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27/11/2011

Indignons-nous

Dans la logique du billet précédent, qui visait à se demander comment un individu pouvait agir pour faire changer le monde qui l’entoure et si ce même individu ne perdait pas ainsi sa vie en vains efforts,  interrogeons-nous aujourd’hui sur un mouvement qui semble réussir, celui des « indignés ».

Né quelque part dans la logique du printemps arabe, qui a vu des foules immenses descendre dans les rues, c’est en Espagne que très logiquement le  mouvement des indignés s’est exprimé en premier lieu. Je dis logiquement car les côtes méridionales espagnoles sont proches des côtes de l’Afrique du Nord et parce que ce pays ibérique traverse une crise économique grave. Ensuite, grâce à Internet, le mouvement s’est généralisé un peu partout dans le monde.

Après des décennies d’une politique néo-libérale qui a tout axé sur le profit privé et qui a rejeté les coûts sur la collectivité, un certain nombre de citoyens se sont retrouvés exclus du système. Vivant en marge d’une société qu’ils voulaient intégrer, les indignés de Madrid sont venus rappeler qu’ils existaient et qu’ils avaient respecté les règles du jeu. En gros, il s’agit de jeunes diplômés qui ont fait des études mais qui ne trouvent pas de travail ou alors un travail précaire, souvent de bas niveau et en tout cas mal payé. Il ne s’agit donc pas d’individus asociaux vivant volontairement en marge de la société et qui se seraient retrouvés dans la précarité par leur seule faute. Non, il s’agit de jeunes gens qui ont joué le jeu, qui ont étudié et à qui la société n’offre aucun avenir car les belles places sont déjà prises. Avec plusieurs diplômes universitaires en poche, certains vivotent avec 800 euros par mois et à trente ans ils doivent renoncer à leur minuscule appartement à Madrid pour retourner vivre à la campagne chez leurs parents, ce qui n’est pas la condition idéale pour fonder une famille, on en conviendra. Alors, en gros, ils descendent dans la rue pour dire qu’ils existent et viennent réclamer une petite part de ce gâteau dont certains avant eux se sont emparés des plus gros morceaux.

Révolte légitime, on en conviendra. Révolte pacifique aussi, à laquelle la police espagnole a parfois répondu avec une brutalité injustifiée, les autorités étant sans doute désemparées devant la nature de ces revendications auxquelles elles n’ont pas de réponse à apporter. Car notre société ne fait que valoriser le travail et l’effort. En gros, le discours libéral est le suivant :« Je suis riche, mais je l’ai bien mérité car j’ai beaucoup travaillé pour cela. Et si vous êtes chômeur, c’est de votre faute. Celui qui veut vraiment travailler trouve toujours quelque chose. » Certes, mais à quel prix et pour quel salaire ? Accepter de faire 150 km par jour pour un emploi subalterne à mi-temps, sous-payé et limité à une durée de trois mois ne va pas spécialement enrichir celui qui accepte un tel emploi. Sans compter qu’après les trois mois, la personne pourra retourner au chômage et attendre un autre emploi tout aussi précaire. Impossible, dans ses conditions, d’organiser son avenir à long terme. Il faudrait au moins trouver une activité à durée indéterminée mais le système libéral fait tout pour précariser ses travailleurs. Dans sa logique, il vaut mieux embaucher des travailleurs roumains payés au tarif de la Roumanie et ne bénéficiant d’aucune sécurité sociale (ce qu’autorise les traités européens) que d’engager des travailleurs locaux forcément plus chers. En d’autres termes, quand nos firmes ne délocalisent pas leurs activités, elles importent des régions les plus pauvres de l’Europe un personnel qu’elles peuvent exploiter en toute légalité. Alors, comme l’écart se creuse de manière scandaleuse entre ceux qui détiennent les moyens de production et les salariés (devenus des non-salariés), ces derniers ont fini par descendre dans la rue. Nous ne pouvons qu’approuver.

Reste à savoir si ce mouvement des indignés peut déboucher sur quelque chose. Notons d’emblée qu’ils ne font pas la révolution. Ils ne renversent pas les régimes, ils contestent simplement de ne pas  avoir une place dans la société alors qu’ils en avaient respecté les règles (« Fais un effort mon fils, étudie et tu auras un bon travail… ») . Ce n’est pas la révolution d’Octobre qui met fin à la tyrannie des Tsars, tout ce que réclament les indignés c’est une petite place au soleil. Que les autres se serrent un peu et leur laissent quand même un petit morceau du gâteau. Dans une telle perspective, quelle suite peut être donnée à leur mouvement ? A mon avis aucune, car ce qu’il faudrait revoir c’est tout le système capitaliste axé sur le seul profit. Il faudrait que l’Etat, les Etats, puissent réglementer la répartition des richesses (or la logique de la mondialisation est le « laisser-faire»), puissent réglementer l’organisation du travail par des lois sociales (or on est occupé à démanteler celles qui existaient) et puissent le cas échéant venir en aide à ceux qui sont en-dehors du système (or on demande aux Etats de faire des économies et on leur suggère en plus de privatiser une partie de leurs activités). Il n’y a donc aucune solution au problème des indignés dans le contexte actuel. A moins de renoncer à cette politique libérale injuste et profondément égoïste. On en est loin puisque depuis qu’ont eu lieu les revendications de la place de la Puerta del Sol, la crise de la dette est venue nous frapper de plein fouet. Des firmes privées (les agences de notation) viennent analyser la situation financière des Etats comme si ceux-ci étaient de simples sociétés privées, ils émettent des réserves, les cours boursiers chutent, les taux d’emprunt de ces mêmes Etats devenus fragiles montent, et on demande aux citoyens de se serrer la ceinture pour rembourser les banques (mais la ceinture, les indignés se l’étaient déjà serrée jusqu’au dernier cran). Comme on se méfie et qu’on doute de la soumission et de la bonne volonté des masses à vouloir sauver le système capitaliste, on  met à leur tête des techniciens issus de ce même monde bancaire (Italie, Grèce, BCE) qui vont leur répéter que le profit est pour certains privilégiés et les pertes pour la collectivité.

