Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/06/2009

Cercles concentriques

L'homme, de par son regard, a une vision  circulaire du monde, contrairement à ce que pourraient nous faire croire les rues bien rectilignes de nos villes.

La terre est ronde et ce que je peux observer du paysage quand je me place sur une hauteur, c'est un grand cercle dont j'occupe le centre. Du coup, dans la préhistoire déjà, l'homme s'est cru le centre de tout. Il l'a dit dans ses mythes et la religion l'a conforté dans ses convictions.

Pourtant, cet homme, qui par ailleurs est intelligent, s'est vite rendu compte que ce centre changeait d'endroit en même temps que lui lorsqu'il se déplaçait. Lui-même restait au milieu de tout, mais ce milieu pouvait se trouver n'importe où. C'est pourquoi le fait de se sédentariser le rassura. Non seulement il trouvait là un genre de vie plus commode et moins tributaire du hasard, mais aussi il se redonnait du même coup une place précise et unique dans l'univers : il était et pour toujours au centre de son monde à lui.

Il lui fallut alors, comme un animal, marquer son territoire. Faute de pouvoir dire qui il était, il pouvait au moins dire ce qui était à lui. Les premiers fossés furent creusés (qu'on se souvienne du sillon sacré que Romulus aurait tracé lors de la fondation de Rome, ce qui l'amènera aussitôt à tuer son frère Remus qui avait osé franchir cette limite symbolique) et les premières palissades dressées afin de se protéger des ennemis mais aussi afin de clôturer l'espace et de définir un cercle plus restreint qui ne serait qu'à soi. En effet, si le grand cercle de l'horizon englobe tous les hommes et tous les animaux, la clôture de mon jardin permet de distinguer le tien du mien.

L'homme imagina donc toute une série de cercles concentriques qui, dans l'immensité du monde, allaient délimiter son intimité.

Imaginez la scène. Elle est là, sous vos yeux.

Partout c'est la forêt, immense, infinie, primitive. Elle est le règne des animaux sauvages et symbolise tous les dangers.

Puis, à un endroit, la forêt laisse la place à une clairière. Ce sera d'abord un emplacement où la foudre a frappé. Les arbres calcinés n'ont pas repoussé et l'herbe a envahi le terrain. Plus tard, ce seront les moines qui auront, par petits morceaux, défriché cette forêt primitive, tentant d'imposer la loi des hommes (de Dieu ?) à la nature.

On a donc un premier cercle, constitué par la ligne des arbres à l'orée du bois.

Il y en aura bientôt un deuxième, car l'homme a décidé de vivre dans cette prairie riante, en retrait de la forêt sauvage, dont il dépend encore en grande partie pour se nourrir et se chauffer.

Il labourera la prairie ou une partie d'icelle et cultivera de l'orge et du froment, ce blé des terres pauvres et encore un peu sauvages. La nuit, quand tout est aboli, que plus rien n'existe et que le monde a cessé d'être, les animaux sauvages viendront piétiner les jeunes pousses de leurs sabots fendus ou même fouiner à même le sol de leur groin redoutable.

Au petit jour, l'homme contemplera, consterné, le massacre du blé tendre. Il lui faudra bien dresser une palissade pour protéger les semis futurs. Car aussi tenace qu'un insecte, il recommencera à ensemencer son champ, non sans l'avoir cette fois clôturé au préalable d'une ligne de pieux pointus. Ce sera le deuxième cercle dont je parlais plus haut.

Voilà donc le champ protégé, mais aussi définitivement délimité. La frontière est là, entre la nature et la culture, entre ce qui est public et ce qui est privé.

L'orée de la forêt, la palissade. Un premier cercle, puis un autre. La nature s'arrête au premier, le règne de l'homme commence en deçà du deuxième. Entre les deux, la clairière, la prairie, qui n'appartient à aucun des deux mondes et qui du coup appartient à tous.

Si le blé, maintenant bien protégé, se met à pousser à la chaleur de l'été, en hiver il faut se chauffer. La forêt n'est pas loin, on y fait des incursions, on abat quelques arbres, qu'on découpe et qu'on ramène chez soi, c'est-à-dire derrière la palissade. Car au centre du champ de céréales se dresse le repère de l'homme, son antre, sa tanière, autrement dit, sa maison. C'est là qu'il se réfugiera à la mauvaise saison, c'est là, déjà, qu'il se cache, une fois la nuit venue. Bien protégé des bêtes sauvages, il peut s'assoupir et écouter ses rêves.

Le matin, dans l'air frisquet du petit jour, il coupera le bois ramené la veille et en fera un tas bien ordonné. Une sorte de mur d'un mètre de haut qui va aller en s'allongeant (car l'hiver est rude dans ces contrées et il faut se montrer prévoyant cette fois, plus prévoyant qu'il ne l'avait été quand il avait ensemencé une première fois son champ). Bientôt, c'est un rempart de trente stères de bois qui entourera la maison.

Voilà le troisième cercle.

C'est un cercle plus fragile celui-là : un monceau de bois de chauffage, qui délimite la propriété. C'est toujours du bois, mais il est le fruit du travail de l'homme. Coupé, scié, mis en tas bien ordonné, il devient à son tour palissade, marquant une autre limite, celle entre l'intimité domestique et la sphère agricole, entre l'endroit où on vit et l'endroit qui permet de vivre.

Dans cette « clairière » privée, en son centre, la maison. C'est une cabane en bois, évidemment. Autre cercle (même s'il est carré), qui cette fois offre un abri, un espace fermé et couvert, où s'abriter des intempéries et des froidures de l'hiver.

A l'intérieur de tout cela, il y a l'homme. Il vit là avec sa famille.

Le temps a passé depuis le début de cette histoire, les générations aussi. Ce n'est pas lui qui a trouvé le premier cercle, l'orée autour de la clairière. Ce n'est pas lui non plus qui a défiché puis créé le deuxième cercle, la palissade protectrice. Ce sont ses ancêtres et les ancêtres de ses ancêtres. Et même ceux encore avant tous ceux-là. Bref, entre le néolithique et notre homme, beaucoup de blé a été fauché et beaucoup de bois a été coupé.

