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08/01/2009

Religion et société (3)

Poursuivons notre réflexion sur l’importance et l’éventuelle implication de la religion dans les rapports actuels entre les peuples. Nous avons dit en ce qui concerne l’Occident que l’affadissement des pratiques religieuses prouve à suffisance que ce n’est pas dans la foi qu’il faut chercher le moteur des politiques menées.

Pour la religion juive, nous avons dit que même s’il n’y a que 15% des Juifs qui ont une foi vraiment profonde, il semblerait bien cependant que l’ancienne conception biblique de la terre promise continue à justifier l’existence même de l’état d’Israël auprès de tous les Juifs (voir cependant les nuances apportées par Pascal Janovjak dans la note précédente). La conséquence, c’est évidemment le refus de voir que cette terre promise était habitée par les Palestiniens et que donc il faudrait peut-être se résoudre à leur en concéder au moins une partie. Cela débouche forcément sur des conflits sans fin, augmente la violence de part et d’autre et justifie finalement tout agrandissement du territoire pour des raisons sécuritaires. Ainsi l’invasion du Liban dans les années 80 et encore en 2006 s’expliquait par la volonté de créer une zone tampon afin de protéger l’état israélien des tirs de roquettes. Quant à l’implantation de nouvelles colonies, elle entre dans la même logique : protéger le centre de l’état en en reculant continuellement les frontières et ceci afin de ne pas laisser « l’ennemi » à proximité des centres vitaux (car toujours il y a cette idée que l’état juif pourrait disparaître). Le problème, c’est qu’une fois une nouvelle colonie établie, il faut la protéger à son tour et donc pour cela agrandir encore la zone d’influence par la construction d’une autre colonie. On n’en finit donc jamais et toute la politique se définit en termes de défense et d’agression. Les résultats, on les voit en ce moment-même à Gaza.

Maintenant, qu’en est-il du coté arabe ? Là, c’est beaucoup plus difficile de répondre. Est-ce l’Islam qui est en soi de nature belliqueuse ou bien au contraire les Arabes ont-ils trouvé dans la foi et la religion un moyen d’exprimer leur spécificité par rapport à l’Occident et à ses valeurs marchandes et matérialistes (y compris sous la forme du djihad) ? Difficile de répondre dans la mesure où nous subissons tous les jours la propagande de notre camp et que ces derniers temps le monde musulman est présenté comme une menace. Est-il menaçant en soi ou tente-t-il de se défendre avec les moyens qui sont les siens contre notre agression économique ?

Ce qu’il faudrait savoir (et que je ne sais pas), c’est la proportion de musulmans qui approuvent la violence de tous les extrémistes armés qui se basent sur le Coran pour combattre l’Occident. En soi, on est bien d’accord pour dire que le Coran est un livre de paix, mais il faudrait voir comment les gens vivent leur foi. Est-elle source d’apaisement intérieur, voire de résignation ou au contraire moyen de s’affirmer et de se défendre ?

J’aurais tendance à dire que c’est nous qui avons agi de telle sorte que certains ont pris les armes. Si on regarde les Talibans d’Afghanistan, on trouvait normale leur action quand ils se battaient contre les Russes (ils étaient même armés par les Américains comme chacun sait), mais on les déclare terroristes quand c’est l’Amérique qui veut étendre sa zone d’influence dans ce pays. Alors ? L’islam implique-t-il en lui-même la création de ces groupes armés afin d’étendre à toute la terre la parole du Prophète ou bien est-ce que la religion canalise les mécontentements et permet de justifier la violence aux yeux mêmes de ceux qui la pratiquent (ledit Prophète ayant bien dit de combattre les infidèles).

Pour répondre, il faudrait voir si c’est d’abord la foi qui anime ces djihadistes ou l’opposition à l’Occident et à Israël. Combattent-ils pour Allah ou pour se venger des colonisateurs ? Pour moi, c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne, mais je peux me tromper.

