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31/10/2011

Aphorismes (7)

Autrefois, le colonialisme apportait la civilisation. Aujourd’hui, le libéralisme apporte la démocratie. Pour le reste rien n’a changé, il faut toujours passer par la guerre pour imposer ses idées.

La Chine vient de racheter un gros morceau de la dette européenne. Nous sommes donc tous devenus un peu chinois. J’aime quand le  libéralisme rapproche les peuples.

Ce qu’il y a de bien avec les guerres modernes, c’est qu’elles sont propres. Les bombes sont téléguidées et frappent leur objectif avec une précision redoutable, ce qui évite tout dégât collatéral, comme chacun sait. On ne comprend d’ailleurs pas comment 60 bombes ont pu tomber sur le palais d’un dictateur alors que tout le monde était d’accord pour dire qu’on n’en voulait pas à sa vie. La technique de téléguidage ne me semble pas tout à fait au point.

Les saisons tournent, revoici l’automne. Jusqu’au jour où nous ne serons plus là pour voir les feuilles tomber.

Je n’ai jamais aimé la Toussaint. Quand j’étais gosse, il fallait aller se recueillir sous la pluie sur la tombe de personnes que je n’avais jamais connues. Maintenant ce n’est pas mieux. Je connais à peu près tous ceux qui sont sous terre.

Le plus dur, à la Toussaint, ce n’était pas la visite aux morts, mais celle qu’il fallait rendre aux vivants. Moi qui enfant aimais déjà la solitude, me retrouver dans une pièce avec une trentaine d’adultes qui parlaient de la pluie et du beau temps m’ennuyait à mourir. Pour un peu j’aurais envié les autres, là-bas, dans leur tombe.

La tombe du grand-père (je ne l’ai jamais connu) n’avait ni pierre ni monument. Juste de la terre battue, ce qui en disait long sur notre position sociale. Enfin, au moins elle était propre et il n’y avait pas de mauvaises herbes. C’est que chacun a sa fierté !

A dix ans, au cimetière, quand je lisais mon nom de famille sur cette pierre dressée devant le petit carré de terre battue, il me semblait que j’étais déjà en retard.

La veille du 11 novembre, toute l’école montait à travers bois jusqu’au cimetière, pour rendre hommage à ceux de 14-18. Il faisait toujours mauvais et froid. Quand enfin on arrivait, complètement frigorifiés, c’est à peine si on apercevait le monument commémoratif, perdu dans le brouillard. Une fois revenus en classe, on se disait qu’ils avaient dû avoir drôlement froid les autres, là-bas, dans leurs tranchées. Pas étonnant qu’ils étaient morts.

  

28/10/2011

Les animaux de la Genèse.

Selon la Genèse, l’homme, au paradis terrestre, vivait en harmonie avec les animaux. Ceux-ci, semble-t-il, devaient tous être herbivores, du moins il faut le supposer. En effet, comment concevoir dans cet Eden  qu’un mouton innocent se fasse égorger par un loup ou qu’Adam lui-même risque sa vie chaque fois qu’il croise la route d’un lion ? L’homme est encore immortel et ne peut donc mourir, ce qui implique que tous les animaux se nourrissaient exclusivement de plantes (lesquelles sont pourtant des êtres vivants, mais ne compliquons pas).

On n’insistera pas sur le côté illogique d’un tel texte et on l’acceptera sans problème si on le considère comme un beau conte un peu fantastique. On comprend moins comment certains peuvent le prendre à la lettre et se fonder sur ses affirmations pour fortifier leur foi, mais bon, c’est leur problème et nous n’allons pas entrer dans ce débat.

Revenons plutôt à notre propos, qui concerne les animaux. Une fois chassé du paradis, Adam va certainement accomplir la mission qui lui a été confiée, à savoir asservir et dominer toutes les espèces inférieures. Pourtant, ceux-ci devaient encore entretenir une relation privilégiée avec l’être humain si on en croit le récit du déluge. Comment en effet des animaux agressifs se seraient-ils laissé enfermer dans un bateau ? En réalité, l’arche de Noé devient une sorte de microcosme idyllique qui renvoie au paradis perdu. Pour une dernière fois (ici devant le danger que représente l’eau du déluge) hommes et animaux vont vivre en harmonie. Renfermés dans cet espace clos, coupés de la terre (puisqu’ils flottent sur l’eau), ils vont échapper à la mort tout en étant purifiés symboliquement par toute cette eau qui se déverse sur eux. L’arche peut être vue comme une sorte d’utérus qui offre une nouvelle gestation à ceux qui vivent à l’intérieur.

Notons que les animaux, qui avaient déjà été chassés du paradis à cause de la faute d’Adam (alors qu’ils n’étaient absolument pas responsables de ses actions, hormis le  serpent, bien entendu), se retrouvent une nouvelle fois punis malgré leur innocence. En effet, initialement, ce sont les humains que Dieu veut châtier en envoyant le déluge, car il est courroucé à cause de leur méchanceté et de leur impiété. S’ils disparaissent tous (à part Noé et sa famille), il en va malheureusement de même pour l’ensemble des animaux (sauf les couples embarqués dans l’arche). Une nouvelle fois, les espèces animales semblent donc subir les conséquences des actes humains, ce qui n’est moralement acceptable que si on les considère comme des êtres inférieurs sans grande importance.

Pour assurer la pérennité des espèces, c’est donc un couple de chaque animal qui se retrouve dans l’arche salvatrice. Cette dualité sexuée renvoie à la dualité du couple formé par Adam et Eve. Comme eux, ce n’est qu’en dehors de l’arche-paradis qu’ils se mettront à se reproduire, ce qui veut dire que pour le moment ils n’ont plus conscience de leur pouvoir de procréation. L’arche représente donc bien un moment atemporel, durant lequel l’homme et l’animal se retrouvent provisoirement dans la situation qui était la leur au commencement du monde et avant le péché originel.

 

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Il faut aussi souligner l’importance de la colombe, qu’on envoie en reconnaissance pour savoir s’il existe quelque part une terre d’où les eaux se seraient déjà retirées. Volant dans les airs, celle-ci est comme un trait d’union entre Dieu (en haut) et les hommes (en bas). Des quatre éléments fondamentaux, deux ont disparu (la terre et le feu). Il ne subsiste plus que l’eau (à la double symbolique : à la fois destructrice et purificatrice) et l’air. Par sa nature aérienne, l’oiseau est donc plus proche de dieu que l’homme ou que les autres animaux terrestres. La colombe revient une première fois, car elle n’a trouvé aucun endroit pour se poser. Après sept jours, Noé tente un nouvel essai. La colombe revient cette fois avec un rameau frais d’olivier (symbole de paix) dans son bec, preuve que les eaux ont commencé à baisser et que la végétation a repris ses droits. La dernière fois, elle ne revient pas et Noé fait sortir tout le monde de l’arche. On oublie souvent de dire qu’avant la colombe (blanche), Noé avait envoyé un corbeau (noir), qui lui a fait des allers-retours incessants jusqu’au moment où la terre a enfin émergé.

Dieu alors prend la parole et dit : «  Sors de l'arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi. Tous les animaux qui sont avec toi, tout ce qui est chair, oiseaux, bestiaux et tout ce qui rampe sur la terre, fais-les sortir avec toi : qu'ils pullulent sur la terre, qu'ils soient féconds et multiplient sur la terre. » Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils ; et toutes les bêtes (...) sortirent de l'arche, une espèce après l'autre. »9

Il faut noter que les poissons, bien évidemment, ne sortent pas de l’arche puisqu’ils avaient pu continuer à vivre dans l’eau. Ils n’ont donc pas eu à subir la colère divine, puisque leur élément naturel est précisément cette eau destructrice. Animaux des abîmes, ils ont quelque chose d’inquiétant (cf. plus tard la baleine qui avalera Jonas).