Que dire alors aux indignés qui continuent à camper dans leur tente de fortune ?

Mais au moins le mouvement a le mérite d’exister. S’il n’est pas structuré (il s’agit essentiellement de revendications individuelles, mais qui vont toutes dans le même sens) il ne débouchera sans doute sur rien.  S’il est récupéré par un parti, il sera utilisé à d’autres fins. Par contre s’il se généralise et si les maîtres du monde commencent à redouter de traverser certaines places publiques au volant de leurs grosses voitures (avec chauffeur, de préférence payé au Smic), alors il se passera sans doute quelque chose. D’abord une répression policière. Mais si elle ne suffit pas à endiguer le mouvement ?  

Ou alors on attendra qu’il s’essouffle de lui-même. Quand la neige tombera sur les tentes de Wall Street, les contestataires regagneront leur chaumière, vaincus par l’hiver, un peu comme Napoléon devant Moscou.  


Puerta del Sol

Indignés

23/11/2011

Réflexion

On se demande parfois quelle position il convient d’adopter en ce qui concerne la marche du monde. Je veux dire d’un point de vue existentiel. Que peut l’individu face à des événements extérieurs qui le dépassent et qu’il est bien incapable de faire changer ? J’ai l’impression parfois de tourner en rond, ce qui est bien un aveu d’impuissance. Ainsi on peut s’indigner (terme devenu à la mode) de bien des choses. Ce ne sont pas en effet les occasions qui manquent. Entre la situation en Palestine, la colonisation forcée israélienne, la guerre impérialiste et économique en Libye, la situation en Syrie, le printemps arabe égyptien qui tourne inévitablement au bain de sang par manque de réformes, la crise de la dette, la mainmise des banquiers sur nos institutions démocratiques, le recul de notre état social, le chômage des jeunes et des moins jeunes, la réforme des retraites, l’augmentation des prix, la volonté du grand capital d’exploiter encore un peu plus la population et son désir de lui mettre le couteau sur la gorge pour qu’elle rembourse les banques, entre toutes ces situations, dis-je, on n’a que l’embarras du choix.

 

Mais que faut-il faire ? Ne pas analyser ce qu’il se passe, fermer les yeux et les oreilles et se donner l’illusion que tout va bien ? Ce ne serait digne ni d’un homme ni d’un citoyen.

Ecrire un peu partout son indignation ? Certes, cela soulage, mais ne fait pas bouger les choses.

 

Agir ? Mais comment ? Même en restreignant son action à son pays ou à sa ville, un individu seul ne peut pas grand-chose.

 

Reste donc la possibilité de tout voir et de tout entendre mais de se taire quand même et donc  de ne pas agir et de ne rien dire.

 

Drame existentiel s’il en est car ce qui se cache là derrière c’est l’impact que nous pouvons avoir sur le monde qui nous entoure. Or il faut bien avouer que cet impact est quasi nul. Pour que cela fonctionne un peu, il faut que des milliers et des milliers de personnes se lèvent ensemble au même moment. On a pu le voir autrefois lors de manifestations contre la réforme de l’enseignement, par exemple, qui ont contraint un ministre à retirer son projet. Mais cette victoire est toute relative car à la législature suivante la quasi-totalité du projet est quand même adoptée. Il en a été de même en Egypte. Le printemps arabe a su faire démissionner Moubarak (au prix de combien de morts ?) mais finalement rien n’a fondamentalement changé. L’armée est au pouvoir avec les cadres de l’ancienne équipe dirigeante et les réformes se font attendre. D’où les nouveaux bains de sang de ces derniers jours qui aboutiront soit à un semblant de réforme, soit à un durcissement de la position de l’armée, ce qui sonnera définitivement le glas de toute aspiration à la démocratie. Toute action collective semble donc elle aussi en grande partie vouée à l’échec.

 

Donc, entre mon monde intérieur et la réalité extérieure, subsiste toujours le même gouffre. Même si j’ameute un certain nombre de mes semblables en les rendant conscients de certaines injustices, rien ne changera. C’est à désespérer. Pour le monde d’abord, car ceux qui sont aux commandes peuvent continuer à le diriger pour leur seul profit. Mais c’est à désespérer pour moi aussi car à partir du moment où je renonce à faire bouger les choses, je deviens au mieux résigné devant le système, au pire complice, par mon silence, de ce même système.

