtés. Et finalement sur la nature humaine, dont on se dit qu’elle est vraiment bien mauvaise. La vie est déjà si courte et nous n’en avons qu’une. Il faut encore que nous nous fassions souffrir les uns les autres et que nous nous massacrions.

Restent les victimes, qui en tant que victimes ont tout perdu dans ce jeu de dupe. Restent ces morts de Gaza, hommes, femmes, enfants. Et même le soldat israélien qu’on aura envoyé là-bas pour des raisons politiques et électoralistes et qui va peut-être mourir également, même ce soldat mérite aussi notre compassion car rien ne dit qu’il avait envie d’aller la-bas, lui.

Il y a tant de haine de part et d’autre, tant d’injustices et de violence, tant de choses à reprocher à l’autre, qu’on ne peut que se dire qu’on n’en verra jamais la fin.

Je suis atterré. Pas seulement devant ce conflit, mais devant l’espèce humaine en général.
Que faire alors ? Continuer à élever la voix ? Se taire ? Tout oublier, se cacher dans son coin et ne plus contempler le monde, ne plus rien voir ? Trouver l’apaisement intérieur dans l’oubli, en refusant de regarder ? Ou au contraire crier plus fort que les autres ? Cela pourrait amener les plus radicaux d’entre nous à aller très loin dans la défense de leurs idées. Avec le risque de se faire manipuler à leur tour car toute bonne action est toujours récupérée par un plus malin qui s’en sert pour sa propre cause.

Mais se dire cela, c’est refuser d’agir, de parler, d’écrire et de clamer notre colère. Si les Allemands avaient montré un peu plus de désobéissance entre 1933 et 1939, on aurait évité bien des morts… Alors il nous faut bien nous concentrer sur l’événement du moment, sur ces morts injustes de Gaza, rien que pour conserver notre dignité d’homme. Mais en faisant cela nous ne réglons rien du problème en lui-même. Nous parons au plus pressé, c’est tout.

Et si l’Irak avait eu la bombe nucléaire (pourquoi pas après tout, nous l’avons bien, nous) et si Israël avait été frappé, nous aurions pleuré les victimes israéliennes. Allant d’une victime à l’autre, nous ne savons rien faire d’autre qu’apporter notre compassion. C’est le moins que l’on puisse faire, mais cela ne sert finalement pas à grand chose car les grands de ce monde continuent à jouer sur le grand échiquier qui leur a été donné.

En attendant, ce qui est sûr et certain, c’est le nombre des victimes innocentes à Gaza. Et nous n’avons rien pu faire. Et cela continue. Et nous ne pourrons rien faire.



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10/01/2009

Un autre Israël?

Pour terminer cette évocation de la guerre au Proche-Orient, je voudrais préciser, après avoir bien critiqué ici la position du gouvernement israélien, qu’il ne faudrait pas non plus, par nos propos à tous (qui partent certes de bons sentiments) en arriver à diaboliser l’une ou l’autre nation et donc indirectement contribuer à aviver la haine. En d’autres termes, je voudrais dire, comme je l’ai déjà fait dans le passé, qu’il ne faudrait pas assimiler l’ensemble des Israéliens à la politique de leur gouvernement (de même que tous les Américains ne pensent pas comme Bush ou tous les Français comme Sarkozy, loin s’en faut).

Voici donc un article qu’une connaissance m’a envoyé et qui prouve à suffisance qu’en Israël même il est des personnes qui osent prendre la parole pour dénoncer ce qui se passe, tout en ayant la clairvoyance de dire que du côté palestinien tout n’est pas très clair non plus dans la politique qui est menée.

"Israël a manqué un rendez-vous avec l’histoire"

Ce qui est fascinant, c’est que je retrouve dans cet article beaucoup de points qui ont été soulevés ici. La différence, c’est que c’est un Israélien qui le dit et cela fait plaisir. Tout espoir n’est peut-être pas perdu.

