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30/09/2011

La ruelle

Il est certain que je suis encore à moitié endormi, le matin, quand je pars prendre mon train pour aller travailler. Heureusement que j’emprunte toujours le même itinéraire et que je ne dois pas trop réfléchir...  Non pas que je marche les yeux fermés, tout de même pas, mais c’est un fait que mon esprit travaille au  ralenti. Je rêvasse vaguement et tente de me remémorer les songes de la nuit. Ou bien encore je replonge dans les pensées que j’avais lorsque, chez moi, je dégustais ma première tasse de café, pensées que je serais bien incapable de résumer par la suite, à vrai dire. Bref, si je vous explique tout cela, c’est pour dire que je ne fais pas vraiment attention à ce qui se passe autour de moi, tellement je suis plongé dans un état second, quasi hypnotique. D’ailleurs il m’est déjà arrivé de croiser des connaissances sans les saluer, tant je suis ailleurs. Alors, les détails du parcours, vous pensez bien que je n’y suis pas du tout attentif, mais alors pas du tout !

Cela fait pourtant trois ans maintenant que je passe au même endroit chaque matin et que j’emprunte les mêmes rues, mais je ne pourrais vous dire si le boucher a installé une nouvelle enseigne lumineuse ou si le droguiste a repeint sa façade. Non, moi, je poursuis mon chemin et je ne vois rien. La seule chose que je remarque, à la rigueur, c’est  la petite boulangère, lorsqu’elle ouvre son volet. Il faut dire qu’elle est vraiment mignonne et que ce serait un crime de ne pas la regarder ! Souvent, elle me lance un regard en coin quand je passe à sa hauteur, mais si j’essaie de lui sourire, elle baisse aussitôt les yeux. Dommage. Je me dis qu’un jour elle finira bien par répondre à mon petit signe et que la vie en sera plus belle. En attendant, je poursuis ma route et je vais prendre mon train. Une fois dans le  compartiment, j’essaie de lire un peu, mais souvent je me rendors et j’oublie tout, même la petite boulangère.

Le matin précis dont je veux vous parler était un vendredi 13, je m’en souviens très bien. Tout en marchant comme un somnambule, je me disais que mes collègues allaient encore m’importuner pour jouer au  loto avec eux. Qu’est-ce qu’ils peuvent être superstitieux ! Pour un peu ils liraient l’avenir dans les entrailles d’un poulet si d’aventure il leur en tombait un entre les mains. Bref, j’étais déjà fatigué à l’idée de devoir leur dire non. Il me semblait les entendre d’ici : « Un vendredi 13, cela n’arrive pas tous les jours, il faut en profiter ! Le sort sera en notre faveur, c’est certain. Nous allons enfin gagner !» J’en soupirais d’ennui à l’avance. C’est alors que j’ai remarqué que mon lacet était détaché. Je me suis donc penché pour le relacer et c’est en me relevant que j’ai vu la ruelle. Elle n’était pas large, non. Il n’y avait pas plus d’un mètre vingt entre les deux maisons qui la délimitaient. J’ai quand même été étonné car je ne n’avais jamais remarqué sa présence, mais bon, dans mon cas le fait de passer là tous les jours ne voulait rien dire, comme je l’ai déjà expliqué.

Une force mystérieuse me poussait à aller voir ce qu’il y avait dans cette ruelle. J’étais légèrement en avance alors, après une seconde d’hésitation, je me suis aventuré sur les gros pavés disjoints qui couvraient le sol. Après quelques mètres, j’ai été frappé par le grand silence qui régnait ici. Tout était calme, délicieusement calme. J’avais l’impression d’être en-dehors du monde.  De part et d’autre du passage, de vieilles maisons s’alignaient, dont certaines avaient encore des colombages, comme au Moyen âge. Des vignes vierges et du lierre montaient à l’assaut des façades et aux fenêtres des pots de géraniums donnaient une touche de couleur qui égayait l’ensemble. Des gens vivaient donc ici, hors du temps et de l’espace des autres hommes. Je les enviais un peu, tant l’endroit était poétique à souhait. Pas de voitures, pas de panneaux publicitaires, pas de bruit, ce lieu était un petit paradis. Comment avais-je fait pour n’avoir jamais remarqué son existence ? Ma distraction me perdra, c’est sûr…

J’ai continué à avancer. Une jeune fille était devant sa porte, occupée à donner un bol de lait à son chat. Elle était vêtue d’une longue robe chamarrée de couleurs vives, à la mode gitane.  La scène était touchante et j’aurais voulu avoir mon appareil photographique avec moi pour immortaliser cet instant. Cela ne dura que quelques secondes car quand elle m’aperçut, elle rentra précipitamment chez elle et ferma la porte. Seul le chat me considéra avec méfiance, avant finalement de se sauver en abandonnant son bol. Pas de chance,  voilà que je dérangeais l’harmonie des lieux rien que par ma seule présence. Cela m’attrista un peu et une sorte de gêne ou de malaise commença à m’envahir. Bon, je n’allais quand même pas faire demi-tour !  Maintenant que je m’étais engagé jusqu’ici, autant aller jusqu’au bout… J’ai donc poursuivi ma visite.

La ruelle faisait un coude à angle droit et s’enfonçait sous une maison par un long corridor vouté. C’était pour le  moins insolite. Quand je me suis retrouvé de l’autre côté, j’ai pris conscience que je ne voyais plus du tout la rue par laquelle j’étais venu. J’étais maintenant complètement coupé du monde  et le silence qui régnait ici, plus profond encore que celui de tout à l’heure, avait quelque chose d’angoissant. A vrai dire, je commençais à me sentir troublé et comme pris de vertiges, d’autant que les demeures, ici, étaient bien moins entretenues. Certaines avaient des carreaux cassés et semblaient abandonnées. D’autres avaient  des façades qui  s’affaissaient sur elles-mêmes et c’était bien un miracle si elles tenaient encore debout. Pourtant, par-ci par-là, de la lumière filtrait à travers les fenêtres. Ces maisons étaient donc habitées ! C’était inimaginable ! L’impression de délabrement avancé qui régnait en ce lieu avait de quoi inquiéter et cela contribuait sans doute à augmenter mon angoisse.

J’ai quand même poursuivi ma route, même si je n’en avais plus trop envie.

Tout au bout de la ruelle, j’ai découvert un vieux puits, avec son seau en bois et sa corde. Pour un peu, je me serais cru dans un tableau de Breughel. Le chat de tout à l’heure se tenait sur la margelle et m’observait attentivement.  Sur le pas de sa porte, un vieillard était assis, tenant dans ses mains une tasse de thé. Je le saluai, mais il ne répondit pas. A peine s’il opina d’un vague signe de tête. Même s’il ne faisait rien, je le dérangeais dans ses rêveries, c’était évident. J’allais m’en aller discrètement quand un grand gaillard d’une trentaine d’années sortit d’une des maisons. Costaud, les cheveux sales et en bataille, une barbe de trois jours, des tatouages sur les avant-bras, on n’avait pas trop envie de le fréquenter. Il me lança un regard noir et se dirigea vers le fond de la ruelle, où se trouvaient des clapiers. Il en ouvrit un, saisit un lapin par les oreilles et l’extirpa de sa cage. Ensuite, il s’approcha de la margelle sur laquelle il déposa l’animal, qui se débattait comme il pouvait. Mais l’homme le tenait fermement et il finit par réussir à le soulever par les pattes arrière.  Pendue la tête en bas comme elle était, la pauvre bête n’en finissait plus de gigoter. Alors, lentement, sans se presser, l’homme lui asséna un violent coup sur la nuque, derrière les oreilles. Il y eut un soubresaut et puis ce fut tout. Le lapin était mort.