Une fois tous les animaux sortis de l’arche, Noé fait un sacrifice, ce qui veut dire qu’il tue des animaux pour les immoler. Si on se souvient qu’il n’avait emporté qu’un couple de chaque espèce, il y a comme une contradiction dans le texte. Noé n’a pas pu tuer des animaux qu’il venait de sauver et par son geste compromettre la survie de l’une ou l’autre espèce.

En fait, si nous nous reportons au texte biblique, nous constaterons que celui-ci donne deux versions différentes du même fait. Dans le chapitre six, on dit :

19. De tout ce qui vit, de toute chair, tu feras entrer dans l'arche deux de chaque espèce, pour les conserver en vie avec toi : il y aura un mâle et une femelle.

20. Des oiseaux selon leur espèce, du bétail selon son espèce, et de tous les reptiles de la terre selon leur espèce, deux de chaque espèce viendront vers toi, pour que tu leur conserves la vie.

Par contre, au chapitre sept, on trouve :

L'Éternel dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta maison ; car je t'ai vu juste devant moi parmi cette génération.

2. Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle ; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle ;
3. sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre.
4. Car, encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de la face de la terre tous les êtres que j'ai faits.

Ce dernier extrait joue beaucoup sur la symbolique des chiffres sacrés. Il n’est donc pas étonnant qu’il donne le chiffre de sept couples et non de deux. Il n’en reste pas moins que ces versets sont en contradiction avec ceux qui précèdent. Les exégètes ont expliqué cette contradiction par la genèse du texte biblique, qui collationne en fait des textes d’origine différente. Voilà qui fait réfléchir et qui laisse rêveur quant à la véracité des textes bibliques. En fait, cette histoire de Noé se retrouve dans d’autres civilisations. Ainsi, il y est fait allusion dans l’épopée de Gilgamesh (culture assyro-babylonienne, vers 1.200 AC), elle-même d’origine sumérienne (soit 2.700 ans avant notre ère). Dans ce texte, on dit que les dieux (au pluriel car c’est encore une religion polythéiste) étaient lassés du bruit que faisaient les hommes et qu’ils ont déclenché un déluge pour les punir (on retrouve donc les mêmes notions de faute et de punition). Il est également question de la construction d’une arche et d’une colombe que l’on lâche pour savoir si la terre a émergé.

 

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Notons à ce propos que dans ce récit, le premier oiseau qu’en envoie en reconnaissance, c’est une colombe (blanche). Celle-ci ne trouve rien et revient. Ensuite, on envoie une hirondelle (noire et blanche), mais elle revient aussi. A la fin, c’est un corbeau (noir) que l’on envoie et qui lui ne revient pas. Ensuite on libère tous les animaux qui étaient réfugiés dans l’arche et on offre un sacrifice. Les dieux courroucés s’apaisent et pardonnent. Toutefois, pour ne plus être ennuyés par le vacarme des hommes, ils diminuent la durée de la vie humaine et répandent les maladies et la stérilité.

On voit donc bien comment ces textes se recopient l’un l’autre. Le thème général reste le même, mais la symbolique des éléments peut s’inverser (ici c’est le corbeau noir qui annonce la fin du déluge, tandis que c’est la colombe blanche dans la Genèse). Difficile donc de fonder sa foi sur de tels éléments. Ces fameux textes «dits  révélés » ressemblent surtout à un vaste fourre-tout dans lequel on retrouve tout ce qui s’est écrit antérieurement sur le sujet. Il n’empêche qu’une telle étude comparative n’est pas sans intérêt. On découvre ainsi les mythes fondateurs qui sont à l’origine de notre civilisation et qui tentent d’expliquer ce qui existe : création de l’homme et des animaux, faute, punition, mortalité, vie courte, etc. Des textes semblables, avec la  même portée, existent dans toutes les contrées. Voyez, par exemple, tous les mythes amérindiens répertoriés et analysés par Lévi-Strauss dans ses « Mythologiques ». Là aussi il s’agit généralement de mythes fondateurs qui tentent de trouver une explication à la réalité du monde (mort, maladies, douleurs de l’enfantement, amour, etc.)

Mais revenons à Noé. Nous l’avions laissé à la sortie de l’arche en train de sacrifier des animaux.

20. Noé bâtit un autel à l'Éternel ; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l'autel.

21. L'Éternel sentit une odeur agréable…

Satisfait par ce comportement, Dieu promet alors de ne plus jamais détruire la vie comme il venait de le faire (dans le Gilgamesh, dans une symbolique inversée, on raccourcit la vie de l’homme) et il envoie un arc-en-ciel en signe de réconciliation. L’Eglise a beaucoup philosophé sur cette symbolique de l’arc, qui relie la terre au ciel. Je voudrais plutôt insister sur la notion des couleurs : après le monde en deux tons du déluge (corbeau noir et colombe blanche) on se retrouve ici avec une panoplie de couleurs, symbole de rupture avec ce qui précède et de renouveau.

Quel rapport avec les animaux, me direz-vous ? J’y viens. Après le sacrifice de Noé, comme Dieu se trouve dans de bonnes dispositions à l’égard de l’homme, il lui confirme les pouvoirs qu’il lui avait déjà donnés autrefois sur le monde animal, en les accentuant :

1. Dieu bénit Noé et ses fils, et leur dit : Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre.

2. Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal de la terre pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains.
3. Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture : je vous donne tout cela comme l'herbe verte.
4. Seulement, vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang.
5. Sachez-le aussi, je redemanderai le sang de vos âmes, je le redemanderai à tout animal ; et je redemanderai l'âme de l'homme à l'homme, à l'homme qui est son frère.
6. Si quelqu'un verse le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé ; car Dieu a fait l'homme à son image.
7. Et vous, soyez féconds et multipliez, répandez-vous sur la terre et multipliez sur elle.
8. Dieu parla encore à Noé et à ses fils avec lui, en disant :
9. Voici, j'établis mon alliance avec vous et avec votre postérité après vous ;
10. avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que le bétail et tous les animaux de la terre, soit avec tous ceux qui sont sortis de l'arche, soit avec tous les animaux de la terre.
11. J'établis mon alliance avec vous : aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge, et il n'y aura plus de déluge pour détruire la terre. (Chapitre 9)

Pour parler plus clairement : Dieu permet à l’homme de se nourrir de l’animal, tandis que celui-ci ne pourra jamais tuer un homme.  L’inégalité entre eux est une nouvelle fois totale, le texte biblique affirmant sans ambiguïté la suprématie de l’un sur l’autre.  

La phrase « vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang » est curieuse. Peut-on en déduire que les animaux ont une âme ? Je crois qu’il faut plutôt considérer que le texte biblique voit le principe de vie dans le sang. D’où la nécessité pour les peuples d’Orient de ne manger que des animaux de boucherie qui ont été vidés préalablement de leur sang (aliments cachères). On retrouve d’ailleurs ce précepte à d’autres endroits :

Vous ne mangerez rien avec du sang" (Lévitique XIX, 26),

"Tiens ferme à ne pas manger avec le sang, car le sang, c'est l'âme, et tu ne dois pas manger l'âme avec la chair. Tu ne le mangeras pas afin qu'il t'arrive du bonheur, ainsi qu'à tes fils après toi, parce que tu auras fait ce qui est droit à Mes yeux" (Deutéronome, XII, 23 et 25).

