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31/01/2008

Evolution des moeurs

Le choc des photos:

Le Président

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La première dame:

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Première dame de France

Après ce petit intermède sur Rimbaud et les Ardennes qui l’ont vu naître, il nous faut bien revenir à la vie quotidienne. Hélas, en quelques jours, la situation ne s’est pas améliorée. Les Français sont encore un peu plus pauvres, tout comme la Société générale d’ailleurs. L’Empereur, lui, a continué à faire parler de lui (en pure perte d’ailleurs puisque sa côté de popularité poursuit son inexorable descente). Je l’avais laissé en Egypte, en train de roucouler au pied des pyramides avec sa belle. Depuis, tel Alexandre le grand , il est arrivé jusqu’en Inde. Il a aussi intenté un procès à Ryanair, pour publicité douteuse. Il ne l’a pas fait pour l’argent (à la différence de Carla, qui elle, réclame directement 500.000 euros) mais simplement pour faire respecter le prestige de la fonction présidentielle. Il fait bien, car depuis qu’il est président, ce prestige ne fait que dégringoler. Il est vrai qu’il en est le principal responsable. A force de se présenter en tenue de jogging et de s’afficher un peu partout avec des femmes différentes (Cecilia, Rachida dati, Laurence Ferrari, Carla, etc.), à force de vouloir ressembler à Monsieur tout le monde (sauf pour le salaire, augmenté de 172 %) et à force de se laisser photographier dans sa vie privée en douce compagnie, il est clair que le public a fini par oublier la prestance qui était celle d’un De Gaulle ou le mystère qui entourait un Mitterrand. C’est allé si loin que les publicitaires, ces gens naïfs qui n’ont jamais rien compris en dehors de leurs chiffres de vente, ont cru qu’ils pouvaient, eux aussi, « surfer » sur cette nouvelle vague et se servir de l’image du futur couple présidentiel (enfin le couple est déjà constitué, mais pas encore légalisé ; du travail au noir, en quelque sorte) pour faire des affaires. Et bien non. Nicolas est aussitôt intervenu pour les rappeler à l’ordre. Certes on peut vouloir faire des affaires et s’enrichir, c’est d’ailleurs là un des piliers de sa politique libérale, mais on ne peut pas le faire en se servant de l’image du président et de sa presque compagne légale.

Allez savoir pourquoi. D’un côté il veut se montrer moderne en divorçant pour ainsi dire en direct et en officialisant le concubinage et de l’autre il s’insurge quand une publicité parle mariage. Voudrait-il à ce point inverser les valeurs ? On savait déjà qu’il avait mis à mal les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. On savait qu’il voulait qu’il y ait de plus en plus de pauvres et que seuls quelques riches sortent du lot. On savait qu’avec lui il allait falloir travailler plus pour gagner moins. Mais on ne savait pas encore qu’il s’en prendrait à la liberté de la publicité, ce pilier de l’économie libérale. Surtout qu’on ne peut pas dire que la photo de Ryanair était choquante.

Non, là, franchement, on ne comprend pas le petit Nicolas. Sans doute est-ce Carla qui a mal pris la chose. Il est vrai qu’elle se préparait à faire publier d’elle les photos presque officielles de la future première dame de France. Elle ne voulait sans doute pas qu’on lui coupe son effet en venant parler mariage. Cela fait si petit bourgeois. Elle, elle plane beaucoup plus haut :




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30/01/2008

Au pays de Rimbaud (7)

On ne peut pas clore cette évocation du « pays de Rimbaud » (et je ne parle pas ici de son monde imaginaire, mais bien tout simplement de la région où il a vécu) sans parler des légendes populaires qui y sont attachées.

Nous avions cité, dans « La rivière de cassis », ces vers du poète :

Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d'anciens temps;
De donjons visités, de parcs importants :
C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent.


Ces « chevaliers errants » font immédiatement songer aux chansons de geste moyenâgeuses. On connaît souvent la quête du Graal et ses nombreux récits au cours desquels de jeunes chevaliers sans fortune traversent seuls les forêts à la recherche d’aventures improbables. Soit dit en passant, d’après Georges Duby, le célèbre historien, il en allait souvent ainsi pour les malheureux qui n’étaient pas les aînés de leur famille. L’héritage revenant de droit au premier enfant mâle, les autres, si on n’était pas parvenu à leur assurer une situation dans les ordres, étaient obligés, une fois adoubés chevaliers, de partir à l’aventure, jusqu’à ce qu’ils trouvent à se placer sous la protection d’un seigneur plus puissant qu’eux. Cette vie errante, qui n’aurait pas dû déplaire à Rimbaud, était donc bien une réalité.

A côté de la matière de Bretagne (le roi Arthur et le merveilleux celtique) et la matière de Rome (César, Alexandre le Grand et la mythologie grecque), il y a évidemment la matière de France. Dans celle-ci, on distingue :

le cycle du Roi (Charlemagne et ses batailles contre les Sarrasins). D’origine historique, on y a ajouté une forte couche de merveilleux (géants, magie, monstres). « La Chanson de Roland » appartient incontestablement à cette catégorie

le cycle de Guillaume d’Orange (avec Garin de Monglane, le chevalier Vivien, etc.)

le cycle des barons révoltés ou de Doon de Mayence.

Ce dernier cycle nous intéresse particulièrement, puisque c’est là qu’on retrouve la geste de Renaud de Mautauban. (XII° siècle). Or, le début de ce récit, qui est mieux connu sous le nom de « légende des quatre fils Aymon », se passe en Ardennes, et plus précisément dans la vallée de la Meuse, entre Monthermé et Givet. En fait, la geste est divisée en trois parties bien distinctes :

· Partie ardennaise
· Partie gasconne
· Partie rhénane


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Voici les faits.

Partie ardennaise :
L’oncle du héros Renaud avait été assassiné sournoisement par Charlemagne car il avait refusé de se plier à son autorité. Plus tard, Renaud lui-même, qui s’était pris de querelle avec un neveu de l’empereur, tua d’abord le jeune homme puis reprocha à Charlemagne d’avoir assassiné son oncle. On devine la suite. Obligé de s’enfuir avec ses trois frères, Richard, Alard et Guiscard, il se réfugie dans la forêt des Ardennes. Avec l'aide de leur cousin, l'enchanteur Maugis, ils bâtissent un château (Montessor) sur un roc dominant la vallée de la Meuse: Château- Regnault. Charlemagne assiège le château. Les quatre frères résistent longtemps, mais à cause du traître Ganelon ils doivent s’enfuir par une porte dérobée. Ils se sauvent grâce au bon cheval-fée Bayard et regagnent l'épaisse forêt. Celle-ci leur sert de refuge pendant sept ans (chiffre symbolique).

