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28/10/2011

Les animaux de la Genèse.

Selon la Genèse, l’homme, au paradis terrestre, vivait en harmonie avec les animaux. Ceux-ci, semble-t-il, devaient tous être herbivores, du moins il faut le supposer. En effet, comment concevoir dans cet Eden  qu’un mouton innocent se fasse égorger par un loup ou qu’Adam lui-même risque sa vie chaque fois qu’il croise la route d’un lion ? L’homme est encore immortel et ne peut donc mourir, ce qui implique que tous les animaux se nourrissaient exclusivement de plantes (lesquelles sont pourtant des êtres vivants, mais ne compliquons pas).

On n’insistera pas sur le côté illogique d’un tel texte et on l’acceptera sans problème si on le considère comme un beau conte un peu fantastique. On comprend moins comment certains peuvent le prendre à la lettre et se fonder sur ses affirmations pour fortifier leur foi, mais bon, c’est leur problème et nous n’allons pas entrer dans ce débat.

Revenons plutôt à notre propos, qui concerne les animaux. Une fois chassé du paradis, Adam va certainement accomplir la mission qui lui a été confiée, à savoir asservir et dominer toutes les espèces inférieures. Pourtant, ceux-ci devaient encore entretenir une relation privilégiée avec l’être humain si on en croit le récit du déluge. Comment en effet des animaux agressifs se seraient-ils laissé enfermer dans un bateau ? En réalité, l’arche de Noé devient une sorte de microcosme idyllique qui renvoie au paradis perdu. Pour une dernière fois (ici devant le danger que représente l’eau du déluge) hommes et animaux vont vivre en harmonie. Renfermés dans cet espace clos, coupés de la terre (puisqu’ils flottent sur l’eau), ils vont échapper à la mort tout en étant purifiés symboliquement par toute cette eau qui se déverse sur eux. L’arche peut être vue comme une sorte d’utérus qui offre une nouvelle gestation à ceux qui vivent à l’intérieur.

Notons que les animaux, qui avaient déjà été chassés du paradis à cause de la faute d’Adam (alors qu’ils n’étaient absolument pas responsables de ses actions, hormis le  serpent, bien entendu), se retrouvent une nouvelle fois punis malgré leur innocence. En effet, initialement, ce sont les humains que Dieu veut châtier en envoyant le déluge, car il est courroucé à cause de leur méchanceté et de leur impiété. S’ils disparaissent tous (à part Noé et sa famille), il en va malheureusement de même pour l’ensemble des animaux (sauf les couples embarqués dans l’arche). Une nouvelle fois, les espèces animales semblent donc subir les conséquences des actes humains, ce qui n’est moralement acceptable que si on les considère comme des êtres inférieurs sans grande importance.

Pour assurer la pérennité des espèces, c’est donc un couple de chaque animal qui se retrouve dans l’arche salvatrice. Cette dualité sexuée renvoie à la dualité du couple formé par Adam et Eve. Comme eux, ce n’est qu’en dehors de l’arche-paradis qu’ils se mettront à se reproduire, ce qui veut dire que pour le moment ils n’ont plus conscience de leur pouvoir de procréation. L’arche représente donc bien un moment atemporel, durant lequel l’homme et l’animal se retrouvent provisoirement dans la situation qui était la leur au commencement du monde et avant le péché originel.

 

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Il faut aussi souligner l’importance de la colombe, qu’on envoie en reconnaissance pour savoir s’il existe quelque part une terre d’où les eaux se seraient déjà retirées. Volant dans les airs, celle-ci est comme un trait d’union entre Dieu (en haut) et les hommes (en bas). Des quatre éléments fondamentaux, deux ont disparu (la terre et le feu). Il ne subsiste plus que l’eau (à la double symbolique : à la fois destructrice et purificatrice) et l’air. Par sa nature aérienne, l’oiseau est donc plus proche de dieu que l’homme ou que les autres animaux terrestres. La colombe revient une première fois, car elle n’a trouvé aucun endroit pour se poser. Après sept jours, Noé tente un nouvel essai. La colombe revient cette fois avec un rameau frais d’olivier (symbole de paix) dans son bec, preuve que les eaux ont commencé à baisser et que la végétation a repris ses droits. La dernière fois, elle ne revient pas et Noé fait sortir tout le monde de l’arche. On oublie souvent de dire qu’avant la colombe (blanche), Noé avait envoyé un corbeau (noir), qui lui a fait des allers-retours incessants jusqu’au moment où la terre a enfin émergé.