Uri Avnery est né en Allemagne en 1923. Ecrivain et journaliste, il est membre de la Knesset.
Sa famille fuyant Hitler, est arrivée en Palestine en 1933 (tiens, tiens). A quatorze ans il est membre de l’Irgoun de Menahem Begin et combat les Britanniques. Il quitte cette organisation dès 1941, car il se rebelle contre ses positions anti-arabe et anti-sociale. Il fera la guerre de 1948 comme soldat, puis devient journaliste. Il quitte le quotidien Haaretz, estimant qu’on ne le laissait pas parler à sa guise de l’expropriation des terres appartenant aux Arabes. Il rachète alors l'hebdomadaire israélien Haolam Hazeh, journal qui critiquera l’opération militaire de Sharon contre le village de Qibya, ce qui vaudra à Uri Avnery un passage à tabac par des militaires ayant participé à l’opération. Plus tard, c’est un attentant à la bombe qui vise le siège du journal suite à un article contre le maire de Haïfa.

En 1965, il est de ceux qui fondent le parti Haolam-Hazeh et il deviendra député à la Knesset . En 1982, il va rencontrer Arafat au Liban. En 1933, il fonde le « Bloc de la paix ». (Gush Shalom en hébreu). C’est un mouvement israélien, fort à gauche, qui milite pour la paix et en vue de la création d'un Etat palestinien (un peu comme Shalom Archav)


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08/01/2009

Religion et société (3)

Poursuivons notre réflexion sur l’importance et l’éventuelle implication de la religion dans les rapports actuels entre les peuples. Nous avons dit en ce qui concerne l’Occident que l’affadissement des pratiques religieuses prouve à suffisance que ce n’est pas dans la foi qu’il faut chercher le moteur des politiques menées.

Pour la religion juive, nous avons dit que même s’il n’y a que 15% des Juifs qui ont une foi vraiment profonde, il semblerait bien cependant que l’ancienne conception biblique de la terre promise continue à justifier l’existence même de l’état d’Israël auprès de tous les Juifs (voir cependant les nuances apportées par Pascal Janovjak dans la note précédente). La conséquence, c’est évidemment le refus de voir que cette terre promise était habitée par les Palestiniens et que donc il faudrait peut-être se résoudre à leur en concéder au moins une partie. Cela débouche forcément sur des conflits sans fin, augmente la violence de part et d’autre et justifie finalement tout agrandissement du territoire pour des raisons sécuritaires. Ainsi l’invasion du Liban dans les années 80 et encore en 2006 s’expliquait par la volonté de créer une zone tampon afin de protéger l’état israélien des tirs de roquettes. Quant à l’implantation de nouvelles colonies, elle entre dans la même logique : protéger le centre de l’état en en reculant continuellement les frontières et ceci afin de ne pas laisser « l’ennemi » à proximité des centres vitaux (car toujours il y a cette idée que l’état juif pourrait disparaître). Le problème, c’est qu’une fois une nouvelle colonie établie, il faut la protéger à son tour et donc pour cela agrandir encore la zone d’influence par la construction d’une autre colonie. On n’en finit donc jamais et toute la politique se définit en termes de défense et d’agression. Les résultats, on les voit en ce moment-même à Gaza.

Maintenant, qu’en est-il du coté arabe ? Là, c’est beaucoup plus difficile de répondre. Est-ce l’Islam qui est en soi de nature belliqueuse ou bien au contraire les Arabes ont-ils trouvé dans la foi et la religion un moyen d’exprimer leur spécificité par rapport à l’Occident et à ses valeurs marchandes et matérialistes (y compris sous la forme du djihad) ? Difficile de répondre dans la mesure où nous subissons tous les jours la propagande de notre camp et que ces derniers temps le monde musulman est présenté comme une menace. Est-il menaçant en soi ou tente-t-il de se défendre avec les moyens qui sont les siens contre notre agression économique ?

Ce qu’il faudrait savoir (et que je ne sais pas), c’est la proportion de musulmans qui approuvent la violence de tous les extrémistes armés qui se basent sur le Coran pour combattre l’Occident. En soi, on est bien d’accord pour dire que le Coran est un livre de paix, mais il faudrait voir comment les gens vivent leur foi. Est-elle source d’apaisement intérieur, voire de résignation ou au contraire moyen de s’affirmer et de se défendre ?