Et lui, il est là, l'héritier de tous, le garant de leur mémoire, en quelque sorte. Il ne se souvient pas vraiment, mais c'est inscrit dans ses gènes, c'est le principal.

Il y a plusieurs pièces, dans la maison, mais celle qu'il préfère, c'est ce petit coin qui n'est qu'à lui, un bureau et tout autour, le long des murs, couvrant ces murs, des livres et encore des livres. Une muraille de livres, en réalité.   

Et dans sa tête à lui, on trouve toutes sortes d'idées, qui grouillent dans tous les sens et qu'il met par écrit, parfois, quand il y en a trop, afin de les ordonner. Les ordonner comme il a fait du tas de bois à l'extérieur et tenter par-là de donner un sens à l'incohérence du monde.

Et quand finalement arrive l'hiver, rigoureux, quand la neige vient de la forêt et recouvre tout, il faut chauffer la maison. Alors l'homme prend du bois de chauffage, fragilisant du même coup la palissade extérieure. Plus l'hiver dure et plus la pile de bois diminue. A la fin elle disparaît presque, abolissant les limites entre le troisième et le deuxième cercle. Entre les pourtours de la cabane et ce qui était le champ de blé, mais qui n'est plus qu'un champ de neige, comme la clairière, comme la forêt, comme le monde entier. La neige recouvre tout, abolissant les limites.

C'est alors que du bois sortent les premiers loups, tenaillés par la faim.

 Post scriptum : pour ceux qui voudraient contempler cette cabane et ses cercles concentriques, c'est par ici.

 

DSC_2048.jpg

24/06/2009

Le grenier

Maison poème...

Dans le grenier des rêves j'ai retrouvé mon enfance.

Dans une grande malle, sont rangés les jouets et des puzzles incomplets. Sous la tabatière, le cheval à bascule contemple les étoiles.

En hiver, on faisait sécher en ce lieu la lessive des lundis et c'était comme de grands fantômes blancs immobiles qui semblaient dormir là, énigmatiques et muets. Je me faufilais entre eux, respirant à pleins poumons, les yeux fermés, la bonne odeur du large que le savon avait laissée. Dans mon cœur, des tempêtes faisaient rage et les vagues de l'Atlantique déferlaient sous le vent des équinoxes. Contre ma joue, les draps humides et froids mouillaient ma peau. Frisson délicieux. Envoûtement...

Du bout des doigts je touchais ces êtres mouvants, mais ceux-ci, rebelles, se dérobaient sans fin.

Dans les coins reculés trottinaient les souris. Leurs yeux interrogateurs parfois luisaient dans l'ombre et c'était ensuite des courses éperdues dans l'épaisseur du plancher. Monde mystérieux, inaccessible. Quelle vie palpitait là, sous mes pieds ?

Sur une boîte en carton, une trappe tendue attendait, inutile, son fromage ayant été dévoré au siècle passé.

Dans une housse transparente pendaient des vêtements d'un autre âge. Portés par qui ? Mystère.

Sur un journal de l'année passée sèchent des oignons. Le bruit de papier quand on effrite la pelure dans les mains... Elle retombe en poussière d'or emportée au moindre courant d'air.

Près de la cheminée (celle du père Noël ?) un vieux lustre gît à terre. Quelles fêtes d'un autre âge a-t-il dû éclairer ? Quelles jeunes filles en fleur ont dansé dans sa clarté ? Elles doivent être mortes, maintenant. Qui étaient-elles ? Une de ces mères-grands entr'aperçues un jour sur de vieilles photos en noir et blanc ? Bien droites, raides et dignes dans leurs habits du dimanche, figées pour l'éternité, avec sur les lèvres un sourire si las... Suis-je leur descendant, moi qui suis maintenant à genoux, cherchant entre les lattes du plancher une épingle à cheveux inaccessible ?

Dans la vielle armoire dont la porte grince, il y a, je le sais, des lettres du temps jadis, venues tout droit des tropiques. Zanzibar, Tananarive et les îles sous le vent surgissent dans le grenier.  Sur les timbres dentelés, des négresses aux dents blanches sourient devant les mers du Sud. Qui a envoyé ces lettres ? Quel oncle disparu, jamais croisé ? A-t-il acheté des esclaves le long du fleuve Zaïre ou vendu des armes à Tombouctou ? De quel désert du Hogar     a-t-il écrit ? De quel village abyssin ? Je ne le saurai jamais, un cadenas maintenant condamne la porte. Il me reste à rêver et à imaginer des voiliers remplis de pirates ou des îles enchantées.

Craquement dans l'escalier. On vient me chercher car on sait que c'est ici que je me réfugie souvent, pour contempler dans la lumière de la tabatière les mille grains de poussière d'or qui volent au moindre souffle, formant comme des nuages énigmatiques dont nul n'a le secret.

 

 

21/06/2009

Le blogue : une logorrhée verbale ?

 

Pour ceux que cela intéresse, Marche romane vient de franchir le cap de son quatre centième article. Ce n’est pas rien, évidemment. Ce n’est pas rien mais cela nous amène, une fois de plus, à nous poser des questions sur la pertinence de tout cela. Qu’est-ce finalement qu’un blogue ? Que cherche-t-on en écrivant ici et que conviendrait-il d’y écrire ? Au-delà de la réflexion sur le phénomène blogue en lui-même, il importerait aussi de réfléchir sur le rapport entre l’écriture et le blogue. En d’autres termes, le fait d’avoir des lecteurs, de les sentir présents, conditionne-t-il le contenu et la manière d’écrire ?

 

Ce qui est amusant, c’est qu’alors que je me faisais ces réflexions et que j’en discutais même en privé, via la messagerie, avec une connaissance, voilà que Bertrand Redonnet, de son côté, nous propose justement sur son site un billet qui traite de ce thème. Je vous invite à le lire car il reprend exactement, en les développant subtilement, les réflexions que j’étais en train de me faire.