Partie gasconne :
Ensuite, lassés de cette vie de misère, ils prennent la route de la Gascogne et nous les retrouvons en train de guerroyer contre les Maures en compagnie du Roi Yvon. Comme récompense de leurs exploits, ils obtiennent le château de Montauban. Mais Charlemagne, qui a retrouvé leurs traces, met le siège au château. Trahis par Yvon lui-même, ils parviennent encore à s’échapper, bernant une fois de plus l’empereur. Il s’ensuit encore quelques aventures durant lesquelles les frères sont tour à tour prisonniers. Finalement, épuisés, ils acceptent les conditions de Charlemagne. Celui-ci leur pardonne leur insubordination, mais Renaud doit accomplir un pèlerinage en terre sainte, tandis que ses trois frères deviendront vassal de l’empereur. Quant au cheval-fée, Bayard, qui les avait si souvent secourus (il était capable d'allonger sa croupe pour porter les quatre frères), il est livré à Charlemagne, lequel le précipite dans la Meuse à Dinant, en Belgique (une autre version dit à Esneux, près de Liège), avec une grosse meule de pierre autour du cou. Heureusement, le brave cheval parvient à se libérer et avec un hennissement, il s’enfonce dans la forêt d’Ardenne, au grand désespoir de Charlemagne.

Partie rhénane :
Revenu de Terre sainte, Renaud se rend en Allemagne où il travaille comme simple ouvrier à la construction de la cathédrale de Cologne. Jalousé, il est assassiné par ses collègues, qui jettent son corps dans le Rhin. Des miracles se produisent. A partir d’ici la légende rejoint l’hagiographie. Saint Renaud (ou plutôt Sankt Reinold) est vénéré à Cologne et à Dortmund. Plus tard, ses reliques seront transférées à la cathédrale de Tolède, où parait-il, elles sont toujours.

Il y a de nombreuses choses à noter au sujet de cette légende.

D’abord, l’interpénétration des différentes gestes : appartenant incontestablement à la geste des barons révoltés dans l’épisode ardennais, la légende des quatre fils Aymon rejoint la geste du roi quand il s’agit de combattre les Maures dans le Midi. Il faut dire que cette littérature est avant tout orale et que les conteurs s’y entendaient pour agglutiner ensemble les différentes histoires qu’ils avaient en mémoire. Le fait que la transition se soit faite sans problème entre la légende (qui avait sans doute un fond historique) et l’hagiographie (culte de saint Renaud en Allemagne) prouve bien qu’entre le merveilleux et la religion, les frontières n’ont jamais été très claires.
Un des enseignements que l’on peut d’ailleurs tirer de notre légende, c’est précisément qu’elle représente le combat de l’Eglise à l’encontre des anciennes croyances païennes. Dans la forêt primitive (dont l’Ardenne constitue finalement un résidu), les Celtes et avant eux les populations préhistoriques avaient vénéré certains rochers ou certains sites remarquables (voir par exemple le site mégalithique de Wéris, en Ardenne belge).


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Le long de la Meuse ardennaise, ces sites ne manquaient pas. Il convenait donc de les « christianiser » en racontant une histoire dont le héros finirait par se soumettre à l’autorité ecclésiastique ( accomplir le pèlerinage en terre sainte et finir par être vénéré comme saint). Maugis, le cousin magicien des quatre frères, prendra quant à lui la bure.
D’un autre côté, si la légende insiste sur le désir d’autonomie et de liberté (en refusant initialement de devenir vassaux de Charlemagne, Renaud et ses frères incarnent bien le refus des chefs locaux, enracinés dans leur région, de s’incliner devant l’autorité centralisatrice de l’empereur), elle finit « moralement » par une soumission finale. Seul le cheval-fée Bayard, en fin de compte, parviendra à s’enfuir au plus profond de la forêt, incarnant à lui seul cet esprit frondeur si cher aux populations paysannes. De plus, il représente la victoire de la magie et du merveilleux sur le monde administratif et rationnel de l’Empereur. Il existe dans cette région (Ardennes françaises mais aussi Ardenne belge) de nombreuses « Roches Bayard », « Pas Bayart ». Ainsi à Dinant, à l’endroit même où Bayard se serait extrait des flots, se trouve le rocher Bayard, qui serait issu d’un coup de sabot du cheval fabuleux. On dit qu’à la Saint Jean, on l‘entend encore parfois hennir. Cette date, qui correspond au solstice d’été, renvoie bien, une nouvelle foi, à la fête de la lumière et donc à un culte païen pré-chrétien. Cela corrobore l’idée déjà émise d’une origine celtique de la légende, si ce n’est paléolithique.



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Dinant (Belgique), Rocher Bayard


Notons que ce mythe quittera l’Ardenne pour devenir européen. Ainsi, en Espagne, dans le « Roman de Roncevaux », nous retrouvons le personnage de Renaud, qui meurt aux côtés de Roland à la fameuse bataille qui vit périr l’arrière-garde de Charlemagne. Plus tard, l’Arioste, dans son « Roland furieux », reparlera de Renaud.


Il existe une douzaine de manuscrits de notre saga. Le meilleur d’entre eux, appelé manuscrit La Vallière est conservé à la Bibliothèque nationale. C’est un texte du début du XIII°siècle qui comporte 18.489 vers.
A la fin du XIV° siècle, on aura une version de 29.513 vers en alexandrins. A la fin, le thème sera diffusé par la littérature de colportage.

Il existe une traduction à partir du texte en ancien français (au moins partielle) et que je n’ai pas lue : Les Quatre Fils Aymon, Trad. de Micheline de Combarieu du Grès et Jean Subrenat, Folio.

Voici donc ce que l’on peut dire pour donner un petit aperçu de cette terre sauvage et belle qui fut la patrie de Rimbaud. C’est un monde de forêts et de légendes et même si le poète aux semelles de vent a passé sa vie à le fuir, il serait fort étonnant que quelque part il n’y ait pas puisé une certaine inspiration car c’est souvent dans le pays de l’enfance que se trouve la source de toute chose.


942da2b564835d4eda3b7a35ef4ecf26.jpgBogny-sur-Meuse (France) : quatre pics rocheux symbolisent les quatre frères



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23/01/2008

Au pays de Rimbaud (6)

Pour clore ces quelques articles sur Rimbaud et sur la région où il a vécu, je voudrais faire encore une réflexion. On dit à juste titre que Rimbaud était ardennais. Etant né à Charleville et y ayant vécu, ayant parcouru les bois alentours dans tous le sens plus que nul autre, il n’y a pas de doute à avoir. Rimbaud est bien ardennais. Pourtant, si on considère la ferme familiale de Roche, dont tous les biographes ont parlé, c’est peut-être moins évident.

Le problème, c’est que lorsque l’on a découpé la France en départements, on n’a pas forcément respecté les régions naturelles. On a dit que le critère était de pouvoir rejoindre la préfecture en une seule journée à cheval. C’est bien possible. Pourtant, si on y regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que systématiquement le découpage semble fait pour « casser » une unité géographique. Prenons le cas de l’Ardèche, par exemple. Quel rapport, finalement, existe-t-il entre les sommets du Mont Gerbier des Joncs, souvent perdus dans les brouillards et la plaine qui jouxte le Rhône ? Est-ce que le mode de vie des cultivateurs qui habitent les hauteurs n’est pas plus proche de celui des habitants de la Haute-Loire, par exemple, plutôt que de celui des citadins de la vallée du Rhône ? On pourrait tenir le même raisonnement pour les Pyrénées, les départements découpant la zone d’habitat montagnarde en trois zones (Pyrénées-Atlantique, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales) et associant chaque fois un milieu montagnard à un milieu de plaine (Pau, Tarbes, etc.)