La Genèse poursuit ensuite son récit en énumérant tous les descendants de Noé, puis elle relate l’histoire d’Abraham, à qui Dieu veut donner la terre promise

Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.

10. Abram prit tous ces animaux, les coupa par le milieu, et mit chaque morceau l'un vis-à-vis de l'autre ; mais il ne partagea point les oiseaux.
11. Les oiseaux de proie s'abattirent sur les cadavres ; et Abram les chassa.

Plus tard, Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils :

Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste, et partit pour aller au lieu que Dieu lui avait dit.

4. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin.
5. Et Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne ; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous.

L’animal (ici l’âne) est donc délibérément laissé à l’écart du sacrifice. Mais plus tard, quand Abraham va lever la main sur son enfant unique, Dieu écartera son geste et lui fournira un animal de substitution :

13. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils.

Quand il n’est pas objet de sacrifice, l’animal est symbole de richesse. Ainsi, Jacob parvient à  s’enrichir au détriment de Lahan en détournant une partie du troupeau de celui-ci à son profit. On retrouve d’ailleurs dans cette histoire la symbolique des couleurs : on sépare les brebis blanches des brebis tachetées. Les blanches, plus nombreuses, resteront la propriété de Lahan, tandis que les quelques mouchetées appartiendront à Jacob. Rusé, celui-ci s’arrange pour mettre les brebis blanches en contact avec ses béliers mouchetés, ce qui fait que tous les agneaux qui naissent sont tachetés et lui reviennent donc de plein droit selon l’accord qu’ils ont passé. Il n’est pas interdit de voir dans cette histoire l’origine du capitalisme moderne ! Qui a dit que les textes sacrés n’avaient pas d’intérêt ? Du moins pour ceux qui ont des richesses…

Basilqique St Marc de Venise, mosaïque.

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24/10/2011

Marche romane

Juste un petit mot pour signaler que Marche romane vient de franchir sa 600° note. Ce n’est pas un exploit en soi, certains atteignant un tel chiffre en quelques mois, mais bon… Ce qui est peut-être plus remarquable, par contre, c’est que ce blogue a maintenant quatre ans et demi. Cela n’a l’air de rien, mais quatre ans, cela fait déjà beaucoup de mois et encore plus de semaines. Tout ce temps à s’amuser à écrire de petits billets, sans trop savoir pourquoi, finalement… Le plaisir d’écrire, certainement ; le besoin de se plonger dans des sujets intellectuels, par réaction avec une vie professionnelle forcément répétitive, sans doute ; l’envie d’échanger des idées avec des personnes ayant quelque envergure, évidemment. C’est la magie d’Internet : les distances sont abolies et on rencontre des gens qu’on n’aurait jamais rencontrés, des gens qui, s’ils viennent vous lire, ont forcément quelque chose en commun avec vous.

C’est curieux, mais de tous les sujets qui sont abordés ici (textes poétiques ou en prose, étymologie, littérature, etc.) j’ai rarement l’occasion de m’entretenir dans ma vie quotidienne, que ce soit en famille, dans le voisinage ou avec des collègues. Peut-être que la situation ne s’y prête pas. Vous vous voyez parler de François Villon avec votre banquier ou avec votre boulanger ? Peut-être aussi que ces personnes ne s’intéressent pas à ces sujets. C’est même fort probable. Et puis le contexte ne s’y prête pas. Tandis qu’ici, les lecteurs viennent quand ils ont le temps et quand ils sont disponibles. Et s’ils reviennent, c’est que les idées émises les intéressent, comme m’intéressent les idées des sites que je vais lire.

Et puis il n’y a pas que les idées. On vient aussi pour le ton, pour la petite musique intérieure qui fait que chacun de nous est différent et jette sur le monde un éclairage particulier. C’est peut-être cela, finalement, que l’on recherche : un regard original ou du moins authentique, sincère. Cela doit changer de tous les mensonges qu’on nous sert dans la presse. Les blogueurs sont tous dans une démarche d’écriture et cette démarche doit amener à une certaine sincérité, je crois. On n’écrit pas pour se vendre mais pour dire qui on est, au plus profond, et les sujets abordés ne sont finalement que des prétextes.

Cela signifie aussi qu’un site sans lecteurs n’a aucun sens et donc que ces lecteurs font partie intégrante du phénomène « blogue ». Ils sont tout aussi importants que l’auteur. Il y a ceux que l’on voit dans les commentaires et puis ceux qu’on ne voit jamais, qui se tiennent dans l’ombre, mais dont on devine la présence en consultant de temps à autre ses statistiques. Il y a ceux qui venaient et qui ne viennent plus et puis aussi ceux qui viendront un jour. Tout cela finit quand même par faire du monde. Qui sont-ils tous ces inconnus ? On ne le saura sans doute jamais, mais si on continue d’écrire, c’est d’abord pour soi, bien entendu, mais c’est aussi pour eux, parce que quelque part des fils se tissent, invisibles mais pourtant bien réels. 

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07:00 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : blogue, lecteurs, internet

23/10/2011

Médias (2)

La Libye est enfin libre. Merci à l'Otan d'avoir protégé la population, comme l'ONU le lui avait demandé.

 

médias,désinformation

 

 

 (Photo Reuters, reprise par l'Express)

 

 

 

21/10/2011

Pour une définition ontologique de l'homme (fin)

On mettra en avant le fait que dans l’état de nature, l’homme primitif (ou le sauvage dont parlent les voyageurs) est en guerre permanente avec ses semblables. Il aura donc fallu un « contrat » pour créer les sociétés civilisées. En renonçant à une partie de ses droits naturels, l’individu a pu enfin vivre en harmonie avec ses semblables. C’est donc en se donnant des règles qui limitaient sa liberté individuelle que l’homme est sorti de l’état de nature et qu’il s’est définitivement distingué de l’animal (auquel il ressemble tant). Par la Culture, il va réglementer ses besoins primaires (manger et se reproduire). Il va donc élaborer toute une philosophie du travail et de la propriété pour répartir sans heurt les richesses (et du même coup, le pouvoir royal, les Parlements, les tribunaux et la police se trouvent justifiés). A côté de cela, l’institution du mariage va permettre de réglementer le désir, le refus de l’inceste assurant par ailleurs un échange « policé » des femmes (comme disent les anthropologues). La société et ses règles servent donc à assurer la libre circulation des biens et des femmes afin de préserver la paix dans la cité.

D’autres éléments viendront étoffer cette idée d’une « culture » spécifique à l’homme, éléments qui seront capables de le définir (le distinguant enfin définitivement de l’animal). Il y aura par exemple le sentiment religieux et l’ensevelissement des morts. Chaque peuple aurait connu la même histoire. Une fois sorti de l’état de nature, il passerait par une étape théocratique (époque des oracles, de la magie etc.), puis ce serait l’âge des héros (l’aristocratie guerrière) et enfin l’âge des monarchies librement consenties.

Il existe donc entre les peuples une hiérarchie des cultures, depuis les sociétés primitives jusqu’à la France de Louis XIV, hiérarchie qui reflète leurs différents degrés d’évolution vers la Raison. Dès lors, par peur de l’animalité qu’il ressent en lui, l’homme occidental ira jusqu’à rejeter le sauvage du côté de l’animal (ce qui justifiera toutes les persécutions). Pour expliquer pourquoi certains pays sont très évolués alors que d’autres sont encore proches de l’état de nature, on se servira des climats. C’est parce qu’ils n’ont pas eu la chance de vivre dans un climat tempéré, comme celui de l’Europe occidentale, que les habitants du Nouveau Monde sont restés sauvages ou que les Orientaux vivent toujours sous des régimes dictatoriaux.