Dieu alors prend la parole et dit : «  Sors de l'arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi. Tous les animaux qui sont avec toi, tout ce qui est chair, oiseaux, bestiaux et tout ce qui rampe sur la terre, fais-les sortir avec toi : qu'ils pullulent sur la terre, qu'ils soient féconds et multiplient sur la terre. » Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils ; et toutes les bêtes (...) sortirent de l'arche, une espèce après l'autre. »9

Il faut noter que les poissons, bien évidemment, ne sortent pas de l’arche puisqu’ils avaient pu continuer à vivre dans l’eau. Ils n’ont donc pas eu à subir la colère divine, puisque leur élément naturel est précisément cette eau destructrice. Animaux des abîmes, ils ont quelque chose d’inquiétant (cf. plus tard la baleine qui avalera Jonas).

Une fois tous les animaux sortis de l’arche, Noé fait un sacrifice, ce qui veut dire qu’il tue des animaux pour les immoler. Si on se souvient qu’il n’avait emporté qu’un couple de chaque espèce, il y a comme une contradiction dans le texte. Noé n’a pas pu tuer des animaux qu’il venait de sauver et par son geste compromettre la survie de l’une ou l’autre espèce.

En fait, si nous nous reportons au texte biblique, nous constaterons que celui-ci donne deux versions différentes du même fait. Dans le chapitre six, on dit :

19. De tout ce qui vit, de toute chair, tu feras entrer dans l'arche deux de chaque espèce, pour les conserver en vie avec toi : il y aura un mâle et une femelle.

20. Des oiseaux selon leur espèce, du bétail selon son espèce, et de tous les reptiles de la terre selon leur espèce, deux de chaque espèce viendront vers toi, pour que tu leur conserves la vie.

Par contre, au chapitre sept, on trouve :

L'Éternel dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta maison ; car je t'ai vu juste devant moi parmi cette génération.

2. Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle ; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle ;
3. sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre.
4. Car, encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de la face de la terre tous les êtres que j'ai faits.

Ce dernier extrait joue beaucoup sur la symbolique des chiffres sacrés. Il n’est donc pas étonnant qu’il donne le chiffre de sept couples et non de deux. Il n’en reste pas moins que ces versets sont en contradiction avec ceux qui précèdent. Les exégètes ont expliqué cette contradiction par la genèse du texte biblique, qui collationne en fait des textes d’origine différente. Voilà qui fait réfléchir et qui laisse rêveur quant à la véracité des textes bibliques. En fait, cette histoire de Noé se retrouve dans d’autres civilisations. Ainsi, il y est fait allusion dans l’épopée de Gilgamesh (culture assyro-babylonienne, vers 1.200 AC), elle-même d’origine sumérienne (soit 2.700 ans avant notre ère). Dans ce texte, on dit que les dieux (au pluriel car c’est encore une religion polythéiste) étaient lassés du bruit que faisaient les hommes et qu’ils ont déclenché un déluge pour les punir (on retrouve donc les mêmes notions de faute et de punition). Il est également question de la construction d’une arche et d’une colombe que l’on lâche pour savoir si la terre a émergé.

 

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Notons à ce propos que dans ce récit, le premier oiseau qu’en envoie en reconnaissance, c’est une colombe (blanche). Celle-ci ne trouve rien et revient. Ensuite, on envoie une hirondelle (noire et blanche), mais elle revient aussi. A la fin, c’est un corbeau (noir) que l’on envoie et qui lui ne revient pas. Ensuite on libère tous les animaux qui étaient réfugiés dans l’arche et on offre un sacrifice. Les dieux courroucés s’apaisent et pardonnent. Toutefois, pour ne plus être ennuyés par le vacarme des hommes, ils diminuent la durée de la vie humaine et répandent les maladies et la stérilité.

On voit donc bien comment ces textes se recopient l’un l’autre. Le thème général reste le même, mais la symbolique des éléments peut s’inverser (ici c’est le corbeau noir qui annonce la fin du déluge, tandis que c’est la colombe blanche dans la Genèse). Difficile donc de fonder sa foi sur de tels éléments. Ces fameux textes «dits  révélés » ressemblent surtout à un vaste fourre-tout dans lequel on retrouve tout ce qui s’est écrit antérieurement sur le sujet. Il n’empêche qu’une telle étude comparative n’est pas sans intérêt. On découvre ainsi les mythes fondateurs qui sont à l’origine de notre civilisation et qui tentent d’expliquer ce qui existe : création de l’homme et des animaux, faute, punition, mortalité, vie courte, etc. Des textes semblables, avec la  même portée, existent dans toutes les contrées. Voyez, par exemple, tous les mythes amérindiens répertoriés et analysés par Lévi-Strauss dans ses « Mythologiques ». Là aussi il s’agit généralement de mythes fondateurs qui tentent de trouver une explication à la réalité du monde (mort, maladies, douleurs de l’enfantement, amour, etc.)

Mais revenons à Noé. Nous l’avions laissé à la sortie de l’arche en train de sacrifier des animaux.