 

Pourtant, d’un autre côté on n’a qu’une vie (et elle est courte comme disait l’autre). Que m’importe finalement le sort des Palestiniens ou celui des Egyptiens ? Que m’importent les injustices que je vois commettre sous mes fenêtres si moi j’ai de quoi manger et de quoi acheter mes livres ? Serai-je plus heureux si demain il existe un état palestinien ? Non bien sûr. Ma vraie vie est ailleurs. Imaginez par exemple un jeune homme et une jeune fille de vingt ans qui tombent amoureux. Vont-ils gâcher leur jeunesse et refuser d’être heureux parce qu’en Egypte l’armée tire sur le peuple ? Ou parce que dans leur commune des immigrés dorment dans les parcs parce qu’ils sont en situation illégale ? Non, ils seraient bien bêtes de perdre un beau moment de leur vie.

 

Le bonheur suppose-t-il donc l’égoïsme ? Peut-être bien. Ce qui est certain, par contre, c’est que la seule vérité qui vaille pour soi c’est celle que l’on a au fond de soi, précisément. S’il est dans ma nature d’être peintre ou musicien, par exemple, ce serait un crime de ne pas peindre ou de ne pas jouer de la musique. Ce que je peux apporter d’essentiel au monde, finalement, c’est cela, cette vérité tout intérieure. En réalisant ce que j’ai en moi ou du moins en tentant de le réaliser, j’approche tout doucement de ce qui est essentiel pour moi dans la vie. L’idéal étant sans doute de concilier les deux aspects, comme Malraux qui parvient à être écrivain tout en participant aux combats qu’il estime justes.

 

Il n’empêche qu’entre ma petite musique intérieure, qui m’est essentielle, et le bruit et la fureur du monde, il y a bel et bien un hiatus. Il reste donc la solution de laisser ce monde aller là où il veut aller tout en se concentrant sur ce qui fait ma spécificité. Attitude égoïste certes, mais attitude qui permet de survivre. Se résigner à accepter l’imperfection du milieu extérieur et partir à la recherche de sa vérité intérieure. C’est Darwich qui tourne le dos à l’action politique et qui écrit des poèmes sur la beauté de sa terre natale, la Palestine. Ce que faisant, il s’accomplit en tant que poète et sans le savoir il donne un sens à son pays en lui prêtant sa voix. Sa petite voix intérieure.  Car la Palestine, ce pays fictif, n’existe aujourd’hui que dans et par les vers de Darwich.

 

Littérature

 

15:03 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature

17/11/2011

Médias (3)

Les cendres fument encore en Libye que la guerre est déjà presque engagée contre la Syrie. Je ne dis pas que le régime syrien est un exemple de démocratie et je ne sais pas trop ce qui s’y passe. Mais…

Mais il est clair que la Syrie, comme l’Iran (et comme autrefois la Libye) sont des pays arabes puissants qui ne sont pas particulièrement pro-occidentaux. A ce titre, ils constituent manifestement une menace contre Israël. Il est donc évident qu’on est en train de les abattre les uns après les autres pour des raisons politico-économiques. On les bombarde (avec l’argent des contribuables européens et américains), on tue pas mal d’innocents (qu’importe, ils sont si nombreux…), on détruit à peu près toutes les infrastructures, on met en place un régime qui nous est plus favorable (et s’il est religieux intégriste, pourquoi pas, cela maintiendra les populations dans une culture archaïque à visée spirituelle, ce qui nous permettra de maintenir à coup sûr notre avance technologique), puis on reconstruit (ce qui fait rentrer un peu d’argent dans les poches de nos pauvres entrepreneurs).

Notez en passant que ceux qui paient la guerre (les citoyens) ne sont pas ceux qui en retirent les bénéfices (compagnies pétrolières et entrepreneurs). C’est bien dans la logique du libéralisme. Voyez la prochaine libéralisation du rail : l’entretien des voies à l’Etat et la vente des billets au secteur privé.

Mais je m’égare. Revenons à la Libye et à la Syrie. On sait bien qu’il y a toujours des motifs inavouables quand on entreprend une action militaire, mais est-ce si grave, me direz-vous ? Après tout, l’ingérence humanitaire n’est-elle pas un devoir? Ces guerres ne sont-elles pas justes ? Certes, mais…

Mais je vous rappellerai poliment plusieurs choses.

D’abord que vous avez été un peu naïfs quand on a envahi l’Afghanistan, la guerre ayant été préparée bien avant la destruction des tours de New York.  A supposer que Ben Laden soit à l’origine de leur destruction, ce qui reste encore à prouver, fallait-il pour autant asservir tout un pays à cause d’un terroriste qui y était réfugié ?

Ensuite vous vous êtes fait avoir une deuxième fois avec l’invasion de l’Irak (autre beau pays arabe, riche et moderne, qui commençait à nous faire de l’ombre et qui militairement aurait pu s’opposer à la politique expansionniste d’Israël). Vous vous souvenez de ces armes de destruction massive qu’on n’a jamais retrouvées ?

Vous venez de vous faire avoir une troisième fois avec la Libye. Ah non, dites-vous, là il y a des preuves : l’aviation de Kadhafi a tué 6.000 personnes. C’est ce qu’on dit, oui. C’est en tout cas ce qu’ont dit devant l’ONU les gens du futur CNT, afin que l’Otan intervienne et que ce même CNT puisse prendre le pouvoir à la place de Kadhafi. Mais des preuves, il n’y en a pas. Ecoutez ceci, même si c’est un peu long :

http://www.youtube.com/watch?v=SWvi9Tgfz7w

 

L’ONU a donc décidé de frapper militairement sans aucune preuve. Gênant. Quant à nos bombardements chirurgicaux, laissez-moi rire. Regardez les ruines de Syrte et vous aurez compris que nos avions ont fait bien plus de victimes que les soldats de Kadhafi. Oui, mais au moins ceux qui ont survécu sont libres me direz-vous. Oui, libres de respecter la Charia et de profiter des bienfaits du commerce mondial. Le FMI leur prêtera de l’argent s’ils n’en ont plus.