L’homme me regarda de nouveau méchamment, tout en attachant le lapin au-dessus du puits. Puis avec un grand couteau il se mit à le dépiauter.  Je regardais tout cela médusé, incapable de bouger. J’aurais dû m’en aller car cette scène de boucherie à six heures trente du matin n’avait vraiment rien de réjouissant. En plus, je me rendais compte que je dénotais complètement dans ce milieu : avec ma cravate et mon porte-documents, c’est moi qui avais l’air idiot, ici. Pourtant, quelque chose en moi m’empêchait de bouger. J’étais comme pétrifié et les brefs regards que me lançait l’homme aux tatouages me paralysaient complètement. Au lieu de faire demi-tour et de rebrousser chemin, je restais là à fixer cette scène comme s’il était agi d’une exécution capitale.

De la sueur commença à me couler sur le visage et dans le cou. Je me sentais mal. J’avais l’impression qu’une force mystérieuse m’obligeait à contempler cette mise à mort et que celle-ci avait quelque chose à voir avec ma propre mort. Ici, dans cette ruelle au bout du monde, il me semblait avoir croisé mon destin. Ce que j’avais toujours su et que j’avais toujours repoussé dans mon subconscient se dévoilait ici au grand jour. Ma vie, un jour s’arrêterait, comme celle de ce lapin, et comme lui mon corps ne serait plus rien, rien qu’un objet inerte, sur lequel tous les sacrilèges seraient permis.

L’homme, lui, ne réfléchissait pas autant. Avec son couteau, il entaillait les quatre membres de la pauvre bête près des pattes, puis, après avoir fait de même autour du cou, il la dépiauta d’un coup. La peau et le pelage s’enlevèrent en une fois, comme un gant qu’on retourne et le pauvre lapin apparut complètement nu, la chair à vif. Je n’en finissais plus de regarder cette scène, complètement abasourdi. L’homme entaillait maintenant profondément le ventre de l’animal et il en extirpait tous les viscères, le cœur, le foie, l’estomac, tous les intestins… Tout cela tomba tout en bas dans le puits avec un grand « plouf » qui me fit tressaillir.  C’était horrible.

Quand il eut fini, l’homme emporta ce qui restait du lapin, laissant sur la margelle la peau ensanglantée. Quand il passa près de moi, il me jeta une nouvelle fois un de ses mauvais regards , puis il rentra chez lui en faisant claquer la porte. Je ne savais plus que faire. Il aurait fallu s’en aller, mais j’étais comme paralysé. Je me souviens d’avoir alors regardé dans la direction du vieillard, dans l’espoir de trouver un peu de réconfort, mais il n’y avait plus personne. Il avait disparu.

Je me suis demandé pendant quelques instants si je n’avais pas rêvé tout cela, mais en m’approchant du puits je vis la peau du lapin, déposée là comme un vulgaire chiffon. Je ne pouvais donc plus douter. Comme malgré moi et malgré la répugnance que ce geste provoquait en moi, j’approchai ma main… Plus près, encore plus près, jusqu’à toucher la peau nue et ensanglantée. Elle était encore chaude et j’ai poussé un cri d’horreur, puis j’ai ressenti comme un coup terrible derrière la tête et je me suis vu tomber à terre. Après plus rien. Le trou noir.

Quand je suis revenu à moi, le soleil brillait par-dessus les maisons. Je me suis levé péniblement, en me tenant à la margelle du puits et j’ai regardé autour de moi : il n’y avait que des maisons à l’abandon. Pas de vieillard sur le pas de sa porte, pas de clapiers dans le fond, pas de peau de lapin sur la margelle.

Je frissonnais, je tremblais, je n’en pouvais plus. Encore un peu et j’allais faire un autre évanouissement. Il ne fallait pas rester là. Je sentais la mort, elle n’était pas loin. Je suis donc reparti en direction de la rue. J’ai retraversé le petit passage sous la maison et me suis retrouvé dans la première partie de la ruelle. Il n’y avait rien ici, à part deux grands murs gris aux blocs disjoints. Plus de maisons, plus de lierre, plus de géraniums aux fenêtres, plus de jeune fille donnant à manger à son chat.

Je tremblais de plus en plus. Incapable de réfléchir, je me mis à courir, afin de sortir d’ici au plus vite. Enfin, je suis arrivé dans la rue et j’ai poussé un beau « ouf » de soulagement. J’ai épousseté mes vêtements comme j’ai  pu, puis j’ai repris mon chemin vers la gare. Quand je suis arrivé, la grande horloge du fronton marquait midi. Midi ! Comment cela était-il possible ?

Au bureau, je n’ai pas beaucoup travaillé. J’avais un mal de tête terrible et les lettres que j’essayais péniblement de rédiger n’avaient aucun sens. J’avais beau aligner les mots, quand je me relisais cela ne voulait rien dire du tout. A quatre heures, éreinté, je suis rentré chez moi. J’ai repris mon train dans l’autre sens, mais une fois arrivé dans ma petite ville de banlieue, j’ai pris un autre itinéraire. J’avais peur, oui, peur, de repasser encore une fois devant cette fameuse ruelle.

Le lendemain, il a bien fallu pourtant. C’était le chemin le plus court pour aller à la gare et je ne pouvais pas me permettre d’arriver encore une fois en retard. Courageusement, je me suis donc dirigé vers l’endroit fatidique, les dents un peu serrées, je l’avoue. La petite boulangère qui ouvrait son volet m’a regardé en coin, comme d’habitude, mais en voyant que je ne lui souriais pas, elle a eu un air surpris, peut-être même était-elle déçue. Tant pis ! C’est que moi je ne pensais qu’à ma ruelle…

Arrivé au même endroit que la veille, j’ai bien regardé. D’abord à gauche, puis à droite. C’était à n’y rien comprendre !  Il y avait bien une rangée de maisons, mais c’était tout. Entre les deux façades (et je les reconnaissais parfaitement), il n’y avait rien. Absolument rien. Avais-je rêvé tout cela ? Pourtant, en portant la main à la tête, j’ai touché un endroit douloureux. C’était bien là que je m’étais fait mal hier en tombant évanoui. Et puis la nuque aussi était douloureuse, comme si j’avais reçu un coup. Le même coup que le lapin, peut-être ? Je ne savais pas, je ne savais plus.

J’allais repartir quand je l’ai vu !