Je ne dis pas qu’il faut regretter cet état de fait. Après tout c’est le propre d’un état qui se constitue d’unifier autant que faire se peut ses habitants en provoquant des mouvements au sein de la population. De plus, le paysan qui était obligé, pour des raisons administratives, de quitter ses champs pour se rendre à Privas, Aubenas ou Tarbes découvrait un autre univers que celui qu’il connaissait. C’est cela, rompre les particularismes.

Il n’empêche que si nous revenons au cas de Rimbaud, il faut bien avouer que la ferme de Roche, près de Vouziers, est certes située dans le département des Ardennes, mais qu’elle n’appartient pas au massif ardennais proprement dit. En effet, cette région de plaine et de culture, située au Sud du département, se rattache plutôt à l’Argonne, laquelle sert de transition entre les cultures et les vignobles de la Champagne et les terres forestières, fruitières et bocagères des Ardennes. Les Ardennes (on dit les Ardennes en France, mais l’Ardenne du côté belge) au sens strict correspondent au massif schisteux primaire et à la forêt qui le couvre. Elles ont un climat froid et rude et commencent aux portes de Charleville et de Sedan, englobent la pointe de Givet et le plateau de Rocroi, puis se prolongent en Belgique (le Sud de la province de Namur et toute la province du Luxembourg) pour se terminer par le massif de l’Eiffel en Allemagne (lequel se distingue géologiquement de l’Ardenne puisqu’ il remonte au tertiaire et est d’origine volcanique).

Tout ceci est sans grand importance concernant l’univers poétique rimbaldien, mais je voulais juste souligner que la terminologie qui nous permet d’aborder la réalité (ici le découpage en départements) est souvent arbitraire et conventionnel. Si Rimbaud était resté à Roche avant de s’embarquer pour l’Abyssinie, il aurait pareillement été qualifié d’ardennais alors qu’au sens propre Roche n’a jamais été en Ardenne.

J’ai l’air de m’insurger sur ce découpage en départements au moment précis où on parle de leur éventuelle disparition. Après tout, dans le cadre européen, ce qui compte, ce sont les régions et dans le cas qui nous occupe, la région de Champagne-Ardennes. On remarquera que ce nouveau découpage est tout aussi arbitraire que l’ancien puisqu’il unit des territoires proches, mais géologiquement, humainement et culturellement différents. Qu’y a-t-il de commun entre un bûcheron de plateau de Rocroi et un riche vigneron du Sud de la Champagne ? Quel rapport entre un fermier ardennais, qui fait surtout de l’élevage ou qui produit quelques rares épis de blé et les grands céréaliers qui fauchent leurs champs immenses avec cinq moissonneuses de front ? Aucun, évidemment. Mais suite aux découpages administratifs, même s’ils sont arbitraires, d’autres habitudes naissent petit à petit et les hommes qui occupent ces territoires finiront un jour par trouver un équilibre (comme du temps des Provinces de l’Ancien Régime), avant que de nouvelles données viennent encore changer la donne. Car il en va ainsi de l’Histoire des hommes. Tout change perpétuellement. Seule reste la terre, qui nous regarde grandir puis mourir.

18/01/2008

Au pays de Rimbaud (5)

Si l’on parcourt l’œuvre de Rimbaud en recherchant des allusions à la nature, on verra que celles-ci ne manquent pas. Dans « Le Dormeur du Val », déjà, poème encore fort scolaire, on trouve :

C'est un trou de verdure, où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.


Ou bien dans « Ophélie », poème inspiré de Théodore de Banville :


Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
-On en tend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
(…)


Certes, il s’agit d’une composition littéraire, reprenant les clichés classiques, mais rien ne dit que Rimbaud ne pensait pas à la Meuse ardennaise, qu’il connaissait si bien, en composant ces vers. En tout cas on retrouve des termes comme « eaux noires », « bois lointains », « hallalis », qui semblent renvoyer à la réalité locale, tandis que « fantôme » fait penser à toutes ces légendes dont l’action se déroule le long du fleuve, quelque part entre Monthermé et Givet et dont nous reparlerons un autre jour.

Cette impression est encore renforcée quand on lit un poème comme « La Rivière de cassis », qui manifestement fait allusion à la Semois, qui entre en France à hauteur du village de hautes-Rivières et qui se jette dans la Meuse à Monthermé, précisément :

La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
Et bonne voix d'anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d'anciens temps;
De donjons visités, de parcs importants :
C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent.
Que le piéton regarde à ces claires-voies :
Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux!
Faites fuir d'ici le paysan matois
Qui trinque d'un moignon vieux


Tout semble correspondre, depuis « les vaux étranges », les « sapinaies » (fort nombreuses en cette région. Le mot, soit dit en passant, est une invention de Rimbaud), la solitude du lieu (« coule ignorée ») jusqu’aux « donjons visités » et à l’allusion aux légendes :« mystères révoltants De campagnes d'anciens temps. » Les termes « chevaliers errants » renvoient probablement à l’histoire fabuleuse des quatre fils Aymon, dont le château supposé se dressait non loin de là, à Château-Regnault. Notons que le poète ne semble citer ces vieux contes que pour prendre ses distances avec eux. En effet il qualifie ces « mystères » de révoltants et se rapportant à « l’ancien temps ». Il conclut d’ailleurs en disant « Que salubre est le vent », qui tout emporte. Rimbaud préfère donc le contact avec la pure nature à ces histoires à dormir debout, issues de l’imagination des hommes. C’est du moins ainsi que les commentateurs interprètent habituellement ces vers.

Maintenant on pourrait simplement comprendre le terme « révoltant » comme une allusion au contenu des contes. C’est l’histoire racontée qui serait révoltante. Charlemagne, colérique, voulait en fait exterminer les quatre fils Aymon, lesquels représentent donc un peu la lutte contre le pouvoir centralisateur. Cette lutte est inégale, ce qui rend l’action des frères d’autant plus belle qu’elle est vouée à l’échec (leur château sera détruit). Cette revendication à l’autonomie et ce goût pour la liberté ne devaient pas déplaire à Rimbaud. « Les passions mortes » seraient alors une allusion à l’échec de ce désir d’autonomie et dans ce cas « le vent salubre » permettrait simplement à Rimbaud d’oublier cette belle histoire qui finit mal (les frères durent se soumettre à Charlemagne et livrer leur cheval-fée Bayard).

Par contre, les vers « Faites fuir d'ici le paysan matois Qui trinque d'un moignon vieux » renvoient manifestement à l’image que se faisait Arthur des paysans. Il l’a dit clairement dans sa correspondance, notamment quand il était reclus dans la ferme familiale de Roche. Il les voit comme âpres au gain et sans imagination :

« Je suis abominablement gêné. Pas un livre, pas un cabaret à portée de moi, pas un incident dans la rue. Quelle horreur que cette campagne française. »
(…)
« Quelle chierie ! et quels monstres d'innocince, ces paysans. Il faut, le soir, faire deux
lieues, et plus, pour boire un peu. La mother m'a mis là dans un triste trou
. »

(A Ernest Delahaye, mai 1873)

Donc, c’est la nature qu’aime Arthur, une nature qui est belle et qui permet l’évasion. Par contre, la vie à la campagne, rythmée par le travail des champs lui est insupportable. C’est que Rimbaud est avant tout un révolté et il ne faut pas chercher chez lui des descriptions bucoliques. La nature, on l’a déjà dit, est certes présente dans ses textes, mais soit comme prétexte au voyage (la fugue, qui ouvre les portes de la liberté à l’adolescent), soit comme cadre à des réflexions plus sombre, comme dans « Les Corbeaux ».

Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
(…)


Ou bien la nature nous introduit dans un univers fantastique, un peu inquiétant :

Tête de Faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille


Cette nature, on la retrouvera dans d’autres poèmes, dont elle n’est pas le thème central, loin de là. Pourtant, elle surgit au moment où on s’y attend le moins, sous la forme d’une branche près de la vitre, comme ici, dans le poème intitulé « Première soirée » et qui décrit en fait l’émoi d’une première rencontre amoureuse :

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.


Quant à ses fugues proprement dites, il y a fait plusieurs allusions dans ses textes, comme dans «Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir » :

Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
Du beurre et du jambon qui fût à moitié froid
.

Ou encore dans « Ma Bohême », que je remets ici en entier rien que pour le plaisir de relire ce beau texte :


Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !


Ces idées de fuite en avant et de fugue, Rimbaud avoue lui-même qu’elles le tenaient depuis toujours, ainsi, dans « Les poètes de sept ans », on retrouve chez l’enfant qu’il fut tous les thèmes qu’il a développés par la suite : la liberté, la littérature, le désert, et l’érotisme :

A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand désert où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! -Il s’aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes
.

Enfin, pour terminer cette petite note qui veut replacer Rimbaud dans sa région ardennaise, on ne peut pas faire moins que de finir par le bateau ivre :

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai
.

et noter le terme « flache », qui désigne un creux rempli d’eau (soit un trou dans une route, soit une petite mare). Ce mot, « flache », cependant, n’est pas spécifique aux Ardennes (où il est toujours employé) puisqu’il est repris dans Littré. Remarquons en passant que celui-ci attribue une étymologie germanique à ce mot ( l'allemand flach, plat) alors que le latin « flacus » conviendrait mieux puisqu’il a donné l’adjectif flache au féminin, flac au masculin, qui signifiaient, dès l’ancien français « mou, flasque, creux »
Vers le XIVe siècle ce terme désignera un creux, en particulier un trou d’eau, une flaque, une mare, mais aussi un creux dans le bois ou la pierre ou encore dans un pavage. Par extension, il a pris le sens de « lieu humide ».




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16/01/2008

Au pays de Rimbaud (4)

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme
.

Mars 1870

On a donc déjà ici ce goût de Rimbaud pour la nature, qu’il décrit d’une manière particulièrement sensuelle (« picoté, « fraîcheur », « baigner »), faisant référence non seulement à ce a qu’il voit, mais aussi aux sensations tactiles.

Les « soirs bleus » semblent particulièrement convenir à la forêt ardennaise, quand vient le crépuscule. L’adjectif « rêveur » indique clairement que la nature ouvre les portes de la poésie. Il ne s’agit donc pas, pour l’adolescent, de penser («je ne penserai rien ») mais de se laisser guider par ses impressions (préfiguration du bateau ivre). Pourtant, au départ, il existe une volonté manifeste de se mettre dans cette situation (« j’irai » ). On notera que l’emploi du futur simple renforce cette impression de détermination : il s’agit d’un projet délibéré et mûrement réfléchi.

Par contre, une fois en contact avec la nature, il convient de laisser de côté toute activité humaine habituelle (« je ne parlerai pas, je ne penserai pas") et de se laisser porter par ses impressions. On notera comment on passe d’une impression à une autre : du blé à l’herbe que l’on foule, puis à la fraîcheur de celle-ci. Notion de fraîcheur qui est reprise par le vent qui « baigne » le visage. De plus, la communion avec la nature est totale, puisque qu’elle procure des impressions des pieds à la tête. Tout cela est si fort, qu’on peut parler d’amour. Un « amour infini » qui plus est et qui « me montera dans l’âme » (comme on dit qu’un vin monte à la tête). Le mot « âme », dénote quant à lui une connotation mystique. Ce n’est pas par la réflexion que l’homme se dépassera, mais en laissant pleinement agir ses sens au milieu de la nature.

On remarquera, dans ce poème, le goût manifeste de Rimbaud pour les voyages : « Et j’irai loin, bien loin ». Le désir de partir est donc manifeste chez lui. Ce n’est pas la description d’une simple promenade qu’il nous livre ici, mais véritablement un changement d’univers. Il s’agit d’abord d’oublier qui on est pour se livrer corps et âmes aux impressions que procure la nature, laquelle est porteuse d’autres espérances. Elle n’est qu’un point de départ, en quelque sorte, vers une destinée différente et vers d’autres impressions encore. Rimbaud se rend compte que par de telles expériences il s’écarte du chemin habituel. Il emploie d’ailleurs le terme « bohémien », qui dénote bien un aspect marginal tout en renvoyant à l’idée de voyage.

Poussée à l’extrême, cette expérience aboutit à l’amour («heureux comme avec une femme »), sans qu’on sache bien s’il s’agit d’amour physique (le terme sensuel« picoter » employé plus haut, peut d’ailleurs être vu comme une préfiguration de cet amour physique, ainsi d’ailleurs que l’image de l’herbe que l’on foule, laquelle renvoie à une idée de domination et de saccage) ou d’amour affectif. Peut-être les deux, sans doute. Ce qui est sûr, c’est que la nature ouvre les portes d‘un univers différent, lequel transporte l’individu vers un bonheur insoupçonné, comparable au bien-être et à l’abandon amoureux.

15/01/2008

Au pays de Rimbaud (3)

« Rimbaud, ce marcheur forcené… » (Paul Claudel, Journal, T. 1, p.226 )

Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », était un grand marcheur. Tenait-il de sa famille ce besoin perpétuel d’aller sans cesse vers un ailleurs ? Cela se pourrait bien. Son frère, sur un coup de tête, n’avait-il pas suivi les troupes françaises en marche vers Metz et n’avait-il pas servi de mascotte à tout un régiment ? Quant à l’oncle maternel (le frère de Vitalie), ne s’était-il pas engagé dans la légion étrangère et n’était-il pas resté des années sans donner la moindre nouvelle de lui, au point qu’on avait déjà partagé l’héritage sans lui accorder la moindre part ? Et l’autre oncle (qui revendra, à son frère « l’Africain » la ferme de Roche) n’a-t-il pas fini sa vie en vagabond, errant sur les chemins et s’adonnant sans retenue à la boisson ? Quant au père d’Arthur, Frédéric Rimbaud, non seulement ce fut un militaire toujours en déplacement et qui ne passait voir son épouse que de temps à autre pour lui faire un enfant, mais il ne faut pas perdre de vue qu’avant son mariage il avait fait la campagne d’Algérie et avait reçu pour cela la légion d’honneur. C’était lui aussi un homme d’Afrique, qui connaissait le sable du désert et qui parlait l’arabe.