J’aurais tendance à dire que c’est nous qui avons agi de telle sorte que certains ont pris les armes. Si on regarde les Talibans d’Afghanistan, on trouvait normale leur action quand ils se battaient contre les Russes (ils étaient même armés par les Américains comme chacun sait), mais on les déclare terroristes quand c’est l’Amérique qui veut étendre sa zone d’influence dans ce pays. Alors ? L’islam implique-t-il en lui-même la création de ces groupes armés afin d’étendre à toute la terre la parole du Prophète ou bien est-ce que la religion canalise les mécontentements et permet de justifier la violence aux yeux mêmes de ceux qui la pratiquent (ledit Prophète ayant bien dit de combattre les infidèles).

Pour répondre, il faudrait voir si c’est d’abord la foi qui anime ces djihadistes ou l’opposition à l’Occident et à Israël. Combattent-ils pour Allah ou pour se venger des colonisateurs ? Pour moi, c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne, mais je peux me tromper.

Revenons encore au conflit de Gaza (et qui commence déjà à se banaliser : 300 morts, 400, 500, cela ne veut plus rien dire. Seules les premières victime avaient un visage, maintenant ce ne sont plus que des chiffres, comme les morts de la guerre civile irakienne). Certes Israël est coupable, mais les Etats-Unis en soutenant son action et l’Europe en ne prenant aucune sanction, le sont tout autant. Les Juifs eux-mêmes ont eu l’art de couper l’herbe sous le pied à toute tentative de paix, par exemple en continuant l’implantation des colonies au moment des accords d’Oslo. Et quand ils accordent quelque chose, on a l’impression que c’est toujours du provisoire pour calmer le jeu et que le lendemain ils passent outre à leurs promesses. Evidemment, il y a toujours un motif à ce revirement (acte terroriste, roquettes, etc.) mais n’ont-ils pas eux-mêmes suscité ces agressions par leur comportement volontairement vexatoire et expansionniste ?

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D’un autre côté, après le massacre de la Shoa, ils savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et craignent sans arrêt de voir leur récent état disparaître. Cela suppose donc tout un arsenal militaire d’autodéfense. Malheureusement, à Gaza, ce n’est plus de l’autodéfense, même si la majorité des Juifs en sont persuadés.

Maintenant, si on se penche du côté du monde arabe, il y aurait beaucoup à dire aussi. Pourquoi la ligue arabe s’est-elle toujours montrée impuissante à imposer quoi que ce soit ? Ces gens-là ont le pétrole, ils ont donc un beau moyen de faire pression sur l’Occident pour imposer leurs vues. Or ils ne le font pas. Pourquoi ? Et pourquoi l’Egypte ferme-t-elle ses frontières en ce moment ? Pour ne pas être envahie par les Palestiniens et laisser le champ libre à Israël, bien entendu. Mais ce sont des musulmans entre eux et la situation est dramatique sur le plan humanitaire et sanitaire. Alors ? L’Egypte joue-t-elle le jeu de l’Occident contre les Palestiniens ? Peut-être que cela l’arrange après tout qu’Israël détruise le Hamas. Si elle ouvrait ses frontières, l’action de Tsahal tournerait à rien, puisque tout le monde fuirait, y compris les combattants, pour revenir ensuite.

Et la puissante Arabie, qui entretient de si bonnes relations avec les USA, pourquoi ne négocie-t-elle pas un nouveau statut pour les Palestiniens ?

Car après avoir critiqué l’Occident comme je l’ai fait, il faut aussi avoir le courage de regarder si dans l’autre camp, celui qu’on défendait pour des raisons humanitaires, il n’y a pas aussi des choses à redire. Est-ce que quelque part les états arabes n’ont pas intérêt à ne pas aider les Palestiniens ? S’ils les accueillaient à bras ouverts, tout serait vite réglé, mais non on préfère les laisser moisir dans des camps plutôt que de faire un geste. Forcément, parce qu’alors Israël aurait gagné et occuperait toute la Palestine (et commencerait à regarder du côté de l’autre rive du Jourdain, en Jordanie. N’ont-ils pas déjà conquis le Golan syrien ?) Donc, il vaut peut-être mieux pour les états arabes que les Palestiniens continuent à être des victimes.

Et ces Palestiniens eux-mêmes, acharnés certes à rester sur leurs terres, ne se complaisent-ils pas aussi dans ce rôle de victimes ? Je sais que je pousse loin et que je me fais l’avocat du diable, mais ne serait-il pas plus logique, quand on est un bon père de famille et qu’on est encerclé par Tsahal, ne serait-il pas plus logique de fuir, de créer une diaspora à l’étranger et de tenter de combattre à partir de là ? Au moins leurs enfants ne seraient pas sous les bombes en ce moment.