Là, sur le trottoir, le long de la façade d’une des maisons, un chat buvait un bol de lait. Quand je suis passé près de lui, tout tremblant, il m’a regardé attentivement. Moi, je n’ai pas osé me retourner et bien vite je suis allé prendre mon train. 

 

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07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : litterature

28/09/2011

Le chasseur

Un fauve  tigré court dans la jungle.

Voilà qu’il se coulisse dans la savane, se dissimule et finit par se tapir, immobile.

Les hautes  herbes sont plus hautes que lui. On le distingue à peine.

En chasseur féroce, il guette sa proie. Sera-ce une gazelle, une antilope ou quelque buffle aux grandes cornes ? 

Le voilà qui bondit, preste pour tuer.

Mais le coup est raté. La souris s’est sauvée. Honteux, le chat tigré revient à la maison par le sentier, dédaignant cette fois l’herbe de la pelouse. 

 

Littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

26/09/2011

Aphorismes (5)

On travaille pour vivre et puis on finit par vivre pour travailler.

Les enfants sont encore si près du moment de leur création qu’ils conservent en mémoire l’image de l’impossible.

Dire que j’aurais pu naître dans le corps d’un chien ou d’un oiseau. Mes pensées, sans doute,  auraient été fort différentes. Mais qu’est-ce que cela aurait changé sur le plan de l’univers ?

Le jour, on s’agite, on vaque à ses occupations. Mais la nuit, il suffit de lever la tête vers le ciel pour découvrir tous ces mondes où nous n’irons jamais. On se sent alors emporté dans le grand vide sidéral et on se demande quel sens cela peut bien avoir.

Il existe des étoiles qui sont éteintes depuis plus de mille ans déjà quand leur lumière nous parvient. On se dit alors que tout ce que nous voyons n’est finalement qu’illusion.

Ces étoiles mortes sont à notre image : un bref éclat dans la nuit noire. Et puis plus rien.

Il y a dans les yeux de certains chiens un monde de bonté qu’on serait bien en peine de trouver ailleurs.

L’animal est comme nous, un être vivant perdu dans l’abîme intersidéral. Il aime, il souffre, puis il meurt. La seule différence, c’est qu’il ne sait pas écrire.

La musique est comme une porte ouverte sur un autre monde. Un monde qui s’articule autour du silence.

La peinture, elle, fige le temps dans un moment d’éternité.

L’araignée semble si fragile, pendue à son fil. Pourtant c’est un prédateur redoutable. Un peu comme l’homme, quoi.

On se demanderait bien pourquoi l’espèce humaine est la seule dont la population s’accroit sans cesse, au point de mettre la planète en danger. Les autres espèces, elles, disparaissent lentement mais inexorablement.

Quand homo sapiens aura rayé de la terre tous les animaux, continuera-t-il encore à se multiplier à l’infini, courant ainsi à sa propre perte ?

La croyance dans le progrès, telle que l’homme des Lumières la concevait, est sans doute ce qui est en train de nous détruire. 

21/09/2011

Automne

Automne,du latin « automnus ». Mot  probablement d’origine étrusque, mais les Romains avaient fini par le confondre avec le verbe « augere », croître, augmenter. C’est que l’idée première était bien positive, celle d’une saison où l’on engrangeait les récoltes, où la terre donnait en abondance fruits et légumes et récompensait ainsi les hommes du mal qu’ils s’étaient donné au printemps pour labourer. Jusqu’au XII° siècle, on employait d’ailleurs le terme « gain » (temps de la récolte) et pas notre mot « automne », qui est en quelque sorte emprunté tel quel au latin au XIII° siècle, dans un premier temps toujours avec cette idée de récolte, puis progressivement avec celle de déclin.

« Gain » , déverbal  de gagner (gaigner) désignait bien ce que l’on gagne et s’appliquait donc à la saison qui suit l’été (voir aussi le « regain » si cher à Jean Giono), caractérisée par son abondance.

Les dictionnaires ne nous disent pas pourquoi on est passé de ce sens positif à celui négatif de déclin, de mort annoncée. Là où les hommes de l’Antiquité et du Haut Moyen-âge ne voyaient que récompense ou don gratuit, ceux qui les ont suivis n’ont plus vu que l’idée de mort lente. Les mentalités avaient-elles changé ? Le Christianisme culpabilisateur avait-il fait son œuvre ? Le climat du Nord de la Gaule, si différent des hivers romains cléments explique-t-il cela ? C’est l’histoire de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine en fait. Les Anciens regardaient derrière eux et voyaient dans l’automne le résultat concret de leurs efforts antérieurs tandis que leurs successeurs avaient déjà les yeux tournés vers l’hiver qui s’approchait inéluctablement.  

Il est vrai que la chronologie antique était cyclique : de même que les saisons revenaient d’année en année, l’Histoire elle-même était circulaire, chaque civilisation passant régulièrement par un Age d’or suivi de périodes plus sombres. Dans le Moyen-âge chrétien, au contraire, le temps est devenu linéaire. Dieu a créé l’homme et celui-ci doit vivre sur terre un certain nombre de siècles avant la fin du monde et le grand jugement de l’Apocalypse. L’être humain n’est plus que de passage en quelque sorte et il a les yeux tournés vers sa mort prochaine. Il voit donc dans l’automne l’annonce de cette fin qui s’approche et il la souhaite autant qu’il la redoute. Comme Chrétien il espère en finir au plus vite avec cette vie terrestre et il aspire au Royaume de Dieu, mais comme être humain, évidemment, il voit avec angoisse approcher sa propre fin. Dans tous les cas, il ne voit plus dans l’automne que le commencement d’un déclin inéluctable et plus du tout cette saison belle, aux couleurs chatoyantes, qui remplit nos greniers et nous empêche de mourir de faim une fois l’hiver venu.

  

automne,étymologie

 

 

 

Photo personnelle

20/09/2011

Cheminement

Un jour, j’ai quitté ma maison, sur la colline, et j’ai parcouru le monde.

J’ai dit adieu à ma forêt profonde, pourtant si belle…

Au printemps, je m’y promenais souvent, cherchant des rêves improbables.

L’été, lors des fortes chaleurs, elle offrait comme un refuge de paix et de mystère et à l’automne, on entendait bramer les cerfs, dans les longues nuits qui suivent l’équinoxe.

J’ai dit adieu à mes ciels brouillés, chargés de pluie et où le vent pousse les nuages comme des troupeaux en déroute.

Je suis parti sur les chemins sans même me retourner, tant j’étais heureux de marcher vers l’horizon et de connaître enfin ce qu’il y avait de l’autre côté de ma colline.

J’ai donc marché, beaucoup marché.

Des jours et des jours, des nuits et des nuits.

Quand j’étais trop fatigué, je pénétrais dans des granges inconnues et je m’endormais là, parmi la bonne odeur de la paille.  Parfois, dans l’ombre, perché sur une poutre, un chat m’observait, Sphinx éternel qui avait traversé tous les âges. Statue de pierre immobile, il demeurait là, tandis que dans ses prunelles brillait encore l’éclat antique des divinités du Nil.