Regardez plutôt ceci, qui résume tout ce qu’on ne vous a pas dit à la télévision :

 http://www.dailymotion.com/video/xluzhc_libye-temoignage-...

On vous a montré un peuple enthousiaste qui accueillait les libérateurs du CNT. Rien n’est moins sûr. Vu les conditions de vie des Libyens (les richesses du pétrole étant en grande partie redistribuées auprès de la population), le Colonel avait certainement plus de fidèles qu’on ne veut bien nous le dire. Sans parler des femmes, qui allaient à l’école et même à l’université, qui occupaient des postes clefs et à qui on va maintenant imposer la Charia.

http://www.lemonde.fr/m/article/2011/11/11/libye-celles-p...

Tout cela nous promet une belle guerre civile à  l’irakienne, ce qui réjouira nos dirigeants (partisans du vieil adage : « diviser pour régner »).   

Bon, alors demain c’est le tour de la Syrie. Puis forcément de l’Iran. Nous serons alors les maîtres du monde. L’Occident et son régime capitaliste règnera partout. Dommage qu’il s’agisse là d’un colosse aux pieds d’argile puisque cette suprématie s’appuie sur une dette publique énorme.

Car vous qui approuvez la chute de tous ces pays arabes, qui tombent les uns après les autres (sauf l’Arabie, curieux), regardez un peu ce qui se passe en Europe. La démocratie vient d’y être privée de droit de cité et cela à votre insu. Ce ne sont plus les représentants du peuple qui dirigent, mais les banquiers et des représentants de la haute finance. Ce sont ces gens-là qui donnent des ordres aux gouvernements et qui imposent des mesures drastiques aux populations pour « rassurer les marchés ».  Papandréou est déjà tombé (le pauvre naïf, qui voulait demander l’avis du peuple alors que le peuple n’a strictement plus rien à dire), puis voilà que c’est le tour de Berlusconi. Comme Ben Alli et Moubarak, le « Cavaliere » est remercié, malgré tous les bons services qu’il a rendus au grand capital. Ces gens-là ne s’arrêteront jamais, ils veulent toujours plus de profit.

Alors, sans approuver les régimes syrien ou iranien, on pourrait quand même  se poser une question, nous les pauvres travailleurs d’Europe : ne serait-il pas dans notre intérêt de classe que le grand capital ait encore quelques ennemis dispersés dans le monde ? Car une fois qu’il n’y aura plus nulle part de contre-pouvoir, il pourrait bien s’en prendre plus ouvertement à nous.

Il a déjà commencé, d’ailleurs. Le nouveau ministre grec est un ex vice-président de la BCE, cette même BCE qui donne des ordres à l’Italie, laquelle est pour ainsi dire mise sous tutelle. Mais il y a mieux : Monti (premier ministre italien), Papademos (premier ministre grec) et  Mario Draghi (nouveau directeur de la BCE) sont tous trois d’anciens employés de Goldman Sachs, une banque d’affaire américaine qui est en partie responsable des problèmes financiers de la Grèce. C’est un peu comme si on nommait un incendiaire capitaine des pompiers. On croit rêver…

Et je n’invente pas. C’est Le Monde qui le dit, c’est dire si c’est vrai.

Medias

 
 
 
 
 
 
 
 
Goldman Sachs Tower

07:00 Publié dans Médias | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : médias

13/11/2011

Terre d'asile (fin)

J’ai peut-être imaginé ce qui n’existait pas, je ne sais pas. Mais ce regard féminin me poursuivait. Dans les histoires que je me racontais, la jolie assistante sociale a fini par prendre toute la place. J’imaginais qu’elle venait ouvrir ma porte en pleine nuit pour me permettre de fuir. Avant de m’élancer vers la liberté, je me retournais et nous échangions un long regard troublant. Certes, c’étaient là des histoires à l’eau de rose complètement idiotes et je savais bien que je les avais inventées pour me permettre de tenir le coup, mais à la fin je n’étais pas loin de croire que cette fille éprouvait des sentiments pour moi. Peut-être, d’ailleurs, n’était-elle pas tout à fait indifférente, je ne le saurai jamais.

Ce qui est certain, c’est qu’un jour qu’elle me rendait visite, je ne suis plus parvenu à faire la distinction entre mes rêves et la réalité. Pendant qu’elle me demandait comme d’habitude si tout allait bien, j’ai tendu la main vers elle et j’ai touché son visage. Elle a eu l’air surpris et s’est reculée en me regardant d’une étrange façon. Je n’ai pas eu le temps de déchiffrer son expression que déjà les deux colosses qui l’accompagnaient me tombaient dessus. Ils me maintinrent au sol pendant qu’un infirmier accourait pour m’administrer une piqûre. Quand ce fut fait, un des gardiens me donna plusieurs coups de pieds dans le ventre. Je me souviens des cris de la femme, qui lui hurlait d’arrêter. Après, c’est le trou noir. Je ne me suis réveillé que le lendemain vers midi. J’avais mal aux côtes, à cause des coups reçus, mais surtout j’avais un mal de tête abominable. Manifestement, ils avaient mis une triple dose dans leur fichue piqûre.