Revenons encore au conflit de Gaza (et qui commence déjà à se banaliser : 300 morts, 400, 500, cela ne veut plus rien dire. Seules les premières victime avaient un visage, maintenant ce ne sont plus que des chiffres, comme les morts de la guerre civile irakienne). Certes Israël est coupable, mais les Etats-Unis en soutenant son action et l’Europe en ne prenant aucune sanction, le sont tout autant. Les Juifs eux-mêmes ont eu l’art de couper l’herbe sous le pied à toute tentative de paix, par exemple en continuant l’implantation des colonies au moment des accords d’Oslo. Et quand ils accordent quelque chose, on a l’impression que c’est toujours du provisoire pour calmer le jeu et que le lendemain ils passent outre à leurs promesses. Evidemment, il y a toujours un motif à ce revirement (acte terroriste, roquettes, etc.) mais n’ont-ils pas eux-mêmes suscité ces agressions par leur comportement volontairement vexatoire et expansionniste ?

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D’un autre côté, après le massacre de la Shoa, ils savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et craignent sans arrêt de voir leur récent état disparaître. Cela suppose donc tout un arsenal militaire d’autodéfense. Malheureusement, à Gaza, ce n’est plus de l’autodéfense, même si la majorité des Juifs en sont persuadés.

Maintenant, si on se penche du côté du monde arabe, il y aurait beaucoup à dire aussi. Pourquoi la ligue arabe s’est-elle toujours montrée impuissante à imposer quoi que ce soit ? Ces gens-là ont le pétrole, ils ont donc un beau moyen de faire pression sur l’Occident pour imposer leurs vues. Or ils ne le font pas. Pourquoi ? Et pourquoi l’Egypte ferme-t-elle ses frontières en ce moment ? Pour ne pas être envahie par les Palestiniens et laisser le champ libre à Israël, bien entendu. Mais ce sont des musulmans entre eux et la situation est dramatique sur le plan humanitaire et sanitaire. Alors ? L’Egypte joue-t-elle le jeu de l’Occident contre les Palestiniens ? Peut-être que cela l’arrange après tout qu’Israël détruise le Hamas. Si elle ouvrait ses frontières, l’action de Tsahal tournerait à rien, puisque tout le monde fuirait, y compris les combattants, pour revenir ensuite.

Et la puissante Arabie, qui entretient de si bonnes relations avec les USA, pourquoi ne négocie-t-elle pas un nouveau statut pour les Palestiniens ?

Car après avoir critiqué l’Occident comme je l’ai fait, il faut aussi avoir le courage de regarder si dans l’autre camp, celui qu’on défendait pour des raisons humanitaires, il n’y a pas aussi des choses à redire. Est-ce que quelque part les états arabes n’ont pas intérêt à ne pas aider les Palestiniens ? S’ils les accueillaient à bras ouverts, tout serait vite réglé, mais non on préfère les laisser moisir dans des camps plutôt que de faire un geste. Forcément, parce qu’alors Israël aurait gagné et occuperait toute la Palestine (et commencerait à regarder du côté de l’autre rive du Jourdain, en Jordanie. N’ont-ils pas déjà conquis le Golan syrien ?) Donc, il vaut peut-être mieux pour les états arabes que les Palestiniens continuent à être des victimes.

Et ces Palestiniens eux-mêmes, acharnés certes à rester sur leurs terres, ne se complaisent-ils pas aussi dans ce rôle de victimes ? Je sais que je pousse loin et que je me fais l’avocat du diable, mais ne serait-il pas plus logique, quand on est un bon père de famille et qu’on est encerclé par Tsahal, ne serait-il pas plus logique de fuir, de créer une diaspora à l’étranger et de tenter de combattre à partir de là ? Au moins leurs enfants ne seraient pas sous les bombes en ce moment.

Et le Hamas, en se cachant parmi la population (mais que pourrait-il faire d’autre ?) ne se sert-il pas des civils comme de boucliers et n’a-t-il pas intérêt, lui aussi, à ce qu’il y ait beaucoup de victimes, donc de martyrs, non pas pour attendrir l’Occident, dont il n’attend plus rien, mais pour le plaisir de recruter de nouveaux combattants disposés à donner leur vie pour venger tous ces morts ?

Pourquoi aucune solution ne peut-elle jamais être trouvée ? Et nous sommes dans un cercle vicieux : plus Israël bombardera et plus le Hamas se renforcera. Même s’il est détruit, d’autres prendront sa place.