Je partais le matin dans l’aube froide et mes pas se perdaient dans les premiers brouillards. Personne, jamais, ne remarquait ma présence.

J’ai marché ainsi pendant des semaines, jusqu’au moment où je suis arrivé dans une grande ville.

J’ai demandé quel était son nom. On ne me l’a pas dit, mais on m‘a répondu qu’il n’y avait nulle part de ville aussi grande. J’étais arrivé, parait-il, dans la capitale du monde.

J’ai franchi ses trois murailles et les grandes portes aux herses de fer et je me suis retrouvé parmi la foule. Ca criait, gesticulait, maugréait, tempêtait. Personne, ici, n’avait l’air d’accord.

Pendant trois jours et trois nuits j’ai observé. Je ne disais rien.

J’ai vu des gens se voler, s’insulter ou se tuer. J’ai vu des juges au manteau d’hermine rendre sur la place publique des jugements iniques et des prêtres exaltés vendre des traités de folle espérance. J’ai vu les soldats du prince occire la foule des opposants et le prince lui-même parader dans des carrosses tout en or. J’ai vu des innocents qui pendaient encore à leur gibet et que la pluie avait « débuez et lavez et le  soleil dessechez et noirciz. » J’ai vu des femmes mourir dans les douleurs de l’enfantement, tandis que d’autres se vautraient dans le lit des puissants. J’ai vu tout cela et bien d’autres choses encore, comme la Cour des Miracles , les tours de Notre-Dame et la belle Esmeralda, attachée nue sur son bûcher.

Après trois jours et trois nuits je n’en pouvais plus de tous ces gens civilisés. J’étais d’un autre monde !

Sans rien dire, j’ai repris la route et je suis rentré chez moi. Sur sa poutre, le chat m’attendait dans la grange et au cœur de l’immense forêt, les cerfs bramaient déjà, exprimant tous leurs désirs inassouvis. Je suis monté au sommet de ma colline et je le ai écoutés la nuit durant, puis j’ai ouvert mon huis et je suis entré dans ma maison pour ne plus en ressortir.

Dehors, l’ombre immense des arbres n’en finissait pas de progresser sous la lumière de la pleine lune. 

 

Littérature

07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

18/09/2011

Presse censurée (suite)

On apprend, via un article du Monde, que Denis Olivennes se trouvait parmi les invités du président Sarkozy lors de son petit voyage éclair à Tripoli. Or, qui est Denis Olivennes ?

Il est le fils d’Armand Olievenstein et a occupé de nombreuses fonctions. Ancien auditeur à la Cour des Comptes, conseiller dans différents cabinets ministériels socialistes, on le retrouve à la tête d’Air France, de Canal+ (indemnité de départ de 3,2 millions d’euros), de la FNAC (ironie du sort, l’'immeuble occupé par la Fnac Wagram, dans le XVIIe arrondissement, appartient à Kadhafi),  avant de passer au Nouvel Observateur puis à Europe 1. En 2011, il devient directeur du Pôle information du groupe Lagardère.

Comme socialiste, il a lutté pour que ce parti se rapproche du centre et lors des élections de 2007 il a préconisé une alliance avec l’UDF.

Il est aussi à l’origine du rapport qui a débouché sur la Loi Hadopi (contrôle d’Internet).

Notons enfin qu’en 2009, il a été critiqué par la société des rédacteurs du Nouvel Observateur (qui souhaitait conserver son indépendance par  rapport à la direction du magazine) parce qu’il avait consacré à Nicolas Sarkozy un entretien de huit pages manifestement trop complaisant.

Et voilà qu’on le retrouve aujourd’hui à Tripoli à la droite de Sarkozy, alors que par ses fonctions il est capable de noyauter une grande partie de la presse. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’on ne nous parle pas beaucoup des bombardements intensifs qui ont lieu en ce moment sur Syrte et Bani Walid, ni sur le climat de terreur qui règne à Tripoli. Forcément, ce serait avouer qu’une guerre civile vient de commencer. En effet, tant qu’ils étaient dans l’Est, les « rebelles » n’avaient à se battre que contre l’armée de Kadhafi, la population leur étant globalement favorable. Mais maintenant, il s’agit de conquérir le territoire des tribus qui sont restée fidèles à l’ancien dirigeant. Il en va donc tout autrement. Tout homme en âge de se battre, tout adolescent, attend les envahisseurs une arme à la main. L’OTAN n’a donc plus d’autre solution que de bombarder et de bombarder pour soutenir l’avancée des rebelles (pardon, des hommes du CNT, reconnu par l’ensemble des nations ou presque comme le seul régime légal de la Libye). Mais à partir du moment où la moitié d’un pays combat l’autre moitié (avec une aide étrangère), je n’appelle plus cela une révolution populaire contre un dictateur mais tout simplement une guerre civile.  

 

Bon, et moi qui avais dit que je ne reviendrais plus sur ce thème de la Libye...  Cette fois, c'est promis, je me tais. 

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15/09/2011

Presse censurée

Bon, je sais bien que j’avais dit que je me tairais au sujet du conflit en Libye, mais c’est plus fort que moi, il faut encore que je rajoute un mot.

En fait, suite à ma question sur le rôle de la presse dans ce conflit et la manière honteuse dont elle a déformé les événements, j’ai peut-être trouvé un élément de réponse.

Michel Collon, ce journaliste indépendant sans lequel nous n’aurions rien su sur ce qui se passait là-bas, publie  dans son blogue un article de Cédric Rutter, lequel nous renvoie à un article du  Nouvel Observateur que je vous invite à lire :

 

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110914.O...

Et tant que vous y êtes, vous pouvez aussi lire celui-ci :

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/carnets-de-libye...

 

Visiblement, les journalistes du Nouvel Obs semblent avoir mal supporté la censure dont ils ont été victimes.

 

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14/09/2011

Presse et démocratie

Il est inutile de continuer à parler ici de la situation en Libye. La pièce est terminée, il n’y a plus rien à dire. Les grandes puissances qui ont été à l’origine de cette guerre peuvent maintenant dépecer le pays, lui voler son pétrole et confisquer à leur profit les milliards que l’Etat libyen avait amassés à l’étranger. Une partie de cet argent servira à reconstruire la Libye. Officiellement, on dira que l’Europe et l’Amérique rendent au peuple opprimé les sommes que le dictateur Kadhafi leur avait volées. Ceux qui voient clair diront qu’une partie seulement des avoirs de l’Etat libyen vont retourner dans ce pays (le reste sera confisqué comme trésor de guerre) Encore faut-il préciser que la population n’en verra pas la couleur car cet argent servira à reconstruire tout ce que l’Otan a détruit avec application et méthode, toutes ces cibles qui ne ressemblaient pas forcément à des objectifs militaires. (centrales électriques, châteaux d’eau, etc.) Et qui va reconstruire cela ? Les entreprises françaises, pas les libyennes, évidemment. Si vous êtes cyniques, vous me direz qu’au moins cela donnera du travail à notre belle jeunesse qui végète au chômage à cause de la crise. Ne vous faites pas trop d’illusions ! On dit que Bouygues est le premier sur la liste pour aller proposer ses services en Libye. Il partira avec trois ingénieurs et deux architectes et il embauchera sur place une main d’œuvre bon marché. Trop de gens ont  tout perdu là-bas pour ne pas accepter un salaire de misère.

