24/06/2009
Le grenier
Maison poème...
Dans le grenier des rêves j'ai retrouvé mon enfance.
Dans une grande malle, sont rangés les jouets et des puzzles incomplets. Sous la tabatière, le cheval à bascule contemple les étoiles.
En hiver, on faisait sécher en ce lieu la lessive des lundis et c'était comme de grands fantômes blancs immobiles qui semblaient dormir là, énigmatiques et muets. Je me faufilais entre eux, respirant à pleins poumons, les yeux fermés, la bonne odeur du large que le savon avait laissée. Dans mon cœur, des tempêtes faisaient rage et les vagues de l'Atlantique déferlaient sous le vent des équinoxes. Contre ma joue, les draps humides et froids mouillaient ma peau. Frisson délicieux. Envoûtement...
Du bout des doigts je touchais ces êtres mouvants, mais ceux-ci, rebelles, se dérobaient sans fin.
Dans les coins reculés trottinaient les souris. Leurs yeux interrogateurs parfois luisaient dans l'ombre et c'était ensuite des courses éperdues dans l'épaisseur du plancher. Monde mystérieux, inaccessible. Quelle vie palpitait là, sous mes pieds ?
Sur une boîte en carton, une trappe tendue attendait, inutile, son fromage ayant été dévoré au siècle passé.
Dans une housse transparente pendaient des vêtements d'un autre âge. Portés par qui ? Mystère.
Sur un journal de l'année passée sèchent des oignons. Le bruit de papier quand on effrite la pelure dans les mains... Elle retombe en poussière d'or emportée au moindre courant d'air.
Près de la cheminée (celle du père Noël ?) un vieux lustre gît à terre. Quelles fêtes d'un autre âge a-t-il dû éclairer ? Quelles jeunes filles en fleur ont dansé dans sa clarté ? Elles doivent être mortes, maintenant. Qui étaient-elles ? Une de ces mères-grands entr'aperçues un jour sur de vieilles photos en noir et blanc ? Bien droites, raides et dignes dans leurs habits du dimanche, figées pour l'éternité, avec sur les lèvres un sourire si las... Suis-je leur descendant, moi qui suis maintenant à genoux, cherchant entre les lattes du plancher une épingle à cheveux inaccessible ?
Dans la vielle armoire dont la porte grince, il y a, je le sais, des lettres du temps jadis, venues tout droit des tropiques. Zanzibar, Tananarive et les îles sous le vent surgissent dans le grenier. Sur les timbres dentelés, des négresses aux dents blanches sourient devant les mers du Sud. Qui a envoyé ces lettres ? Quel oncle disparu, jamais croisé ? A-t-il acheté des esclaves le long du fleuve Zaïre ou vendu des armes à Tombouctou ? De quel désert du Hogar a-t-il écrit ? De quel village abyssin ? Je ne le saurai jamais, un cadenas maintenant condamne la porte. Il me reste à rêver et à imaginer des voiliers remplis de pirates ou des îles enchantées.
Craquement dans l'escalier. On vient me chercher car on sait que c'est ici que je me réfugie souvent, pour contempler dans la lumière de la tabatière les mille grains de poussière d'or qui volent au moindre souffle, formant comme des nuages énigmatiques dont nul n'a le secret.
12:13 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, poésie, le grenier
Commentaires
C'est joli et plein de nostalgie.
Il y a des êtres que le passé (poussiéreux) n'attire pas et qui ne regardent que vers l'avenir.
Je ne suis pas de ceux-là.
Écrit par : Cigale | 24/06/2009
Comme Cigale, j'aime cette rêverie. Que j'ai relue.
Qui nous ouvre à nos propres souvenirs de solitudes simples dans un espace réconfortant.
On sent bien dans ce que tu écris la prégnance de l'espace, ce grenier où le rêveur éveillé se repose dans le passé.
L'espace est tout, dit Bachelard, dans "La poétique de l'espace". La mémoire n'enregistre pas la durée concrète. On ne peut pas revivre les durées abolies, mais c'est dans l'espace que nous trouvons "les beaux fossiles de durée concrétisés par de longs séjours".
La seule évocation de la vieille armoire à la porte qui grince appelle notre armoire personnelle, celle dont seul(e), nous sentons l'odeur.
Ta maison imaginée s'élève. Elle a un escalier (par lequel on vient te chercher) et un grenier. Dans lequel on voit sans doute à nu, avec plaisir, toute l'ossature des charpentes.
Écrit par : Michèle | 24/06/2009
Bien sûr, on voit toujours les charpentes dans un vrai grenier. Un plaisir en soi. L'impression de pénétrer dans l'envers du décor et en même temps de toucher la structure même du monde. Cela a un côté rassurant. Et en même temps le bois nu est de toute beauté, sans parler des chevilles souvent apparentes qui maintiennent tout cela en place.
C'est vrai que j'ai négligé la charpente dans ce texte sur le grenier. Un oubli impardonnable.
Écrit par : Feuilly | 25/06/2009
Non, non, ne regrette rien (si je puis me permettre).
Ce que tu as fait est très bien. Une évocation plutôt qu'une description. Et les images sont si fortes que j'ai vu la charpente brute.
Tu nous donnes l'énergie de la rêverie.
Écrit par : Michèle | 25/06/2009
"L'impression de pénétrer dans l'envers du décor et en même temps de toucher la structure même du monde"
C'est très beau ça !
Écrit par : Caroline | 25/06/2009
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