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30/01/2009

Pierre Reverdy (2)

Je reviens encore une fois à Reverdy dans une approche cette fois plus biographique. Il est né à Narbonne en 1889 et a fait ses études à Toulouse. De là il « monte » à Paris avec la ferme intention de se consacrer aux lettres. Il est introduit dans le milieu parisien par un ami peintre, qui lui fait connaître Picasso et il rencontre peu après Apollinaire et Max Jacob. Comme il travaille comme correcteur dans une imprimerie, il en profite pour imprimer ses propres poèmes, lesquels seront illustrés comme il se doit par Picasso. Il collabore également à une revue fondée par Apollinaire.

Ici, il convient donc se poser la question que je me suis souvent posée pour d’autres écrivains ou d’autres peintres. Quand nous relisons la biographie de ces artistes, nous apprenons souvent qu’ils entretenaient, au début de leur carrière, des relations sociales ou même amicales avec les célébrités du moment. Reste la question insoluble (et sans doute sans intérêt) de savoir si ce sont ces relations qui les ont « lancés » ou si c’est leur génie propre qui a fait qu’ils ont été remarqués et compris par leurs aînés à une époque où ils n’avaient encore rien produit (ou alors des choses insignifiantes). Un peu les deux sans doute. Ils avaient tellement conscience de la force créatrice qu’ils avaient en eux qu’ils n’hésitaient pas à monter à la capitale, où leurs conditions de vie étaient souvent précaires. En prenant de tels risques, cependant, ils ont pu se mettre dans les conditions idéales pour promouvoir leur carrière. Si Reverdy s’était replié sur Narbonne après ses études, que serait-il devenu ? Déjà, il n’aurait pas eu l’occasion d’imprimer gratuitement ses premiers poèmes ou alors ceux-ci auraient eu une répercussion beaucoup moins importante. Si Verlaine n’avait pas eu les penchants homosexuels qu’on lui connaît, se serait-il autant intéressé à Rimbaud ? Si Proust n’avait pas eu des relations pour influencer le jury du Goncourt, qui parlerait encore aujourd’hui de la « Recherche » ? Pourtant si nous sommes tous d’accord pour dire que Rimbaud et Proust méritent assurément leur gloire, l’idée ne nous effleure jamais que leur nom aurait pu ne jamais parvenir jusqu’à nous. Il y a donc toujours une part de chance dans toutes les entreprises humaines, y compris dans la consécration des plus grandes œuvres. Le hasard restera toujours un élément important.

Ce fut par exemple le cas pour ces vers d’Ovide qui viennent d’être retraduits par Marie Darrieusecq sous le beau titre de « Tristes Pontiques ». Le poète est en exil dans le Pont Euxin et il n’a plus que l’écriture pour survivre au milieu des « Barbares ». Ces textes sont donc comme une véritable bouteille lancée à la mer et il ne se doutait sans doute pas qu’ils arriveraient jusqu’à nous, pour nous toucher d’une manière incroyable car on n’a jamais vu quelqu’un pour qui l’acte même d’écrire était aussi primordial puisque sa survie mentale et physique en dépendait. Pourtant, en toute logique, jamais ces vers n’auraient dû nous parvenir. Il s’agit de lettres (en vers) adressées à des correspondants différents et qui étaient confiées aux rares bateaux en partance pour Rome. Il fallait déjà que la lettre atteigne son destinataire. Il fallait ensuite que quelqu’un puisse les rassembler toutes afin de reconstituer les deux recueils (« Tristes » et « Pontiques »). Il fallait enfin que ceux-ci traversent les siècles et passent au travers des invasions barbares, des guerres et des incendies. Il fallait encore qu’un éditeur veuille bien remettre les lettres latines à l’honneur. Bref, il fallait beaucoup de conditions…

Bon, tout cela nous éloigne un peu de Reverdy…

En 1917, celui-ci crée la revue Nord-sud. Il ne faut pas voir dans ce nom une allusion à la langue d’oc et à la langue d’oïl, mais simplement à la ligne de métro qui relie Montmartre à Montparnasse. On retrouve dans cette revue des textes de notre poète, bien entendu, mais aussi d’Apollinaire, de Max Jacob et des futurs surréalistes comme Breton, Tzara, Soupault et Aragon.

