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28/01/2009

Pierre Reverdy

J’ai lu l’autre jour le poète Pierre Reverdy, que je n’avais jamais lu. Il s’agissait du recueil « Main d’œuvre », qui reprend des textes de 1913 à 1949 et qui est publié dans la collection Poésie-Gallimard. Ce livre fait tout de même 557 pages, ce qui devrait suffire pour se donner une idée de la production de l’auteur.

Et bien, moi qui adore la poésie, je dois avouer que pour une fois je ne suis pas parvenu à me trouver véritablement en harmonie avec l’auteur. Ce n’est pas que je ne comprenne pas ce qu’il dit, mais je n’arrive pas vraiment à partager son point de vue, comme s’il avait une sensibilité différente de la mienne.

En fait, ce qui m’effraie, c’est un peu cette absence de sensibilité. C’est comme si l’auteur contemplait le monde de l’extérieur, sans jamais parvenir à trouver un point de contact entre lui et ce monde. Il semble y avoir toujours une distance entre son être intime et la réalité qu’il décrit, comme si celle-ci était inaccessible. Souvent les écrivains parlent de la difficulté à retranscrire par l’écriture ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont éprouvé. Ici, ce n’est pas vraiment cela. C’est plutôt comme si le monde était situé à distance et ne se laissait jamais saisir. Le poète donne un peu l’impression d’être un fantôme qui se promènerait dans un univers étrange, incompréhensible et qui ne le concernerait en rien.

Un poète comme Jaccottet, que j’adore, parle aussi de la difficulté à saisir le réel, mais il parvient tout de même à en percevoir une partie et même à nous relater son expérience par la magie de mots. Jaccottet semble nous dire qu’il n’a pas pu exprimer tout ce qu’il avait ressenti et qu’il n’a pas pu percevoir tout ce que le réel contenait comme nuances, mais ce qu’il nous donne à voir est déjà beaucoup. Ici, avec Reverdy, j’ai l’impression inverse, comme si le poète avait fait le constat une fois pour toutes que le monde extérieur lui était étranger et qu’il répétait ce message à l’infini, dans des centaines de poèmes qui sont tous finalement un peu les mêmes. Si on voulait s’exprimer autrement, on pourrait dire que Reverdy a compris que le monde n’était fait que de matière inerte et froide, sans rapport aucun avec notre sensibilité d’homme (et de femme, bien entendu) et qu’il était vain d’en attendre quelque chose. Sa poésie se veut donc un constat de cette froideur et de cette indifférence du milieu dans lequel nous vivons.

Mais il va plus loin, car les êtres humains qu’ils croisent sur sa route semblent eux aussi appartenir à ce même monde extérieur et incompréhensible, ce qui, j’avoue, me met assez mal à l’aise. Il n’y a pour ainsi dire aucun personnage dans ses poèmes ou alors ce sont de simples ombres qui passent ou bien encore une simple tête penchée à une fenêtre (un peu comme un objet détaché du corps).

On retrouve par exemple des formules comme :

« Quelqu’un vient »
« Ceux qui sont autour n’ont encore rien dit »
« Il y a toujours quelqu’un qui regarde »
« En haut une tête se penche
»

Donc, ces êtres humains ressemblent finalement plus à des objets qu’à des êtres faits de chair et de sentiments. Le poète pourrait s’effrayer de sa solitude, perdu qu’il est au milieu d’un monde aussi hostile, mais non, il se contente de dire cette réalité d’un ton neutre et détaché. C’est cela, je crois, qui ne me plait pas trop chez lui. On aurait envie de le voir hurler ou même pleurer devant sa solitude mais il reste impassible, voulant sans doute, par cette attitude, dire précisément tout son malheur, mais donnant du même coup une impression de froideur à ses poèmes.

On croise des femmes, pourtant dans ses écrits. Enfin quelques-unes, pas beaucoup. Mais, il n’y a pas de sentiment non plus quand Reverdy évoque leur existence. Il s’agit chaque fois d’amours qui auraient pu exister mais qui ne se sont pas concrétisées ou bien d’amours qui sont déjà terminées. Autrement dit, une nouvelle fois, ces femmes se retrouvent à la même place que les objets et la matière : mises à distance, désormais inaccessibles, elles n’appartiennent pas au monde du poète. A vrai dire on en est peiné pour lui.

