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21/01/2009

La Montagne Sainte-Victoire

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Il est des lieux, comme cela, qui appartiennent de plein droit à la culture. On les connaît sans les avoir jamais vus et le jour où on les voit, c’est moins leur réalité que l’on découvre que l’œuvre d’art qu’ils finissent par représenter à nos yeux. Un lieu comme Venise, par exemple, décrit par de nombreux écrivains, appartient assurément à notre imaginaire collectif. Difficile de s’y rendre sans penser à Goldoni, l’enfant du pays, à Georges Sand et à ses amours avec Musset, à Rilke, qui y séjourna souvent ou encore à Casanova qui se morfondit dans ses prisons avant de parvenir à s’en échapper.

En France, il y a Paris, bien entendu (comment visiter Notre-Dame sans penser à Hugo et à Esméralda ?), mais aussi des sites naturels. Maurice Barrès, dans sa « Colline inspirée » cherche le sacré dans de tels lieux et y voit comme l’essence même de la France :

"Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse. L'étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son gave rapide; la plage mélancolique d'où les Saintes-Maries nous orientent vers la Sainte-Baume; l'abrupt rocher de la Sainte-Victoire tout baigné d'horreur dantesque, quand on l'aborde par le vallon aux terres sanglantes; l'héroïque Vézelay, en Bourgogne; le Puy de Dôme; les grottes des Eyzies, où l'on révère les premières traces de l'humanité; la lande de Carnac, qui parmi les bruyères et les ajoncs dresse ses pierres inexpliquées ; la forêt de Brocéliande, pleine de rumeur et de feux follets, où Merlin par les jours d'orage gémit encore dans sa fontaine ; Alise-Sainte-Reine et le mont Auxois, promontoire sous une pluie presque constante, autel où les Gaulois moururent aux pieds de leurs dieux ; le mont Saint-Michel qui surgit comme un miracle des sables mouvants; la noire forêt des Ardennes, toute inquiétude et mystère, d'où le génie tira, du milieu des bêtes et des fées, ses fictions les plus aériennes ; Domremy enfin, qui porte encore sur sa colline son Bois Chenu, ses trois fontaines, sa chapelle de Bermont, et près de l'église la maison de Jeanne. Ce sont les temples du plein air. Ici nous éprouvons soudain le besoin de briser de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière."

Bon, Barrès, avec son patriotisme qui prépare la guerre de 14-18 et sa symbolique religieuse, nous semble un peu dépassé aujourd’hui. Ainsi, quand il parle de la montagne Sainte-Victoire, il n’y voit qu’une « horreur dantesque » alors que pour nous ce massif évoque d’abord la peinture et semble indissociable de l’histoire de l’impressionnisme. La première fois que je l’ai vue, à partir de l’autoroute, il m’a d’ailleurs semblé rouler dans un tableau de Cézanne. Difficile en effet de ne pas contempler ce massif sans penser aux nombreux tableaux que ce peintre en a faits.


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Image Internet









Située à l’Est d’Aix-en-Provence, la montagne Sainte-Victoire s’appelle en réalité en occitan le Mont Venturi, autrement dit la montagne de la victoire. De quelle victoire parle-t-on ? Probablement de celle de 102 avant JC, que remporta Caïus Marius et ses légions romaines sur les Cimbres et les Teutons. Certains linguistes pensent cependant que l’origine du nom serait plus lointaine et que les Celto-Ligures qui occupaient le pays 1000 ans avant l’arrivée des Romains appelaient déjà cette montagne le « Vintour », en faisant allusion au vent que l’on rencontre à son sommet (voir aussi l’appellation « Ventoux »).

Ce qui est sûr, c’est que cette montagne a été sanctifiée au Moyen Age et qu’elle porta alors le nom de Sainte Venture. Une chapelle fut d’ailleurs construite à son sommet au XIII° siècle, m’apprend Google qui en sait plus que moi. Au XVII° siècle on a francisé le nom provençal et le massif s’est donc appelé Ste Victoire. Tout étant religieux au Moyen Age, citons encore, non loin de là, le massif de la Sainte Baume (d’après le provençal « baume », qui signifie grotte et qui remonte à une légende selon laquelle Marie-Madeleine, qui aurait débarqué aux Saintes-Maries-de-la-Mer et qui aurait ensuite évangélisé la Provence, se serait retirée dans une grotte de ce massif).