 

L’avantage, en tenant un blogue, c’est qu’on s’oblige à écrire car on sent inconsciemment que si on ne l’alimente pas régulièrement, il sera bientôt déserté par le public habituel, qui trouvera ailleurs une nourriture plus abondante. Et écrirais-je aussi ponctuellement si je n’avais pas l’opportunité de le faire ici ? Probablement pas, les occupations et les soucis de la vie quotidienne étant souvent un frein au travail d’écriture, lequel demande disponibilité et sérénité. Mais d’un autre côté, il ne faudrait pas que le public devienne un tyran qui conditionnerait mon acte d’écriture, soit en m’imposant indirectement un rythme à tenir, soit même en influençant la nature des billets présentés. J’ai su, il me semble, me préserver jusqu’à présent de ce travers.

 

Maintenant, le fait de pouvoir être lu est assurément un avantage dont on finirait par oublier qu’il constitue un privilège. Pour autant qu’on ne laisse pas au public le choix des thèmes traités mais qu’on continue à écouter sa petite musique intérieure, tout est parfait.

 

Le problème, c’est plutôt le temps.  Or le temps, quand on est dans la vie active, est le bien le plus rare et le plus précieux. Et il n’y a pas que les articles à rédiger et les commentaires à surveiller, il y a aussi tous les autres sites à aller lire. Ce serait un peu égoïste de se réjouir de la présence des lecteurs et de ne pas leur rendre leur politesse en allant lire leur propre site s’ils en ont un. Des liens se créent souvent ainsi, par affinité et c’est très intéressant.

.

C’est intéressant sauf que quelquefois on a un peu l’impression d’être sur la place publique. On écrit à la craie sur un trottoir devant les badauds médusés, au milieu d’un brouhaha indescriptible, celui de la foule et de ses bavardages. Alors il y a inévitablement des jours où on se retrouve fatigué de tout ce vacarme, ce qui fait qu’on aspire à un peu de silence. Ces jours-là, la petite voix intérieure ne parvient plus à trouver son chemin dans la cacophonie générale. L’intelligence ne commande-t-elle pas une position de retrait qui n’est pas seulement protectrice mais aussi désir de se retrouver avec soi-même dans le silence ?

 

Quel est l’intérêt, finalement, d’écrire par exemple sur les livres qu’on a lus ? N’est-ce pas aussi participer au grand bavardage ambiant ? Certes, cela oblige à un esprit de synthèse et même, en écrivant ainsi un article, on approfondit le sujet  traité et on découvre soi-même des choses qu’on n’avait pas vues, mais bon, au-delà de cela, quel avantage y trouve-t-on vraiment ? Est-ce un vain étalage de culture, un désir de partager ses connaissances ou une tentative de communiquer avec autrui ? Un peu des trois sans doute, mais n’est-ce pas là une démarche vaine ? N’est-ce pas contribuer à son tour au grand bavardage ambiant que je dénonçais plus haut ?

 

 Ne ferait-on pas mieux, plutôt que de s’égarer dans cette voie, de se concentrer sur sa propre écriture, la vraie ? Car dans ces quatre cents articles, combien de textes littéraires, en fait ? Bien peu, vraiment bien peu. Déjà j’avais renoncé par le passé à toute une série d’articles disons d’actualité et je m’étais alors concentré sur des sujets plus littéraires. Mais parler de la littérature, ce n’est pas encore écrire (encore faudrait-il qu’on en soit capable, mais cela c’est une autre question dont nous ne débattrons pas ici).

 

Bien entendu, pour celui qui écrit et qui est publié (ce qu’on appelle donc classiquement un écrivain), le blogue devient une vitrine. Pour peu qu’il ne lui consacre pas trop de temps, c’est pour lui un moyen habile de faire connaître sa production et même, pourquoi pas, de lever pour le public un coin du voile sur l’art de la création, en proposant de temps à autre un extrait en cours de rédaction.

 

Vu l’évolution des techniques, il est clair qu’un homme de lettre se doit, de nos jours, de tenir un  site ou un blogue, simplement pour favoriser sa visibilité dans cette jungle commerciale qu’est devenu le monde de l’édition.

 

Mais nous, hommes ordinaires qui n’avons rien écrit, pourquoi perdre notre temps à nous donner l’illusion d’avoir un public avant même que d’avoir écrit quoi que ce soit ? C’est un peu mettre la charrue avant les bœufs, non ? Ecrire suppose le recueillement et la solitude. On n’écrit pas dans l’immédiateté. Je ne pense pas, en disant cela, à l’inévitable travail de correction qui chez moi est souvent fort limité (preuve qu’il y a des choses à améliorer dans mon travail d’écriture lui-même)  mais plutôt au recul nécessaire à toute activité de création. Avant de prendre la plume, il faut cerner son sujet, l’apprivoiser, ce qui peut demander quelques jours. Puis il faut laisser faire l’imagination, qui va, dans votre tête,  échafauder un semblant d’histoire. Ce n’est qu’alors qu’on prend sa plume ou qu’on s’installe devant son ordinateur. Les mots alors viennent en principe relativement aisément, mais c’est parce qu’ils sont le fruit de tout ce qui précède.

 

Or, cette démarche qui prend du temps, ne trouve pas dans le blogue le terrain qui lui convient. Ici, tout doit aller vite et on finirait par préférer de simples billets sur des sujets divers, relativement faciles à rédiger, plutôt que de se pencher sur un réel travail de création.

 

En conclusion, j’ai bien peur que je n’aie fait que contribuer à amplifier la rumeur ambiante d’Internet par mes différentes notes. J’aspire à un peu de silence, de discrétion, de recueillement. Je reviens donc à l’idée que j’ai déjà exprimée autrefois ( à savoir laisser de côté tous les thèmes d’actualité et se concentrer exclusivement sur les sujets littéraires) mais pour la radicaliser. Autrement dit, ne plus déposer ici que des textes personnels, soit de fiction, soit de poésie, soit encore des considérations personnelles ou philosophiques, voire des souvenirs ou des rêveries, un peu comme on le ferait dans un journal intime (se posera alors le problème du rapport entre la sphère privée et la sphère publique, mais s’il s’agit de textes littéraires, ce qui est trop personnel sera de toute façon transformé par le processus de création et sera donc devenu complètement  méconnaissable. En plus personne ne connaît ma vie, donc personne ne parviendra à distinguer ce qui est réel et ce qui est inventé)

 

Cela n’empêche pas de traiter de sujets existentiels ou même de réfléchir sur des phénomènes de société, mais plutôt que de le faire de manière disons intellectuelle, en développant point par point un raisonnement, on pourrait imaginer que cette réflexion s’inscrive dans un texte de fiction ou prenne la forme d’un journal personnel, ce qui, dans les deux cas, supposerait une approche plus littéraire.