Il se pourrait bien, donc, que le goût du voyage fût inscrit dans les gènes de Rimbaud et qu’il n’aurait pas pu faire autrement que de voyager sans cesse. Maintenant, pour échapper à sa mère qui représentait l’ordre et la morale, la fuite restait une solution commode. Surtout que la nature était là tout près, belle et accueillante, envoûtante et mystérieuse. Et quand je dis la nature, c’est de la forêt d’Ardenne que je parle, cette forêt légendaire qui vient mourir aux portes de Charleville.





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La Meuse est sinueuse en cette région et c’est tant bien que mal qu’elle a tracé un chemin à travers le massif schisteux primaire que représente l’Ardenne, donnant des paysages incomparables aux charmes desquels Rimbaud a dû succomber.



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La Meuse à Rancennes.


C'est une terre de légendes et de châteaux, bâtis au sommet des collines pour protéger la vallée contre les envahisseurs, lesquels furent toujours nombreux en ce pays de frontières.



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Givet


Mais si l’Ardenne française est fascinante, au moins possède-t-elle de petites villes industrieuses au fond de la vallée. Plus loin, l’Ardenne belge est plus sauvage encore, plus mystérieuse et la forêt profonde n'y cède la place qu’à quelques villages agricoles. On dit que Rimbaud se rendait souvent en Belgique, ramenant avec lui du bon tabac de la Semois.


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On comprend que cette nature vierge et secrète devait fasciner le poète et l'attirer irrésistiblement.

14/01/2008

Au pays de Rimbaud (2)

Ce qui me frappe, à la lecture de ce livre sur la mère de Rimbaud, c’est la qualité de l’écriture de cette femme qui était une paysanne et qui, sur le plan scolaire, n’avait manifestement pas dépassé l’école primaire. Les quelques extraits de sa correspondance qui sont donnés dans l’ouvrage de Lalande montrent une grande clarté dans la manière de s’exprimer. Les idées sont bien structurées, bien ordonnées et le style est d’une limpidité absolue. La politesse est également présente (par exemple quand elle s’adresse à Izambard) tout en ne cédant en rien sur le fond (il s’agit de s’insurger contre les lectures que le jeune professeur conseille à son fils, comme par exemple les « Misérables » de Hugo) et on sent derrière ses mots une grande détermination. Elle ne reculera devant rien puisque plus tard, elle écrira à Mallarmé lui-même pour lui demander des renseignements sur le prétendant de sa fille Isabelle.

Il faut dire qu’elle a eu une vie rude et qu’elle avait pris l’habitude de faire face à pas mal de situations. Veuve sans l’être (séparée de corps et non divorcée, mais en tout cas abandonnée par son mari) il lui fallut élever seule ses quatre enfants en ne comptant que sur ses propres ressources. Sans parler de la guerre (celle de 1870) et du bombardement de Charleville. Quelle angoisse devait être la sienne alors que son premier fils avait disparu en suivant les soldats français et qu’Arthur à son tour s’était mis à fuguer (première escapade à Paris). Tout cela, bien entendu, alors que les troupes allemandes avançaient et qu’une partie de la France était occupée.

Cette vie semble bien être celle du temps passé et je retrouve dans la description de Vitalie Cuif pas mal de traits de caractère de ma propre grand-mère. Celle-ci était née il y a deux siècles. Cela peut paraître étrange, mais il faut bien s’exprimer ainsi puisqu’elle naquit en 1895. Mariée à 20 ans, veuve à 40, elle s’est retrouvée avec sept enfants à élever. Le mari était boulanger et c’est le fils aîné, âgé de 14 ans, qui s’est mis à travailler au fournil. Puis la guerre de 1940 est arrivée (jeune fille elle avait déjà connu la guerre de 14-18 durant laquelle elle avait même contracté la grippe espagnole) et ce fut l’exode à l’autre bout de la France, dans le Sud des Deux-Sèvres. Quand elle est revenue dans son village, tout avait été pillé et de sa maison il ne restait que les murs. Elle continuera pourtant à élever ses enfants d’une poigne de fer, sans jamais fléchir.

Moi qui l’ait connue comme petit-fils, je ne peux pas dire qu’elle avait la fibre maternelle. Ce n’était pas une grand-mère gâteaux. C’est que la vie l’avait marquée et qu’elle avait dû trop lutter pour pouvoir encore s’attendrir. Mais elle est restée d’une grande dignité et d’une grande limpidité de jugement jusqu’à sa mort. Elle aussi écrivait dans un français impeccable que beaucoup d’étudiants en lettres pourraient lui envier de nos jours. C’est au point qu’on se demanderait bien ce qu’on enseigne aujourd’hui à nos enfants pour que l’apprentissage de la langue soit aussi peu maîtrisé.

J’ai d’elle une photographie prise au début des années trente, sans doute à Charleville ou peut-être à Sedan. On y voit une femme d’une grande beauté, avec un port de tête altier et qui impose le respect. Il y avait, me semble-t-il, chez les personnes de cette génération, une grande dignité, forgée dans le malheur et que nos contemporains, avachis devant le petit écran, n’ont plus toujours.



Charleville, la Place ducale

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11/01/2008

Au pays de Rimbaud

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« Madame Rimbaud » de Françoise Lalande, est un livre qui était sorti aux Presses de la Renaissance en 1987 mais qui a été réédité en 2005 chez espace Nord.

Il donne un éclairage tout à fait intéressant sur la mère de Rimbaud, que les contemporains et les critiques ont toujours présentée comme une mégère peu sympathique. Paysanne terre à terre, pleine de préjugés, mère castratrice, elle n’aurait rien compris à son poète de fils, lequel aurait passé sa vie à la fuir.

Françoise Lalande qui est ardennaise d’origine (encore qu’elle ait vécu à Bruxelles depuis sa plus tendre enfance, ce qui à mon avis suppose déjà quelques distances par rapport à la mentalité paysanne), a décidé de porter un regard de femme sur cette autre femme qu’était la mère de Rimbaud. Elle a accompli un travail de recherche rigoureux, reprenant tous les documents que l’on possédait pour essayer d’en faire une lecture objective, sans se laisser impressionner ni influencer par ses prédécesseurs, ce qui représente déjà en soi un tour de force.

En d’autres termes, elle essaie de comprendre cette femme qui assurément a eu une vie difficile. D’abord elle tente de cerner la mentalité qui régnait au XIX° siècle dans l’Ardenne rurale (travail des champs, catholicisme, sens du devoir à accomplir, vie rude, avenir incertain, etc.). Ensuite, elle nous décrit la vie de Vitalie Cuif, orpheline de mère à six ans et qui devra assumer seule les tâches domestiques pour aider son père et ses deux frères, trop occupés par les travaux agricoles. Plus tard, quand le père quittera la ferme de Roche (près de Vouziers) et viendra s’établir à Charleville, elle rêvera à un avenir meilleur et épousera un beau capitane, Frédéric Rimbaud. Malheureusement, ce militaire sera toujours en déplacement et il ne reviendra au foyer que par intermittence, juste le temps de lui faire cinq enfants (dont une fille mourra à la naissance) et de repartir sans jamais lui remettre le moindre argent. Vitalie a donc dû assumer seule l’éducation de sa progéniture. Le jour où elle marquera enfin sa désapprobation à son mari (car cette vie de couple n’en est pas une), celui-ci la quittera à jamais.