Mais revenons à notre Sainte Victoire. Ce massif de 6 525 ha est classé depuis 1983. Selon une étude par satellite, il serait toujours en train de grandir (7mm par an, ce qui n’est pas rien quand on est une montagne et qu’on a l’éternité devant soi). En outre, on y a découvert des œufs de dinosaures. En 1850, un barrage fut construit par… Zola, le père de l’écrivain. Ses eaux, malheureusement ne permirent pas d’éteindre l’incendie qui ravagea le versant Sud en 1989.

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Notons encore qu’au pied du versant Nord se trouve le village de Vauvenargues, célèbre pour son château, qui appartenait aux archevêques d' Aix, puis à la famille de Clapiers, dont le plus célèbre représentant est Luc de Clapiers, autrement dit l’écrivain Vauvenargues. Celui-ci était né à Aix mais il a séjourné dans ce château (que Louis XV avait élevé au marquisat pour services rendus pendant la grande peste de 1720 par Joseph de Clapiers, le père de Luc)

En 1958, ce château devint la propriété du peintre Pablo Picasso qui voulait se rapprocher des lieux peints pas Cézanne, qu’il admirait. Selon ses vœux, il a été enterré dans le parc du château. Pour les heureux et heureuses qui habitent la Provence, signalons qu’une exposition Picasso est prévue à Vauvenargues durant l’été 2009.


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Evidemment, parler de la Montagne Ste Victoire, c’est parler de Cézanne, l’enfant du pays (il était né à Aix). Il la peignit un très grand nombre de fois, dans un geste répétitif, comme pour tenter désespérément d’en atteindre l’essence. Cette manière de peindre cent fois le même sujet fait penser à Monet avec ses Nymphéas ou sa cathédrale de Rouen ou bien encore aux natures mortes de Picasso. On dirait que le peintre veut atteindre l’âme du sujet traité mais, en allant de plus en plus loin dans son étude, il semble perdre ce sujet lui-même car c’est chaque fois une autre Ste Victoire que Cézanne nous propose ou une autre cathédrale que Monet nous donne à voir. L’angle de vue a changé, les conditions météorologiques aussi, la lumière est différente, le regard du peintre lui-même n’est plus le même.

Bref, dans cette tentative désespérée de rendre le réel, l’artiste s’essouffle en rendant compte de détails qui sont à chaque fois autres. Il a beau s’acharner à reproduire ce qu’il voit, les tableaux sont toujours différents, ce qui l’amène à recommencer encore et encore, dans un travail sans fin qui s’annule lui-même puisque la dernière toile semble contester la précédente. Nous touchons là l’essence même de l’art et son impossibilité à dire quoi que ce soit. Tout n’est qu’approche imparfaite, approximation, vague rendu de ce qui existe et qui demeure insaisissable. On comprend dès lors qu’un peintre comme Van Gogh soit devenu à moitié fou, tant cette tentative obsessionnelle de saisir le réel reste finalement décevante. Cela me fait penser aussi au poète Jaccottet et à son malaise pour dire l’indicible.



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En fait Cézanne comme Monet sont engagés dans une course au détail (rendre la lumière sur telle partie de la Montagne ou de la cathédrale) qui finit par leur faire négliger l’ensemble. L’objet peint finit par disparaître au profit d’un détail qui est à chaque fois changeant (la lumière ou le point de vue ont été modifiés). On pourrait encore dire qu’ils tentent de rendre leur sujet en se plaçant dans des conditions différentes pour l’aborder (angles de vue, etc.), croyant par ces approches variées parvenir finalement à l’exprimer pleinement. Hélas, Cézanne pourrait continuer à peindre ses Ste Victoire à l’infini, il ne parviendrait jamais à dire ce qu’est la Ste Victoire.