 

Pour me résumer et exprimer tout cela plus simplement,  je dirai que la tenue de ce blogue m’a apporté beaucoup, mais qu’il me semble maintenant que cela constitue une entrave à la rédaction de textes plus littéraires, que je n’ai que trop négligés (essentiellement par manque de temps).

 

L’avenir nous dira si je parviens à me tenir à ces nouvelles règles.

 

23:06 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : blogue, internet

16/06/2009

Patrick Chamoiseau

On se dit que le roman français qui s'était un peu assoupi pendant quelques décennies pourrait peut-être retrouver une certaine vigueur dans le cadre plus large de la francophonie. Ainsi il est indéniable que les départements d'Outre-mer possèdent leur propre spécificité, spécificité qui cherche à s'exprimer dans une langue pour le moins originale. Je termine le livre de Chamoiseau, « Autan d'enfance » (qui est le tome I d'une « Enfance créole ») et il me semble y trouver plusieurs éléments intéressants.

Certes, il s'agit finalement d'une autobiographie et on me dira qu'il n'y a rien de plus narcissique, justement, qu'une autobiographie. Bien sûr, mais au-delà des souvenirs personnels, l'auteur nous fait découvrir tout un monde haut en couleur, celui de la vie quotidienne à Fort-de-France, ce qui pour nous, qui habitons le vieux continent, comporte tout de même pas mal d'éléments exotiques assez dépaysants. Donc, de même que l'Europe a pu s'extasier devant les romans Sud américains (Garcia Marquez, etc.) en grande partie à cause de leur touche exotique et de leur part d'étrangeté, de même ici nous découvrons des réalités qui ne nous sont pas forcément familières, ce qui nous oblige, précisément, à sortir de notre coquille et de notre ronron quotidien.

A côté de cela, Chamoiseau raconte la pauvreté et la débrouillardise de sa mère pour parvenir à élever sa famille, ce qui peut aussi renvoyer beaucoup d'entre nous à leur propre enfance. Je veux dire par-là que la réalité qu'il décrit nous est aussi très familière, en dehors de son caractère exotique et antillais et que c'est donc un discours très humain qu'il nous tient en fait. Par-là, il nous touche directement, car il sait sortir de la relation de sa propre enfance pour généraliser son propos  et décrire l'âme humaine.

Quoi de plus émouvant, en effet, que de découvrir le monde par les yeux de cet enfant qui est le narrateur. Son regard innocent, parfois naïf, mais toujours intelligent, nous charme. Quant au portrait qu'il dresse de sa mère, cette maîtresse femme qui ne possédait rien mais qui par son bagout et sa ténacité parvenait toujours à ce que sa famille ne manque de rien, il restera gravé dans la mémoire du lecteur une fois qu'il aura refermé le livre.

Pas de réflexions philosophiques profondes ici, par d'interrogations sur la nécessité d'écrire ou le but de l'existence, mais une description  de la vie des gens simples, qui tentent simplement de survivre et de s'en sortir.

Donc, en résumé, on trouve chez Chamoiseau un côté exotique et dépaysant mais aussi une peinture de l'universel humain. A cela il faut ajouter tous les mots créoles dont il parsème son ouvrage, juste assez pour nous faire sentir une réalité autre, mais tout en sachant rester modéré, afin de ne pas entraver la bonne compréhension du discours. Et à côté de cela, il y a sa manière imagée de s'exprimer, cette petite touche qui fait qu'on sait qu'on a à faire à un écrivain (et pas à un écrivant ?)

« Le dimanche après-midi, Fort-de-France devenait un silence. On ne voyait passer qu'un vent marin, dénoncé par les poussières, et les miettes de la vie. »

Ce silence du dimanche après-midi, lorsque toute activité est interrompue, est rendu en deux petites phrases, avec notamment ce vent qui « passe », invisible et à peine dénoncé par les poussières qu'il transporte (ce qui renvoie à la pauvreté et à la saleté ambiante, à la chaleur et à la sécheresse aussi). Quant aux « miettes de vie » elles rappellent que les hommes sont bien là, ancrés dans ce paysage, même si on ne les voit pas et que leur existence s'écoule irrémédiablement, avec ses petits bonheurs et ses grands malheurs.

Ou bien, on trouve des phrases comme la suivante :

« La messe du soir aimantait l'existant. Des négresses à chapelets, porteuses d'âges sous des voiles noirs et des bijoux d'or massif, clopinaient sur le trottoir en une lente transhumance. »

Au calme de l'après-midi, succède donc la messe du soir, qui vient redonner un peu d'animation à la ville assoupie dans la chaleur de l'été des tropiques. On notera le terme « l'existant » qui est pour le moins inhabituel. Quant à ces négresses (mot que Chamoiseau peut employer en tant que mulâtre, ce qui est pour lui une manière de revendiquer une sorte de négritude à la Senghor), leur description est assurément comique. Les mots  « négresses à chapelets » les figent dans leur rôle religieux, les désignant déjà comme bigotes respectueuses des règles extérieures de la religion, s'enfermant dans des litanies de prières aussi stériles que ridicules. « Porteuses d'âges » (notez le pluriel, qui renvoie les négresses dans une éternelle vieillesse), elles sont forcément veuves. Mais l'auteur juxtapose les « voiles noirs » et les « bijoux d'or », dans une sorte d'oxymore redoutable qui finalement nie l'authenticité de leur veuvage. Certes, elles portent un deuil éternel, mais en même temps elles s'affichent avec des bijoux luxueux et voyants, ce qui ne cadre pas avec leur condition première. Et ne parlons pas de l'adjectif « massif », qui insiste sur le prix exorbitant de ces bijoux (ce qui est contradictoire avec le statut de veuves pieuses qu'elles veulent se donner), et en même temps constitue une touche ironique à l'encontre de leur désir de paraître et de se faire voir. Le fait qu'elles « clopinent » n'est certes pas valorisant à leur égard, mais le mot « lente transhumance » l'est encore moins. Assimilées à des brebis idiotes qu'en emmène où on veut, elles semblent réduites à un troupeau stupide, mot qui donne à son tour une idée sur leur nombre qui doit être important. Voilà donc comment en deux petites phrases on peut faire passer toute une réalité sociale et présenter avec humour ce qui est en fait une critique virulente.