En clair, le peuple français a payé une guerre qui a appauvri le peuple libyen, une guerre qui va juste permettre à quelques privilégiés (français comme libyens) de s’enrichir honteusement.  

De son côté, Sarkozy espère maintenant vendre enfin ses Rafales aux nouveaux dirigeants. S’il y parvient, il fera d’une pierre deux coups. Il fera plaisir à ses amis milliardaires qui fabriquent les avions et il aura sur le sol africain une armée amie prête à défendre ses intérêts si besoin était (ou les intérêts de l’Otan).

Bref, ne parlons plus de la Libye. Je suis fatigué et écœuré de tout cela. Sans compter que  l’Histoire continue. C’est la Syrie qui est maintenant dans le collimateur, puis l’Iran suivra, évidemment. L’Histoire se répète et la population occidentale, comme un troupeau de moutons, suit aveuglément en bêlant de joie devant toutes ces démocraties enfin rétablies. 

Ce site se voulait un site littéraire, mais chaque fois qu’un grand événement se produit (l’avènement de l’empereur Sarkozy 1er, la guerre de Gaza, l’invasion de la Libye), je ne peux m’empêcher de me révolter et de tempêter. Cela ne sert pourtant à rien. La preuve est là : la Libye est maintenant un pays exsangue où se commettent des atrocités finalement plus horribles encore que celles commises par Kadhafi (comme en Irak, comme en Afghanistan, nous connaissons cela par cœur). Pourtant, ne rien dire aurait été lâche car cela aurait signifié un accord tacite (« Qui ne dit mot consent ») ou à tout le moins une résignation coupable.

Mais bon. Crier ne sert à rien, on le voit bien. Et même quand les peuples se soulèvent spontanément, comme en Egypte ou en Tunisie, les résultats obtenus sont bien en-dessous des résultats escomptés.

Bref, je me lasse de parler tout seul dans le désert. Pourtant, dans mon indignation, j’avais même publié l’article sur la Libye qu’on a pu lire ici dans différentes revues en lignes :ici, et puis là. Cela a provoqué pas mal de commentaires et je m’en réjouis, mais en gros je n’ai convaincu que des personnes qui pensaient déjà comme moi au départ.

Bref, le moment est donc venu de se taire sur ce sujet et de revenir à la littérature. Car finalement il faut vivre aussi pour soi (la vie est courte) et on ne peut pas indéfiniment dénoncer toute la misère qui règne dans le monde, surtout quand il y en a de plus en plus. Mahmoud Darwich, le poète palestinien qui était devenu célèbre auprès des siens pour avoir écrit quelques poèmes à connotation politique, l’avait bien compris. A un moment donné, il s’est tu et a renoncé à fustiger l’occupation israélienne pour se concentrer sur la seule poésie. Il a alors écrit sur la Palestine (« le pays de ma mère ») avec une sensibilité qui a sans doute fait plus pour dire la beauté de ce pays volé à ses habitants que tous les discours politiques.

Juste une question, avant d’en terminer. Une question qui me tracasse et à laquelle je n’ai que des réponses partielles. Vous savez que la démocratie repose sur quelques principes de base, comme la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) mais aussi sur la liberté de la presse. Un pays libre est un pays où la presse peut s’exprimer et où les journalistes peuvent dénoncer tout ce qui leur semble digne de l’être. C’est d’ailleurs un des points qu’on reprochait à Kadhafi : avoir nationalisé la presse, la radio et la télévision afin de ne diffuser qu’un discours officiel, qui ne risque pas de nuire au régime en place. Or, concernant cette guerre qui s’achève, la relation médiatique qui en a été faite semble pour le moins partiale, si pas complètement orientée. La presse dans  son ensemble a toujours tenu le même discours : d’un côté un tyran sanguinaire qui massacre sa population et de l’autre des pays épris de démocratie qui viennent protéger un peuple opprimé. Les images qu’on nous a montrées sont venues renforcer ce discours.

Et pourtant…

Et pourtant, si on en croit quelques journalistes indépendants, la réalité était tout autre. Les premiers, ils ont douté que les personnes de race noire qu’on leur a montrées étaient des mercenaires. Les premiers ils ont souligné le côté hétéroclite de la coalition (communistes, anciens royalistes, musulmans intégristes) et ils ont insisté sur ses divisions. Les premiers ils ont parlé d’exactions lors de l’avancée des troupes du CNT et enfin, les premiers, ils ont dénoncé le rôle de l’Otan qui, loin de protéger la population contre l’armée de Kadhafi (voir résolution de l’ONU) se livrait à des bombardements aveugles, visait des cibles civiles et détruisait systématiquement toute l’infrastructure du pays. Enfin, ces mêmes journalistes indépendants ont dénoncé les massacres et les règlements de compte qui se produisaient chaque fois que les troupes rebelles s’emparaient d’une ville.

Avons-nous pu lire dans nos journaux ou entendre sur nos antennes de semblables discours ? Nullement. Pourtant les grands médias avaient eux aussi envoyé leurs journalistes sur place. Ils ne peuvent pas être tous incompétents. Ils ont dû voir des choses (ou alors ils sont restés dans leur chambre d’hôtel et se sont contentés de recopier les comptes-rendus officiels qu’on venait leur apporter). Ils ont dû dénoncer les exactions (à moins qu’ils se soient censurés eux-mêmes pour conserver leur emploi). Or nous n’en avons rien su. Pourquoi ?

Ne me  dites pas que ce sont les journalistes indépendants qui ont menti. Depuis, des organismes comme Amnesty international ou d’autres ont confirmé leurs dires : massacres de population noire par les rebelles, exactions, viols, exécutions sommaires, pillages, etc. Quant à l’Otan il continue de bombarder systématiquement le fief de Kadahfi, faisant forcément de nombreuses victimes innocentes parmi les civils, ce qui est bien contraire à la mission de protection de la population que l’ONU lui avait confiée.

Depuis, on sait que les dirigeants de la coalition ne sont pas tous recommandables et que derrière tout ce conflit il y a une question de gros sous (contrats pétroliers juteux, reconstruction, privatisations de pans entiers de l’économie libyenne, importance accrue du FMI auprès des pays d’Afrique, qui ne pourront plus compter sur l’aide financière de Kadhafi, projet d’une base militaire de l’Otan en Afrique du Nord, etc.).