Et le Hamas, en se cachant parmi la population (mais que pourrait-il faire d’autre ?) ne se sert-il pas des civils comme de boucliers et n’a-t-il pas intérêt, lui aussi, à ce qu’il y ait beaucoup de victimes, donc de martyrs, non pas pour attendrir l’Occident, dont il n’attend plus rien, mais pour le plaisir de recruter de nouveaux combattants disposés à donner leur vie pour venger tous ces morts ?

Pourquoi aucune solution ne peut-elle jamais être trouvée ? Et nous sommes dans un cercle vicieux : plus Israël bombardera et plus le Hamas se renforcera. Même s’il est détruit, d’autres prendront sa place.



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En en négociant pas avec Arafat (devenu modéré), Israël a propulsé le Hamas en avant. En humiliant Arafat, Israël a fait en sorte que des groupes armés radicaux voient le jour. L’a-t-il fait par ignorance ou sciemment (pour mieux pouvoir engager un combat qu’il croit pouvoir gagner vu sa supériorité militaire) ?

Et le Hamas a-t-il intérêt à ce que les Palestiniens vivent en paix dans un état à eux ? Non bien sûr. Chaque camp s’arrange donc bien pour qu’une roquette soit tirée au plus mauvais moment. On vient d’en tirer une du Liban, d’ailleurs. Le Hezbollah dément. Qui a tiré ? A qui cela profite-t-il ? A ceux qui veulent se battre. Qui veut se battre ? Les extrémistes des deux camps.

En attendant des innocents meurent à Gaza, victimes de toutes ces tractations politiques des uns et des autres. C’est tout ce que je sais et c’est tout ce que je comprends.

Mais je ne me fais aucune illusion sur la nature humaine et je sais que si demain Israël détruisait son armée, les victimes d’aujourd’hui se transformeraient à leur tour en loups sanguinaires. La violence devient donc inévitable dès qu’on a commencé à la pratiquer. Ce conflit n’aura donc jamais de fin. Et des innocents continuent et continueront de mourir. J’ai dit tout ce que j’avais à dire et je suis complètement impuissant.



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Images Al Jazeera

06/01/2009

Religion et société (2)

Le conflit actuel en Palestine n’est pas à l’origine un conflit religieux, mais plutôt les suites d’une fin d’époque coloniale particulièrement mal gérée.

Avant 1917, la Palestine faisait partie de l’Empire ottoman. Au moment où les Anglais s’en emparent, ils promettent, par la déclaration de Balfour, de favoriser la création d’un foyer national pour le peuple juif. Pourquoi cette attitude ? Probablement parce que le gouvernement britannique avait besoin de l’aide des banques (anglaises et américaines), lesquelles étaient aux mains des Juifs. De plus, en faisant cette promesse, on obtenait la faveur des Juifs américains, lesquels firent aussitôt pression pour que les Etats-Unis rentrent en guerre. Rien n’est simple, comme on le voit.

Le problème, c’est que les Anglais avaient fait une autre promesse aux Arabes, à savoir la création d’un grand royaume arabe incluant la Palestine. Dès 1917, donc, ceux-ci se retrouvèrent lésés et frustrés.

Bref, c’est l’époque coloniale et les Anglais occupent la Palestine, laquelle était donc bien habitée par des Arabes et des Juifs. Mais comme on commence à favoriser l’immigration des Juifs en Palestine, le nombre de ceux-ci augmente. La société des Nations avait d’ailleurs donné un mandat au Royaume-Uni qui lui demandait de

« placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'auto-gouvernement».

Il faut aussi

«faciliter l'immigration juive et encourager l'installation compacte des Juifs sur les terres ».