Rien que pour des phrases comme celles-là, le livre de Chamoiseau vaut le détour et comme je le disais au début, il se pourrait bien que ces territoires d'Outre-mer aient quelque chose à nous apporter en littérature. Un peu de sang neuf ne ferait pas de tort, non ?

 Chamoiseau_Antan.jpg

14/06/2009

Pierre Leroux (4 et fin)

Discours de Pierre Leroux devant l'Assemblée nationale constituante le 30 août 1848.  Où l'on verra que ce discours, sur le fond, pourrait être tenu de nos jours. Où l'on se dira cependant qu'il n'y a plus personne pour oser parler de la sorte.

"Citoyens représentants [...] vous êtes ici de par les besoins de l'humanité, de par la volonté du peuple, pour garantir à tous la liberté, non pas la liberté tendant à l'anarchie et au néant, mais la liberté tendant à la reconstitution de l'humanité, à l'association. De là il suit que votre devoir, ainsi déterminé, est en même temps nettement tracé. D'un côté, défendre et protéger la vieille société en faisant des lois qui, sans blesser la liberté, aussi nécessaire à elle qu'à la société nouvelle qui aspire à sortir de son sein, l'empêchent pourtant d'arriver à cet excès de mal et de souffrance au-delà duquel il n'y a plus que ce dernier combat de la mort qu'on appelle l'agonie. De l'autre, par ces lois mêmes, préparer avec un esprit de tolérance ou plutôt d'amour, semblable à cet amour paternel qui s'étend de nous sur nos descendants, l'avènement de la société nouvelle, de la société où seront véritablement réalisés les augustes termes de l'immortelle devise de nos pères : Liberté, fraternité, égalité. Voilà notre devoir, à nous tous élus du peuple, après dix-huit siècles et demi de christianisme, après la révolution de 1789, après celle de 1830, après celle de 1848. Il ne s'agit donc pas de faire intervenir l'État dans les relations sociales ; mais entre l'intervention de l'État dans les relations sociales et la négation de toute médiation et de tout droit tutélaire de sa part, il y a un vaste champ où l'État peut marcher et doit marcher, sans quoi il n'y a plus d'État, il n'y a plus de société collective et nous retombons dans le chaos. L'État doit intervenir pour protéger ce qu'on appelle la liberté des contrats, la liberté des transactions ; mais il doit intervenir aussi pour empêcher le despotisme et la licence, qui, sous prétexte de liberté des contrats, détruirait toute liberté et la société tout entière. [...]

Si, en essence, l'État ne peut pas être autre chose qu'un juge du camp et un gendarme, il faut au moins qu'il soit un juge du camp équitable et un gendarme intelligent (Rires.)

(...)

 La seule question que l'on puisse faire, c'est de demander si l'État a le devoir et le droit de veiller sur la santé des travailleurs et d'empêcher que l'on porte atteinte en leur personne à la dignité humaine. Je réponds à cela que l'État a assurément ce droit, et que même les lois, en général, n'ont pas d'autre but que de veiller sur la conservation de la vie des hommes et d'empêcher que l'on porte atteinte à leur dignité d'hommes. La liberté de faire le mal, en effet, n'est pas liberté, mais crime et licence ; et comme le mal que nous faisons à nos semblables se résume toujours dans une atteinte portée directement ou indirectement à leur existence, il s'ensuit que l'État n'est véritablement institué que pour veiller sur la conservation de la vie des citoyens.

(...)

 Forcer des hommes à travailler quatorze heures par jour est un délit, un crime ; c'est un homicide. Il est évident que la nature humaine, ne peut, sans se détériorer, sans s'abrutir, et sans se détruire rapidement, endurer quatorze heures d'un travail malsain dans un air souvent vicié. Ignore-t-on que les probabilités de vie, qui sont pour les enfants du riche de vingt-neuf ans environ, au moment de la naissance, ne sont que de deux ans pour les enfants de l'industrie cotonnière ? Mais, l'homicide étant constaté, où sont les délinquants, demandent les adversaires du décret. Je réponds : ils sont partout où des hommes prêtent assistance au délit. Partout où des chefs d'industrie encouragent ou tolèrent un travail évidemment homicide, il y a des délinquants.

 (...)

 Et vous auriez le droit de livrer des hommes à un travail mortel sans aucune intervention de l'État, abusant ainsi de l'ignorance et du malheur des hommes ! Non, mille fois non, à moins que vous ne fassiez déclarer par cette Assemblée, nommée par le peuple tout entier, et chargée de ses destinées et de son bonheur, que les travailleurs dont il s'agit ne sont pas des hommes, ou du moins ne sont pas des citoyens, qu'ils sont encore exclus de la cité et que l'État abdique à leur égard son droit tutélaire. (Très bien !)

(...)

 La loi actuelle de la production est telle, qu'un certain nombre de capitalistes actifs jouissent d'un moyen assuré d'attirer à eux toute la fortune publique ; d'où résulte en même temps la baisse continuelle des salaires pour la multitude des travailleurs, condamnés à vivre du moindre salaire possible, et à mourir lorsque ce salaire vient à leur manquer. Citoyens, vous le voyez, la cause que je défends, la cause des pauvres ouvriers, est la cause de tous ; elle est la vôtre, propriétaires fonciers qui empruntez de l'argent à gros intérêts, tandis que vos domaines cultivés si péniblement par vos métayers et vos fermiers, vous rendent si peu ; elle est la vôtre aussi, chefs d'industrie et négociants, qui voyez continuellement la faillite planer sur vos têtes.