Plus tard, elle connaîtra de nouveau le malheur avec la disparition de sa fille préférée, morte à 17 ans de la tuberculose. Puis ce sera Arthur, cet enfant si prometteur, si brillant à l’école, qui quittera tout pour Verlaine, affichant une homosexualité qui fera scandale mais que finalement, en mère aimante, elle tentera de comprendre. Chaque fois qu’Arthur appellera au secours, elle répondra à son appel : elle ira le rechercher à Bruxelles pour l’extraire des griffes de Verlaine ou bien elle ira vivre avec lui à Londres pendant un long mois, afin de lui remonter le moral. Et cela tout en assumant seule les travaux des champs, car à l époque où elle a dû reprendre elle-même l’exploitation de Roche. Pendant qu’elle est dans les champs, Arthur restera cloîtré dans le grenier, en train d’écrire « Une saison en Enfer ». Elle ne lui reprochera pas son inactivité, mais tentera de comprendre ce fils qui se meurt d’amour et de désespoir pour Verlaine, lequel, à ce moment, est emprisonné à Mons, suite au coup de feu qu’il a tiré sur Rimbaud (« Le ciel est par-dessus des toits, si bleu, si calme… »). C’est elle-même, elle si pingre et si peu fortunée, qui paiera l’édition à compte d’auteur d’Une saison en enfer, espérant par là que son fils va enfin trouver dans l’écriture une occupation décente. On imagine sa consternation quand, quelques mois plus tard, Arthur jettera au feu les précieux exemplaires et qu’il repartira, toujours plus loin, toujours plus longtemps, sans donner le moindre signe de vie à sa mère, torturée d’angoisse.

Quand Rimbaud sera en Abyssinie, elle lui écrira régulièrement et lui enverra tous les objets insolites qu’il demandera (boussole, livres d’agriculture, etc.). Quand après onze années d’absence, Rimbaud revient enfin et qu’il est amputé à Marseille (synovite tuberculeuse), c’est elle qui sera là, s’étant précipitée à son chevet.

Le livre de Lalande nous offre donc une approche éclairante de ce personnage hors du commun, sur lequel elle pose un regard sympathique et compréhensif.

En donnant à son livre le titre de Madame Rimbaud (comme il y a Madame Bovary, qui n’existe qu’à travers son mari), elle veut montrer que cette femme n’a pas vécu pour elle-même mais pour les autres. Comme enfant, comme femme et comme mère, elle n’a fait qu’accomplir ses devoirs et aura traversé la vie en luttant sans cesse, tentant du mieux qu’elle a pu d’assurer un peu de confort aux siens. Certes, ce fut une paysanne rude, qui comptait ses sous et qui était exigeante. Mais comment aurait-il pu en être autrement ?

09/01/2008

Etymologie (suite)

Le problème avec Internet, c’est qu’une fois qu’on commence à se documenter sur un sujet, on n’en finit plus de rebondir d’un article à un autre et finalement d’un thème à un autre. Il en va de même avec les articles des blogues. Ainsi, hier nous avons abordé l’origine du mot « Sophie » dans la célèbre « église » de Constantinople. Du coup, j’en suis venu à me demander si d’autres lieux de culte du nom de « Sainte Sophie » avaient comme origine l’étymon grec aγία sοφία et non une des nombreuses martyres chrétiennes.

Il semblerait bien que ce soit le cas.

Ainsi il existe paraît-il une église Ste Sophie à Kiev, qui a reçu ce nom en s’inspirant précisément de l’église de Constantinople. Kiev était un centre important dans la Russie d’alors, et il convenait de montrer une certaine magnificence. Novgorod, qui rivalisait avec Kiev, construisit à son tour une église qui s’appellera elle aussi Ste Sophie. Comme quoi, on passe vite de la sagesse divine aux désirs de grandeur.

Par contre, il a bien existé à Rome une martyre du nom de Sophie. Elle mourut avec ses trois filles, qui portaient les doux prénoms de Pistis (Foi), Elpis (Espérance) et Agapé (Charité). Tout un programme, donc. C’est l’empereur Hadrien qui ordonna leur exécution.

Évidemment, le prénom Sophie provenant par ailleurs lui-même du grec sοφία, la sagesse, une certaine confusion a toujours régné dans les esprits, entre la sainte proprement dite et l’idée de sagesse divine.

Notons encore le cas singulier de la ville de Sofia, en Bulgarie. Cette ville, nous dit notre ami Google, a été fondée par la tribu thrace des Serdes, qui a donné son nom a la ville, Serdica( VIIe siècle av. J.-C.). Ensuite, elle a été appelée Sredets par les slaves, Triaditsa (trinité) par les Byzantins et Sredets par les Bulgares. Le nom actuel de la ville lui fût donné au XIV° siècle d'après la basilique Sainte Sophie (« Sveta Sofia »), laquelle est la plus grande basilique byzantine des Balkans. Le cas est assez singulier et mérite d’être noté. En effet, d’habitude, c’est plutôt la ville qui donne son nom à l’église locale (exemple : Notre-Dame de Paris ; Notre-Dame d’Orcival, Notre-Dame d’Amiens, Notre-Dame de Fourvière, etc.).

Enfin, pour terminer, revenons vers la littérature, qui reste ici notre thème de prédilection. Citons donc "Les malheurs de Sophie" de la Comtesse de Ségur, "Les lettres à Sophie Volland" de Diderot et bien entendu "Le choix de Sophie" de Styron.

17:29 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Histoire, Ste Sophie, Sofia

07/01/2008

De l'importance de l'étymologie

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Tout le monde connaît de réputation l’église sainte Sophie de Constantinople. On sait que cette mosquée était à l’origine une église chrétienne, les musulmans ayant récupéré l’édifice à leur profit (exactement comme les Espagnols ont, de leur côté, transformé l’ancienne mosquée de Cordoba en cathédrale). Par contre, ce que l’on sait moins (en tout cas, j’avoue que moi je ne le savais pas), c’est que ce nom de Sophie ne renvoie pas à une sainte martyrisée dont les débuts du christianisme ont l’apanage. Non, ici il faut remonter à un étymon grec : aγία sοφία (Haghía Sophía), autrement dit la sainte sagesse (de Dieu). En d’autres termes, l’église avait été dédiée au Christ et c’est pour cette raison qu’elle avait été consacrée un vingt-cinq décembre (en 537, cela commence à dater).

C’est l’empereur Justinien, qui l’avait inaugurée. Il avait souhaité un monument grandiose afin d’asseoir le prestige de sa capitale, Constantinople, la nouvelle Rome (l’ancienne Rome venait de plier sous les coups des barbares : le dernier empereur, Romulus Augustule, ayant été déposé par Odoacre en 476). En voyant la magnificence du bâtiment, il se serait vanté d’avoir fait mieux que Salomon (lequel avait bâti le temple de Jérusalem, celui dont il ne reste que le fameux mur des lamentations).