Personne n’est venu pour le déjeuner ni pour le dîner et il a fallu attendre vingt-trois heures pour que la porte s’ouvrît enfin. C’étaient les deux gaillards de la veille. Ils m’ont traîné jusqu’à une autre cellule, sans fenêtre celle-là, et m’ont ligoté sur le lit avant de recommencer avec leurs piqûres. Je ne parvenais plus à bouger et de rage j’en ai mordu un au bras. Cela a encore fini par des coups et une deuxième piqûre.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, puisque je n’ai plus aucun repère. Je n’entends ni les voitures sur la nationale ni la cloche de l’école. Ils ont sûrement insonorisé les murs, les salauds. Ou alors je suis dans une cave, ce qui est encore bien possible. L’assistante sociale n’est plus jamais revenue. Il fallait s’y attendre. Celui qui m’apporte à manger une fois par jour me l’a bien dit. Détraqué comme je suis, il paraît, plus aucune femme n’approchera de ma cellule. C’est déjà bien assez d’avoir assassiné ma sœur. J’ai essayé de lui expliquer que j’étais complètement innocent du crime qu’on me reprochait, mais il n’a rien voulu entendre. « L’agression » contre l’assistante sociale ne faisait que confirmer ce que tous les médecins pensaient et le fait d’avoir voulu mordre un gardien prouvait à suffisance que j’étais un malade dangereux.

Alors je reste là, en attendant je ne sais quoi. Comme il ne m’est plus permis de rêver, je m’interroge sur moi-même. J’en arrive presque à me demander si je ne suis pas un peu responsable de ce meurtre qu’on me reproche. Certes, j’ai toujours dit que c’était le petit ami de ma sœur qui l’avait tuée lorsqu’elle avait mis un terme à leur relation, parce que c’était un jaloux, un fou furieux, un véritable malade. Mais à la fin, je ne sais plus, je ne suis plus sûr de rien. Je n’arrive même plus à me souvenir du nom de ce gars-là. Si ça se trouve il n’a jamais existé que dans mon imagination et c’est à moi que ma sœur aurait dit que c’était fini. Si ça se trouve, ce sont les médecins qui ont raison : je suis un pervers incestueux. Il faut dire qu’ils ont avancé tellement d’arguments pour me convaincre de mon ignominie que j’ai fini par les croire, du moins en partie.

En réalité, je ne sais plus où j’en suis. Entre ces piqûres qui m’assomment et qui me brouillent l’entendement et cette pièce sombre sans aucun repère dans laquelle je vis, il m’est difficile de retrouver mon équilibre. Je reste des jours entiers sans aucune pensée, assis dans un coin, les bras repliés autour des genoux. Je suis devenu un mollusque, une larve, une limace, ce que vous voudrez. Je n’existe plus. Mais parfois j’ai un sursaut et ma dignité reprend le dessus. Alors les idées se mettent à tourner dans ma tête à une vitesse vertigineuse. Je revis les événements les uns après les autres. Ma sœur qui me téléphone et qui m’annonce sa rupture. Son ex-petit ami qui débarque chez moi et qui me demande les clefs pour aller récupérer ses affaires. Et puis la police qui me réveille au matin et qui m’apprend le meurtre. Le chagrin immense qui s’empare alors de moi et l’idée, oui, que je suis coupable par imprudence. Ensuite, on me conduit au commissariat et on me parle des clefs qu’on a retrouvées sur la porte. Que dire ? Comment avouer que c’est moi qui les ai données ? Sans penser à mal, pour rendre service, pour que cet énergumène de petit ami que je détestais par-dessus tout reprenne vite ses affaires et disparaisse à jamais de notre vie, à ma sœur et à moi… C’est vrai qu’on était fort proches, alors quand les psychiatres sont venus lire leur rapport à la barre, je n’ai pas été trop surpris par leurs propos. Et puis ici ils m’ont achevé. Finalement leurs dires sont cohérents, plus que les miens. Ce n’est peut-être pas la vérité, mais l’histoire qu’ils racontent a un sens. Le poids des mots l’emporte toujours sur la vérité, les romanciers savent bien cela. A force de les écouter, tous ces médecins, j’ai fini par douter de la vérité. La culpabilité que j’avais enfouie au plus profond de moi a ressurgi et a tout envahi. J’en suis à me demander si ce n’est pas moi qui ai ouvert la porte avec la fameuse clef, si ce n’est pas moi qui me suis approché de ma sœur pour lui reprocher d’en aimer un autre. Peut-être ont-ils raison, finalement. De toute façon, ils ont toujours raison. Qu’on n’en parle plus.

littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

10/11/2011

Terre d'asile (2)

« De toute façon », dit l’un deux, les mains appuyées sur son petit cahier qu’il venait de refermer, avec ce qui s’est passé avec votre sœur, il n’y a pas à hésiter sur le diagnostic. Ma sœur ! On y arrivait enfin ! Tous ces longs mois à tourner autour du pot alors que le fond du problème était là. J’allais enfin pouvoir m’expliquer...