Nous-mêmes, quand nous visitons un lieu, nous ne sommes jamais dans les mêmes dispositions d’esprit. Prenez une forêt. Un jour vous êtes sensible à son calme, un autre jour au bruit des feuilles, puis à la masse noire ou bleue formée par l’ensemble, quand vous n’êtes pas attentif à la musique des frondaisons ou à la forme majestueuse des troncs centenaires. C’est qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, les philosophes grecs de l’Antiquité le savaient bien.

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Cézanne, en tentant de peindre cette Ste Victoire qui lui échappe sans cesse, essaie surtout de nous faire passer ses sentiments à lui. La montagne n’est finalement qu’un prétexte. Ce qu’il veut nous dire et nous communiquer en peignant, c’est l’émotion qu’il a ressentie devant elle et qu’il n’arrive jamais tout à fait à exprimer. C’est que l’artiste, comme tout être humain, est seul, enfermé dans cette solitude de son corps et de ses sentiments qui fait que chacun de nous est unique et que ce qu’il ressent au plus profond de lui, il a bien du mal à le communiquer aux autres, lesquels, à leur tout, ont bien du mal à le comprendre. La Ste Victoire pour Cézanne devient aussi complexe qu’une femme dont il serait amoureux et dont il tenterait en vain de nous révéler la perfection. Mais la Montagne reste inaccessible, grande et fière dans le beau ciel de Provence. Il n’empêche, quand nous la contemplons, nous ne pouvons pas la voir sans penser à Cézanne, dont elle est devenue le symbole. Quelque part, c’est tout de même avec ses yeux que nous la voyons. Elle n’est plus pour nous un simple amas rocheux, mais un paysage fait de courbes et de lumières, un paysage bien connu par les tableaux que l’on a contemplés (enfant dans les dictionnaires déjà, puis plus tard dans des expositions). La Sainte Victoire n’est plus une montagne, elle est devenue un personnage de culture et c’est à Cézanne que nous le devons, lui qui a su nous transmettre son amour pour cette belle dame de Provence.

Mais il n’y a pas que les peintres qui ont été séduits par la Ste Victoire. Jacqueline de Romilly, de l'Académie Française, possède une maison à proximité et je me souviens d’un article poignant du journal le Monde dans lequel elle expliquait son désespoir quand elle s’était rendu compte, arrivant en Provence après un long séjour à Paris, que de sa fenêtre elle ne pouvait plus apercevoir sa montagne préférée (ave l’âge elle devenue presque aveugle). Mais en se munissant de jumelles, elle était quand même parvenue à en saisir des bribes, alors elle avait su qu’elle était vraiment revenue en Provence.

Notons que l’historien Georges Duby, de l'Académie française et Edmonde Charles-Roux, de l'Académie Goncourt ont aussi habité dans les environs.


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Commentaires

ah combien ta note me parle aujourd'hui ... Cézanne un de mes peintre préférés . Tant d'émotions dans sa peinture... Tant de beautés insaisissables.... Je ferme les yeux, je sens les rayons du soleil sur mon visage , la lumière qui tente de percer mes paupières.... Le feu de l'été , le souffle du Mistral ... Les senteurs des pins, du romarin.... L'azur du ciel qui laisse s'envoler l'imagination vers l'infini ...
Merci Feuilly , tu as réveillé mon âme de Provençale....

Écrit par : Débla | 21/01/2009

Merci pour ce bel hommage en l'honneur de "cette belle dame de Provence" que j'ai la chance de pouvoir contempler à loisirs maintenant.

Oui Ste Victoire est bien une entité dans la région, et elle l'était peut-être même avant que Cézanne ne la rende à jamais célèbre dans le monde entier.

Je me souviens, alors que j'avais une vingtaine d'années, l'avoir parcourue au cours d'une randonnée partant du Vaucluse pour finir à Cassis par le GR 9. Nous avions dormi dans la chapelle dont vous faites allusion bien que cette dernière n'avait rien d'autre à offrir que son toit, ses murs et sa faible porte. Nous étions partis au petit matin car même en septembre, la journée menaçait d'être plus que chaude et il n'y a pas d'eau sur Ste Victoire.
Nous avons fait toute la traversée dans la journée pour arriver après une descente fastidieuse et brûlante dans le petit village de Puyloubier vers 15H00, complètement morts de soif (et pourtant nous avions prévu mais...). Un vieux du village qui méditait sur son banc en compagnie de ses amis s'exclama avec son accent chantant en nous voyant :

- " té, en voilà qui viennent de faire Ste Victoire ! "

Écrit par : Cigale | 22/01/2009

Je ne savais pas, Cigale, que j'entrais ainsi dans vos souvenirs avec ce texte.
C'est bien, cela de faire les GR. Je les emprunte souvent en vacances, mais sans jamais dormir sur place. Dommage, cela me plairait bien.

Écrit par : Feuilly | 22/01/2009

Ah, Cézanne et la Saint-Victoire, c'est comme Peguy et Chartres, un corps à corps sans fin, et nous sommes invités à regarder ou à comprendre ce qui se déroule entre l'artiste d'un instant et le "monument" qui demeure, et de tisser aussi notre propre passage; et en effet, on ne peut aimer un paysage ou un pays sans beaucoup de littérature ni beaucoup de peinture. Merci, Feuilly, pour ce beau billet plein de Provence.

Écrit par : solko | 22/01/2009

Excusez moi de vous diriger par mégarde vers le lien d'un blog ami que j'ai gardé en mémoire (rues de lyon)

Écrit par : solko | 22/01/2009

La même obsession et la même impossibilité à se saisir des lieux et des choses se lisent chez l’écrivain-poète Nicolas Pesquès, grand admirateur de Cézanne. Pesquès se livre depuis de très nombreuses années au difficile et inépuisable travail de relecture, d'approche, de contournement, d'écriture de la colline Juliau en Ardèche. Et déploie toutes sortes de stratégies pour tenter d’en appréhender les formes et les couleurs ; mais pas seulement, bien au-delà, l’esprit de la colline Juliau. Si tout le monde connaît la Sainte-Victoire, nul ne connaît la colline Juliau de Pesquès. Rien dans sa physionomie extérieure qui vaille le déplacement. Rien non plus dans son passé qui marque, si ce n’est que Jules César, de passage dans ces contrées, y aurait établi un camp provisoire (et oublié). Rien qui vaille que l’on s’y acharne. Pourtant le poète lui consacre sa vie. Sa vie d’écrivain. Six recueils ont déjà été publiés chez André Dimanche, éditeur marseillais. Le septième et le huitième pointent leur nez. La Face Nord de Juliau (le premier tome est épuisé), la seule qui intéresse le poète puisque c'est la seule qu'il voit, est-elle en passe d’être dévoilée? C’est peu probable. L’écriture poétique a moins de chance de s’imposer que l’art pictural et la colline Juliau retombera un jour dans l’oubli dont la tire provisoirement Nicolas Pesquès. Reste le poète. Habité par son obsession, Nicolas Pesquès continue d’interroger l’écriture. Inlassablement. Et de mettre au point une méthodologie, une rhétorique, qui lui permettent, d’un recueil à l’autre d’aborder Juliau sous un angle d’approche différent. Y compris, dans La Face Nord de Juliau, VI, celui de la peinture. Un travail d’écriture qui vise à rejoindre l’abstraction. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La colline, là aussi, n’est qu’un prétexte. Écrire relève de l’essentiel, bien qu’éternel tourment.
Cù amicizia,
Angèle

Écrit par : Angèle Paoli | 24/01/2009

Je ne connaissais pas du tout cet auteur et encore moins sa démarche. Intéressant. Je viens de regarder sur Internet et cela donne envie de le découvrir.

Le mont Juliau se trouve à côté d'Alba la romaine, entre Montélilmar et Aubenas. Rien d'exceptionnel en effet, d'après les photos (ce n'est pas la haute Ardèche et on est près du Rhône).

Cette recherche obsessionnelle pour cerner la réalité (ou ce que l'on a envie de dire sur cette réalité) est fascinante. Merci Angèle pour ce partage.

Écrit par : Feuilly | 24/01/2009

J'ai fait la même chose, j'ai cherché sur le Net et il y a un très bel article d'Emmanuel Laugier du Matricule des Anges sur "La Face nord de Juliau, trois, quatre". Et Nicolas Pesquès en est au VI si j'ai bien lu ce qu'écrit Angèle.
Votre texte, Angèle Paoli, donne vraiment envie de lire Nicolas Pesquès.
J'avais pensé moi, en lisant "La Montagne Sainte-Victoire", de Feuilly, à un autre auteur, Claude Simon, à qui il se trouva quelqu'un pour faire remarquer qu'après avoir raconté à trois reprises ce qui constitue la scène primitive de son oeuvre, la débâcle du printemps quarante, il n'allait pas remettre ça tout de même. Claude Simon répondit qu'après l'écriture il y a encore de l'écriture et il remit ça, dans "Le Jardin des Plantes".

Écrit par : michèle pambrun | 25/01/2009

Je me permets d'ajouter que je souscris pleinement à ce que dit Solko :
"On ne peut aimer un paysage ou un pays sans beaucoup de littérature ni beaucoup de peinture."

Et j'ajouterai, on ne peut que lire les auteurs si bien portés par leurs lecteurs. Pour ne citer que les interpellations les plus récentes, Nicolas Pesquès avec Angèle Paoli et Henri Béraud (reprise) avec Solko.

Écrit par : michèle pambrun | 25/01/2009

En effet, les Celto-ligures habitaient la Provence. J'ai visité une grotte ligure il y a bien longtemps, tout près de Montmajour. Il y avait des inscriptions ou dessins, creusés dans le roc et une main.

Il y a aussi qu'en peinture, on se concentre sur un sujet et on l'exploite jusqu'à ce qu'on sente qu'on en a tout retiré. Ce n'est pas une initiative désespérée, c'est ainsi. Andrew Wyeth et sa suite Helga. Morandi et ses natures mortes.

C'est ce qu'on nous apprend à l'école aussi. Des esquisses et des esquisses avant de se lancer dans les tableaux et les compositions, avec des matériaux différents, pastel, crayon, aquarelle, peinture, tempera, tout ce qu'on peut imaginer, on peut ainsi aller de l'imagerie fidèle à l'abstraction géométrique par exemple (voir l'évolution de Mondriaen et de Picasso).

D'où l'intérêt des expositions retraçant un thème, un artiste, Picasso et les maîtres à Paris, plus modestement, Constantin Meunier à Séville au musée d'art ancien (récemment), c'est absolument passionnant.

L'artiste n'est pas toujours un être déchiré. Parfois oui, parfois en colère quand ça ne vient pas comme il veut. Parfois, on peut démolir un tableau et la fois suivante, le rattraper.

Ce qu'il y a de tout à fait caractéristique quand on peint, c'est qu'on ne réfléchit pas, ou alors, on réfléchit sans s'en rendre compte et encore, il y a des accidents qui sont des coups de génie. On est entièrement et totalement dans l'acte de peindre, dans cet acte physique et c'est une des choses que j'aime profondément dans la peinture.

Depuis, ma vision du monde a changé totalement...

Écrit par : Pivoine | 28/01/2009

Il doit y avoir un côté travail manuel dans la peinture qu'il n'y a pas dans l'écriture. Mais aussi la satisfaction de contempler ce qu'on a réalisé et qui n'existait pas l'instant d'avant. Un livre, il n'existera que par les yeux des lecteurs futurs.

Écrit par : Feuilly | 28/01/2009

Bonjour Feuilly,


Votre évocation de La Montagne Sainte Victoire m'a interpellé en tant qu'alpin et imagier plasticien de l'ère numérique.

Alpin parce que c'est la dernière vraie montagne que l'on rencontre, venant de la région lémanique, parcourant le bassin rhodanien, descendant en Méditerranée laissant derrière soi les Alpes de Haute Provence, ou en montant la Provence depuis la Cité Phocéenne à la rencontre des Alpilles à sa gauche et du Lubéron sur sa droite.

C'est un point de rencontre entre le continent et la mer, un point où nous nous arrêtions tous dans les années soixante quand la mode chez nous en était aux virées en bagnoles à trois ou quatre, pour deux ou trois jours, en Provence ou sur la Côte.

Nous appréciions rester une nuit dans un petit hôtel autour de La Montagne dont nous foulions le lendemain la roche calcaire qui nous rappelait celle connue et attachante de notre Jura natal. Monstre figé à la rencontre éternelle de toutes ses cadettes de Méditerranée, elles sans cesse recommencées, de profil La Sainte Victoire ressemble à une vague en plein élan, juste avant sa cassure, comme le profil de nos dents jurassiennes dont celle de Vaulion que j'ai conquise et surfée des centaines de fois au cours de ma vie.

Une des passions de notre bande d'amis était la pratique assidue de la chasse aux images des espèces peuplant nos alpes valaisannes. Les moeurs des bouquetins, chamois, marmottes, choucas n'avaient pour finir plus de secret pour nous et nous avions découvert avec les aigles un sujet difficile à capter à la hauteur de nos ambitions.

La renommée des aigles des baux de Provence, des Alpilles et du Baou des Aigles de la Sainte Victoire était parvenue jusqu'à nous. Délaissant les hivers rudes de nos glaciers, nos tours et nos dents, c'est tout naturellement qui nous nous mîmes à parcourir La Montagne qui nous accueillait tempérée même en hiver et sa lumière ainsi que la pureté de son air nous avait séduit.

Souvent bredouilles, nous sommes rentrés de nos campagnes de chasse aux images aiglonnes, l'aigle étant très difficile à approcher et les possibilités de caches plus rares à Sainte Victoire que dans nos Alpes. Je me souviens de quelques Bivouacs dans des nuits de février-mars, au sommet dans un prieuré à moitié en ruine mais accueillant les amateurs d'aube méditerranéenne.

Et c'est en évoquant la pureté des couleurs de ces aubes que j'en viens à ma rencontre avec les peintres de la couleur et de la lumière que sont Cézanne et Monet.

Pour mon travail de photographies couleurs, je me suis beaucoup inspiré des écoles de l'impressionisme, du fauvisme, du symbolisme et de 4 peintres que j'aime beaucoup, Dufy, Turner, Cézanne et Charles Gleyre.

Les écrits de Dufy sur son travail concernant le rôle de la couleur et de la lumière dans ses oeuvres m'ont beaucoup séduit je vous en donne ici deux extraits que je garde toujours sous la main tant je les trouve précis et judicieux:

Raoul Dufy:

« Je pense que la peinture a pour but, en empruntant à l’apparence et à la réalité, de traduire les choses de l’imagination ; elle tend naturellement à la poésie, la ligne est la pensée et la couleur son verbe.

J’aime mieux la peinture quand elle vous mène dans le monde des lignes et des couleurs que quand elle prétend nous décrire ce qui est immédiatement sous nos sens…

Peindre, c’est faire apparaître une image qui n’est pascelle de l’apparence des choses, mais qui a la force deleur réalité »...

...."" A suivre la lumière solaire, on perd son temps. La lumière de la peinture, c’est tout autre chose, c’est une lumière de répartition, de composition, une lumière couleur…

Quand je parle de la couleur, il est bien entendu que je ne parle pas des couleurs de la nature, mais des couleurs de peinture, des couleurs de notre palette, qui sont les mots dont nous formons notre langage de peinture…

Ne croyez pas que je confonde la couleur avec la peinture, mais comme je fais de la couleur l’élément créateur de lumière, ce qu’il ne faut jamais oublier, la couleur par elle-même n’étant rien à mes yeux que génératrice de lumière, on voit qu’elle est dans ce rôle avec le dessin, le grand bâtisseur de la peinture, le grand élément…

La couleur réduite au coloriage est bonne pour les images et ne peut donner de satisfaction picturale réelle, ni profondes, ni brillantes.""