Notons que Sainte Sophie est construite selon le plan rectangulaire des anciennes basiliques romaines et qu’elle fut en partie construite en récupérant les marbres et les colonnes des temples antiques. Elle est d’ailleurs située, paraît-il, sur l’emplacement d’un ancien temple dédié à Apollon. Comme quoi, ces lieux de cultes ont souvent cette caractéristique de traverser les siècles en s’adaptant sans vergogne aux nouvelles croyances. L’important n’est-il pas de croire, peu importe à quoi, finalement ?

Notons encore qu’un premier édifice avait été construit antérieurement et qu’il avait été commandé par Constantin, un peu après sa conversion au catholicisme. Détruit une première fois lors d’une émeute en 404, lorsque St Jean Chrysostome avait été contraint à l’exil (soit dit en passant, l’adjectif « Chrysostome » vient du grec χρυσόστομος , autrement dit « bouche d’or » car c’était un orateur de talent), il avait été reconstruit pour être de nouveau détruit en 532 lors d’une révolte contre Justinien précisément. Le peuple, irrité de la politique de l’empereur, lequel, pour faire simple, favorisait les riches (les grands marchands et les armateurs) au détriment des pauvres (petits artisans, boutiquiers, dockers, blanchisseurs, artisans, etc.), comme quoi il n’y a rien de nouveau sous le soleil et maître Sarkozy n’a rien inventé. Pour mâter l’émeute, Justinien avait donné l’ordre de massacrer les meneurs de ce que l’on appellerait aujourd’hui le parti populaire. Par malchance, un des dirigeants de l’autre parti fut aussi tué, ce qui amena une coalition de toute la population contre l’empereur. Toute une partie de la ville se retrouva en feu et si Justinien ne prit pas la fuite, c’est uniquement parce que le courage de sa femme fut nettement supérieur au sien. Finalement il mettra en pratique le fameux adage : diviser pour régner, en ramenant de son côté quelques chefs du parti des riches. La révolte finit dans le sang quand il demanda à son général, Bélisaire, de rétablir l’ordre. Aidé par des Germains, celui-ci massacra de 30.000 à 80.000 citoyens qui avaient trouvé refuge dans l’hippodrome. Le sceptre de Justinien était sauvé. Celui-ci pouvait bien rebâtir Sainte Sophie, c’est le moins qu’il pouvait faire, pour remercier Dieu d’avoir été de son côté.

13:39 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Sainte Sophie

05/01/2008

Mémoire

Toujours dans « Le Paradoxe sur le comédien », je trouve, sous la plume de Diderot, cette expression étrange, difficilement compréhensible : « une leçon recordée d’avance ». Il est des jours où le Dictionnaire historique d’Alain Rey est bien pratique, il n’y a pas à dire.

Le verbe « recorder » signifiait, en terme juridique « rapporter comme témoin ». Un « recordeur », c’est donc un témoin et l’adjectif « recort » signifiait « qui se souvient ». En ancien français, existait le substantif « record » (souvenir, mémoire), utilisé d’ailleurs jusqu’au XVI° siècle (chez Montesquieu encore), lequel provenait du verbe réfléchi « se recorder », se rappeler, apparenté au verbe « recorder », répéter plusieurs fois quelque chose pour le savoir par cœur.

Ce verbe provient du bas latin « recordare » (« recordari » en latin classique) et avait le sens de se rappeler. Il était lui-même composé à partir de « cor, cordis », l’esprit, le cœur, auquel on avait ajouté « re », un préfixe à valeur itérative.

Notre substantif « record », si cher aux sportifs est quant à lui emprunté à l’anglais « record » (témoignage enregistré) lui-même provenant de l’ancien français « recort » (témoignage) que nous venons de voir. Finalement, le mot a pris le sens d’exploit sportif puis celui d’un résultat supérieur à tous les autres résultats obtenus dans le même domaine.

La langue est donc un véritable roman, dont il est captivant de suivre les péripéties. De l’idée de mémoire on passe à celle de témoignage, puis, via la conquête normande (Hastings, 1066), le terme prend en anglais un sens précis (témoignage écrit dans le domaine du sport), avant d’agrandir le champ de son acceptation (exploit et finalement exploit supérieur à tous les autres) et de repasser dans le domaine français au XIX° siècle. Subjugué par la langue anglaise, le français acceptera les mots recordman et même recordwoman, oubliant sans doute que l’étymon primitif se trouvait déjà en ancien français et qu’il signifiait bel et bien « mémoire ».

04/01/2008

Paradoxe sur le comédien

Dans son livre « Le paradoxe sur le comédien », Diderot prend un peu ses contemporains à rebrousse-poils. Ainsi, si tous s’accordaient à dire qu’il fallait imiter la nature, lui au contraire insiste sur le fait que le théâtre est avant tout un lieu de convention. Par exemple, il est impossible d’étendre la durée d’une représentation au-delà du raisonnable, aussi l’action décrite ne peut-elle excéder un certain temps. De même, comme il est impossible de changer trop souvent de décors, il faut bien se résoudre à une unité de lieu. Cependant, comme il trouve cette nécessaire unité de lieu un peu forcée et ridicule, il préconise des scènes plus grandes, où plusieurs tableaux pourraient être joués en même temps. Cette idée des tableaux simultanés qui finissent par coïncider nous fait penser à la tragédie antique, où le chœur coexiste à côté des acteurs.
Enfin, à côté de l’unité de temps et de lieu, Diderot revendique l’unité d’action. Dans la vie, dit-il en substance, nous menons de front plusieurs affaires, tandis qu’au théâtre, pour la bonne intelligence de la pièce, il importe de se limiter à une seule intrigue.

Respectant les règles des trois unités, il se montre donc très classique. Pourtant, comme je l’ai dit, sa position marque un changement dans la conception que l‘on se fait du théâtre. Plutôt que d’imiter la nature, les auteurs doivent surtout comprendre que leur art est de convention. En effet, si des auteurs comme Corneille ou Racine sont admirables, il faut bien reconnaître que personne ne parle comme leurs personnages dans la réalité. Preuve indiscutable qu’il existe un langage poétique propre au théâtre. Autant donc de le savoir. Tout, sur la scène, est arbitraire et s’il existe un réel (la vraisemblance), c’est un réel de théâtre, qui ne correspond pas avec la réalité de la vie

« Réfléchissez un moment sur ce que l’on appelle au théâtre être vrai. Est-ce y montrer les choses comme elles sont en nature ? Aucunement. Le vrai en ce sens ne serait que le commun. Qu’est-ce donc que le vrai de la scène ? C’est la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un monde idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien. »

Le paradoxe du comédien, c’est que ce n’est pas l’acteur le plus sensible qui est le meilleur mais bien celui qui régit son jeu de scène avec sa tête. En d’autres mots, un acteur qui vit intensément son sujet au point de pleurer pour de vrai sera peut-être bon dans cette scène de larmes, mais il sera médiocre ailleurs. A l’inverse, un bon acteur, qui sait intérioriser son personnage tout en gardant une certaine distance (car dans le fond il n’est pas ce personnage, il le représente) pourra au contraire jouer tous les rôles qui s’offrent à lui avec la même constance. Le bon acteur garde donc la tête froide et fait semblant d’être son personnage alors qu’il sait qu’il ne l’est pas. Aujourd’hui il est Le Cid, demain il sera Scapin.