Moniteur Universel,
n° 244 du 31 août 1848, pages 2232-2236.

Source : Assemblée nationale

 

images.jpg

 

12/06/2009

Pierre Leroux (3)

En 1843, Leroux crée une imprimerie à Boussac, dans la Creuse. Il n'est pas très éloigné de son amie Georges Sand, qui elle vit principalement à Nohant, dans l'Indre (entre Châteauroux et La Châtre). Leroux fait d'abord  venir sa famille (notamment son frère) et quelques proches. Il veut instaurer un phalanstère sur le modèle conçu par Fourier. Le phalanstère idéal est une sorte d'hôtel coopératif situé au milieu de 400 hectares de terrain agricole et où vivraient plus ou moins deux mille personnes.   Il comporterait des couloirs chauffés et de grands réfectoires. Le but est de faire vivre et de faire travailler les hommes en communauté, un peu sur le modèle qui sera réalisé dans les kibboutz.

Le projet de Leroux est plus modeste et se développe, lui, autour d'une imprimerie (ce qui lui permet par ailleurs de publier ses écrits et de les répandre, notamment via les revues L'Eclaireur et La Revue sociale ). Petit à petit, des disciples séduits par ses idées vont venir se joindre à la communauté initiale, qui comportera en tout plus ou moins 80 personnes. Devenu franc-maçon, Leroux essaie de trouver de nouveaux adeptes. Comme il s'agit d'auto financer son institution, on dit qu'il recrute surtout ceux qui ont de la fortune. On sait par ailleurs que Georges Sand l'aida beaucoup financièrement et qu'à la fin elle fut lassée de le voir toujours tenter de soutirer de l'argent à ses amis aisés. Certains verront Leroux comme un idéaliste qui tente désespérément de réaliser ses idées par tous les moyens. D'autres diront au contraire que c'est un opportuniste qui ne pense qu'à quémander de l'argent pour des projets farfelus. Question de point de vue, évidemment, qui ouvre cependant un vaste débat. Quelle perception avons-nous des grands hommes du passé ? Nous ne les connaissons que par leurs écrits ou par les témoignages de leurs contemporains. L'Histoire officielle, souvent, s'est emparée de leur légende, les glorifiant sans cesse et déformant finalement leur vraie personnalité. Il nous aurait fallu les connaître personnellement pour nous faire une idée, mais là aussi notre point de vue n'aurait pu être que subjectif. Difficile donc, d'atteindre la « vérité » des êtres, surtout s'ils appartiennent au passé.

11/06/2009

Pierre Leroux (2)

Puisque nous parlions de Pierre Leroux (1797- 1871), voici quelques citations de ce philosophe qui semble injustement méconnu. Même s'il est un peu utopique dans ses désirs les plus fous (notamment en rêvant d'une justice sociale), la passion qui l'anime mérite le respect, d'autant plus qu'elle ne vise jamais ses intérêts personnels, mais la collectivité tout entière.

Si ses contemporains l'avaient un peu plus écouté, le système capitaliste tel que nous le connaissons aujourd'hui (avec ses crises financières à répétition, son désir de production aveugle, son mépris des classes laborieuses qu'on licencie pour des raisons douteuses) n'existerait peut-être pas. Pas plus que n'aurait existé la dictature stalinienne de sinistre mémoire, laquelle a clairement corrompu l'idée généreuse initiale du communisme.

 Vivre, ce n'est pas seulement changer, c'est continuer

 La vie est une aspiration vers l'avenir

 Les vrais poètes sont toujours prophètes

 L'homme ne supportera donc jamais deux vérités à la fois ?

 Serai-je sur a terre quand la justice et l'égalité régneront parmi les hommes ?

 L'art, c'est l'artiste. L'artiste, c'est Dieu

 Vous voulez vous aimer. Aimez-vous donc dans les autres car votre vie est dans les autres et sans les autres votre vie n'est rien.

 Mais que faire de cette force permanente en nous, de cette force qui aspire et qui aspire toujours ?

PierreLeroux.jpg

 

08/06/2009

Pierre Leroux

Je termine le livre que Bruno Viard, professeur de littérature à l’Université d’Aix en Provence, a consacré à Pierre Leroux. (« Pierre Leroux, penseur de l’humanité", éditions Sulliver, février 2009).

Leroux est un penseur et un philosophe du XIX° siècle qui aura eu l’originalité de percevoir avant tout le monde le danger des systèmes de pensée. Adepte dans un premier temps du libéralisme, il aura vite compris comment cette doctrine, qui voulait faire progresser la société en développant les initiatives personnelles et en réduisant le rôle de l’Etat, pouvait déboucher sur un égoïsme effréné et ne viser qu’à l’enrichissement personnel. Après avoir fréquenté un temps St Simon, il s’en écarte quand il pressent que pour imposer la fraternité, il faut réduite la liberté. En d’autres mots il devine qu’un régime socialiste fort sera par définition obligé de lutter contre l’individualisme, ce qui l’amènera à limiter la liberté individuelle au profit d’une fraternité collective imposée. En bon dialecticien, il tentera donc une synthèse de ces deux courants de pensée que sont le capitalisme et le socialisme et cela avant même que chacune de ces doctrine ne fasse les ravages que l’on connaît (crise de 1929, dictature stalinienne).

Toute la vie de Pierre Leroux est dans cette synthèse. C’est lui qui a créé le mot « socialisme» et lui encore qui a œuvré pour imposer la devise "Liberté, égalité, fraternité". On peut dire qu’il a pressenti avant d’autres les grands dangers des deux courants de pensée politiques qui sont les nôtres depuis 1789. Il est assez rare de rencontrer un penseur qui ne s’enferme pas dans un système de réflexion mais qui au contraire ose un regard critique sur ses propres conceptions. C’est à son refus des idéologies préétablies que Pierre Leroux doit manifestement sa capacité à percevoir les limites des mouvements de pensée auxquels il adhère. Saluons un homme qui à chaque étape de sa vie a su se remettre en question et qui a toujours tenu compte de son expérience antérieure pour tenter une nouvelle synthèse. Saluons ce penseur qui a consacré son existence à réfléchir à la meilleure manière d’organiser la société des hommes.