Mais il est trop tard. Le mal est fait en quelque sorte. La population occidentale prend conscience après coup que la réalité n’était pas aussi rose que ce qu’on lui avait dit. Comme en Irak et en Afghanistan, elle est mise devant le fait accompli. Après, elle se résigne et oublie. Qui, aujourd’hui, va se lever pour dire que Sadam Hussein (indépendamment de tout ce que l’on peut penser du personnage) n’avait pas d’armes de destruction massive ou que s’il en avait (voir les bombardements « chimiques » de certains villages kurdes), elles lui avaient été fournies par les Américains eux-mêmes afin qu’il s’en serve contre les Iraniens ? Personne ne va se scandaliser de cela aujourd’hui puisque c’est une vérité que tout le monde connaît maintenant.

Et bien, en Libye, c’est le même mensonge médiatique qui a permis (et qui a même justifié) une guerre coloniale.

Alors ma question est la suivante : comment cela est-il possible ? Comment notre presse, gardienne de notre démocratie, peut-elle s’avilir en s’acoquinant ainsi avec le pouvoir ? On dirait qu’elle reçoit ses ordres de ce pouvoir dont elle est supposée dénoncer les exactions.

Il est vrai que les grands groupes de presse ont été rachetés par des personnes puissantes, plus ou moins les mêmes que celles qui sont impliquées dans tous ces conflits. Ceci explique peut-être cela.

Reste à savoir, dans ces conditions, si nous sommes encore en démocratie. En effet, les mensonges manifestes de notre presse officielle doivent nous amener à nous poser des questions. Notre régime politique, fondé sur la liberté individuelle et la transparence n’est-il pas tout doucement en train de se rapprocher de ces régimes dictatoriaux qu’il s’enorgueillit tant de combattre ? 

 

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11/09/2011

Petit essai d'économie politique (fin)

Je disais donc que les citoyens, bousculés par la mondialisation de l’économie  et ses principes fort peu humains, en viennent à souhaiter que les Etats conservent leur rôle protecteur.  Car que se passera-t-il le jour où tout, absolument tout, sera privatisé ? Il faudra alors souscrire des contrats auprès des compagnies d’assurances (dont on connaît les tarifs onéreux) pour tenter de se faire rembourser une petite partie des frais médicaux ou pharmaceutiques. Il faudra cotiser toute sa vie auprès d’une banque privée pour avoir droit à une retraite décente (mais comment abandonner quasi un tiers de son salaire ? Et que se passera-t-il si cette banque fait faillite ?) Quant à la législation sociale, elle aura disparu et le patronat pourra exiger tout ce qu’il voudra. Ne lui jetons pas la pierre, d’ailleurs, car il sera contraint et forcé d’agir de la sorte pour répondre aux exigences des actionnaires qui auront pris les commandes des entreprises.

Bref, je discutais de tout cela l’autre jour dans un parc avec une connaissance. C’est alors que mon attention a été attirée par un homme qui somnolait sur un banc.  Il n’avait pas (encore) la mine d’un clochard mais son teint basané le trahissait. C’était sans doute un de ces nombreux réfugiés politiques (mais ce sont en fait généralement des réfugiés économiques) à la situation précaire que l’on trouve dans nos villes. Je ne sais comment la conversation s’engagea, mais nous comprîmes tout de suite que cet homme n’avait pas perdu  un mot de notre conversation. « Le problème », dit-il, « c’est que les riches qui dirigent le monde veulent de plus en plus d’argent. » Nous étions assez d’accord avec lui et par curiosité nous lui avons demandé comment cela se passait dans son pays, ce pays  qu’il venait de quitter.

« Chez moi », dit-il, « c’est fort différent. J’étais fonctionnaire et l’Etat m’avait accordé une maison de fonction. Après cinq années, elle était à moi. Oh, elle n’était pas neuve et il y avait tout de même quelques travaux à faire, mais c’est l’Etat, une nouvelle fois, qui a tout pris ne charge. Evidemment, quand j’ai voulu agrandir, j’ai dû faire un emprunt, mais le taux n’était pas bien élevé » ajouta-t-il en souriant.

« Et il était de combien, ce taux ? » demandâmes-nous intrigués. « Ben, de zéro pour cent, on ne pouvait pas faire mieux. »

Nous le regardâmes un peu étonnés.  Zéro pour cent ? Non, ce n’était pas beaucoup, en effet… Suspicieux, nous avons commencé à le dévisager. Que venait faire chez nous ce fonctionnaire, s’il vivait  dans un tel paradis ?

« Oui, c’est vrai qu’ici,  en Europe, c’est fort différent » continua-t-il. « J’en sais quelque chose. Au début, quand je suis arrivé, j’ai loué un tout petit appartement, que je payais avec les économies que j’avais apportées. Mais l’argent s’est vite volatilisé. C’est qu’il ne fallait pas seulement s’acquitter du loyer. Il y avait aussi l’eau, le gaz et l’électricité, qu’on me facturait à des prix inimaginables. » Là, nous étions bien d’accord. Depuis la vague des privatisations, le prix du gaz et de l’électricité avait augmenté de 30%. C’était un scandale. Avant, c’était quand même plus abordable… « C’était surtout plus abordable chez moi » dit l’étranger. « Comment, cela, plus abordable ? » « Ben c’était gratuit, tout simplement, pris en charge par l’état. Quant à l’essence, elle était à 0,08 euros du litre. »

Là, c’était trop. Nous nous sommes regardés, mon copain et moi,  et c’est nous qui nous sommes retrouvés assis sur le banc. L’émotion était si forte que nous en avions les jambes coupées ! Subitement, nous avons dévisagé notre interlocuteur avec méfiance. Ce n’était pas possible, ce qu’il racontait là. Ce n’était qu’un fumiste, un inventeur d’histoires. Ou alors un fou, un mythomane, qui rêvait à un pays fabuleux qui n’avait jamais existé ailleurs que dans son imagination. D’ailleurs, pourquoi aurait-il quitté un tel Eden ? Cela ne tenait pas debout.

« Et vous travailliez dans quoi exactement ? » demandai-je en espérant qu’il s’embrouillerait dans ses contradictions. « Vous étiez fonctionnaire aux Contributions ? » « Oh non » répondit-il avec naturel. « Il n’y a pas d’impôts chez nous, ni même de taxe spéciale. Comment appelez-vous cela  déjà… La TVA ? » Quoi ? Ni impôts ni TVA ? Il n’y avait pas de doutes, ce type était fou à lier. Il déraisonnait complètement. Si cela se trouvait, il était né ici de parents immigrés et n’avait jamais mis un pied à l’étranger.

« Vous parlez drôlement bien le français, pour quelqu’un qui n’est pas ici depuis longtemps », susurra mon ami d’un air soupçonneux. « Oui, c’est normal. L’Etat m’avait accordé une bourse et je recevais l’équivalent de  1.600 euros par mois pour aller étudier dans une université réputée en dehors de nos frontières. Moi, j’avais choisi la France, c’est là que j’ai appris le français. Je serais bien resté, une fois que j’ai obtenu mon diplôme, mais il n’y avait pas d’emploi. Alors je suis retourné chez moi. Comme j’étais diplômé, j’ai perçu un salaire provisoire pendant un an. Puis j’ai finalement trouvé du travail. Au Ministère, je m’occupais du service des plaques d’immatriculation.  C’est qu’’il y a beaucoup de voitures chez nous, puisque les particuliers peuvent les acheter au prix d’usine. Et avec l’essence qui est pour rien… »

Là, je dois dire que nous n’en menions pas large. C’est qu’on finissait par croire à tout ce que racontait ce bougre, tant il parlait avec naturel. Je sentais même naître en moi une pointe de jalousie. A ce stade, j’ai voulu tout savoir, alors j’ai continué mon interrogatoire.