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En en négociant pas avec Arafat (devenu modéré), Israël a propulsé le Hamas en avant. En humiliant Arafat, Israël a fait en sorte que des groupes armés radicaux voient le jour. L’a-t-il fait par ignorance ou sciemment (pour mieux pouvoir engager un combat qu’il croit pouvoir gagner vu sa supériorité militaire) ?

Et le Hamas a-t-il intérêt à ce que les Palestiniens vivent en paix dans un état à eux ? Non bien sûr. Chaque camp s’arrange donc bien pour qu’une roquette soit tirée au plus mauvais moment. On vient d’en tirer une du Liban, d’ailleurs. Le Hezbollah dément. Qui a tiré ? A qui cela profite-t-il ? A ceux qui veulent se battre. Qui veut se battre ? Les extrémistes des deux camps.

En attendant des innocents meurent à Gaza, victimes de toutes ces tractations politiques des uns et des autres. C’est tout ce que je sais et c’est tout ce que je comprends.

Mais je ne me fais aucune illusion sur la nature humaine et je sais que si demain Israël détruisait son armée, les victimes d’aujourd’hui se transformeraient à leur tour en loups sanguinaires. La violence devient donc inévitable dès qu’on a commencé à la pratiquer. Ce conflit n’aura donc jamais de fin. Et des innocents continuent et continueront de mourir. J’ai dit tout ce que j’avais à dire et je suis complètement impuissant.



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Images Al Jazeera

06/01/2009

Religion et société (2)

Le conflit actuel en Palestine n’est pas à l’origine un conflit religieux, mais plutôt les suites d’une fin d’époque coloniale particulièrement mal gérée.

Avant 1917, la Palestine faisait partie de l’Empire ottoman. Au moment où les Anglais s’en emparent, ils promettent, par la déclaration de Balfour, de favoriser la création d’un foyer national pour le peuple juif. Pourquoi cette attitude ? Probablement parce que le gouvernement britannique avait besoin de l’aide des banques (anglaises et américaines), lesquelles étaient aux mains des Juifs. De plus, en faisant cette promesse, on obtenait la faveur des Juifs américains, lesquels firent aussitôt pression pour que les Etats-Unis rentrent en guerre. Rien n’est simple, comme on le voit.

Le problème, c’est que les Anglais avaient fait une autre promesse aux Arabes, à savoir la création d’un grand royaume arabe incluant la Palestine. Dès 1917, donc, ceux-ci se retrouvèrent lésés et frustrés.

Bref, c’est l’époque coloniale et les Anglais occupent la Palestine, laquelle était donc bien habitée par des Arabes et des Juifs. Mais comme on commence à favoriser l’immigration des Juifs en Palestine, le nombre de ceux-ci augmente. La société des Nations avait d’ailleurs donné un mandat au Royaume-Uni qui lui demandait de

« placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'auto-gouvernement».

Il faut aussi

«faciliter l'immigration juive et encourager l'installation compacte des Juifs sur les terres ».

La conséquence de tout ceci, c’est que la population juive augmente sans cesse (elle est d’ailleurs passée de 83 000 habitants en 1918 à 650 000 en 1948). Les Arabes commencent à se révolter et pour ne pas avoir de problèmes, les Anglais, dès 1939, réduisent l’immigration juive et promettent l’indépendance aux Arabes dans un proche avenir. Du coup, l’empire britannique rentre en confit ouvert avec les sionistes qui n’hésitent pas à faire des attentats (voir le rôle de l’Irgoun de Menahem Begin, alors activiste terroriste avant de devenir plus tard Premier ministre d’Israël). De guerre lasse, les Anglais remettent leur mandat aux Nations Unies, lesquelles décident assez logiquement de créer un état arabe et un état juif. Les Anglais quittent définitivement la Palestine en 1948, non sans avoir de nouveau tout fait pour favoriser l’apparition d’un état juif. Dès qu’ils sont partis, les sionistes ont assez de force pour vider la région de la population palestinienne. Il y a 800.000 exilés. C’est l’époque durant laquelle on a rasé le village du poète Mahmoud Darwich, ne laissant que le cimetière dans lequel il n’a pas pu être enterré lorsqu’il est décédé l’année dernière). C’est l’époque aussi de la destruction du village de Deir Yassin: les 254 habitants de ce village (hommes, femmes, enfants, vieillards) furent massacrés par les troupes de "L’Irgoun" de Menahem Beghin.
La suite, on la connaît. Les Anglais sont à peine partis que la guerre avec les pays arabes commence aussitôt.