La conséquence de tout ceci, c’est que la population juive augmente sans cesse (elle est d’ailleurs passée de 83 000 habitants en 1918 à 650 000 en 1948). Les Arabes commencent à se révolter et pour ne pas avoir de problèmes, les Anglais, dès 1939, réduisent l’immigration juive et promettent l’indépendance aux Arabes dans un proche avenir. Du coup, l’empire britannique rentre en confit ouvert avec les sionistes qui n’hésitent pas à faire des attentats (voir le rôle de l’Irgoun de Menahem Begin, alors activiste terroriste avant de devenir plus tard Premier ministre d’Israël). De guerre lasse, les Anglais remettent leur mandat aux Nations Unies, lesquelles décident assez logiquement de créer un état arabe et un état juif. Les Anglais quittent définitivement la Palestine en 1948, non sans avoir de nouveau tout fait pour favoriser l’apparition d’un état juif. Dès qu’ils sont partis, les sionistes ont assez de force pour vider la région de la population palestinienne. Il y a 800.000 exilés. C’est l’époque durant laquelle on a rasé le village du poète Mahmoud Darwich, ne laissant que le cimetière dans lequel il n’a pas pu être enterré lorsqu’il est décédé l’année dernière). C’est l’époque aussi de la destruction du village de Deir Yassin: les 254 habitants de ce village (hommes, femmes, enfants, vieillards) furent massacrés par les troupes de "L’Irgoun" de Menahem Beghin.
La suite, on la connaît. Les Anglais sont à peine partis que la guerre avec les pays arabes commence aussitôt.

Peut-on donc dire que la religion est à la base de ce conflit ? Quelque part non, on vient de voir que la situation était particulièrement complexe. Pourtant, si les Juifs veulent s’établir en Palestine (et non en Argentine ou encore en Russie où avait existé autrefois un petit royaume juif), c’est bien pour des motifs religieux, celui de la Terre promise.

De tout ceci, on retiendra :

- que si on n’avait pas pratiqué une immigration massive de 1917 à 1948, la Palestine serait arabe aujourd’hui. Mais peut-être que les Juifs n’auraient toujours pas d’état. La réalité, c’est que les Palestiniens, eux, n’en ont pas.

- Que s’il n’y avait pas eu ce substrat religieux et le sentiment chez les Juifs que cette terre leur appartient de droit par volonté divine, on n’en serait peut-être pas là.

Dans la correspondance qu’il entretient avec JL Kuffer, l’écrivain Pascal Janovjak mettait en doute l’importance du phénomène religieux dans ce conflit. Il n’a pas tort, donc. Pourtant, il faut avouer que même s’il n’y a que 15% des Juifs qui sont profondément religieux, l’ensemble de cette communauté continue de se baser sur la Bible pour dire que cette terre lui appartient.

Voici d’ailleurs quelques citations éclairantes :


- «Le Seigneur conclut une Alliance avec Abraham en ces termes: C’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Egypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate.» Genèse (XV, 18-21)

- "Si l’on possède la Bible, si on. se considère comme le peuple de la Bible, on devrait posséder également les terres bibliques, celles des Juges et des Patriarches, de Jérusalem, d’Hébron, de Jéricho, et d’autres lieux encore." Moshé Dayan."

- «Il n’y a pas de peuple palestinien... Ce n’est pas comme Si nous étions venus les mettre à la porte et leur prendre leur pays. Ils n’existent pas.» Madame Golda Meir. Déclaration au Sunday Times, 15 juin 1969

- «Eretz Israël sera rendue au peuple d’Israël. Tout entière et pour toujours.» Menaheni Beghin

Le paradoxe, c’est donc le fait que les partis religieux soient si importants dans la politique israélienne alors qu’une bonne partie de la population n’a qu’une foi très modérée ou même pas de foi du tout. La raison en est qu’inconsciemment cette population accepte la thèse religieuse de la Terre promise. Sans cela, comment pourrait-on justifier ce que l’on voit aujourd’hui ?

Ces bombardements n’ont pas pour seul objectif d’affaiblir le Hamas, il s’agit aussi de terroriser la population civile dans l’espoir qu’elle se décidera enfin un jour à quitter définitivement la Palestine. Sinon, pourquoi viserait-on des mosquées, des écoles, des centrales électriques ? C’est la même logique depuis le premier jour : chasser les Arabes de la Terre promise. Pour cela tous les moyens sont bons. C’est Dieu qui l’a voulu, semble-t-il.