«  Et la vie était chère, chez vous ? Je veux dire, l’alimentation ? » « Oh non, moins chère qu’ici. Bien moins chère. D’abord, pour les familles nombreuses, il y avait des magasins où tout était à moitié prix. Mais bon, moi cela ne me concernait pas. Mais vous devez comprendre  que même dans les autres magasins  le gouvernement intervenait. Par exemple, si un producteur vendait un kilo de pâtes un euro, l’Etat l’achetait et le revendait à la population 50 centimes. Cela n’a l’air de rien, mais sur une année cela vous fait une belle différence. Ajoutez à cela que le soins médicaux étaient gratuits et faites vos comptes…»

Nous le regardâmes, complètement interloqués. « Ben, pourquoi êtes-vous partis, alors ? » demandâmes-nous en chœur.

Son regard se voila. Il contempla les pelouses du parc comme là-bas, chez lui, il devait contempler l’infini du désert. « Je suis parti à cause de l’OTAN  et de vos bombardements» dit-il. « Et puis aussi pour ne pas être massacré par ceux que vous nommez les « rebelles ». Vous comprenez, comme fonctionnaire d’Etat, j’allais être considéré comme un traitre, qui avait soutenu le régime. Pourtant, je n’ai jamais fait de politique. »

« Ah, vous êtes Libyen, alors ? Mais les « rebelles », comme vous dites, vous ont pourtant apporté la démocratie, ce n’est quand même pas rien, cela, non ? Cela vaut mieux que de petits avantages matériels. » « Quels rebelles, d’abord ? Un ramassis de royalistes et de religieux proches d’Al Qaïda ? Vous ne trouvez pas étrange que cette révolution n’a pas commencé dans la capitale, à Tripoli, comme ce fut le cas au Caire ou à Tunis ? Vous ne trouvez pas étrange qu’ils ont tout de suite eu des armes ? Et qu’ils ont été capables de prendre d’assaut des casernes ? Et c’est quand même bizarre que c’est justement la région pétrolière qui s’est soulevée, non ? Ils ont même créé une banque centrale. Vous penseriez à cela, vous, quand vous manifestez dans la rue ? Bon, maintenant il n’y a plus rien à faire puisque la planète entière a reconnu  leur légitimité. J’ai bien fait de partir si je tenais à la vie. En attendant j’étais  bien là-bas, moi, et maintenant… » D’un geste las il montra le parc où il passait ses journées et peut-être ses nuits.   

Nous ne savions plus que dire. Nous avons dû convenir que dans son cas, évidemment, le changement de régime ne lui avait rien apporté. « Mais enfin, cela vous plaisait tant que cela de vivre dans une dictature, vous ne vous sentiez pas étouffer ? »  « Et ici, alors ? Vous croyez que je me sens mieux ? Il est vrai que je suis plus libre depuis que je passe mes nuits sur un banc, à la belle étoile... »

Que pouvions-nous répondre à cela ?

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08/09/2011

Petit essai d'économie politique (2)

Les citoyens ont déjà compris, suite à cette crise financière que traverse actuellement le système capitaliste, que ce sont surtout eux qui vont devoir faire des efforts. Cela ne les rassure pas beaucoup car la crise risque bien d’être longue et les efforts soutenus. En effet, on sent bien que ce n’est pas une petite crise passagère, qui serait  liée à un événement extérieur. Non, c’est le système lui-même qui est malade. Cela fait pourtant des années que les mêmes citoyens crient que cette mondialisation de l’économie, basée sur la concurrence et le libre-échange, n’apportera que des malheurs. Forcément ! Si on affaiblit le rôle des Etats, par nature protectionnistes, et si on détricote toutes les règles existantes pour ne conserver qu’une concurrence pure et dure, on ne peut arriver qu’à une espèce de jungle où toutes les firmes vont se manger l’une l’autre. Et c’est bien ce qui se passe.

Imaginez dix usines où on fabrique des chaussures. Celles qui vont offrir un produit de qualité, avec de la bonne matière première et qui en plus vont bien payer leur personnel, ne pourront pas résister longtemps à la concurrence puisque dans les rayons des magasins leurs chaussures se vendront  forcément plus chères.  Si elles ne changent pas de tactique, elles vont inéluctablement faire faillite. D’une part elles vendront peu et d’autre part la qualité de leur produit fini aura comme conséquence que les clients ne renouvelleront pas souvent leur achat. Par contre celles qui vont licencier à tour de bras, qui vont réduire les salaires, puis mécaniser au maximum et finalement utiliser une matière première moins onéreuse vont s’imposer.

Après quelques années, des dix usines, il n’en restera déjà plus que cinq (ce qui nous fait déjà pas mal de chômeurs supplémentaires, à charge de la collectivité). Mais elles sont toujours concurrentes et si elles veulent survivre, elles vont continuer à diminuer la qualité et à imposer des règles de travail inhumaines. C’est là que l’Etat, autrefois, intervenait, en imposant par exemple une législation sociale, qui protégeait les travailleurs. Mais avec la grande Europe, le pouvoir des Etats a été fortement réduit. Pour faire simple, on pourrait dire que ces derniers mènent un combat d’arrière-garde. Ils ne proposent plus aucune nouvelle mesure de protection mais sont au contraire  contraints, petit à petit, de modifier leur législation existante pour qu'elle corresponde à la nouvelle philosophie de l’économie : rien ne doit faire obstacle au commerce.

Mais tout cela, les citoyens le savaient depuis longtemps. Ils savaient qu’ils allaient voir leurs conditions de travail empirer et leurs salaires diminuer. Puisque les firmes licencient pour rester concurrentielles, ceux qui ont eu la chance de conserver leur emploi doivent mettre les bouchées doubles pour effectuer l’ensemble des tâches. Le rythme de travail devient quasi frénétique et l’épuisement guette. Soit.

Mais voilà que malgré tous les efforts fournis l’économie ne se porte quand même pas très bien. Il faut dire qu’elle reposait depuis toujours sur la croissance (vendre de plus en plus, accroître des parts de marché, etc.) et celle-ci n’est plus au rendez-vous. Forcément, le nombre de citoyens gagnant « bien » leur vie diminue chaque jour, tandis que les emplois à temps partiel, les emplois précaires et les emplois sous-payés se généralisent (et je ne parle pas des millions de chômeurs européens, qui vivotent comme ils peuvent). Dans un tel contexte, les gens essaient de ne pas trop dépenser et donc, indirectement, ils contribuent à la mauvaise santé de l’économie.