Peut-on donc dire que la religion est à la base de ce conflit ? Quelque part non, on vient de voir que la situation était particulièrement complexe. Pourtant, si les Juifs veulent s’établir en Palestine (et non en Argentine ou encore en Russie où avait existé autrefois un petit royaume juif), c’est bien pour des motifs religieux, celui de la Terre promise.

De tout ceci, on retiendra :

- que si on n’avait pas pratiqué une immigration massive de 1917 à 1948, la Palestine serait arabe aujourd’hui. Mais peut-être que les Juifs n’auraient toujours pas d’état. La réalité, c’est que les Palestiniens, eux, n’en ont pas.

- Que s’il n’y avait pas eu ce substrat religieux et le sentiment chez les Juifs que cette terre leur appartient de droit par volonté divine, on n’en serait peut-être pas là.

Dans la correspondance qu’il entretient avec JL Kuffer, l’écrivain Pascal Janovjak mettait en doute l’importance du phénomène religieux dans ce conflit. Il n’a pas tort, donc. Pourtant, il faut avouer que même s’il n’y a que 15% des Juifs qui sont profondément religieux, l’ensemble de cette communauté continue de se baser sur la Bible pour dire que cette terre lui appartient.

Voici d’ailleurs quelques citations éclairantes :


- «Le Seigneur conclut une Alliance avec Abraham en ces termes: C’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Egypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate.» Genèse (XV, 18-21)

- "Si l’on possède la Bible, si on. se considère comme le peuple de la Bible, on devrait posséder également les terres bibliques, celles des Juges et des Patriarches, de Jérusalem, d’Hébron, de Jéricho, et d’autres lieux encore." Moshé Dayan."

- «Il n’y a pas de peuple palestinien... Ce n’est pas comme Si nous étions venus les mettre à la porte et leur prendre leur pays. Ils n’existent pas.» Madame Golda Meir. Déclaration au Sunday Times, 15 juin 1969

- «Eretz Israël sera rendue au peuple d’Israël. Tout entière et pour toujours.» Menaheni Beghin

Le paradoxe, c’est donc le fait que les partis religieux soient si importants dans la politique israélienne alors qu’une bonne partie de la population n’a qu’une foi très modérée ou même pas de foi du tout. La raison en est qu’inconsciemment cette population accepte la thèse religieuse de la Terre promise. Sans cela, comment pourrait-on justifier ce que l’on voit aujourd’hui ?

Ces bombardements n’ont pas pour seul objectif d’affaiblir le Hamas, il s’agit aussi de terroriser la population civile dans l’espoir qu’elle se décidera enfin un jour à quitter définitivement la Palestine. Sinon, pourquoi viserait-on des mosquées, des écoles, des centrales électriques ? C’est la même logique depuis le premier jour : chasser les Arabes de la Terre promise. Pour cela tous les moyens sont bons. C’est Dieu qui l’a voulu, semble-t-il.


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04/01/2009

Religion et société

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Quelle est encore l’influence de la religion sur la pensée et le comportement des hommes ? Telle est la question qu’on est en droit de se poser en ce début du XXI° siècle, alors qu’en Europe les églises se vident de leurs fidèles. La difficulté que rencontre l’Eglise pour recruter de jeunes prêtres, les critiques qui s’élèvent à l’encontre de certains discours du pape (sur l’avortement, la contraception, l’homosexualité, etc.) ou tout simplement l’indifférence générale de la population sur les questions religieuses prouvent à suffisance que la foi ne fait plus recette. Certes, l’enseignement libre confessionnel connaît un grand succès, mais on sait que les parents qui choisissent ce type d’établissement justifient leur position par la qualité de l’enseignement qui selon eux y serait dispensé et ils évoquent rarement des motifs religieux. D’ailleurs il suffit d’interroger un peu son entourage pour entendre chaque fois la même réponse : « Oui, je crois en Dieu, mais je ne suis pas pratiquant. » Cela montre bien que s’il demeure un substrat confessionnel dans les mentalités, celui-ci n’est plus très vivace. On peut regretter au passage que tous ces gens n’aient pas pris la peine de réfléchir sérieusement à leur position sur le sujet. Quelque part, je préférerais quelqu’un qui me dise « je crois ou j’essaie de croire pour telle ou telle raison » ou au contraire « non, je suis devenu athée » que ce simple constat ambigu où l’on croit sans croire vraiment et qui manifeste une sorte de laisser-aller que l’on ne peut que déplorer sur un plan intellectuel.

Enfin, peu importe, ce qui est sûr, c’est que la majorité de nos concitoyens croient vaguement en l’existence d’un Dieu (sinon comment expliquer l’existence de l’univers) mais restent très méfiants sur les discours et les pratiques religieuses, qui leur semblent à mille lieues de leurs préoccupations quotidiennes. A la limite on veut bien se marier à l’Eglise (pour ceux qui se marient encore) et assister à la communion d’un neveu (tradition familiale) mais pour le reste, non, on vit dans un monde laïc. L’Etat et le pouvoir, d’ailleurs, s’inscrivent bien dans cette conception laïque, aussi a-t-on été un peu étonné d’entendre Giscard d’Estaing réclamer un ancrage chrétien à sa constitution européenne (laquelle, rappelons-le, concerne surtout la liberté du commerce) et Sarkozy affirmer la primauté du discours du prêtre sur celui de l’instituteur.

Pourtant, quant on connaît les thèses sur le choc des civilisations (Samuel P. Huntington), l’état d’esprit de l’administration Bush ou encore l’actuel conflit à Gaza, on est en droit de se demander si la religion n’est pas encore un moteur de l’action des hommes. Le monde arabe semble d’ailleurs trouver dans le fait religieux une sorte d’unité et une manière de s’opposer (pacifiquement ou non) à la domination de l’Occident.

J’aurais tendance à donner une réponse de Normand et à dire que les religions ne sont pas le phénomène essentiel permettant de comprendre les conflits dans le monde, mais qu’elles contribuent cependant à les attiser.

Ainsi, je ne vois pas bien en quoi l’Occident se penserait comme chrétien. La politique qu’il mène est celle qu’il a toujours menée, depuis le colonialisme et l’expansionnisme géographique jusqu’à son désir récent de soumettre la planète entière à son esprit mercantile pour autant, bien entendu, que ce commerce se fasse à son profit.

Donc, la théorie du choc des civilisations semble particulièrement contestable, surtout si on veut définir les grands blocs de civilisations par leur seule religion. On ne voit d’ailleurs pas comment on ferait entrer l’ancienne guerre froide (USA/URSS) dans un tel schéma, la Russie communiste ne se définissant certainement pas par rapport à la religion orthodoxe. De plus, les besoins des hommes étant partout les mêmes (se nourrir, se vêtir, se reproduire, vivre en paix), on ne voit pas non plus pourquoi un Européen devrait d’office entrer en conflit avec un Arabe, un Indou ou un Chinois sous prétexte qu’il aurait une religion différente. En fait, les différences alimentaires, vestimentaires ou culturelles sont pour le moins aussi importantes que la religion pour différencier les peuples. Mais ces différences ne sont pas non plus des obstacles insurmontables qui nous empêcheraient de bien nous entendre avec les autres. On peut parfois se sentir plus proche d’un étranger (qui aurait lu les mêmes livres que nous et qui aurait une vision humaniste fort proche de la nôtre) que de son voisin de palier. Et le fait que cet étranger ne prie pas le même dieu ou ne mange pas les mêmes aliments que moi ne change pas grand chose. Donc cette théorie du choc des civilisations en rapport à la religion ne sert qu’à justifier la politique des marchands d’armes, lesquels essaient de dresser tout le monde contre tout le monde afin de faire du profit (voir les mensonges déjà oubliés sur les armes de destruction massive en Irak).