Je le rejoins plus dans les quelques poèmes où il exprime enfin autre chose que le vide qui l’entoure et où il semble enfin prendre conscience de sa solitude (mais ils sont rares, ces poèmes) :

« je suis seul sur la lèvre tremblante du rivage
Seul sur le roc glissant des fièvres de la mort
."

Mais s’il revendique un instant le fait qu’il soit vivant, c’est pour nous faire comprendre que tout cela est éphémère puisque la mort est proche. Finalement, être de passage dans un monde minéral indifférent, il va bientôt lui-même atteindre l’immortalité privée de sens des pierres.
En fait, en exagérant un peu, on irait presque jusqu’à dire qu’il éprouve du dégoût pour ce qui l’entoure, que ce soit le ciel et les étoiles ou encore les champs et les forêts (alors que chez Jaccottet, les mêmes réalités semblaient détenir un secret qu’il nous appartenait de découvrir).

Pour illustrer mes propos, voici un poème de Reverdy, dans lequel on perçoit bien le monde glacé dans lequel il vit :


Poème


La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.


Reverdy, Poème, in Sources du vent, 1929, repris dans « Main d’œuvre », page 134



reverdy.jpg




Commentaires

Je n'ai lu que très occasionnellement des textes de Reverdy.
Dans l'exemple que vous donnez je perçois au contraire de l'émotion : la détresse devant la solitude.

"Quelqu'un passe et ne me voit pas"

je trouve ce vers très beau, toute la tragédie de l'existence sobrement exprimée.
En ce moment je lis
"Les Contrerimes " de Paul-Jean Toulet
un héritier de Verlaine, très plaisant.

Écrit par : Rosa | 28/01/2009

Tard dans la vie

Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un coeur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
Pierre REVERDY
(La liberté des mers)

Écrit par : Rosa | 28/01/2009

@ Rosa: oui, il y a ici cette détresse devant la solitude, mais ce vers vient après beaucoup d'autres vers dans lesquels on perçoit surtout cette indifférence de la part des autres, indifférence qui est relatée sans état d'âme par le poète. Elle existe ici aussi bien entendu et cela confirme ce que je disais: les autres sont extérieurs, il n'y a pas de communication possible entre eux et le poète. ici il semble en souffrir. Ailleurs, c'est un simple constat.

Quant au poème que vous donnez et que j'avais vu aussi sur Internet, je ne l'ai pas repris car il ne me semblait pas représentatif des 500 pages que je venais de lire, où tout était plus froid.

Ah Toulet, c'est autre chose:
Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,

Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas si c'est d'amour,
Au bord des tombes.

Écrit par : Feuilly | 28/01/2009

Oui Toulet, c'est bien cette musique douce que je suis en train de découvrir. Je crois d'ailleurs qu'il est assez proche de Jaccottet.
Pourtant Reverdy est plus connu ! Dommage, heureusement qu'il y a les blogues.

Écrit par : Rosa | 28/01/2009

Aragon disait de Reverdy : "Chaque absence l'afflige et le trouble à l'intime".
Hubert Juin, dans la préface au recueil "Plupart du temps" 1915-1922, écrit :
"Reverdy se préoccupait non pas de ce qu'il avait sous le regard mais de ce qui se passait ailleurs et dont il était, par cela même, exclu.
(...) Rien n'est présent que déchiré, dévoré, rongé d'absence.
(...) Cette poésie vigile et vigilante va porter sur le réel un curieux témoignage : à mesure qu'elle va le montrer, en livrer le cadastre et le volume, elle va souligner son évanouissement, son absence. Oui la vraie vie est ailleurs. Mais chez Reverdy, l'absence n'est pas une façon de ne pouvoir nommer l'être, c'est une absence littéralement, un creux, un trou."

On attendait
On regardait
C'est à tout ce qui se passait ailleurs que l'on
pensait.