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04/01/2009

Religion et société

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Quelle est encore l’influence de la religion sur la pensée et le comportement des hommes ? Telle est la question qu’on est en droit de se poser en ce début du XXI° siècle, alors qu’en Europe les églises se vident de leurs fidèles. La difficulté que rencontre l’Eglise pour recruter de jeunes prêtres, les critiques qui s’élèvent à l’encontre de certains discours du pape (sur l’avortement, la contraception, l’homosexualité, etc.) ou tout simplement l’indifférence générale de la population sur les questions religieuses prouvent à suffisance que la foi ne fait plus recette. Certes, l’enseignement libre confessionnel connaît un grand succès, mais on sait que les parents qui choisissent ce type d’établissement justifient leur position par la qualité de l’enseignement qui selon eux y serait dispensé et ils évoquent rarement des motifs religieux. D’ailleurs il suffit d’interroger un peu son entourage pour entendre chaque fois la même réponse : « Oui, je crois en Dieu, mais je ne suis pas pratiquant. » Cela montre bien que s’il demeure un substrat confessionnel dans les mentalités, celui-ci n’est plus très vivace. On peut regretter au passage que tous ces gens n’aient pas pris la peine de réfléchir sérieusement à leur position sur le sujet. Quelque part, je préférerais quelqu’un qui me dise « je crois ou j’essaie de croire pour telle ou telle raison » ou au contraire « non, je suis devenu athée » que ce simple constat ambigu où l’on croit sans croire vraiment et qui manifeste une sorte de laisser-aller que l’on ne peut que déplorer sur un plan intellectuel.

Enfin, peu importe, ce qui est sûr, c’est que la majorité de nos concitoyens croient vaguement en l’existence d’un Dieu (sinon comment expliquer l’existence de l’univers) mais restent très méfiants sur les discours et les pratiques religieuses, qui leur semblent à mille lieues de leurs préoccupations quotidiennes. A la limite on veut bien se marier à l’Eglise (pour ceux qui se marient encore) et assister à la communion d’un neveu (tradition familiale) mais pour le reste, non, on vit dans un monde laïc. L’Etat et le pouvoir, d’ailleurs, s’inscrivent bien dans cette conception laïque, aussi a-t-on été un peu étonné d’entendre Giscard d’Estaing réclamer un ancrage chrétien à sa constitution européenne (laquelle, rappelons-le, concerne surtout la liberté du commerce) et Sarkozy affirmer la primauté du discours du prêtre sur celui de l’instituteur.

Pourtant, quant on connaît les thèses sur le choc des civilisations (Samuel P. Huntington), l’état d’esprit de l’administration Bush ou encore l’actuel conflit à Gaza, on est en droit de se demander si la religion n’est pas encore un moteur de l’action des hommes. Le monde arabe semble d’ailleurs trouver dans le fait religieux une sorte d’unité et une manière de s’opposer (pacifiquement ou non) à la domination de l’Occident.

J’aurais tendance à donner une réponse de Normand et à dire que les religions ne sont pas le phénomène essentiel permettant de comprendre les conflits dans le monde, mais qu’elles contribuent cependant à les attiser.

Ainsi, je ne vois pas bien en quoi l’Occident se penserait comme chrétien. La politique qu’il mène est celle qu’il a toujours menée, depuis le colonialisme et l’expansionnisme géographique jusqu’à son désir récent de soumettre la planète entière à son esprit mercantile pour autant, bien entendu, que ce commerce se fasse à son profit.

Donc, la théorie du choc des civilisations semble particulièrement contestable, surtout si on veut définir les grands blocs de civilisations par leur seule religion. On ne voit d’ailleurs pas comment on ferait entrer l’ancienne guerre froide (USA/URSS) dans un tel schéma, la Russie communiste ne se définissant certainement pas par rapport à la religion orthodoxe. De plus, les besoins des hommes étant partout les mêmes (se nourrir, se vêtir, se reproduire, vivre en paix), on ne voit pas non plus pourquoi un Européen devrait d’office entrer en conflit avec un Arabe, un Indou ou un Chinois sous prétexte qu’il aurait une religion différente. En fait, les différences alimentaires, vestimentaires ou culturelles sont pour le moins aussi importantes que la religion pour différencier les peuples. Mais ces différences ne sont pas non plus des obstacles insurmontables qui nous empêcheraient de bien nous entendre avec les autres. On peut parfois se sentir plus proche d’un étranger (qui aurait lu les mêmes livres que nous et qui aurait une vision humaniste fort proche de la nôtre) que de son voisin de palier. Et le fait que cet étranger ne prie pas le même dieu ou ne mange pas les mêmes aliments que moi ne change pas grand chose. Donc cette théorie du choc des civilisations en rapport à la religion ne sert qu’à justifier la politique des marchands d’armes, lesquels essaient de dresser tout le monde contre tout le monde afin de faire du profit (voir les mensonges déjà oubliés sur les armes de destruction massive en Irak).