 

9782351220542.jpg

04/06/2009

Elections européennes (suite)

J'apprends que Le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement ne prend pas part à la campagne des élections européennes et qu'il préconise au contraire un vote blanc ou nul.

On me dira que ce n'est pas étonnant, de la part d'un petit parti qui n'a pas grand chose à espérer de ce scrutin. C'est vrai, bien entendu, mais je retiens tout de même que dans sa déclaration il reprend un peu ce que j'ai dit de mon côté dans la note précédente :

Cette élection à un Parlement-fantôme est un trompe l'œil. Dans cette enceinte où 770 soi-disant députés inconnus de leurs électeurs peuvent s'exprimer trois minutes chacun, en usant de l'une des vingt-deux langues officielles reconnues, aucune volonté générale ne peut bien évidemment s'exprimer.

M. Sarkozy, à Nîmes, a parlé de politique de change volontariste, de protection communautaire et de politique industrielle commune, mais il sait très bien que le texte du traité de Lisbonne qu'il a fait adopter, l'en empêchera. La même schizophrénie - pour ne pas dire hypocrisie - frappe le Parti socialiste qui a approuvé lui aussi le traité de Lisbonne. D'ores et déjà MM. Brown et Zapatero ont fait savoir que les députés travaillistes anglais et ceux du PSOE espagnol soutiendraient le candidat libéral à la présidence de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso. Cette élection est vide de contenu.

(...)

Le Mouvement républicain et citoyen appelle au vote blanc ou nul de préférence à l'abstention : le peuple français, en effet, ne doit pas laisser bafouer la volonté qu'il a démocratiquement exprimée le 29 mai 2005. »

Et c'est vrai que lorsque tous les partis, de gauche comme de droite, suivent finalement  la même politique et acceptent sans broncher les décisions d'une Commission européenne qui est non seulement influencée mais même carrément dirigée par la haute finance et le grand capital, on peut se poser des questions sur le sens du mot démocratie. Pris en otages, les citoyens, par leur vote, ne font que participer à l'enlisement général. Ne pas voter, c'est s'abstenir de donner son avis. Voter blanc, c'est au moins montrer qu'on n'est pas d'accord, même si cela ne change rien au résultat final du scrutin, puisque les postes seront répartis entre les partis selon le souhait exprimé par ceux qui auront voté, même s'ils ne sont que quelques-uns.

Ce vote est donc complètement faussé puisque l'électeur n'a pas une vision d'ensemble sur le parti auquel il va donner sa voix. Imaginons un citoyen français qui vote socialiste, par exemple, il ne pourra pas se faire une idée générale de la politique qui sera menée par l'ensemble des socialistes européens. Il n'a, lui, pour justifier son choix, que le programme du PS français. Rien ne dit que le PS espagnol ou le PS danois ont la même vison des problèmes que le PS français. C'est même d'autant moins probable que chaque parti, quelle que soit finalement sa couleur, a tendance à réagir en fonction des problèmes spécifiques du pays qu'il représente. Inversement, s'il y a une ligne directrice de tous les PS des vingt-sept états membres, on aimerait bien la connaître car cela n'apparaît absolument pas dans les programmes exposés lors de la campagne. Et même si c'était le cas, ce qui serait quand même plus logique, on tomberait alors dans une autre ineptie, à savoir que les décisions et les lignes de conduite d'un parti seraient prises lors de gigantesques assemblées internationales et donc que les partis nationaux seraient parfois amenés à devoir voter des mesures contre l'intérêt même des électeurs qu'ils représentent sur le plan national. Si la  production d'huile d'olive concerne certainement les électeurs grecs, il n'est pas certain que cet aspect des choses serait envisagé par un congrès international socialiste qui se tiendrait par exemple à Berlin et où donneraient leur avis des politiciens danois, finlandais et lituaniens.

Tout cela pour dire que l'Union européenne devient un énorme mammouth ingouvernable, ce qui ne serait pas encore trop grave en soi si les états membres n'avaient pas entre temps perdu une grande partie de leurs prérogatives. Nous nous retrouvons donc devoir confier la direction d'un bateau à un équipage dont on sait déjà qu'il s'acquittera mal de sa tâche. C'est d'autant plus inquiétant quand on sait que le bateau en question effectue une traversée qui va contre nos intérêts de citoyens ordinaires.

02/06/2009

De l'élection européenne

Laissons pour une fois de côté la littérature pour nous pencher sur l'utilité ou l'inutilité de l'élection européenne du 07.06.09. Voilà une question qui mérite en effet d'être posée.

Nous vivons, nous dit-on, en démocratie. Nous devrions en être fiers. Pourquoi, dès lors, le taux d'abstention à l'élection européenne est-il passé de 37% à 54% ces dernières années ? Il y a à cela pas mal d'explications.

Tout d'abord, dans chaque pays, on retrouve comme candidats des politiciens bien connus qui ont souvent déjà fait preuve de leur incompétence ou qui en tout cas ont fini par lasser.

Ensuite, le résultat de ces élections est connu à l'avance puisque le citoyen moyen a peu de chance de voir sa vie quotidienne s'améliorer d'une manière ou d'une autre suite à son vote.  Quand il s'agit d'un scrutin local (communal) ou national, les enjeux sont plus directs et l'électeur veut bien se déplacer pour que sa tendance politique soit représentée (ou pour que la tendance qu'il déteste ne le soit pas, comme on a pu le voir lors de l'élection présidentielle qui, au second tour, opposait Chirac et Le Penn). Mais ici, vu la grandeur du territoire occupé par l'Union, il est clair que les quelques députés que chaque pays va élire vont être noyés dans la masse. Dès lors, la voix d'un citoyen ne représente quasi-rien et il préfère donc s'abstenir. Ceci est encore plus vrai si le pays est petit (Lituanie, Slovénie, Luxembourg).