Écrit par : michèle pambrun | 30/01/2009

Voilà un éclairage intéressant, qui confirme ce que je ressentais (ce "vide") tout en l'expliquant. Reverdy aurait donc toujours été ailleurs... D'où peut-être son engagement religieux, une manière d'atteindre enfin cet "ailleurs".

Écrit par : Feuilly | 30/01/2009

Pierre Reverdy est un mystique, c'est donc quelqu'un qui a perdu contact avec la réalité du monde et de la vie. Il a donc la certitude que l'être humain est médiocre ou misérable, ou les deux à la fois. Il disait sans aucun lyrisme:«Le moi est haïssable. Aimer le prochain comme soi-même, c'est tout dire». Cela trahit une vraie-fausse estime de soi.
Je préfère retourner revoir René Daumal qui me conseille d'oser le « vivre pour nous ». Un poète merveilleux.

Écrit par : Halagu | 30/01/2009

@ Halagu:

Et voilà sans doute pourquoi je n'arrive pas vraiment à rentrer dans son univers ou si j'y rentre je ne le partage pas vraiment.

Écrit par : Feuilly | 30/01/2009

Bonsoir ,je me pose ici pour la toute première foi...
Un ami cher m'a conseiller de venir..alors voilà.
Il y a tant à lire et découvrir...Apprendre...je m'arrète sur ce poème qui me touche ..j'écrivais un peu aujourd'hui:

A marcher,vagabonder
Le coeur chargé
Et les mains creuses
Comme si d'où on vient
Etait toujours l'éspace
Que l'on entrave et évacue
Quand cet écart vous abandonne....
Trouver sa place,sa citadelle
Etendu sur ces remous qui nous figes....

c'et long et par encore corrigé.
voilà , un peu mes traces
Dans votre éspace.
Peu-ètre pas .
Dans l'invisible...
Belle soirée à vous..au plaisir de vous lire aussi
dans mon soutérrain....

ps: je dois préciser que je suis aussi anglaise et m'éxcuse d'avance pour mes fautes....

Écrit par : Isabelle | 10/02/2009

Une visiteuse d'outre-Manche? Voilà qui n'est point courant en terre romane. Et qui, comme Dostoïevski, nous entraîne dans son souterrain...

Écrit par : Feuilly | 10/02/2009

Il me manque les mots que les autres ont pris pour rajouter même un silence à tous ces commentaires superflus; la pierre ignore le regard qui se pose et c'est heureux...l'éternité n'entend rien....Elle est.

Écrit par : pichaud | 05/06/2009

L'éternité de la pierre nous dépasse assurément. C'est peut-être pour cela que je "n'entre" pas vraiment dans la poésie de Reverdy. Nul n'est parfait, que voulez-vous... Je continue à trouver son éternité un peu trop glaciale.

Écrit par : Feuilly | 05/06/2009

vous avez vous aussi raison....tant de vérités....? c'est surtout des raisons affectives qui m'ont fait réagir....je reviens plus souvent à Valéry et au "cimetière"....une idée fixe...il est rare de pouvoir ainsi échanger des idées sur ces sujets....vous êtes d'où?Quelles sont vos autres curiosités..?

amicalement,
jcp

Écrit par : jean-claude pichaud | 07/06/2009

D'où je suis? Je ne pense pas que cela ait une réelle influence sur ce que nous disons ici, aussi me suis-je toujours abstenu de considérations trop personnelles, lesquelles sont finalement sans grand intérêt pour les lecteurs. Quant aux autres curiosités, parcourez le blogue à votre aise, vous y trouverez peut-être des auteurs qui vous intéressent.

Écrit par : Feuilly | 07/06/2009

vos réflexion étaient pourtant personnelles....vous reprochez au poète sa froideur mais je vois que vous la partagez....sinon sur la forme mais tout au moins sur le fonds.....je n'insisterai donc pas.. seul le silence est grand....j'espère ne pas avoir troublé
vos nombreux lecteurs......

avec mes excuses

jcp .

Écrit par : jean-claude pichaud | 07/06/2009

Mais ne vous excusez pas, c'est dans ma nature d'être discret et réservé, c'est tout. Quant à savoir si c'est de la froideur...