Mais si la culture que l’homme s’est volontairement donnée est ce qui le différencie de l’animal, on imagine le tollé que provoquera plus tard la théorie du « Bon Sauvage » que développera Jean-Jacques Rousseau. Venir dire que la société corrompt l’homme et que l’état de nature est préférable, c’est littéralement remettre en question la définition de l’homme que l’Âge classique finissant avait eu tant de mal à trouver.

La seule solution acceptable, finalement, pour surmonter cet antagonisme entre l’animal et l’homme sera la théorie de l’évolution. Celle-ci ne niera pas le côté « animal » de l’homme, mais lui rendra sa position privilégiée en le plaçant au somment de la hiérarchie.

Il serait d’ailleurs intéressant de se demander pourquoi ces théories de l’évolution font maintenant partie de notre inconscient collectif. C’est peut-être moins parce qu’elles sont exactes (je ne les remets d’ailleurs pas ici en cause) que parce qu’elles apportent des réponses satisfaisantes à certaines questions qui étaient demeurées longtemps insolubles.

Mais revenons à l’Âge classique. Dire que la Culture définissait l’homme et le sortait de l’animalité, c’était bien. Mais comment expliquer alors que les peuples dits sauvages continuaient  d’exister et ne s’étaient pas encore détruits ? Ils n’avaient pas de règles pourtant. Et les animaux alors ? Ils n’avaient aucune règle politique ou morale et pourtant ils ne disparaissaient pas. Pourquoi l’homme civilisé aurait-il dû être le seul dont la survie devait dépendre des règles qu’il s’était données ?  Problème insoluble, comme on le voit, que s’empressera de mettre en évidence un Pierre Bayle. C’est Spinoza, cependant, dans son « Tractatus theologico-politicus » qui fera vaciller définitivement cette idée d’un contrat social qui définirait la culture et donc l’homme.

Pour Spinoza, l’état de nature est sans doute barbare, mais on y vit libre. Il ne voit donc pas ce qui aurait amené l’homme à renoncer à sa liberté immédiate dans l’espoir d’un bonheur futur que la société et ses lois lui apporteraient. Non, si l’homme a accepté ce contrat, ce n’est pas par un acte de raison mais simplement afin d’accroître les moyens d’assouvir ses appétits. Autrement dit, la société policée émane des mêmes passions qui régissaient le monde du désir, autrement dit celui de la pure nature. Finalement, vu les lois drastiques que la société impose et vu la tyrannie exercée par beaucoup de pouvoirs politiques, Spinoza en vient à se demander si l’état de culture est fort différent de l’état de nature. En d’autres mots, la belle définition qui permettait de distinguer l’homme de l’animal était une nouvelle fois remise en doute.

Par ailleurs, un autre problème se posait, celui de la diversité des cultures. Si les hommes peuvent être aussi différents d’un pays à l’autre (ils ont d’autres coutumes, d’autres habitudes, d’autres lois, d’autres religions), c’est qu’il n’existe pas une raison unique et universelle, mais une série de possibles que l’éducation reçue par les parents va restreindre à la Raison du pays où on vit. De là il ressort que l’homme ne serait pas unique, mais qu’il y aurait autant de différences entre les hommes qu’entre un homme et un singe. Décidemment, il est bien difficile pour l’espèce humaine de se définir et de sortir de l’animalité…

Après toutes ces interrogations qui ont bouleversé l’Âge classique, le XVIII° siècle des Lumières tranchera finalement pour la science. L’homme n’est peut-être pas un être privilégié voulu par Dieu (version biblique), il n’est peut-être qu’un être perdu dans l’infini de l’espace (rappelez-vous l’angoisse de Pascal devant le vide sidéral), comme l’ont démontré Bruno, Galilée ou Gassendi, mais il est le seul à pouvoir dominer la nature et la transformer. En d’autres termes, l’homme est une sorte de Dieu lui-même puisqu’il est capable d’améliorer son habitat naturel, ce que ne peut pas faire l’animal. On comprend mieux, dès lors tout l’engouement qui se développera pour la science. Outre le fait qu’elle permettait en effet de faire de nouveau de l’homme un être privilégié, elle dressait enfin une barrière infranchissable entre lui et l’animal.

Notons que ces arguments sont toujours ceux que l’on entend aujourd’hui : l’animal ne parle pas et s’il est parfois habile (voir la complexité de construction d’un nid d’oiseau par exemple), il ne construira jamais un avion et n’ira jamais sur la lune. C’est un fait.

En conclusion, j’ai voulu montrer par ce long détour dans l’histoire de la culture que la conception que nous avons des animaux dépend en grande partie de l’époque dans laquelle on vit. Le regard que nous portons sur eux n’est pas objectif, mais dépend en fait de la manière dont l’homme se définit lui-même à l’époque où il vit.

Qui aujourd’hui mépriserait son chien parce qu’il n’aurait pas d’âme ? Qui considérerait que les cris de ce même chien, lorsqu’il est frappé par un bâton, n’auraient rien à voir avec la douleur puisque l’animal n’est qu’un objet mécanique qui ne ressent rien ? Personne évidemment, parce qu’aujourd’hui le statut de l’animal a changé. On a légiféré pour le protéger et les actes de cruauté comme certaines expérimentations médicales ou scientifiques ont été proscrits. Non seulement on ne tolère plus qu’on fasse souffrir un animal, mais même son bien-être doit être assuré (cependant, quand on voit les élevages de porcs ou de volailles…).

Ceci étant dit, peut-on franchir une étape et dire que l’animal éprouve des sentiments ? Sans tomber dans un anthropomorphisme primaire, je crois que oui. Evidemment, tout est une question de degré dans la hiérarchie. On peut supposer qu’un chien ou un singe éprouvera davantage d’affects qu’un poisson rouge ou un verre de terre. Et bien sûr on ne va pas prétendre ici qu’il y a une similitude totale entre les sentiments des animaux et ceux des humains. On ne peut nier, cependant, qu’un chien puisse être triste à ses heures (voire carrément malheureux) et bondir de joie à d’autres. On voit dans son regard qu’il comprend même une certaine forme d’humour. Jouez à cache-cache avec un chien et vous verrez son regard amusé non seulement quand il gagne la partie, mais même quand il la perd et qu’il comprend que vous avez rusé avec lui.

Bien sûr, les animaux ne parlent pas, mais ils se comprennent entre eux pourtant. Et ils savent également se faire comprendre de l’homme. Certes, ils ne disposent pas d’un langage articulé et élaboré, mais il n’en reste pas moins qu’ils communiquent. Si on accepte le fait qu’ils sont à un stade moins évolué que nous dans la chaîne du vivant, cela ne posera pas trop de problèmes pour leur accorder ces facultés. Par contre, si on veut creuser un fossé infranchissable entre eux et nous, cela devient plus difficile à accepter. Mais n’est-ce pas justement le désir de nier l’animal qui est en nous qui nous pousserait à raisonner de la sorte ? La vieille opposition Culture/Nature dont nous avons longuement parlé ici continuerait-elle à nous influencer ?

L’absence de langage articulé entrave forcément l’animal dans la transmission des « connaissances » d’une génération à l’autre et c’est peut-être bien à cause de cette carence qu’il n’évolue pas beaucoup dans  ses comportements, se contentant de s’adapter aux changements de la nature, mais ne dominant jamais cette dernière, à l’inverse de l’homme. Pourtant, les conquêtes de l’homme sur cette nature sont-elles toutes bénéfiques ? Le scientisme n’a-t-il pas ses limites ? L’époque technicienne que nous connaissons ne risque-t-elle pas de nous entraîner vers des catastrophes terribles (voir l’incident nucléaire de Fukushima ou le réchauffement climatique). Alors, dire que l’homme est différent de l’animal parce qu’il domine la nature, c’est vrai évidemment, mais est-ce que notre culture elle-même n’a pas ses limites ? L’animal a continué de subir la nature, mais il a survécu. Nous, nous avons décidé de domestiquer cette nature, mais nous comprenons aujourd’hui que nous risquons d’aller trop loin et de disparaître. Il faudrait des garde-fous, mais il n’y en a pas. Le système s’est emballé et plus personne ne le maîtrise (voir les livres de Jacques Ellul). Dès lors, à l’échelle des siècles, qui sera finalement le plus raisonnable ? L’animal qui sera parvenu à survivre ou l’homme qui  aura anéanti la planète et lui-même par la même occasion ?

Alors, bien sûr la parole nous distingue de l’animal. L’écrit aussi et encore l’ordinateur. Mais est-ce pour cela qu’il faut dire que cet animal n’éprouve rien et ne ressent rien ? Bien sûr il n’enterre pas ses morts, mais peut-on dire qu’il est toujours indifférent lorsqu’un de ses congénères disparaît (voir les « cimetières » où les éléphants retournent souvent, comme s’ils venaient méditer sur leur destin) ? En fait nous n’en savons rien et dans le doute mieux vaut ne pas prendre position.

Ce qui est certain c’est qu’entre l’être humain et l’animal un « langage » est possible, un langage archaïque sans doute et qui doit remonter à nos propres origines, mais pourquoi vouloir le nier ?  Nous autres, citadins, nous aspirons à retrouver la nature. Pourquoi ne pas nous laisser guider par ces êtres qui comme nous partagent la même planète et la même époque ?

 


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17/10/2011

Pour une définition ontologique de l'homme (2)

Au dix-huitième siècle, on ira encore plus loin dans le raisonnement en affirmant qu’il n’existe aucune frontière et que l’homme n’est finalement qu’un animal comme les autres, ce qui lui fait perdre du même coup son statut privilégié. On a vu que Descartes séparait fondamentalement les hommes des animaux tandis que Bayle, lui, estimait qu’ils étaient tout deux de même nature (même si cette nature était moins évoluée chez l’animal). Cette dernière théorie trouvera son aboutissement ultime avec Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751), un philosophe matérialiste et athée qui écrira « L’Homme  Machine ». Comme matérialiste, il s’oppose à Descartes. Pour lui, il n’y  a pas d’esprit « divin », il n’y a que la matière. Il distingue entre la matière brute (une pierre) et la matière vivante, qui peut se mouvoir ou non. Dès lors, comme athée, il ne peut plus  découvrir la spécificité de l’homme dans la spiritualité ou dans une immortalité supposée et il fait donc de ce dernier un simple animal. Ce qui distingue l’espèce humaine des autres espèces vivantes ne repose plus sur une différence fondamentale de nature, mais sur une simple gradation. L’homme est plus évolué parce que  son cerveau physique est plus élaboré.

En général, la forme et la composition du cerveau des quadrupèdes est à peu près la même que chez l'homme. Même figure, même disposition partout, avec cette différence essentielle, que l'homme est de tous les animaux celui qui a le plus de cerveau, et le cerveau le plus tortueux, en raison de la masse de son corps. Ensuite, le singe, le castor, l'éléphant, le chien, le renard, le chat, etc. : voilà les animaux qui ressemblent le plus à l'homme, car on remarque chez eux la même analogie graduée par rapport au corps calleux.

Quant au langage, il n’est plus le propre de l’homme. La Mettrie considère que les animaux peuvent échanger des messages entre eux et il n’est pas loin de penser qu’on pourrait apprendre à parler aux grands singes comme l’orang-outan.

Parmi les animaux, les uns apprennent à parler et à chanter; ils retiennent des airs et prennent tous les tons aussi exactement qu'un musicien. Les autres, qui montrent cependant plus d'esprit, tels que le singe, n'en peuvent venir à bout. Pourquoi cela, si ce n'est par un vice des organes de la parole ?

Mais ce vice est-il tellement de conformation qu'on n'y puisse apporter aucun remède ? En un mot, serait-il absolument impossible d'apprendre une langue à cet animal ? Je ne le crois pas.

Je prendrais le grand singe préférablement à tout autre.

Pour La Mettrie, tout être vivant a des sensations et c’est à partir de ces sensations qu’il parvient à penser. Donc, l’animal est capable de sentir ce qui se passe en dehors de lui :

Un être d'une structure semblable à la nôtre, qui fait les mêmes opérations, qui a les mêmes passions, les mêmes douleurs, les mêmes plaisirs, plus ou moins vifs (...) un tel être enfin ne montre-t-il pas clairement qu'il sent ses torts et les nôtres, qu'il connaît le bien et le mal et, en un mot, a conscience de ce qu'il fait ?

La Mettrie élabore donc une théorie selon laquelle il existe une égalité entre les êtres vivants et il récuse l’idée d’une différence d’essence. Si différence il y a, elle est de degré, sans plus. Qu’on soit homme, lion, aigle ou poisson, tous recherchent l’équilibre et le bonheur.

Résumons ce que nous avons développé jusque maintenant. Nous avons vu que selon la Bible l’homme est d’essence différente de l’animal. Cette conception a duré des siècles, d’autant plus que l’animal avait surtout une fonction utilitaire et qu’on n’avait pas trop le temps de se pencher sur ce qu’il ressentait. A l’Âge classique, cependant, de nouvelles questions se posent. Si certains comme Descartes continuent à dire que l’homme est d’essence différente (parce qu’il pense, ce qui renvoie encore à Dieu), d’autres comme Pierre Bayle commencent à en douter. Le point ultime sera atteint avec la Mettrie qui ne verra plus en l’homme qu’un animal.

Pour comprendre ce changement il faut savoir que l’Âge classique, qu’on nous présente toujours comme une période d’équilibre, est en fait un moment crucial pour la pensée.

S'appuyant sur la Bible, l’home s'est cru au centre du monde. Mais des voix se sont élevées pour dire le contraire. Le procès de Galilée n’a pas d’autre motif. A partir du moment où le soleil ne tournait plus autour de la terre mais que c’était l’inverse qui se produisait, cela signifiait que l’homme n’était plus un privilégié élu de Dieu, mais qu’il était un simple animal vivant sur une planète perdue dans l’espace. Galilée se rétractera pour ne pas être brûlé (« Et pourtant elle tourne »), mais d’autres comme Giordano Bruno périront sur le bûcher.

L’Eglise a beau multiplier les procès d’inquisition, d’autres connaissances se font jour qui remettent en doute l’enseignement de la Bible (et donc sa véracité même). Ainsi, des os de dinosaures sont découverts, ce qui remet complètement en question la création du monde telle qu’elle est expliquée dans la Genèse. Sur les hautes montagnes des Alpes, on découvre des coquillages fossilisés à plus de 2.000 mètres. Ces transformations géologiques étonnantes obligent d’attribuer à la terre un âge qu’on n’aurait même jamais imaginé. Enfin, l’étude des chronologies égyptiennes et chinoises (voir les missions jésuites en Chine) achèvent de jeter un discrédit sur la chronologie biblique.

Mais alors, si l’homme n’est pas cette créature unique voulue par Dieu, qu’est-il en définitive ? Un simple animal ?  Tant que la religion a conservé suffisamment de puissance et d’autorité, on a pu se réfugier dans cette idée que l’homme était le seul à avoir une âme et donc à être immortel. Mais la religion traditionnelle avait essuyé un sérieux revers avec la Réforme, qui avait sapé une partie de son autorité. Puis voilà qu’apparaissent des penseurs athées, qui réfutent cette idée de l’âme et de l’immortalité. Que restait-il donc alors pour définir la spécificité de l’homme face à l’animal ? Comme si cela ne suffisait pas, les grands voyageurs reviennent avec des récits troublants. Il existerait ailleurs des hommes qui vivent selon d’autres coutumes et d’autres règles, des hommes sauvages, proches de la nature (et donc de l’animal) et qui semblent finalement beaucoup plus heureux que les Occidentaux.

La crise est profonde (voir le remarquable livre de Paul Hazard, « La Crise de la conscience européenne ») et l’homme est obligé de se trouver une nouvelle définition. Dans l’opposition traditionnelle entre nature et culture, il revendique la culture. S’il n’est pas un être privilégié voulu par Dieu, l’homme doit rechercher en lui-même ce qui le différencie des animaux. Ce sera donc la culture et surtout le langage qui détermineront sa spécificité. On a vu que pour Descartes l’animal n’est finalement qu’une simple machine, qui ne peut penser (car s’il pensait, il faudrait lui attribuer à lui aussi une âme immortelle, ce qui ne peut se concevoir). Comme cet argument ne convainc pas beaucoup le parti athée, Descartes doit trouver un autre critère pour définir l’homme. Ce sera le langage. Descartes n’ignorait point que les animaux étaient capables de communiquer entre eux, même sans parole (Pline, Plutarque et Montaigne l’avaient déjà démontré). Il fallait donc aller au-delà de la notion de communication pour définir l’homme et c’est pour cela qu’il avancera la notion de langage articulé. L’homme est le seul être vivant à avoir inventé des signes arbitraires pour les faire correspondre au mode de sa pensée. Certes, le chien aboie et par cela il se fait comprendre, mais l’homme parle.

Le débat semblait clos. L’homme, par le langage arbitraire qu’il avait inventé, appartenait résolument à la culture, tandis que l’animal avec ses cris était irrémédiablement renvoyé à l’état de nature.

Remarquons que sans le savoir Descartes venait de condamner son propre système. En effet, il continuait par ailleurs à soutenir que la pensée, par son côté spirituel, rapprochait l’homme de Dieu. Or comment encore concilier la présence d’un être transcendant qui aurait créé l’homme et la nécessité pour ce dernier d’inventer un signe arbitraire (le langage) pour se définir et se positionner comme fondamentalement différent de l’animal ? Les deux axes de son raisonnement sont contradictoires. Soit on se passe de Dieu et on admet que l’homme se définit par son invention du langage arbitraire, soit on admet Dieu mais alors il faut supposer que le langage n’est pas arbitraire et qu’il est inné chez l’homme, comme le cri l’est par ailleurs chez l’animal. On n’en sort pas et une nouvelle fois la distinction homme/animal pose problème.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà que des matérialistes athées comme Gassendi se mettent à parler d’un espace qui serait infini. L’ancienne cosmologie biblique vole définitivement en éclat et avec elle la conception traditionnelle que l’on se faisait de l’homme. Perdu dans l’univers, semblable à l’animal, l’homme se cherche désespérément. D’autant plus qu’il se rend compte qu’il est aussi perdu dans le temps. Avant, il croyait qu’il avait été créé par Dieu pour vivre sur la terre, attendre le jugement dernier et retourner au paradis. Mais voilà que l’Histoire fait elle aussi son apparition et l’homme sent qu’il ne la domine pas. Il pressent par ailleurs une analogie entre lui et les autres êtres vivants (une sorte de continuum qui irait des atomes aux êtres simples, puis des êtres simples aux êtres évolués et enfin de ces derniers aux hommes).  On se penche sur ces êtres étranges que sont les truffes, les coraux, les anémones de mer, dont on ne sait pas trop s’ils appartiennent encore au règne végétal ou déjà au règne animal. On pressent une continuité logique des êtres inférieurs jusqu’à l’homme.

Les penseurs chrétiens tentent de réfuter tout cela en soutenant que les différentes espèces sont biens distinctes, que rien ne les relie et qu’elles ont été voulues comme telles par Dieu. Mais les voyageurs font état de ces créatures étranges qu’ils ont rencontrées : orangs-outangs, gorilles, chimpanzés, etc. La ressemblance avec l’homme est si évidente et l’intelligence de ces bêtes tellement incontestable que l’idée d’un continuum entre les espèces s’impose petit à petit. On passerait insensiblement d’une espèce à l’autre, tout aussi facilement qu’on passerait de l’animal évolué à l’homme. Epistémologiquement, nous sommes à une charnière à la fin de l’Âge classique. En effet, tous les anciens critères pour définir l’humanité sont maintenant battus en brèche. La raison, par exemple, ne peut plus suffire pour caractériser l’homme car elle ne serait qu’un des aspects des êtres biologiques qui constituent la grande chaîne du vivant. Tout ce qui est naturel renvoie irrémédiablement au monde naturel. Il faut donc, pour définir l’homme, que celui-ci ait ajouté quelque chose à la nature. Mais dire que l’homme n’existe que par sa culture (forcément arbitraire et variant dans le temps et dans l’espace), c’est le replonger dans le domaine de la contingence. Une telle conception est inacceptable. Il fallait donc réintroduire la nécessité dans cette définition de la culture. Mais comment ?

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13/10/2011

Pour une définition ontologique de l'homme (1)

Dans un précédent billet, la question s’est posée de savoir quel était le statut de l’animal. En effet, un commentateur s’était ainsi exprimé :

« Vous dites à propos de l’animal : « Il aime, il souffre, puis il meurt». Jusqu’à présent je pensais que les sentiments (amour, haine, souffrance…) nous distinguaient de l’animal. »

Tout d’abord, avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que dans mon texte je n’avais pas parlé de haine chez l’animal, simplement d’amour et de souffrance, mais ces deux mots-là, j’y tiens, je les revendique et je ne les renie pas.

Ceci étant dit, la question qui se pose est donc de savoir si les animaux peuvent avoir des sentiments comme les hommes ou si au contraire ils en sont démunis. L’air de rien, une réflexion sur ce thème risque de nous entraîner très loin car ce qui est ici en jeu, c’est la définition de l’homme, ni plus ni moins. Ce dernier a bien conscience, quelque part, d’être un animal (il n’est ni une pierre ni une plante), mais il a toujours revendiqué à juste titre un statut particulier. Reste à savoir si ce statut privilégié repose sur une différence de degrés (l’animal ne serait dénué ni d’intelligence ni de sensibilité, mais l’être humain en serait plus généreusement pourvu) ou si au contraire la différence est plus fondamentale (l’animal n’éprouverait ni amour ni sentiment, caractéristiques qui seraient l’apanage de l’homme).

Il est clair que la manière dont l’homme voit l’animal a évolué dans le temps. Si nous remontons aux origines, nous retrouvons les textes sacrés. Selon la Genèse, Dieu a d’abord créé les animaux, puis l’homme (à son image), dont la mission était de commander aux premiers.

Dieu dit: Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel.

Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent

en abondance selon leur espèce; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon.

Dieu les bénit, en disant: Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre.

 Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le cinquième jour.

Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi.

Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.

Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

Fondamentalement, l’homme est donc différent des animaux. D’abord parce qu’il ressemble à Dieu et ensuite parce qu’il a pour mission de dominer le monde animal. La différence est donc à la fois de degré (il est le maître et l’animal est l’esclave) et de nature (il est d’essence quasi divine). Il est clair que c’est son statut particulier qui lui donne le droit de dominer et d’être au sommet de la hiérarchie. Il n’est donc pas seulement un animal supérieur, il est avant tout d’essence différente.

Notons que lorsqu’il est au paradis terrestre, l’homme, qui est à l’image de Dieu, est immortel. Pourtant, à ce moment, il n’a pas toute la connaissance, laquelle est l’apanage de la divinité :   « tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » L’homme est donc de la même nature que Dieu (immortel et à son image) mais il se trouve dans un degré inférieur de la hiérarchie (il ne peut pas tout savoir).

Plus tard, quand Eve a été séduite par le  serpent (symbole phallique ?) et qu’elle a mangé la pomme défendue et en a donné à Adam, tout s’écroule. Le couple prend alors conscience de sa nudité (en quoi il se  différencie une nouvelle fois des animaux), autrement dit  de sa sexualité. La connaissance qu’il possède maintenant, c’est celle du mystère de la création (fécondation), ce qui le rend en effet semblable à Dieu. Celui-ci s’en irrite fort et chasse le couple du paradis. Les propos qu’il tient ne sont pas anodins :

Il dit à la femme: J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.

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C’est donc bien par cette possibilité de créer (qu’elle vient de se donner en enfreignant l’interdit divin) qu’elle est punie. Certes, elle pourra procréer et donner elle aussi la vie, mais cela se fera dans la douleur.

Sur la ressemblance qui existe maintenant entre l’homme et Dieu, le texte biblique est très clair :

L'Éternel Dieu dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d'avancer sa main, de prendre de l'arbre de vie, d'en manger, et de vivre éternellement.

Dieu chasse donc l’homme du paradis, l’oblige à travailler et surtout lui enlève son immortalité, sans quoi il serait maintenant tout à fait semblable à son créateur.

 

Revenons maintenant à notre propos initial sur le statut de l’animal. Selon la Genèse, l’homme et l’animal sont donc de nature fondamentalement différente. D’essence divine, possédant maintenant la connaissance, l’homme est un dieu, même si c’est un dieu déchu et mortel. Il a donc tous les droits sur les animaux, qui, étant d’une nature autre, ne peuvent évidemment avoir aucune des caractéristiques de l’homme. On refusera donc à l’animal tout sentiment, tout désir, toute souffrance. L’homme est presqu’un Dieu, l’animal est plutôt un sorte d’objet vivant.

Cette conception biblique va bien entendu être véhiculée par le Christianisme et elle va donc influencer considérablement notre culture.

Remarquons que la position biblique est rassurante. L’homme est le roi de l’univers et tout  a été créé pour lui. Ainsi, par exemple, la terre est au centre du monde (c’est le soleil qui tourne autour d’elle) et elle n’a été faite que pour l’homme. De plus, ce dernier a reçu pour mission de dominer la nature et de régner sur les animaux. Il a donc un statut tout à fait à part dans la création. Entre lui et l’animal, il y a un gouffre infranchissable.

Pendant tout le Moyen-âge et finalement jusqu’à l’époque des premières machines mécaniques, l’animal va plus ou moins conserver ce statut. C’est qu’il est d’abord utilitaire, c’est sa première fonction.  Le cheval ou le bœuf servent à tirer la charrue, le chat à chasser les souris, le chien à garder la maison ou les troupeaux. Il est aussi un outil indispensable pour la chasse. A la guerre, c’est le cheval qui est irremplaçable. C’est le fameux destrier (le palefroi, lui, est un cheval de parade tandis que le « cabalus » est plutôt une  mauvaise monture). Les bœufs, les moutons et les cochons servent comme aujourd’hui d’animaux de boucherie. Par tous ces exemples, on voit donc bien que l’animal est avant tout utilitaire. Il sert à répondre à nos besoins, un peu comme les plantes, en quelque sorte, qui elles aussi servent à nous nourrir ou à nous guérir si elles sont médicinales. Dans un tel contexte, l’homme va pleinement exercer son droit sur l’animal (ce droit qu’il tient de Dieu, ne l’oublions pas). Cet animal il va falloir le dominer, afin qu’il nous obéisse et nous serve au mieux.  Impossible d’avoir des sentiments pour cette « machine utilitaire ». A la limite, on pourrait avoir de la colère à son égard si elle se montre rétive ou peu obéissante, mais c’est tout.

Certains animaux sont même considérés comme néfastes dans l’imaginaire collectif. C’est le cas du chat, part exemple, qui est bien utile, certes, pour chasser les souris dans les réserves de blé, mais qui, selon l’Eglise, est lié avec le diable. C’est un être maléfique et le pape Innocent VIII, au XV° siècle, ira jusqu’à encourager le sacrifice de chats lors des fêtes populaires. On les brûlait comme on brûlait les sorcières. A l’opposé de l’homme qui est à l’image de Dieu et qui a une âme immortelle, le chat renvoie à l’Enfer, surtout s’il est noir comme la nuit. Entre l’être humain et cet envoyé de Satan, il faut dresser une barrière infranchissable, celle du feu qui purifie et qui détruit le mal.

Utilitaire ou néfaste, l’animal ne va pas recevoir beaucoup d’affection de l’homme, qui a trop besoin de lui pour sa survie pour aller s’attendrir sur cet être inférieur. Dès lors, on n’imaginerait même pas que l’animal, de son côté, puisse lui aussi avoir un semblant de sentiments.  On peut même le battre, il reste insensible.

Cette dichotomie entre l’homme et l’animal est répétée à l’infini car au fond d’eux-mêmes les hommes savent qu’ils sont comme les animaux,  des êtres de chair qui vivent, souffrent, se reproduisent et meurent. Il faut donc à tout prix dresser une barrière infranchissable entre ces deux catégories, sinon l’être humain n’est plus rien.

Descartes, par exemple, constate que seul l’homme peut s’exprimer par la parole. Les animaux ne parlant pas, c’est qu’ils ne pensent pas non plus. Ce ne sont pas  des « choses qui pensent » mais des «choses étendues», sans plus. Dès lors, l’animal n’est pas non plus sensible ou, s’il ressent quelque chose, c’est par un simple processus mécanique. Si on frappe un animal et qu’il tressaille, recule et crie, ce n’est pas parce qu’il ressent quoi que ce soit, mais par une réaction mécanique (comme les aiguilles d’une montre que l’on a remontées ou comme un aimant qui attire naturellement le fer). L’homme se rapproche de lui par son corps, mais il s’en distingue par son esprit, qui est d’essence divine. L’animal n’étant à la limite qu’une chose, il ne peut avoir d’esprit. Il n’a pas conscience d’être lui-même, il ne parle pas, il n’apprend rien, ne connaît rien et s’il ressent jamais quelque chose, c’est comme un automate.

Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique (1695-1697) prétendra au contraire, contre Descartes, qu’on ne peut établir aucune différence ontologique entre l’homme et l’animal. De plus, les actions des animaux sont tellement complexes qu’elles ne peuvent s’expliquer de façon purement mécanique. Soit ils ont une âme spirituelle, comme les humains, soit ils ont une âme matérielle, laquelle leur permet cependant de penser. En d’autres termes, soit les animaux ont une âme, soit ils n’en ont pas, mais alors les humains non plus.

Là où Descartes assimilait la sensibilité chez l’animal à un simple mouvement physique (ce qui lui permettait de dire que dans le fond l’animal n’était pas sensible), Bayle au contraire estime que les animaux sont sensibles et dès lors il en déduit qu’ils sont également doués de conscience et de raison.

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Pierre Bayle

11/10/2011

Rivage

Là-bas, après les montagnes, il y avait une plaine.