Quand éclate un conflit, la religion semble donc être un prétexte qui masque les vrais motifs. La guerre en Irak n’est pas une guerre contre l’islam (même si officiellement elle s’est donnée comme but d’éradiquer le terrorisme islamique), c’est une mainmise pure et simple sur les puits de pétrole et un renforcement de la présence militaire US dans un endroit stratégique de la planète. La guerre en Afghanistan relève de la même logique.

Maintenant, qu’en est-il de l’actuel conflit à Gaza ? Peut-on dire que la religion en est absente ?

(à suivre)


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02/01/2009

An 9

Bonne et heureuse année à tous les lecteurs et à toutes les lectrices de ce blogue.

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Feuilly, novembre 2008




Evidemment, pendant que nous parlons tranquillement ici, les bombes tombent là-bas à Gaza, étape ultime d’un processus qui a commencé il y a bien longtemps. Car si on peut comprendre que le peuple juif méritait bien d’avoir lui aussi un état (et donc qu’en 1948 certaines spoliations étaient inévitables), on comprend moins bien pourquoi cet état, depuis sa naissance, a toujours eu des visées impérialistes et qu’il n’a pas cessé de s’étendre, en 1967 et 1973 d’abord (suite à des guerres qu’on veut encore bien qualifier de défensives) mais surtout par la suite avec une politique de peuplement systématique via les fameuses colonies.

Le territoire qui avait été laissé aux Palestiniens en 1948 n’a pas cessé de se réduire comme une peau de chagrin et tout est mis en œuvre pour inciter les habitants à partir (contrôles incessants aux cheks-points, fermeture des frontières, arrestations arbitraires, incursions militaires, dynamitage de maisons, construction du mur, interdiction ou impossibilité pour les paysans d’accéder à leurs champs, confiscation des terres les plus riches, impossibilité de se rendre à son travail, etc., etc.) Parquée comme des moutons dans la bande de Gaza, la moitié du peuple palestinien a encore dû endurer les coupures d’eau, de gaz et d’électricité. La situation sanitaire est souvent catastrophique, les hôpitaux manquent de tout, l’enseignement se fait dans des conditions matérielles épouvantables, etc., etc.

Pour négocier, l’état israélien avait devant lui Yasser Arafat, dont on peut dire beaucoup de mal, y compris au sujet de la corruption généralisée qui l’entourait, mais qui offrait l’avantage d’avoir un point de vue laïque et modéré. Toutes les tentatives de paix ont avorté et quand elles ont failli réussir, cela s’est soldé par l’assassinat des négociateurs (assassinat du président égyptien Sadate par des islamistes qui lui reprochaient de négocier avec Israël et assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste israélien qui lui reprochait d’avoir parlementé avec Arafat). A la fin, Arafat qui a pourtant renoncé à la violence et qui semble un interlocuteur de choix pour négocier, n’est pas écouté par les Israéliens. Il perd petit à petit de son crédit auprès de son propre peuple puisque ses concessions n’aboutissent à rien et à la fin il est même encerclé dans Ramallah par les chars de Sharon. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un mouvement plus dur ait fait son apparition, le Hamas, qui allie la religion pure et dure avec le combat militaire. Il n’y a évidemment rien de bon à attendre d’un tel mouvement extrémiste, mais il faut quand même souligner qu’on aurait pu éviter d’en arriver là si de vraies concessions avaient été faites de part et d’autre. On est maintenant dans une impasse : il n’y a plus que les armes qui peuvent parler. Et on voit ce que cela donne.

En attendant ce sont les populations civiles, déjà éprouvées par les différents blocus, qui vont faire les frais de ce nouveau conflit (et n’oublions pas non plus les victimes civiles israéliennes, même si elles sont moins nombreuses).

Pour ceux que cela intéresse, une pétition à signer :