En fait, je n’ai rien pu dire. Ils ont refait mon procès, comme la police l’avait fait avant eux. On avait retrouvé la victime chez elle, déjà dans le coma, du sang partout dans la chambre.  J’étais le seul à posséder la clef de l’appartement, l’affaire était claire. D’ailleurs la symbolique de la clef, comme objet sur lequel projeter tous les fantasmes sexuels refoulés, était évidente. Qu’est-ce que je pouvais objecter à cela ? Une clef n’est-elle pas faite pour pénétrer dans une serrure ? Je dus bien en convenir malgré moi. Mais à peine avais-je accepté ce point de détail pourtant insignifiant qu’ils se sont mis à échafauder toute une théorie implacable. Selon eux, un désir incestueux latent sommeillait en moi. Ce désir, je l’aurais projeté sur la clef, symbole de toutes les jouissances possibles. De plus cette clef m’avait été donnée par la victime elle-même, ce qui renforçait encore son caractère érotique manifeste. Une fois en possession de cet objet qui ouvrait toutes les portes à mes fantasmes, je l’avais jalousement gardé au fond d’une poche jusqu’au jour où je n’avais pu résister à l’envie de m’en servir. Le reste était connu, l’affaire jugée. Si j’avais pu éviter la prison, c’était uniquement parce que le juge, dans sa grande sagesse, avait été frappé par l’aspect pathologique de mon comportement. Voilà pourquoi il avait décidé de mon enfermement en milieu psychiatrique. Eux, pourtant, les médecins, ils avaient espéré pouvoir me guérir et me faire retourner vers la normalité du monde, mais ils voyaient bien  maintenant que c’était impossible. Ce mensonge prémédité sur ma date de naissance ruinait tous leurs espoirs. Mon cas était désespéré, ils ne pouvaient que répéter leur sentence. J’étais un incurable, doublé d’un pervers polymorphe. En effet, à côté de pulsions sexuelles libidineuses et incestueuses, je développais un côté sadique, ce qui était la caractéristique d’un comportement schizophrénique à tendance paranoïde et faisait de moi l’être le plus abject au monde. De plus en « oubliant » mon lieu de naissance, je prouvais à suffisance mon désir de nuire et de brouiller les pistes pour mieux recommencer mes perversités innées.

J ’écoutais tout cela d’un air hagard. Derrière leurs petites lunettes, je voyais leurs regards froids et inquisiteurs. Je n’y découvrais à vrai dire aucune trace d’humanité ou de pitié mais plutôt un côté accusateur qui semblait traduire le contentement qu’ils éprouvaient à être les plus forts. Après une bonne heure où ils m’assommèrent de termes médicaux auxquels je ne comprenais strictement rien, ils clôturèrent la séance. Celui qui avait le cahier ouvert devant lui traça une grande ligne en-dessous de ses dernières remarques. C’est là que j’ai compris que tout était terminé. Il n’y aurait plus d’autres séances. On venait de tracer un trait sur ma vie.

Très vite on m’installa dans un autre pavillon. Tout ici était plus ancien. Il y avait des grilles aux fenêtres et même un grillage au judas de la porte, une énorme et lourde porte métallique, à la couleur kaki toute délavée. Comme les carreaux étaient opaques, on ne voyait strictement rien de ce qui se passait au-dehors et dès seize heures, même en été, il fallait allumer la lampe, une simple ampoule qui se balançait au bout de son fil à une hauteur vertigineuse. Le lit métallique était scellé dans le mur, ainsi que l’évier en inox. Pas de miroir, pas d’armoire, pas d’étagère, rien qu’un rayonnage encastré dans l’épaisseur du mur.

Comme je l’ai dit, on ne voyait rien à l’extérieur. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était écouter.  Alors j’ai écouté. A la fin je reconnaissais tous les bruits. Le flot des voitures sur la nationale, le matin, quand les gens partaient travailler. La sonnerie d’une école, qui marquait le début des cours, loin, très loin. Puis les bruits de l’institution elle-même. Un camion de ravitaillement qui se garait vers neuf heures devant les cuisines. Les médecins qui retournaient manger chez eux à midi et dont les pneus des voitures crissaient sur le gravier du parking. Puis des bruits insolites, inhabituels, comme la camionnette du plombier qui venait réparer les chasses d’eau qui fuyaient. On entendait alors pendant des heures des coups de marteau le long des tuyauteries. Mais ce que je préférais, évidemment, c’était le chant des oiseaux. Je me réveillais avec eux le matin et chaque soir j’avais droit au concert des grives, qui s’en donnaient à cœur joie dans les arbres du petit parc. Quand je ne les entendais plus, je savais que l’automne était arrivé. Puis, au printemps suivant, elles chantaient de nouveau. Quelques semaines plus tard, le cri strident des martinets annonçait le début de l’été. C’est comme cela que j’ai pu évaluer le temps qui passait. Trois automnes et trois printemps s’étaient succédé depuis que j’étais dans cette chambre. A vrai dire, je commençais à trouver le temps un peu long.