Et après la plaine, il y avait une bande de terre avec des bruyères et des joncs.

Derrière les joncs, il y avait une lande, plate et herbeuse, qui s’avançait vers l’horizon.

Au bout de la lande, tout au bout, il y avait une plage, aussi infinie que mes rêves.

J’ai marché et j’ai marché pour savoir ce qu’il y avait derrière la plage.

Derrière la plage, il y avait la mer, qui englobait le monde.

Et derrière la mer, il n’y avait rien.

Rien que la limite de mon rêve évanoui.

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Département des Landes (40)

07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

09/10/2011

Médias (1)

J’ai été frappé, lors du conflit en Libye, de la désinformation systématique de nos grands médias. Qu’on approuve ou qu’on désapprouve l’intervention occidentale contre Kadhafi, peu importe finalement. Ce que je veux souligner ici, c’est que la presse, justement, devrait faire un travail objectif d’information et laisser ses lecteurs ou ses téléspectateurs libres de se faire une opinion.

Evidemment, on se doute bien qu’un article ou une émission sont toujours un peu orientés, ne serait-ce que par l’opinion préalable que le journaliste doit avoir sur les faits qu’il relate (soit que cette opinion est préalable à son reportage, soit qu’il se l’est forgée au cours de ce reportage). Tout cela est humain et normal. Mais alors le journal (ou la chaîne de télévision) devrait avoir l’honnêteté de proposer différentes approches d’un même événement, ce qui n’est manifestement pas le cas.

Dans le cas de la guerre en Libye, on a vu que tous les médias donnaient systématiquement la même version des faits, au point qu’on pourrait légitimement se demander si le but ultime n’est pas de conditionner l’opinion publique et de l’encourager à soutenir ce conflit. Je n’extrapole pas. On connaît par exemple aujourd’hui l’importance de la presse américaine dans le fait que la population étasunienne a accepté l’intervention en Irak. Cependant, parler du passé est certes intéressant, mais ce serait encore mieux si nous pouvions décoder ce qu’on nous dit à la télévision ou ce qu’on écrit dans nos journaux au moment où les faits se passent. Cela nous éviterait de cautionner certaines actions simplement parce que nous ne sommes pas au courant.

C’est pourquoi je voudrais de temps en temps attirer l’attention de mes lecteurs sur la manière dont les médias nous présentent les faits et sur tout ce qui se cache là en-dessous. Comment des journalistes peuvent-ils sciemment déformer des faits et tromper l’opinion ? On veut bien admettre que certains soient corrompus, mais tous ne peuvent pas l’être. Que se passe-t-il donc réellement, quelles pressions exerce-t-on sur eux pour les contraindre à falsifier leurs reportages ?

Pour tenter de répondre à ces questions, j’ouvre donc une nouvelle rubrique intitulée « médias » (voir colonne de gauche) qu’on remplira de temps en temps, selon ce que j’aurai repéré dans la presse et qui me semblera sujet à caution.

Ce qui m’a interpellé aujourd’hui, c’est une émission sur la Palestine (que je n’ai pas vue) diffusée sur Antenne 2 et qui a déclenché une série de protestations au point que le président de France télévisions doit aller s’expliquer auprès de l’ambassadeur d’Israël :

 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/10/09...

On lira également avec profit la réponse que donne un journaliste :

http://blog.france2.fr/charles-enderlin/

Sans commentaires.

 

 

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05/10/2011

La course contre la montre

La vie est courte et l’on a peu de temps devant soi. On a même peu de temps pour discourir sur le temps qui passe. D’ailleurs parler et réfléchir serait perdre son temps. Mieux vaut aller de l’avant et vivre.

Mais vivre sans penser est un peu ridicule, cependant. Parfois, il faut savoir s’arrêter et prendre son temps, afin de comprendre que le temps passe inexorablement et qu’il nous faut aller bien vite à l’essentiel. Il n’y a pas de temps à perdre, en quelque sorte !

Mais cet essentiel, dans notre vie, consiste en quoi, finalement ?

Une course contre le temps, sans doute. Parvenir à s’affirmer et à exprimer ce que l’on est vraiment. Dans l’absolu, autrement dit hors du temps. « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change » disait un poète. Il y a très longtemps.  Mais lui, il se situait à la fin de la partie, quand la vie s’est arrêtée. Moi je parle de maintenant, de l’instant présent. Je regarde le grand cadran et je vois les aiguilles qui défilent. Elles repassent au même endroit dix fois, vingt fois, mille fois et il ne s’est rien passé. Je n’ai rien fait d’autre que de regarder la fuite du temps. Ce n’est pas malin, j’ai perdu mon temps. Les autres, eux, ne pensent pas au temps qui fuit, mais ils agissent. Ils agissent comme s’ils devaient être immortels et ne se soucient pas du temps. Ou alors de temps en temps, sans plus. Ils agissent, s’enrichissent et sont tout contents. Ils n’ont peut-être pas tort, tant qu’à faire.

Moi, en attendant, je reste des heures à contempler la fuite du temps.  Je ne suis pas plus bête pour autant. Je ne fais rien, mais je sais. Je sais qu’un jour ce sera la dernière heure. Et je me dirai que j’aurai perdu mon temps.

Alors il sera trop tard.

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Vulnerant Omnes, Ultima Necat.

03/10/2011

Aphorismes (6)

Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans nos écoles, les cours d’histoire se limitent à évoquer l’empire romain et celui de Charlemagne (autrement dit les deux seules périodes où toute l’Europe était  unifiée politiquement) tandis que les mille ans qu’il a fallu pour que naisse la France actuelle sont passés quasi sous silence.

Le Christianisme s’est cru habile en récupérant les grandes fêtes païennes à son profit. C’était pourtant avouer que sa doctrine était aussi arbitraire que celle qu’il remplaçait.

L’amour fait voir l’autre meilleur qu’il ne l’est en réalité. Heureusement, d’ailleurs.

Le désir que l’on éprouve pour les personnes de l’autre sexe est peut-être la seule constante de la vie.

C’est quand nous sommes amoureux que nous approchons le plus près du bonheur. Pourtant, si on y réfléchit, la nature nous joue encore là un bien sale tour. Elle se moque de notre bien-être personnel et ne recherche en fait que la perpétuation de l’espèce.

Ce sont toujours les loups qui arrivent au pouvoir dans les dictatures. Dans les démocraties aussi d’ailleurs.

Quand on est enfant, on regrette de n’être pas plus grand et quand on est adulte, on regrette son enfance. Plus tard encore, on regrette les deux.

Je n’ai jamais rien compris au péché originel. Du coup, je ne vois pas pourquoi un Dieu devrait mourir pour racheter une faute que je n’ai pas commise.

Plutôt que de venir bêtement mourir sur une croix pour partager notre état mortel, le Christ aurait mieux fait de nous rendre immortels.

Il est des jours, quand je suis coincé dans une foule, où j’envie les anachorètes du désert.

Pour celui qui ne croit pas, la prière n’a aucun sens. Elle ne devrait pas en avoir davantage pour le Chrétien. En effet, s’il aime son Dieu, il devrait accepter le monde imparfait qu’il lui a donné, plutôt que de venir le supplier sans cesse pour en abolir les  aspects les plus injustes.    

Dans le regard de cette femme croisée dans la rue, J’avais cru voir l’éternité que je cherchais en vain depuis toujours. Ce n’était en fait que l’éternité de mon désir.

Ces femmes que l’on croise et que l’on ne reverra plus jamais ont toujours quelque chose de parfait. Forcément puisqu’on ne les connaît pas.