20. Noé bâtit un autel à l'Éternel ; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l'autel.

21. L'Éternel sentit une odeur agréable…

Satisfait par ce comportement, Dieu promet alors de ne plus jamais détruire la vie comme il venait de le faire (dans le Gilgamesh, dans une symbolique inversée, on raccourcit la vie de l’homme) et il envoie un arc-en-ciel en signe de réconciliation. L’Eglise a beaucoup philosophé sur cette symbolique de l’arc, qui relie la terre au ciel. Je voudrais plutôt insister sur la notion des couleurs : après le monde en deux tons du déluge (corbeau noir et colombe blanche) on se retrouve ici avec une panoplie de couleurs, symbole de rupture avec ce qui précède et de renouveau.

Quel rapport avec les animaux, me direz-vous ? J’y viens. Après le sacrifice de Noé, comme Dieu se trouve dans de bonnes dispositions à l’égard de l’homme, il lui confirme les pouvoirs qu’il lui avait déjà donnés autrefois sur le monde animal, en les accentuant :

1. Dieu bénit Noé et ses fils, et leur dit : Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre.

2. Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal de la terre pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains.
3. Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture : je vous donne tout cela comme l'herbe verte.
4. Seulement, vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang.
5. Sachez-le aussi, je redemanderai le sang de vos âmes, je le redemanderai à tout animal ; et je redemanderai l'âme de l'homme à l'homme, à l'homme qui est son frère.
6. Si quelqu'un verse le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé ; car Dieu a fait l'homme à son image.
7. Et vous, soyez féconds et multipliez, répandez-vous sur la terre et multipliez sur elle.
8. Dieu parla encore à Noé et à ses fils avec lui, en disant :
9. Voici, j'établis mon alliance avec vous et avec votre postérité après vous ;
10. avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que le bétail et tous les animaux de la terre, soit avec tous ceux qui sont sortis de l'arche, soit avec tous les animaux de la terre.
11. J'établis mon alliance avec vous : aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge, et il n'y aura plus de déluge pour détruire la terre. (Chapitre 9)

Pour parler plus clairement : Dieu permet à l’homme de se nourrir de l’animal, tandis que celui-ci ne pourra jamais tuer un homme.  L’inégalité entre eux est une nouvelle fois totale, le texte biblique affirmant sans ambiguïté la suprématie de l’un sur l’autre.  

La phrase « vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang » est curieuse. Peut-on en déduire que les animaux ont une âme ? Je crois qu’il faut plutôt considérer que le texte biblique voit le principe de vie dans le sang. D’où la nécessité pour les peuples d’Orient de ne manger que des animaux de boucherie qui ont été vidés préalablement de leur sang (aliments cachères). On retrouve d’ailleurs ce précepte à d’autres endroits :

Vous ne mangerez rien avec du sang" (Lévitique XIX, 26),

"Tiens ferme à ne pas manger avec le sang, car le sang, c'est l'âme, et tu ne dois pas manger l'âme avec la chair. Tu ne le mangeras pas afin qu'il t'arrive du bonheur, ainsi qu'à tes fils après toi, parce que tu auras fait ce qui est droit à Mes yeux" (Deutéronome, XII, 23 et 25).

La Genèse poursuit ensuite son récit en énumérant tous les descendants de Noé, puis elle relate l’histoire d’Abraham, à qui Dieu veut donner la terre promise

Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.

10. Abram prit tous ces animaux, les coupa par le milieu, et mit chaque morceau l'un vis-à-vis de l'autre ; mais il ne partagea point les oiseaux.
11. Les oiseaux de proie s'abattirent sur les cadavres ; et Abram les chassa.

Plus tard, Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils :

Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste, et partit pour aller au lieu que Dieu lui avait dit.

4. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin.
5. Et Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne ; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous.

L’animal (ici l’âne) est donc délibérément laissé à l’écart du sacrifice. Mais plus tard, quand Abraham va lever la main sur son enfant unique, Dieu écartera son geste et lui fournira un animal de substitution :

13. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils.

Quand il n’est pas objet de sacrifice, l’animal est symbole de richesse. Ainsi, Jacob parvient à  s’enrichir au détriment de Lahan en détournant une partie du troupeau de celui-ci à son profit. On retrouve d’ailleurs dans cette histoire la symbolique des couleurs : on sépare les brebis blanches des brebis tachetées. Les blanches, plus nombreuses, resteront la propriété de Lahan, tandis que les quelques mouchetées appartiendront à Jacob. Rusé, celui-ci s’arrange pour mettre les brebis blanches en contact avec ses béliers mouchetés, ce qui fait que tous les agneaux qui naissent sont tachetés et lui reviennent donc de plein droit selon l’accord qu’ils ont passé. Il n’est pas interdit de voir dans cette histoire l’origine du capitalisme moderne ! Qui a dit que les textes sacrés n’avaient pas d’intérêt ? Du moins pour ceux qui ont des richesses…

Basilqique St Marc de Venise, mosaïque.

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