Comme si cela ne suffisait pas, la patronat, toujours obsédé par cette idée de concurrence dont il devient lui-même finalement victime, a délocalisé ses entreprises en Chine ou ailleurs. Les jeunes européens ne trouvent plus d’emploi et restent longtemps à charge de leur famille, ce qui réduit encore le pouvoir d’achat de celle-ci.

Puis est venue la crise boursière qui a achevé de démoraliser les milieux d’affaires. On demande donc une nouvelle fois aux citoyens de sauver un système qu’ils désapprouvent et qui leur a déjà enlevé plein d’avantages. Car on n’a plus que le mot « privatisations » à la bouche. L’eau, le gaz, l’électricité, tout y passe. Et les prix flambent, évidemment, car fournir de l’eau n’est plus considéré comme une obligation étatique pour répondre aux  besoins des citoyens, mais comme un moyen de s’enrichir. Tout ce qui peut rapporter de l’argent doit être privatisé. On oblige les Etats à vendre leur parc immobilier pour le relouer bien cher et on demande aux universités d’être autonomes (ce qui risque bien de limiter l’accès aux études, car celles-ci seront forcément de plus en plus inaccessibles sur le plan financier). L’enseignement, qui était considéré comme un devoir de la collectivité envers les jeunes générations, ne sera bientôt plus qu’un grand marché, lui aussi. On est contre l’Etat social. A la limite, si on pouvait faire disparaître cet Etat, on le ferait. En tout cas il est hors de question que les firmes privées lui donnent de l’argent via leurs impôts : tout doit être conservé pour les actionnaires. Alors, l’Etat ne pourra plus rien distribuer, puisqu’il n’aura plus rien. Et comme les caisses seront vides, on demandera aux citoyens de travailler plus tard : 67 ans, 69 ans, 70 ans ? Pourquoi pas ? D’ailleurs on pense déjà à permettre aux retraités d’exercer une petite activité complémentaire afin d’arrondir leurs fins de mois…

Bref, devant une telle situation, qui empire tous les jours, les citoyens se mettent à rêver à un pays où la vie serait différente, un pays où ils seraient à l’abri de cette économie mondiale qui les écrase.

Où pourraient-ils le trouver ?

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05/09/2011

Petit essai d'économie politique

On sait que les banques sont inquiètes et qu’elles ont peur de ne pas récupérer l’argent qu’elles avaient prêté auprès des Etats. En effet, ceux-ci sont tellement endettés qu’on imagine même qu’ils pourraient tomber en faillite et donc se retrouver dans l’impossibilité de rembourser.  Je n’ai jamais bien compris comment un Etat pouvait tomber en faillite, car un Etat est pour moi une collectivité et non une société privée. Mais bon, je ne suis pas économiste et je ne vais pas ergoter là-dessus. Cependant, j’entends dire par des plus malins que moi en ce domaine, que cette évaluation des Etats sur leur degré de solvabilité est récente. Les banques, avant d’engager leurs fonds, voulaient être certaines de bien placer leur argent. Elles effectuaient donc une étude préalable qui revenait en gros à se demander s’il n’y avait pas moins de risques d’investir en Allemagne plutôt qu’en Grèce, par exemple.  Mais une telle étude n’était pas facile à réaliser et elle coûtait cher. Alors les banques, toujours soucieuses de faire des économies, ont  sous-traité ce travail et l’ont confié aux fameuses agences de notations.

Celles-ci, toutes fières de leurs nouvelles missions, sont donc venues trouver les Etats et leur ont demandé des chiffres. Dans un premier temps, les Etats ont éclaté de rire (du moins leurs représentants). Mais les agences leur ont fait comprendre que si elles ne disposaient pas de chiffres valables, elles inventeraient n’importe quoi et que leur rapport risquerait d’être fort négatif. Par contre, si l’Etat collaborait et si ses chiffres étaient bons, alors, évidemment, le rapport serait on ne peut plus favorable, ce qui permettrait, en cas de nouvel emprunt, d’obtenir des taux d’intérêts préférentiels.

Devant de tels arguments, les Etats se sont donc laissé convaincre les uns après les autres et ils ont coopéré.  Alors les agences, sous la pression des banques qui les avaient engagées et qui rétribuaient leurs services, sont revenues trouver ces Etats et elles leur ont dit en substance : « Puisque grâce à nous vous parvenez  à  avoir des intérêts préférentiels (conséquence de la bonne note que nous vous avons attribuée) et donc que vous faites des économies, la moindre des choses, c’est que ce soit vous qui rétribuiez nos services. »

Et c’est ainsi que les Etats se mirent à payer, à la place des banques, ces firmes qui venaient pour les évaluer.

Tout alla bien jusqu’au jour où ces firmes découvrirent que les Etats avaient des dettes. Ce n’était un secret pour personne et surtout pas pour les banques qui leur avait commandé le travail, puisque c’étaient ces banques-mêmes  qui avaient prêté de l’argent (espérant en retirer de gros bénéfices et en retirant en effet d’énormes).  Alors on se mit à écrire des rapports négatifs : la Grèce était au bord du gouffre, le Portugal ne valait pas beaucoup mieux. Quant à l’Espagne et l’Italie, n’en parlons pas.

En quelques semaines, toute l’Europe du Sud se retrouva en situation de faillite potentielle.  Les bourses s’effondrèrent et les riches commencèrent à avoir peur pour l’argent qu’ils avaient placé. Alors, les banques, en nouveaux  maîtres du monde qu’elles sont devenues, donnèrent des ordres. Il fallait redonner confiance au Marché. La banque centrale européenne, qui craignait pour l’existence-même de la monnaie unique, répercuta cet ordre auprès des gouvernements (lesquels, rappelons-le, ont la confiance des parlementaires pour lesquels nous avons voté) et c’est ainsi qu’on entendit que des mesures drastiques devaient être prises envers les citoyens. Pas les riches, non, les autres citoyens, ceux qui travaillent et qui sont en fait l’âme de ces Etats aujourd’hui endettés.

Pour le dire autrement, ces citoyens qui avaient déjà contribué l’an passé, avec leurs impôts, à sauver les banques quand celles-ci étaient en difficulté, se voyaient maintenant contraints, par ces mêmes banques, de se serrer la ceinture pour permettre au système capitaliste de perdurer.

On n’insistera pas sur le côté ignoble de la situation, qui saute aux yeux de tous,  mais on fera quand même remarquer que depuis ce jour nous ne sommes plus en démocratie puisque ce ne sont plus les élus du peuple qui décident mais les banques, qui ne sont tout de même que des firmes privées. Ce ne sont donc plus les intérêts des citoyens que l’état gère, mais des intérêts particuliers. Le « Contrat social » de Rousseau  semble bien oublié

Alors, quand en plus on a le culot d’aller renverser des dictateurs en Afrique du Nord sous prétexte de défendre la démocratie, cela me fait quand même franchement rire.

Nous verrons d’ailleurs demain comment cette dictature, elle, se comportait avec ses citoyens. 

 

 

 

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