A côté de toutes ces considérations, l’autre grande thèse défendue par Diderot dans ce livre, c’est sa critique implicite de la grande tragédie. Celle-ci est certes intéressante, mais elle a eu son temps. Le public veut entendre parler de choses qui le touchent, autrement dit d’une réalité qu’il connaît. Or que connaît-il mieux que sa vie quotidienne ? Loin donc des tirades du Cid ou des plaintes de Phèdre, il faut mettre sur scène le drame de la vie (amour, mariage, décès, tromperie, ruine, etc.), autrement dit tous ces petits faits qui nous bouleversent tous les jours.

Donc, tout en reconnaissant le côté arbitraire de l’art théâtral, Diderot rompt avec la tragédie classique pour faire l’apologie du drame bourgeois. Certes le théâtre n’est fait que de conventions, mais il doit faire semblant d’exprimer (notion de vraisemblance) la réalité quotidienne des spectateurs. L’intrigue quitte donc la sphère de l’épopée ou de l’Histoire pour s’emparer de la vie quotidienne des gens ordinaires. Il faut dire qu’à l’époque de Diderot le public n’était plus celui de la Cour de Versailles mais que le monde du théâtre s’ouvrait à la nouvelle classe sociale montante, la bourgeoisie.

Peut-être vivons-nous les derniers instants de cette évolution. Après la tragédie antique, où l’action renvoyait directement au sacré et où les Dieux eux-mêmes pouvaient être présents sur scène, après la tragédie classique et ses grandes tirades désespérées, après le drame bourgeois suivi par le théâtre de boulevard, sont apparus les théâtres de l’absurde (Sartre) ou du néant (Beckett). Peut-on aller plus loin encore ? Pourquoi pas ? Mettra-t-on en scène des financiers contents d’eux-mêmes et comptant leur argent ? Fera-t-on l’apologie de la société capitaliste et de ses biens de consommation ? Le genre romanesque a déjà bien inventé l’auto fiction, genre dans lequel un écrivain qui n’a plus rien à dire ne fait plus que parler de lui-même. Alors pourquoi pas un théâtre sur le monde des petites entreprises florissantes où le travail acharné vient à bout de la crise économique ambiante ? Les régimes communistes ont bien eu leurs écrivains officiels, chargés d’encenser le régime en place. Pourquoi le capitalisme ne ferait-il pas de même ?

Heureusement, c’est oublier que l’art est avant tout subversif et qu’il conserve au fond de lui un pouvoir critique à toute épreuve. Loin de glorifier notre époque sans valeurs on peut donc espérer au contraire qu’il nous en livrera une vision critique et acerbe qui ne manquera pas d’ouvrir les yeux à certains. Du moins on peut l’espérer.




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03/01/2008

Nouvelle année.

Lors du nouvel an, avez-vous pris de bonnes résolutions sur ce que vous vouliez faire ou ne pas faire en 2008 ?
Que votre réponse soit positive ou négative, cela importe peu, le résultat est le même. Voici ce qu’en pensait un voyageur qui savait de quoi il parlait puisqu’il avait passé une saison en enfer :


« Enfin, le plus probable, c’est qu’on va plutôt où l’on ne veut pas, et que l’on fait plutôt ce qu’on ne voudrait pas faire, et qu’on vit et décède tout autrement qu’on ne le voudrait jamais, sans espoir d’aucune espèce de compensation

Arthur Rimbaud, lettre à sa famille, Aden 15.01.1885

01/01/2008

Meilleurs voeux

Ce qui m’a inquiété, dans le discours de Sarkozy aux Français, c’est cette expression « vieille France », laquelle aurait par ailleurs du retard sur le reste du monde. Heureusement, Zorro va arriver et Zorro c’est celui qui a été élu, c’est-à-dire lui. Retard dans nos idées par rapport à la mondialisation de l’économie et par rapport à un libéralisme pur et dur ? Sans doute. Mais accepter sans condition les idées du Président, c’est faire une croix sur tout le volet social de notre société. Sans vouloir se replier frileusement dans notre cocon, on peut tout de même se poser des questions sur la pertinence qu’il y aurait à renoncer à tous nos acquis au nom de la sacro-sainte compétitivité sous prétexte que les autres pays agissent ainsi. Bien entendu la France n’est pas isolée et elle doit tenir compte de ce qui se passe à ses frontières et plus loin encore. Mais cette manière de nous dire qu’on est en retard a quelque chose d’agaçant. C’est une manière habile de vous placer dans le rang des ringards et des démodés. Au lieu d’écouter le pertinence de vos propos, on préfère dire que c’est à cause de vous que le pays n’a pas pris son envol (on se demande bien lequel, d’ailleurs). Il y a là un sophisme de raisonnement contre lequel il faut s’insurger.

D’autant plus que Nicolas n’est pas à un paradoxe près. Ainsi, en bon gaullien qui se respecte, il parle de la grandeur (future) de la France. Mais il est pourtant le premier à lui faire perdre toutes ses prérogatives en faisant passer le mini traité européen, lequel coule l’économie de marché dans une constitution. Je ne pense pas que ce soit là les valeurs des Français, pas plus que celles des autres citoyens européens, d’ailleurs. Si la grandeur de la France c’est permettre à nos entreprises de se délocaliser plus facilement et de licencier sans contrainte, il faudra que l’on m’explique tout cela davantage car je ne comprends rien à l’économie.

Et puis il a aussi parlé d’une politique de civilisation et d’une nouvelle renaissance (rien de moins que cela). Curieux. La France, ce « vieux » pays de vielle culture aurait donc besoin d’un souffle nouveau (peut-être bien) et ce souffle, c’est Sarkozy qui va le lui insuffler (là, on commence à sourire). On veut bien le croire, puisqu’il le dit. Mais en attendant, de tels propos ressemblent fort à ceux d’un candidat en campagne électorale et pas du tout à ceux d’un président en exercice. En gros, il nous dit qu’il s’est déjà agité beaucoup, mais que l’essentiel reste à faire (ce qui est avouer qu’il n’a pas encore fait grand-chose). Autrement dit, il faut continuer à espérer et à lui faire confiance. Le pouvoir d’achat va augmenter, le chômage va régresser, la France va redevenir un des plus grands pays du monde, elle sera écoutée et les Français vont vivre un rêve comme ils n’en ont jamais connu. Il l’a dit. Il s’y est engagé, donc il va le faire. Merci Monsieur le Président.

En attendant, pendant la nuit de la Saint Sylvestre, 372 véhicules ont été incendiés (contre 397 l'année précédente, soit une baisse de 6,72 %.) et il n’y a eu que 259 arrestations. On croit rêver en entendant de tels chiffres. Surtout quand on nous annonce que l’express Nice-Marseille est arrivé sans encombre à destination et qu’il n’y a eu ni viol ni assassinat à déplorer. On se demanderait bien dans quel type de société nous nous trouvons pour accepter sans sourciller une telle banalisation de la violence. Tiens, je croyais pourtant que c’était pour remédier à ce genre de travers que le bon peuple avait voté pour Sarko. C’est peut-être pour cela d’ailleurs qu’on nous dit que tout va bien du côté de la violence urbaine. Avouer le contraire, ce serait remettre en question les paroles mêmes du président et faire planer un doute sur sa capacité à entamer de vraies réformes de société.

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