Cher Feuilly,

Bien sûr un photographe de la couleur, contrairement au peintre ne peut pas trop s'éloigner de la lumière solaire et des ombres qui l'accompagnent, mais il doit lui aussi composer sa part de lumière et sa part de couleur. Il peut le faire dans son choix des sujets, il peut aussi utiliser la palette extraordinaire mis à sa disposition par les outils techniques du numérique.

Grâce au numérique le photographe de la couleur a pu enfin se libérer de la dictature de la simple reproduction du réel et introduire sa propre part d'interprétation.

La différence profonde pour le photographe couleur par rapport au peintre reste ce qu'on peut appeler l'urgence de l'instant et l'instinct du cadrage et de l'angle de vue.

Le plus important est l'urgence de l'instant qui est lié pour moi à la perception de la lumière, de ce qu'elle provoque dans l'instant et ce qu'elle va composer dans les instants suivants. Ce terrain est pour moi le plus difficile car il fait partie de l'acuité de nos sens visuels mais pas uniquement.

Il faut aussi être capable de gestes décisifs, comme en peinture il y a des gestes décisifs dans les divers techniques d'apposition des couleurs. En photographie couleur, cette capacité de s'imposer sur l'instant est décisive. Mais le temps du photographe n'est pas celui du peintre.

Pour le photographe il y a urgence et ce sens de l'urgence est décisif. Je vous raconterai une petite anecdote sur Jean Luc Godard. Préparant un de ses films, je crois que c'est Passion, où il traite de de la question de la peinture et de la lumière en rapport au cinéma et à la lumière.

Godard est sur une autoroute. Il décide de s'arrêter avec son équipe pour faire un plan sur un paysage parce qu'il trouve la lumière à cet instant parfaite pour ce qu'il veut exprimer.

On stoppe les véhicules sur la bande d'arrêt d'urgence et on commence à filmer.
Sur ce survient une patrouille de police dont les agents donne l'ordre à Godard de cesser de tourner et de rejoindre le traffic étant donné qu'une bande d'arrêt d'urgence est prévue pour les urgences et pas pour faire du cinéma.

Godard continue à filmer tout en expliquant au agent, pourquoi il s'est arrêté, pourquoi la lumière c'est l'urgence, et pourquoi la bande d'arrêt d'urgence est totalement appropriée à ses besoins de cinéaste roulant sur l'autoroute en quête d'un plan...

L'anecdote ne dit pas si le cinéaste finit au poste mais je la trouve jolie ainsi.

La lumière c'est l'urgence de l'artiste photographe ou cinéaste....quelque soit l'avis des gendarmes.

Bien sûr je me suis éloigné de notre sujet de Cézanne et de la Sainte Victoire, mais pas tant que cela je crois...de toutes façons si je suis là c'est aussi et surtout pour vous faire un salut amical après toutes les émotions que nous avons vécues ensemble ces trois premières semaines de janvier 2009.

Salut amical. Philippe Seelen.

Écrit par : Philip Seelen | 31/01/2009

@ Philippe

Bivouacs dans un prieuré à moitié en ruine ? Celui dont parlait Cigale dans le deuxième commentaire ?
Décidément tous mes lecteurs ont pour habitude de dormir sur la Sainte Victoire... Cela prouve au moins qu’ils recherchent des émotions fortes.

Pour le photographe, tout est en effet dans l’urgence et dans le cadrage. Et pour les couleurs, il faut surtout capter celles qui existent. Parfois certains moments éphémères permettent de les sublimer (en espérant qu’il n’y ait pas de gendarmes pour interdire la prise de vue, comme pour le pauvre Godard).

Merci pour le salut amical. Il m’avait semblé, justement, que la lumière de la Ste Victoire nous sortirait un peu de la fumée noire des incendies de Gaza. Pas pour oublier, mais pour parler aussi de la beauté du monde.

Écrit par : Feuilly | 31/01/2009

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