Qu’est-ce que je faisais de mes journées ? Rien justement. Après le petit déjeuner, les infirmiers passaient me faire une première piqure, qui me faisait somnoler jusqu’à l’heure du repas, à douze heures trente précises. Ensuite, je rêvassais toute l’après-midi. Je m’étais constitué une sorte de vie imaginaire, un peu comme un romancier qui fait vivre un personnage de fiction, sauf qu’ici, le personnage c’était moi et ce que j’endurais c’était bien moi qui devais le supporter. Je rêvassais donc à tout ce que j’aurais pu faire si je n’avais pas été ici. Je me voyais donner des cours, comme au moment de mon arrestation. Ou bien je retournais en vacances dans un petit village de Provence, où j’avais vécu deux semaines de rêve lorsque j’avais quinze ans. Parfois, pour combler sans doute ma frustration actuelle,  je me voyais PDG d’une grande entreprise, ou réalisateur de cinéma, quand je ne recevais pas le Nobel de la paix pour mon action bénéfique dans la gestion des conflits du tiers-monde. Parfois aussi, une belle jeune femme au regard énigmatique tombait amoureuse de moi, ce qui m’aidait à combler ma solitude entre ces quatre murs.

L’absence de femmes dans cette prison-asile était d’ailleurs ce qui était le plus dur à supporter. La seule que je voyais, c’était l’assistante sociale, qui venait une fois par mois, encadrée de deux gardiens herculéens, s’assurer que ma chambre était propre et que mon état physique était bon. Elle était jeune et jolie et je n’étais pas sans le remarquer, évidemment. Elle me demandait invariablement si la nourriture était assez abondante et si je mangeais bien. Je répondais toujours oui, sans doute pour lui faire plaisir. Elle s’en allait alors et me gratifiait souvent d’un petit sourire. Manifestement, elle ne me regardait pas comme les autres, sans que je sache pourquoi. Sans doute croyait-elle à mon innocence. Parfois, avant de franchir la porte, elle me dévisageait quelques secondes, indécise, puis s’en allait en me souhaitant bonne chance. Ce que je voyais  alors dans son regard me troublait. Je ne sais pas si c’était le fruit de mon imagination, mais j’y voyais comme un peu d’affection, comme si elle me plaignait de devoir rester là alors que j’étais innocent. Il va sans dire que je me remémorais cette scène de la visite des centaines de fois et chaque fois cela se terminait par ce regard humain et gentil posé sur moi. Je finissais par en rêver.

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07/11/2011

Terre d'asile (1)

Je ne sais plus très bien qui m’a amené ici. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a dit que c’était pour mon bien, alors je me suis laissé faire. Et puis les premiers jours, tout le monde était gentil avec moi, le médecin, les infirmières et même la dame qui m’a servi mon repas. Tout le monde souriait et se montrait très prévenant. Un peu trop, même, mais bon, cela me changeait de ce que j’avais connu jusque là. J’ai bien trouvé un peu curieux qu’on referme toujours la porte de ma chambre à clef, mais j’étais tellement fatigué que cela ne me tracassait guère. Tout ce que je voulais, c’était dormir et oublier. Une des infirmières l’a compris tout de suite car pendant trois jours elle m’a donné un médicament pour m’apaiser. C’est ce qu’elle disait en tout cas, mais dans les faits je n’arrêtais plus de dormir ou plus exactement de rêver les yeux ouverts. Je restais là, étendu sur mon lit, et je voyais plein d’images qui défilaient devant mes yeux. C’était un peu comme au cinéma, sauf qu’ici il n’y avait pas de projecteur. Les images s’enchaînaient les unes aux autres et cela ne s’arrêtait jamais. Parfois, quand une scène du passé resurgissait à l’improviste, il m’arrivait de crier, c’était plus fort que moi. Alors la porte s’ouvrait et on me redonnait un nouveau médicament. J’avais à peine entendu le double tour de clef dans la serrure que le film recommençait, plus beau, plus calme.

Après quelques jours ou quelques semaines, on m’a conduit dans un grand bureau où se tenaient trois médecins en blouse blanche. Ils n’ont pas arrêté de me poser des questions. Comme j’étais encore tout endormi  avec les médicaments que j’avais avalés, j’ai répondu un peu n’importe quoi.  Ils se regardaient d’un air étonné, puis ils notaient leurs réflexions dans un grand cahier. Quand l’un avait fini de m’interroger, c’est un autre qui prenait la relève. J’avais l’impression d’être de nouveau dans le commissariat de police. Il faisait chaud et j’avais soif, mais il fallait continuer à répondre. L’envie de dormir me reprenait par intermittence et à la fin je ne répondais presque plus, alors ils faisaient les questions et les réponses eux-mêmes. C’était plus facile, je n’avais qu’à hocher la tête pour dire que j’étais d’accord. A vrai dire j’étais d’accord avec tout car je ne comprenais même plus le sens de leurs paroles. Ils me disaient des choses complètement incompréhensibles et moi je faisais un petit signe pour dire oui. Je voyais bien à leur air qu’ils étaient de plus en plus étonnés, mais tout ce que je voulais, moi, c’était que cet interrogatoire se termine. Ca a fini par arriver. Ils se sont regardés, complètement consternés, puis on m’a reconduit dans ma chambre, dont on a fermé aussitôt la porte à double tour.