De toute façon, qu'on vote à droite ou à gauche, à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, il semble bien que rien ne change dans la politique de l'Union, laquelle poursuit la même ligne de conduite depuis ses origines : favoriser les échanges commerciaux et donc permettre à quelques-uns de s'enrichir plus facilement. L'Europe sociale ou l'Europe des citoyens, c'est toujours pour demain. Tout le monde la souhaite mais on ne la voit pas arriver. En attendant, chaque état a perdu une grande partie de ses compétences au profit de l'Union. Ce que le citoyen moyen retient c'est que l'entreprise dans laquelle il travaille peut maintenant faire venir légalement de la main d'œuvre polonaise (par exemple) et même la payer au prix qu'on paie en Pologne les travailleurs polonais (comme un récent arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg vient de l'établir). Pour le travailleur français qui recherche un emploi, cela signifie qu'il va bientôt devoir accepter un emploi moins bien rémunéré, sinon on lui préférera un autre travailleur de l'Union. Quand les syndicats se mettent en grève contre ce genre de pratique comme cela a été le cas récemment en Angleterre, on leur reproche une attitude raciste, ce qui fragilise déjà beaucoup le bien fondé de leurs revendications.  Le procédé est habile. Ce sont donc maintenant les petits qui se disputent entre eux, pour le plus grand plaisir du patronat qui lui, magnanime et pas raciste pour un sou, n'hésite pas à embaucher de la main d'œuvre roumaine ou bulgare, surtout si elle coûte moins cher. Il est même tellement magnanime, ce patronat, qu'il est même prêt à délocaliser une partie de ses centres de production vers ces pays pauvres dans le seul but de relancer leur économie moribonde, mise à mal par cinquante années de régime communiste.  On reste confondu devant autant de philanthropie.

 Une autre cause du désintérêt du citoyen pour cette Europe qui se construit sans son accord (et même malgré son désaccord puisque personne n'a tenu compte des « non » français, hollandais et irlandais au projet de constitution néo-libéral qui nous propose les échanges commerciaux comme principe idéologique et comme seule valeur de la personne humaine) c'est que du point de vue politique l'élection se fait sur le plan national. Je veux dire par-là qu'il n'existe pas par exemple un parti socialiste européen (mais on aurait bien peur de voir naître un jour un tel mammouth). Les socialistes français votent pour des socialistes français et les Espagnols ou les Allemands font la même chose. Entre eux, aucun accord. Ils n'est même pas sûr qu'ils envisagent de suivre la même politique. Autrement dit, nous sommes en présence de vingt-sept petits scrutins nationaux avec des enjeux internes  et aucun parti ne propose une vue d'ensemble sur ce que devrait être l'Europe.

Il serait grand temps pourtant de voir les syndicats défendre nos intérêts sur le plan européen. Aujourd'hui, se mettre en grève quand on licencie du personnel en France (parce que des managers ont hypothéqué la survie d'une entreprise en jouant en bourse ou parce qu'ils ont voulu racheter un concurrent alors qu'ils n'en avaient pas les moyens) est suicidaire car on prend prétexte de ce mécontentement social pour tout fermer et délocaliser sous d'autres cieux. Il faudrait donc que la défense des travailleurs se fasse sur le plan européen, ce qui est loin d'être le cas.  C'est pourtant bien ce qui se passe pour le patronat, puisque les frontières sont ouvertes à tous les mouvements de capitaux. Encore qu'il convienne de nuancer cette dernière affirmation.  Tant qu'il s'agit de s'étendre, les firmes semblent avoir une vocation européenne bien ancrée, mais quand les choses tournent mal, on les voit se replier sur leur pays d'origine. Ainsi en va-t-il de ces firmes allemandes qui  ferment d'abord leurs succursales françaises afin de préserver la maison mère allemande. On ne va pas le leur reprocher, Renault avait fait la même chose il y a quelques années en fermant d'abord son site de la banlieue de Bruxelles avant de restructurer en France même (mais tout en ayant déjà un regard pointé sur les anciens pays de l'Est).

L'Union est tellement grande qu'aucun citoyen ne sait ce qui se passe dans les pays voisins. Si un Français a une vague connaissance de la politique allemande ou espagnole, qui peut se targuer de connaître les enjeux en Slovénie ou en Bulgarie ? Personne, évidemment.  Du coup, au lendemain du vote, on découvrira peut-être avec étonnement que ces pays  ont pris une position qui va à l'encontre de celle que nous aurons prise nous, court-circuitant dès lors notre propre choix. Pourquoi, dès lors, se déplacer encore pour aller voter ?

A côté de cela, vous avez les calculs électoraux des partis, qui décident de parachuter tel candidat du Nord dans le Sud-Ouest ou le contraire  (j'invente) afin d'attirer des voix. Ces politiciens-là sont certains d'être élus, ce qui fait que l'électeur a perdu en fait son pouvoir de sanctionner les erreurs commises dans le passé par ledit politicien.

 De plus, pour couronner le tout, si le clivage gauche-droite a souvent un sens dans la vie politique nationale, il ne semble pas en aller de même à Strasbourg. A-t-on jamais entendu que des débats houleux s'étaient poursuivis plusieurs jours dans l'hémicycle des députés ? Non, car en fait ils semblent tous d'accord entre eux, même s'ils ne sont pas de la même tendance politique. Cette apathie bien réelle s'explique par le fait que le Parlement ne décide à peu près rien, contrairement à ce qu'on nous dit et que c'est la Commission qui tient les rênes du pouvoir.  Dans cette Commission, où sont présents des observateurs des Etats-Unis et même d'Israël (grâce à l'intervention récente de MM Sarkozy et Kouchner), on règle surtout les grands problèmes économiques et on ne se penche pas vraiment sur les problèmes sociaux des citoyens. Faut-il s'étonner, dès lors, que ceux-ci marquent un tel désintérêt pour ces élections ? La solution, certains pays l'ont trouvée, comme la Belgique, qui rend le vote obligatoire (pour les élections communales, régionales, nationales ou européennes). Là, en quelque sorte, on est obligé d'être libre et de manifester son choix.  Que voilà une manière habile d'avoir des citoyens motivés puisqu'on aura cent pour cent de participation ! Il est vrai que le siège de la Commission est à Bruxelles et que la petite Belgique ne pouvait pas faire moins.