Écrit par : Feuilly | 07/06/2009

que voulez -vous,entre amoureux de la poésie,je pensais ouvrir une porte, celà sans curiosité déplacée et dans le respect d'autrui....l'échange permet parfois de continuer sur le chemin difficile de la vie...mais, c'était peut-être une illusion...?
à bientôt.....peut-être

jcp

Écrit par : jean-claude pichaud | 07/06/2009

j'ai trouvé une thèse vieille de trente ans sur Pierre Reverdy....étrange trouvaille;le directeur de thèse étant décédé (Un professeur d'université), sa bibliothèque fut dispersée.....d'où ce face à face avec cette flaque de verre...un peu brisée mais qu'importe....

Jc pichaud

Écrit par : jean-claude pichaud | 07/07/2009

Trente ans… Oui, ces enseignants que nous avons eus (instituteurs, professeurs de lycée ou de fac), beaucoup ont disparu déjà. Et on se dit que les valeurs (morales ou intellectuelles) qu’ils nous ont enseignées et qui étaient si importantes à l’époque, et bien on se dit qu’elles ont un peu disparu et qu’il n’y a plus que nous pour les faire vivre encore un peu.
Cette étude sur Reverdy ainsi dispersée avec le reste de la bibliothèque… Cela fait frémir. Toute une vie consacrée aux livres et à la pensée et puis finalement plus rien. Je suis heureux que vous ayez sauvé ce travail de l’oubli. L’étudiant qui le rédigea vit encore probablement et ne se doute pas que vous êtes en train de le lire.

Écrit par : Feuilly | 07/07/2009

l'auteur de la thèse est François Labrune; le directeur de thèse, Jean-claude Vareille...j'ai fait une recherche sur le premier; il me semble me souvenir qu'il navigue autour de la poésie, de la peinture....des correspondances avec notre "ermite"...

jcp

Écrit par : jean-claude pichaud | 11/07/2009

pour continuer dans la voie littéraire, je vous signale avoir l'an passé écrit une étude baptisée" Les confessions musicales de Julien Green"; cet ouvrage dont le corps même est issu des sept mille pages du Journal de l'écrivain a été terminé pour le dixième anniversaire de sa disparition; il m'a semblé que cette passion pour la musique était un bel hommage à ce monument; en effet, sans l'écoute au quotidien de l'univers des sons, il n'aurait pu écrire une seule ligne; j'ai élaboré un plan original pour l'exposé de ses idées générales sur la musique, la seconde partie abordant les musiciens chers à son coeur ainsi que tous ceux qu'il a pu écouter jusqu'à ce 2 juillet 1998, date à laquelle il a quitté pour tourjours sa table de travail...cet ouvrage devait être publié par les éditions du Cerf à Paris, avec l'accord des éditions Fayard; hélàs, le fils adoptif....a mis son véto ayant soi-disant promis à Julien Green de ne pas accepter le découpage du Journal qui n'est plus édité depuis fort longtemps; à tous les arguments dictés par le coeur et la raison, seul le silence fut au rendez-vous.....peu importe, le travail fut passionnant; avec l'aide du Père Kim En Joong qui fut pendant près de vingt ans le confesseur de Julien et qui est un immense peintre abstrait et un ami très cher, nous avons décidé de l'imprimer pour les amis et aussi pour en garder une trace...J'ignore si vous vous intéressiez à cet écrivain, mais je me permets de vous le signaler; il n'aimait pas la foule et vivait à Paris avec ses livres et quelques amis....Son Journal commencé en 1919 est d'une grande richesse....mais depuis dix ans, l'oubli a fait son oeuvre.....(Un ami a mis sur son site un résumé de cette longue réfexion: Deschamps, artiste peintre.....)

comme Reverdy, il aimait, le silence, la nature, Dieu: l'univers sonore était la porte du rêve menant à la Beauté, à Dieu....la beauté de la langue française ajoute encore à l'intérêt de toutes ces pages...

jcp

Écrit par : jean-claude pichaud | 26/07/2009

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