En 1926, Reverdy se convertit au catholicisme et s’installe avec sa femme à Solesmes, dans une rue près de l’abbaye. Il ne quittera plus ce lieu, sauf pour de brefs voyages à Paris liés à ses publications.

Remarquons qu’il ne fut pas le seul à se convertir de la sorte, au point qu’on peut se demander s’il n’a pas existé chez certains intellectuels une sorte de mode à se tourner vers la religion, peut-être par réaction envers une société qui se laïcisait radicalement. Ainsi, on pourrait citer Claudel, Péguy, Paul Bourget, Jacques Copeau, Jacques et Isabelle Rivière, Max Jacob et jean Cocteau.

"En allant à Dieu, on perd toute illusion sur soi pour gagner une vue sur son être réel",
dira Reverdy.

Maintenant, on comprend, en lisant ses poèmes, que Reverdy ne devait pas se sentir à l’aise dans un monde qu’il trouve froid et distant. Rien d ‘étonnant donc, à ce qu’il ait cherché une voie qui le satisfît dans le domaine spirituel. Mais alors ses poèmes devraient être imprégnés de cette confiance retrouvée et éclairés de cet amour divin, or personnellement je n’y vois qu’une distance par rapport à un monde froid et incompréhensible. Ou alors en écrivant il n’a fait que démontrer à quel point il était en dehors de ce monde terrestre, pour lui incompréhensible et sa recherche personnelle et son cheminement auraient été tout intérieurs et tournés vers la foi et l’apaisement. En tout cas cela n’apparaît pas de manière évidente dans ses poèmes, mais je ne suis certainement pas un spécialiste de ces questions de foi et laisse les commentateurs plus compétents que moi sur ce sujet donner leur avis éclairé.

Il reste que l’abbaye de Solesmes est un haut lieu du chant grégorien et que c’est à ce titre que je la connais. Rien de plus envoûtant que ces chants monotones et gutturaux qui, sur le plan musical, parviennent à créer des équilibres et des architectures sonores époustouflants. Recherche d’harmonie donc, à partir du chaos, recherche du bonheur à partir du néant. Peut-être était-ce cela que Reverdy aimait à Solesmes ? Une manière pour l’être intérieur d’exprimer sa joie devant la création tout entière. Ou mieux : une manière de créer la joie en permettant à l’individu de dépasser l’étroitesse de son moi et de sa condition physique pour atteindre à une harmonie beaucoup plus vaste et pour ainsi dire cosmique.

Dommage que ce que je ressens en écoutant du grégorien, je n’en trouve pas vraiment la trace dans les poèmes de Reverdy. Il y a chez lui davantage d’angoisse que de sérénité et cette angoisse n’est pas exprimée humainement (avec des cris de désespoir ou de révolte par exemple) mais simplement retranscrite comme un constat. Un constat glacial qui fait froid dans le dos.





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Abbaye de Solesmes

28/01/2009

Pierre Reverdy

J’ai lu l’autre jour le poète Pierre Reverdy, que je n’avais jamais lu. Il s’agissait du recueil « Main d’œuvre », qui reprend des textes de 1913 à 1949 et qui est publié dans la collection Poésie-Gallimard. Ce livre fait tout de même 557 pages, ce qui devrait suffire pour se donner une idée de la production de l’auteur.

Et bien, moi qui adore la poésie, je dois avouer que pour une fois je ne suis pas parvenu à me trouver véritablement en harmonie avec l’auteur. Ce n’est pas que je ne comprenne pas ce qu’il dit, mais je n’arrive pas vraiment à partager son point de vue, comme s’il avait une sensibilité différente de la mienne.

En fait, ce qui m’effraie, c’est un peu cette absence de sensibilité. C’est comme si l’auteur contemplait le monde de l’extérieur, sans jamais parvenir à trouver un point de contact entre lui et ce monde. Il semble y avoir toujours une distance entre son être intime et la réalité qu’il décrit, comme si celle-ci était inaccessible. Souvent les écrivains parlent de la difficulté à retranscrire par l’écriture ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont éprouvé. Ici, ce n’est pas vraiment cela. C’est plutôt comme si le monde était situé à distance et ne se laissait jamais saisir. Le poète donne un peu l’impression d’être un fantôme qui se promènerait dans un univers étrange, incompréhensible et qui ne le concernerait en rien.

Un poète comme Jaccottet, que j’adore, parle aussi de la difficulté à saisir le réel, mais il parvient tout de même à en percevoir une partie et même à nous relater son expérience par la magie de mots. Jaccottet semble nous dire qu’il n’a pas pu exprimer tout ce qu’il avait ressenti et qu’il n’a pas pu percevoir tout ce que le réel contenait comme nuances, mais ce qu’il nous donne à voir est déjà beaucoup. Ici, avec Reverdy, j’ai l’impression inverse, comme si le poète avait fait le constat une fois pour toutes que le monde extérieur lui était étranger et qu’il répétait ce message à l’infini, dans des centaines de poèmes qui sont tous finalement un peu les mêmes. Si on voulait s’exprimer autrement, on pourrait dire que Reverdy a compris que le monde n’était fait que de matière inerte et froide, sans rapport aucun avec notre sensibilité d’homme (et de femme, bien entendu) et qu’il était vain d’en attendre quelque chose. Sa poésie se veut donc un constat de cette froideur et de cette indifférence du milieu dans lequel nous vivons.

Mais il va plus loin, car les êtres humains qu’ils croisent sur sa route semblent eux aussi appartenir à ce même monde extérieur et incompréhensible, ce qui, j’avoue, me met assez mal à l’aise. Il n’y a pour ainsi dire aucun personnage dans ses poèmes ou alors ce sont de simples ombres qui passent ou bien encore une simple tête penchée à une fenêtre (un peu comme un objet détaché du corps).

On retrouve par exemple des formules comme :

« Quelqu’un vient »
« Ceux qui sont autour n’ont encore rien dit »
« Il y a toujours quelqu’un qui regarde »
« En haut une tête se penche
»

Donc, ces êtres humains ressemblent finalement plus à des objets qu’à des êtres faits de chair et de sentiments. Le poète pourrait s’effrayer de sa solitude, perdu qu’il est au milieu d’un monde aussi hostile, mais non, il se contente de dire cette réalité d’un ton neutre et détaché. C’est cela, je crois, qui ne me plait pas trop chez lui. On aurait envie de le voir hurler ou même pleurer devant sa solitude mais il reste impassible, voulant sans doute, par cette attitude, dire précisément tout son malheur, mais donnant du même coup une impression de froideur à ses poèmes.

On croise des femmes, pourtant dans ses écrits. Enfin quelques-unes, pas beaucoup. Mais, il n’y a pas de sentiment non plus quand Reverdy évoque leur existence. Il s’agit chaque fois d’amours qui auraient pu exister mais qui ne se sont pas concrétisées ou bien d’amours qui sont déjà terminées. Autrement dit, une nouvelle fois, ces femmes se retrouvent à la même place que les objets et la matière : mises à distance, désormais inaccessibles, elles n’appartiennent pas au monde du poète. A vrai dire on en est peiné pour lui.

Je le rejoins plus dans les quelques poèmes où il exprime enfin autre chose que le vide qui l’entoure et où il semble enfin prendre conscience de sa solitude (mais ils sont rares, ces poèmes) :

« je suis seul sur la lèvre tremblante du rivage
Seul sur le roc glissant des fièvres de la mort
."

Mais s’il revendique un instant le fait qu’il soit vivant, c’est pour nous faire comprendre que tout cela est éphémère puisque la mort est proche. Finalement, être de passage dans un monde minéral indifférent, il va bientôt lui-même atteindre l’immortalité privée de sens des pierres.
En fait, en exagérant un peu, on irait presque jusqu’à dire qu’il éprouve du dégoût pour ce qui l’entoure, que ce soit le ciel et les étoiles ou encore les champs et les forêts (alors que chez Jaccottet, les mêmes réalités semblaient détenir un secret qu’il nous appartenait de découvrir).

Pour illustrer mes propos, voici un poème de Reverdy, dans lequel on perçoit bien le monde glacé dans lequel il vit :


Poème


La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.


Reverdy, Poème, in Sources du vent, 1929, repris dans « Main d’œuvre », page 134



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