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11/01/2008

Au pays de Rimbaud

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« Madame Rimbaud » de Françoise Lalande, est un livre qui était sorti aux Presses de la Renaissance en 1987 mais qui a été réédité en 2005 chez espace Nord.

Il donne un éclairage tout à fait intéressant sur la mère de Rimbaud, que les contemporains et les critiques ont toujours présentée comme une mégère peu sympathique. Paysanne terre à terre, pleine de préjugés, mère castratrice, elle n’aurait rien compris à son poète de fils, lequel aurait passé sa vie à la fuir.

Françoise Lalande qui est ardennaise d’origine (encore qu’elle ait vécu à Bruxelles depuis sa plus tendre enfance, ce qui à mon avis suppose déjà quelques distances par rapport à la mentalité paysanne), a décidé de porter un regard de femme sur cette autre femme qu’était la mère de Rimbaud. Elle a accompli un travail de recherche rigoureux, reprenant tous les documents que l’on possédait pour essayer d’en faire une lecture objective, sans se laisser impressionner ni influencer par ses prédécesseurs, ce qui représente déjà en soi un tour de force.

En d’autres termes, elle essaie de comprendre cette femme qui assurément a eu une vie difficile. D’abord elle tente de cerner la mentalité qui régnait au XIX° siècle dans l’Ardenne rurale (travail des champs, catholicisme, sens du devoir à accomplir, vie rude, avenir incertain, etc.). Ensuite, elle nous décrit la vie de Vitalie Cuif, orpheline de mère à six ans et qui devra assumer seule les tâches domestiques pour aider son père et ses deux frères, trop occupés par les travaux agricoles. Plus tard, quand le père quittera la ferme de Roche (près de Vouziers) et viendra s’établir à Charleville, elle rêvera à un avenir meilleur et épousera un beau capitane, Frédéric Rimbaud. Malheureusement, ce militaire sera toujours en déplacement et il ne reviendra au foyer que par intermittence, juste le temps de lui faire cinq enfants (dont une fille mourra à la naissance) et de repartir sans jamais lui remettre le moindre argent. Vitalie a donc dû assumer seule l’éducation de sa progéniture. Le jour où elle marquera enfin sa désapprobation à son mari (car cette vie de couple n’en est pas une), celui-ci la quittera à jamais.

Plus tard, elle connaîtra de nouveau le malheur avec la disparition de sa fille préférée, morte à 17 ans de la tuberculose. Puis ce sera Arthur, cet enfant si prometteur, si brillant à l’école, qui quittera tout pour Verlaine, affichant une homosexualité qui fera scandale mais que finalement, en mère aimante, elle tentera de comprendre. Chaque fois qu’Arthur appellera au secours, elle répondra à son appel : elle ira le rechercher à Bruxelles pour l’extraire des griffes de Verlaine ou bien elle ira vivre avec lui à Londres pendant un long mois, afin de lui remonter le moral. Et cela tout en assumant seule les travaux des champs, car à l époque où elle a dû reprendre elle-même l’exploitation de Roche. Pendant qu’elle est dans les champs, Arthur restera cloîtré dans le grenier, en train d’écrire « Une saison en Enfer ». Elle ne lui reprochera pas son inactivité, mais tentera de comprendre ce fils qui se meurt d’amour et de désespoir pour Verlaine, lequel, à ce moment, est emprisonné à Mons, suite au coup de feu qu’il a tiré sur Rimbaud (« Le ciel est par-dessus des toits, si bleu, si calme… »). C’est elle-même, elle si pingre et si peu fortunée, qui paiera l’édition à compte d’auteur d’Une saison en enfer, espérant par là que son fils va enfin trouver dans l’écriture une occupation décente. On imagine sa consternation quand, quelques mois plus tard, Arthur jettera au feu les précieux exemplaires et qu’il repartira, toujours plus loin, toujours plus longtemps, sans donner le moindre signe de vie à sa mère, torturée d’angoisse.

Quand Rimbaud sera en Abyssinie, elle lui écrira régulièrement et lui enverra tous les objets insolites qu’il demandera (boussole, livres d’agriculture, etc.). Quand après onze années d’absence, Rimbaud revient enfin et qu’il est amputé à Marseille (synovite tuberculeuse), c’est elle qui sera là, s’étant précipitée à son chevet.

Le livre de Lalande nous offre donc une approche éclairante de ce personnage hors du commun, sur lequel elle pose un regard sympathique et compréhensif.

En donnant à son livre le titre de Madame Rimbaud (comme il y a Madame Bovary, qui n’existe qu’à travers son mari), elle veut montrer que cette femme n’a pas vécu pour elle-même mais pour les autres. Comme enfant, comme femme et comme mère, elle n’a fait qu’accomplir ses devoirs et aura traversé la vie en luttant sans cesse, tentant du mieux qu’elle a pu d’assurer un peu de confort aux siens. Certes, ce fut une paysanne rude, qui comptait ses sous et qui était exigeante. Mais comment aurait-il pu en être autrement ?