Quand éclate un conflit, la religion semble donc être un prétexte qui masque les vrais motifs. La guerre en Irak n’est pas une guerre contre l’islam (même si officiellement elle s’est donnée comme but d’éradiquer le terrorisme islamique), c’est une mainmise pure et simple sur les puits de pétrole et un renforcement de la présence militaire US dans un endroit stratégique de la planète. La guerre en Afghanistan relève de la même logique.

Maintenant, qu’en est-il de l’actuel conflit à Gaza ? Peut-on dire que la religion en est absente ?

(à suivre)


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18/03/2008

Philosophons

Question philosophique sans intérêt, sans doute, mais dont la réponse n’est cependant pas facile à trouver. Qu’est-ce qui fait que je suis moi ? Bien sûr vous allez répondre par toute une série de considérations d’ordre génétique ou psychologique. Je possède tel caractère parce que dans mes gènes se trouve tel ou tel élément qui me conditionne à agir d’une manière ou d’une autre. La combinaison de ces éléments fait que je suis plus ou moins patient, plus ou moins agressif, plus ou moins tolérant. L’ascendance explique aussi que je possède ou ne possède telle force physique, telle couleur des yeux ou telle prédisposition à certaines maladies.

D’autres répondront que tout ceci est bien beau, mais que l’acquis détermine pour le moins autant le caractère d’un individu que sa carte d’identité génétique. Dans cette hypothèse, je posséderais tel caractère parce que j’ai évolué dans un certain milieu, à une certaine époque et que les expériences vécues ont conditionné à mon insu mes comportements actuels. Ainsi, une attitude de fuite correspondrait à tel traumatisme remontant à la petite enfance ou au contraire un comportement agressif correspondrait à la répétition d’une attitude bénéfique adoptée une fois dans un contexte précis.

Fort bien. Remarquons que les deux théories peuvent se combiner. Devant une même situation, deux individus, neutres au départ, réagiront différemment en fonction de leur tempérament de départ. Puis, selon que ce comportement a entraîné un échec (développant à son tour un traumatisme) ou au contraire une réussite, chacun adaptera le tir et soit répétera à l’infini le même geste dans des circonstances analogues, soit évitera de se retrouver dans cette même situation (devant laquelle il ne pourrait que rester bloqué).

Notons en passant que tout ceci est exponentiel. Un enfant craintif évitera de faire certaines expériences. Devenu adulte, il sera devenu d’autant plus craintif qu’il n’aura jamais eu l’occasion de se prouver à lui-même qu’il pouvait dépasser sa peur et résoudre en fait le problème. Inversement, celui qui était déjà de nature téméraire multipliera les expériences lesquelles, à leur tour, vont lui permettre de renforcer cette confiance qu’il a en ses propres capacités.

Tout ceci explique donc pourquoi je suis comme ceci plutôt que comme cela. Mais ce n’est pas de cela que je voulais parler quand je disais « pourquoi suis-je moi ? »

Si j’observe un animal (un chien par exemple), je trouve normal, puisqu’il a un cœur, des membres, un cerveau, qu’il vive et se déplace. Autrement dit, dans la peu de ce chien, il y a « quelqu’un ». Si je prends trois chiens en bonne santé, il n’y a rien de plus normal que de les voir sauter et courir, comme il est tout aussi normal que chacun ait son caractère et son tempérament. Donc, à l’intérieur de ces trois chiens, il y a trois êtres distincts. Mais qu’est-ce qui fait qu’à l’intérieur du premier chien (supposons qu’il soit blanc, pour la clarté de l’exposé) il y ait une « âme » (les croyants me pardonneront, mais je ne trouve pas d’autre manière de m’exprimer) qui soit propre à ce chien-là et qui n’est pas celle du deuxième ou du troisième chien ?

Ne revenez pas avec des explications de l’ordre de l’inné ou de l’acquis, elles ne font que dire pourquoi le chien blanc est plus gentil ou moins peureux, elles ne disent pas pourquoi c’est cette « âme-là » qui se trouve dans la peau du chien blanc et pas dans celle du chien noir.

Donc, pour m’exprimer autrement, s’il est normal qu’un être animé ait sa personnalité propre, cela ne nous dit pas comment ce chien, en son fort intérieur, peut dire « je ». Qu’est-ce qui fait que dans la peau de ce chien blanc il y ait un être qui a conscience d’exister et qui n’est pas le même que celui qui est dans la peau du chien noir ? Etant entendu que tout ce qui vient d’être dit des chiens peut s’appliquer aux humains. Je comprends que mon voisin est différent de moi, je comprends éventuellement pourquoi il a tel ou tel trait de caractère qui lui est propre, je comprends que dans son corps se trouve un être doué de raison qui dit « je », mais je n’arrive pas à expliquer pourquoi c’est lui (spécifiquement lui) qui est dans ce corps-là et pas moi par exemple. Si je trouve normal qu’un corps soit habité par un individu qui a conscience de lui-même, si je trouve normal qu’il en soit ainsi pour tous les corps (y compris ceux des animaux), je n’arrive pas encore à dire ce qui a fait que je suis moi, dans le corps que j’occupe et pourquoi je parviens à dire « je » au moment où j’écris ces lignes. En effet, mon propre corps aurait pu être « occupé » par une autre conscience, qui aurait dit « je » à son tour et dont la présence dans ce corps n’aurait choqué personne.

Les croyants auront beau jeu de me resservir leur théorie sur l’âme et sur la création transcendante. Dieu aurait créé de toute pièce ce « je » que je suis en train de tenter de définir et l’aurait placé dans un corps (peu importe lequel, en fait) ou bien, selon d’autres théories, plus orientales, cette même âme immortelle ne ferait que passer d’un corps à un autre.

A partir du moment où on réfute la religion (belle croyance qui permet de vaincre la peur de la mort en s’accordant à bon compte l’immortalité), il nous faut cependant tenter de comprendre d’où vient ce « je ». Avoir la foi consiste souvent à croire sans comprendre, en déplaçant le problème. En effet, pas plus que moi le croyant ne peut expliquer l’origine du monde, mais il pallie à cette incompréhension en disant que c’est Dieu qui a créé le monde, oubliant au passage de nous expliquer qui est Dieu. De son point de vue à lui, il est vrai qu’il n’a pas à le faire, car c’est un postulat de sa foi : Dieu existe, point final. Il en va de même avec la théorie de l’âme. Ce « je » que je tente en vain de définir, le croyant lui donne un nom : c’est mon âme, dont l’existence est voulue par Dieu. Content avec cette explication qui ramène tout à la dimension humaine (et qui est, avouons-le, d’un anthropocentrisme étroit, l’univers s’étendant bien au-delà de la simple espèce humaine, apparue il y a peu et manifestement appelée à disparaître dans pas bien longtemps), le croyant est rassuré : Dieu a voulu son existence et l’aime, comme ses parents avaient voulu aussi son existence et en principe l’avaient aimé. On touche du doigt ici le côté puéril et rassurant de la foi, qui permet à l’individu de justifier son existence sur terre. Il « est » parce que d’autres l’ont voulu et il n’a pas à se demander pourquoi. Dès lors il peut se laisser vivre, se sentant en harmonie avec le monde (son moi intérieur, ce microcosme, rejoignant le grand tout, le macrocosme).

Pour nous, il n’en va pas de même et il nous faut bien tenter de comprendre pourquoi nous sommes là, qui nous sommes et ce que nous pourrions bien faire en ce lieu.

En attendant, rien ne nous dit comment ce « moi » qui m’habite a pu surgir du néant. C’est tout de même un miracle absolu que ce « moi » ait pu exister (et votre « moi » pour vous qui me lisez, car je ne veux pas ici me replier dans une démarche nombriliste, mais au contraire réfléchir pour tout un chacun d’un point de vue ontique). C’est bien pour cela que nous y tenons beaucoup. Nous le sentons fragile, nous le savons éphémère et nous savons qu’il sera appelé à disparaître. C’est là qu’est l’horreur. Je citais l’autre jour Montaigne qui disait qu’il n’avait pas peur de la mort mais bien de mourir. Sans doute. Il n’empêche que ce néant de l’être, cette dissolution du « je », cet évanouissement d’une conscience a de quoi inquiéter. Comment peut-on ne plus être ? Comment accepter cette absence de soi-même ? Pour un peu, on réinventerait Dieu pour lui demander des comptes.