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18/03/2008

Philosophons

Question philosophique sans intérêt, sans doute, mais dont la réponse n’est cependant pas facile à trouver. Qu’est-ce qui fait que je suis moi ? Bien sûr vous allez répondre par toute une série de considérations d’ordre génétique ou psychologique. Je possède tel caractère parce que dans mes gènes se trouve tel ou tel élément qui me conditionne à agir d’une manière ou d’une autre. La combinaison de ces éléments fait que je suis plus ou moins patient, plus ou moins agressif, plus ou moins tolérant. L’ascendance explique aussi que je possède ou ne possède telle force physique, telle couleur des yeux ou telle prédisposition à certaines maladies.

D’autres répondront que tout ceci est bien beau, mais que l’acquis détermine pour le moins autant le caractère d’un individu que sa carte d’identité génétique. Dans cette hypothèse, je posséderais tel caractère parce que j’ai évolué dans un certain milieu, à une certaine époque et que les expériences vécues ont conditionné à mon insu mes comportements actuels. Ainsi, une attitude de fuite correspondrait à tel traumatisme remontant à la petite enfance ou au contraire un comportement agressif correspondrait à la répétition d’une attitude bénéfique adoptée une fois dans un contexte précis.

Fort bien. Remarquons que les deux théories peuvent se combiner. Devant une même situation, deux individus, neutres au départ, réagiront différemment en fonction de leur tempérament de départ. Puis, selon que ce comportement a entraîné un échec (développant à son tour un traumatisme) ou au contraire une réussite, chacun adaptera le tir et soit répétera à l’infini le même geste dans des circonstances analogues, soit évitera de se retrouver dans cette même situation (devant laquelle il ne pourrait que rester bloqué).

Notons en passant que tout ceci est exponentiel. Un enfant craintif évitera de faire certaines expériences. Devenu adulte, il sera devenu d’autant plus craintif qu’il n’aura jamais eu l’occasion de se prouver à lui-même qu’il pouvait dépasser sa peur et résoudre en fait le problème. Inversement, celui qui était déjà de nature téméraire multipliera les expériences lesquelles, à leur tour, vont lui permettre de renforcer cette confiance qu’il a en ses propres capacités.

Tout ceci explique donc pourquoi je suis comme ceci plutôt que comme cela. Mais ce n’est pas de cela que je voulais parler quand je disais « pourquoi suis-je moi ? »

Si j’observe un animal (un chien par exemple), je trouve normal, puisqu’il a un cœur, des membres, un cerveau, qu’il vive et se déplace. Autrement dit, dans la peu de ce chien, il y a « quelqu’un ». Si je prends trois chiens en bonne santé, il n’y a rien de plus normal que de les voir sauter et courir, comme il est tout aussi normal que chacun ait son caractère et son tempérament. Donc, à l’intérieur de ces trois chiens, il y a trois êtres distincts. Mais qu’est-ce qui fait qu’à l’intérieur du premier chien (supposons qu’il soit blanc, pour la clarté de l’exposé) il y ait une « âme » (les croyants me pardonneront, mais je ne trouve pas d’autre manière de m’exprimer) qui soit propre à ce chien-là et qui n’est pas celle du deuxième ou du troisième chien ?

Ne revenez pas avec des explications de l’ordre de l’inné ou de l’acquis, elles ne font que dire pourquoi le chien blanc est plus gentil ou moins peureux, elles ne disent pas pourquoi c’est cette « âme-là » qui se trouve dans la peau du chien blanc et pas dans celle du chien noir.

Donc, pour m’exprimer autrement, s’il est normal qu’un être animé ait sa personnalité propre, cela ne nous dit pas comment ce chien, en son fort intérieur, peut dire « je ». Qu’est-ce qui fait que dans la peau de ce chien blanc il y ait un être qui a conscience d’exister et qui n’est pas le même que celui qui est dans la peau du chien noir ? Etant entendu que tout ce qui vient d’être dit des chiens peut s’appliquer aux humains. Je comprends que mon voisin est différent de moi, je comprends éventuellement pourquoi il a tel ou tel trait de caractère qui lui est propre, je comprends que dans son corps se trouve un être doué de raison qui dit « je », mais je n’arrive pas à expliquer pourquoi c’est lui (spécifiquement lui) qui est dans ce corps-là et pas moi par exemple. Si je trouve normal qu’un corps soit habité par un individu qui a conscience de lui-même, si je trouve normal qu’il en soit ainsi pour tous les corps (y compris ceux des animaux), je n’arrive pas encore à dire ce qui a fait que je suis moi, dans le corps que j’occupe et pourquoi je parviens à dire « je » au moment où j’écris ces lignes. En effet, mon propre corps aurait pu être « occupé » par une autre conscience, qui aurait dit « je » à son tour et dont la présence dans ce corps n’aurait choqué personne.

Les croyants auront beau jeu de me resservir leur théorie sur l’âme et sur la création transcendante. Dieu aurait créé de toute pièce ce « je » que je suis en train de tenter de définir et l’aurait placé dans un corps (peu importe lequel, en fait) ou bien, selon d’autres théories, plus orientales, cette même âme immortelle ne ferait que passer d’un corps à un autre.

A partir du moment où on réfute la religion (belle croyance qui permet de vaincre la peur de la mort en s’accordant à bon compte l’immortalité), il nous faut cependant tenter de comprendre d’où vient ce « je ». Avoir la foi consiste souvent à croire sans comprendre, en déplaçant le problème. En effet, pas plus que moi le croyant ne peut expliquer l’origine du monde, mais il pallie à cette incompréhension en disant que c’est Dieu qui a créé le monde, oubliant au passage de nous expliquer qui est Dieu. De son point de vue à lui, il est vrai qu’il n’a pas à le faire, car c’est un postulat de sa foi : Dieu existe, point final. Il en va de même avec la théorie de l’âme. Ce « je » que je tente en vain de définir, le croyant lui donne un nom : c’est mon âme, dont l’existence est voulue par Dieu. Content avec cette explication qui ramène tout à la dimension humaine (et qui est, avouons-le, d’un anthropocentrisme étroit, l’univers s’étendant bien au-delà de la simple espèce humaine, apparue il y a peu et manifestement appelée à disparaître dans pas bien longtemps), le croyant est rassuré : Dieu a voulu son existence et l’aime, comme ses parents avaient voulu aussi son existence et en principe l’avaient aimé. On touche du doigt ici le côté puéril et rassurant de la foi, qui permet à l’individu de justifier son existence sur terre. Il « est » parce que d’autres l’ont voulu et il n’a pas à se demander pourquoi. Dès lors il peut se laisser vivre, se sentant en harmonie avec le monde (son moi intérieur, ce microcosme, rejoignant le grand tout, le macrocosme).

Pour nous, il n’en va pas de même et il nous faut bien tenter de comprendre pourquoi nous sommes là, qui nous sommes et ce que nous pourrions bien faire en ce lieu.

En attendant, rien ne nous dit comment ce « moi » qui m’habite a pu surgir du néant. C’est tout de même un miracle absolu que ce « moi » ait pu exister (et votre « moi » pour vous qui me lisez, car je ne veux pas ici me replier dans une démarche nombriliste, mais au contraire réfléchir pour tout un chacun d’un point de vue ontique). C’est bien pour cela que nous y tenons beaucoup. Nous le sentons fragile, nous le savons éphémère et nous savons qu’il sera appelé à disparaître. C’est là qu’est l’horreur. Je citais l’autre jour Montaigne qui disait qu’il n’avait pas peur de la mort mais bien de mourir. Sans doute. Il n’empêche que ce néant de l’être, cette dissolution du « je », cet évanouissement d’une conscience a de quoi inquiéter. Comment peut-on ne plus être ? Comment accepter cette absence de soi-même ? Pour un peu, on réinventerait Dieu pour lui demander des comptes.