En attendant, j’avis toujours aussi soif et il a fallu attendre l’heure du dîner pour avoir droit à une petite bouteille d’eau minérale. J’ai essayé d’en réclamer une deuxième, mais on m’a dit que non, que j’avais droit à une seule bouteille par repas. J’ai expliqué que j’avais dû parler toute l’après-midi par une chaleur accablante et que j’étais complètement déshydraté. Mais non, il n’y avait rien à faire, le règlement était le règlement. Alors je me suis un peu énervé. Si je ne pouvais pas avoir une bouteille d’eau minérale, qu’on me donne au moins un verre ou un gobelet en plastique, que je puisse aller boire dans la salle de bain. On ma répondu qu’après le repas la salle de bain devait être fermée à clef jusqu’au lendemain matin, par mesure de sécurité et donc que je n’avais qu’à me contenter de ma bouteille. Comme je faisais remarquer que c’était un peu fort, deux infirmiers sont arrivés et ils m’ont aussitôt administré une piqure. Je n’ai même pas eu le temps de toucher à mon repas et ne me suis réveillé que le lendemain à l’aube.

Cela a duré comme cela pendant des semaines et des semaines. Je restais enfermé toute la journée et si je me plaignais de mon état ou si je rouspétais sur l’insuffisance de nourriture ou son aspect peu varié (une biscotte avec du beure le matin, l’éternel steak haché à midi, que l’on peut manger sans couteau, et un peu de potage le soir), les deux infirmiers revenaient et m’administraient de nouvelles piqures. Un jour je leur ai demandé pourquoi ils agissaient ainsi. Ils m’ont répondu que tant que je ne serais pas raisonnable, cela continuerait. J’ai fait remarquer que je n’étais quand même pas très exigeant et que mes réclamations étaient fondées, mais ils m’ont expliqué que contester le système renforçait les médecins dans leur opinion. J’étais gravement malade et manifestement je n’acceptais aucune autorité. Tant que je ne voudrais pas changer, ils ne bougeraient pas non plus.

Quand finalement ils m’ont trouvé plus « raisonnable », les séances d’interrogatoire avec le corps médical ont recommencé. J’étais même devenu tellement coopératif qu’ils organisaient jusqu’à deux entretiens par jour. Ils n’arrêtaient plus d’écrire dans leur petit cahier. Bientôt il en a fallu un deuxième, puis un troisième. Je souriais intérieurement quand je les voyais si appliqués dans leurs écritures. Je me disais qu’à la fin ils auraient complètement oublié ce qu’ils avaient noté au début et donc que tout cela ne servait strictement à rien. Mais je me trompais. En réalité, ils devaient se relire en-dehors des séances car un beau jour ils sont revenus en arrière. L’un d’entre eux a ouvert le premier cahier et il m’a dit que je mentais. Il me l’a dit comme cela, sans sourciller, et en me fixant d’un regard froid et impassible. Comment cela je mentais ? Oui, car contrairement à ce que je disais aujourd’hui, j’avais affirmé il y a quatre mois ne plus me souvenir où j’étais né.  J’ai expliqué qu’à l’époque j’avais dû mal comprendre leur question et donc que ma réponse n’avait aucun sens car évidemment j’avais toujours su où j’étais né. Mais cela n’allait pas comme cela et on me le fit vite comprendre. On m’accusait d’amnésie cyclique intentionnelle à connotation perverse. Pour le dire plus simplement : j’avais voulu tromper mon monde et désorienter le corps médical dans sa recherche de vérité. Car oui, ces médecins  étaient là pour m’aider et moi j’essayais de les induire en erreur intentionnellement, ce qui prouvait à suffisance la nature perverse de ma constitution. On me dit que mon cas était grave, que je  constituais manifestement un danger pour la société et que ce n’était pas demain la veille que j’allais sortir d’ici. J’ai bien essayé de leur expliquer : mon état de fatigue des premiers jours,  la soif qui me tenaillait, mon désir d’en finir au plus vite avec  ce que je considérais comme un interrogatoire…  Il n’y a rien eu à faire. 

(à suivre)

07:01 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

06/11/2011

Devinette (bis repetita placent)

Comme Carla Bruni, je suis originaire d’Italie, même si bien peu s’en souviennent. Comme elle, à un certain moment de ma vie, j’ai fréquenté les coulisses du pouvoir, mais quand la roue de la fortune a tourné, je me suis retrouvée sans revenus au point que j’ai dû faire face à plusieurs procès pour dettes. Je me suis mise alors à écrire pour gagner ma vie et ô surprise je suis parvenue à vivre de ma plume  J’ai écrit beaucoup et on peut dire que j’ai eu du succès. J’ai abordé un peu tous les genres : d’abord des récits qu’on a qualifiés de lyriques, puis d’autres plus philosophiques ou même politiques. J’ai aussi parlé de la condition de la femme et j’ai contesté l’image conventionnelle qu’on donnait de cette dernière dans la littérature, ce qui m’a valu l’admiration de pas mal de gens célèbres. Qui suis-je ?

 

00:59 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : devinette

05/11/2011

Devinette

Je suis un écrivain français. A douze ans, j’épouse ma cousine germaine Isabelle, laquelle a dix-sept ans mais est déjà veuve. Elle mourra trois ans plus tard en me donnant une fille. J’ai séjourné longtemps en Angleterre. A quarante-six ans, j’épouse Marie, qui n’a que quatorze ans et qui est la petite-fille du meurtrier de mon père. Elle me donnera trois enfants, dont un fils que j’ai eu à l’âge de soixante-huit ans. Il sera le roi de la famille, bien entendu. Qui suis-je ?

00:31 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature