31/03/2011
La tête dans les nuages (radioactifs)
Je reviens un instant sur l’accident survenu dans la centrale nucléaire japonaise.
En résumé, le nuage radioactif qui ne devait jamais arriver jusqu’aux Etats-Unis y est non seulement arrivé, mais il a même traversé l’Atlantique et est parvenu jusque chez nous.
Evidemment, les retombées radio-actives étaient infinitésimales, ce dont nous ne doutons pas.
Ces retombées étaient mille fois moins importantes que celles de Tchernobyl nous a-t-on expliqué. Tant mieux !
Mais je me demande quand même pourquoi on compare ce nuage inoffensif à celui de la dernière catastrophe en date. J’aurais préféré qu’on le comparât aux normes généralement admises comme étant inoffensives. En effet, j’ai déjà un peu l’impression qu’on est en train de nous dire que ce n’est pas trop grave puisque nous avons déjà connu des situations mille fois plus inquiétantes. Pour moi, ce n’est pas là un argument probant.
Surtout que d’autres spécialistes, croyant nous rassurer, nous disent que ce nuage est effectivement sans importance si on le compare à la dose de radioactivité de l’hémisphère nord, lequel a été gravement pollué par les essais nucléaires antérieurs. Ah bon ? On apprend des choses… Je croyais que ceux-ci avaient été inoffensifs. Enfin, c’est ce qu’on avait dit à l’époque. Et bien non…
Bon, si on décrypte le message, cela veut dire : « nous ingénieurs nucléaires civils, nous pouvons vous affirmer que nous polluons beaucoup moins que les militaires n’ont pu le faire autrefois. Comme personne n’a jamais rien trouvé à redire à cette radioactivité d’origine militaire, dans laquelle vous baignez tous les jours et qui n’a d’ailleurs jamais affecté votre santé, il serait malvenu de venir nous reprocher quoi que ce soit aujourd’hui. » En effet.
D’ailleurs nous ne reprochons rien du tout puisque ces nuages sont inoffensifs. Ce sont des spécialistes qui nous le disent. Moi, je n’y connais rien dans le domaine du nucléaire. Je serais incapable de reconnaître un morceau de plutonium d’un morceau d’uranium. Je ne peux donc que faire confiance à des personnes qui ont étudié ces matières et qui les maîtrisent.
L’ennui, c’est qu’on dirait bien qu’ils ne maîtrisent plus grand-chose, ces spécialistes. Ils ont d’abord dit qu’il n’y avait pas de radioactivité à proximité de la centrale, puis qu’il y en avait un peu, puis qu’il y en avait carrément beaucoup (un million de fois supérieur), pour dire le lendemain qu’ils avaient mal lu les chiffres et qu’il ne fallait pas s’affoler.
Bon, tout va bien alors…Mais puisque tout va bien, il suffit de rentrer dans cette centrale et de la réparer ! Et bien non, justement. On n’oserait pas s’en approcher. Ah bon ? Non, on n’oserait pas, car outre lez gaz radioactifs qu’on a laissés s’échapper pour éviter une explosion (qui a quand même eu lieu), on a tellement arrosé les réacteurs à l’eau de mer, qu’il y a maintenant de l’eau dans des conduits souterrains où il ne devrait pas y en avoir. Et cette eau est drôlement radioactive. Ah bon ? C’est embêtant cela. D’autant plus embêtant, ajoute-t-on, qu’il se pourrait bien que cette eau radioactive se déverse dans le Pacifique. Aïe !
Bon, ce n’est pas trop grave non plus, le Pacifique est grand et ce sera comme pour le nuage qui a survolé nos têtes (le nuage qui ne devait jamais arriver jusqu’à nous et qui est quand même arrivé), la radioactivité sera diluée dans la masse. Ou bien les résidus seront négligeables. Ou en tout cas ils ne seront pas trop dangereux. Bref, cela aurait pu être plus grave et sans commune mesure avec une guerre nucléaire mondiale (tiens, personne n’a encore dit cela ?). Nous pouvons donc dormir sur nos deux oreilles (mais en fermant les fenêtres quand même).
Bon, je ne veux pas être alarmiste, il n’y a aucune raison. Sauf que les spécialistes auxquels je dois bien faire confiance me disent des choses contradictoires, qu’ils n’ont pas trop l’air d’accord entre eux et que surtout ils ne semblent plus trop savoir ce qu’il y a lieu de faire.
Certains pensent mettre une bâche au-dessus des réacteurs défectueux, d’autres proposent de rejeter une nouvelle fois des gaz radioactifs afin de réduire le risque d’une nouvelle explosion, d’autres encore parlent d’évacuer l’eau contaminée dans des tankers, etc. etc. Bref, cela va un peu dans tous les sens, mais en attendant la centrale pollue toujours, de plus en plus même (et un nouveau nuage radioactif se prépare à traverser nos beaux pays).
Je ne voudrais pas avoir l’air de critiquer ces éminents spécialistes qui sont évidemment beaucoup plus capables que moi, mais je me pose quand même des questions sur leurs capacités réelles à trouver une solution au problème.
Et quand je lis ceci, des questions, je m’en pose même beaucoup : «Interrogé à ce propos, le porte-parole du gouvernement, Yukio Edano, a répondu que le gouvernement et les experts nucléaires réfléchissaient à toutes les solutions, y compris celles mentionnées dans la presse ». Quoi ? Est-ce à dire que ces brillants spécialistes sont en train de nous demander sans rire si nous, citoyens ordinaires, nous n’aurions pas des suggestions à leur faire pour réparer leur fichue centrale ? On croit rêver. Cela voudrait donc dire qu’ils sont dépassés et qu’ils ne savent plus faire grand-chose ?
Heureusement que le nuage radioactif est sans danger !
Ceci dit, ce sont eux qui le disent, qu’il est sans danger, eux qui maintenant semblent se tourner vers nous en désespoir de cause.
Bon, on a compris, il reste à espérer que les six réacteurs ne se mettent pas à fondre les uns après les autres. Le comble, c’est qu’on n’oserait même plus faire comme le Candide de Voltaire, oublier tout et « cultiver son jardin ». Vous pensez, avec ce nuage au-dessus de nous…
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : centrale nucléaire
29/03/2011
Citation de circonstance
Après tout, pourquoi faire la guerre ? Pourquoi, on n’en sait rien ; mais pour qui, on peut le dire. On sera bien forcé de voir que si chaque nation apporte à l’idole de la guerre la chair fraîche de quinze cents jeunes gens à déchirer chaque jour, c’est pour le plaisir de quelques meneurs qu’on pourrait compter ; que les peuples entiers vont à la boucherie, rangés en troupeaux d’armées pour qu’une caste galonnée d ‘or écrive ses noms de princes dans l’histoire ; pour que des gens dorés aussi, qui font partie de la même gradaille, brassent plus d’affaires – pour des questions de personnes et des questions de boutiques. Et on verra, dès qu’on ouvrira les yeux, que les séparations qui sont entre les hommes ne sont pas celles qu’on croit et que celles qu’on croit ne sont pas.
Henri Barbusse, Le Feu
07:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, barbusse
25/03/2011
De l'ingérence humanitaire.
Je reviens sur cette guerre en Libye, qui est loin d’être une mince affaire. Ce sur quoi je voudrais réfléchir, en fait, c’est le droit d’ingérence humanitaire.
Quand les premières révoltes ont eu lieu en Tunisie, surprenant le monde entier, je me suis indigné comme tout un chacun lorsque la police de Ben Ali a commencé à tirer sur la foule.
La même situation s’est ensuite reproduite en Egypte, provoquant la même réprobation dans l’opinion internationale.
L’Empire américain, qui soutenait depuis toujours ces deux régimes, a senti que le vent tournait et qu’il fallait désormais s’appuyer sur d’autres intervenants s’il voulait rester crédible. Lui qui avait pourtant été autrefois à la base des pires dictatures latino-américaines n’a pas hésité un instant. Il a demandé à Ben Ali et à Moubarak de s’en aller. On les remerciait pour les services rendus, mais on leur faisait comprendre que leur temps était révolu et qu’il fallait maintenant quitter la scène. C’est que l’Empire sait où sont ses intérêts et il n’allait pas compromettre ceux-ci pour soutenir ses anciens amis, qui ne sont que des hommes finalement.
Les deux dictateurs n’eurent pas le choix. Après s’être fait un peu tirer l’oreille, ils ont compris qu’ils avaient tout à perdre en restant au pouvoir, à commencer par la vie. Comme ils avaient de plantureux comptes d’épargne à l’étranger et qu’ils étaient déjà âgés, ils sont donc partis discrètement à la retraite, ce qui arrangeait bien tout le monde (ceci dit, ce n’est qu’une fois qu’ils eurent quitté le pouvoir que certains pays étrangers ont décidé de bloquer leurs comptes en banque. On ne sait pas comment les intéressés auraient réagi s’ils avaient eu connaissance de cette mesure avant d’abdiquer).
Quand la révolte a commencé en Libye, certains se sont frotté les mains. On allait enfin être débarrassé du colonel Kadhafi. Malheureusement, celui-ci, fidèle à lui-même, n’était pas du genre à partir. De plus, la répression qu’il avait commencée à l’encontre du mouvement insurrectionnel se montrait plus sanglante encore qu’en Tunisie et en Egypte. Dès lors, que fallait-il faire ? Rester passif et contempler les massacres ? Position difficile à tenir. Prendre les armes et s’interposer ? C’est ce qu’on a fait. Peut-être a-t-on bien fait. Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que la situation est beaucoup plus complexe qu’on ne veut bien le dire.
Va-t-on se contenter de la Libye ou va-t-on intervenir dans tous les pays arabes où les manifestants sont malmenés ?
Pourquoi par exemple parle-t-on beaucoup de la Syrie, où une centaine de manifestants seraient déjà morts (fait inacceptable, on est bien d’accord). Va-t-on aussi intervenir là-bas ?
Pourquoi ne parle-t-on jamais dans les journaux parlés de ce qui se passe à Bahreïn ? L’armée saoudienne est pourtant entrée dans ce petit état pour aider le pouvoir en place à faire régner l’ordre. Il y a eu beaucoup de manifestants tués.
Pourquoi ne parle-t-on jamais non plus de ce qui se passe en Arabie Saoudite ? Ce pays serait-il épargné par la vague de contestation qui déferle sur le monde arabe ?
On constate donc que les soulèvements populaires suscitent surtout des réactions de la part de l’Occident lorsqu’ils ont lieu dans des pays qui lui sont peu favorables.
Interviendra-t-on en Arabie ou à Bahreïn ? Cela m’étonnerait. Cela m’étonnerait même beaucoup.
L’Empire américain a-t-il perdu de son influence dans les pays qui se sont soulevés ? Non évidemment. En Tunisie c’est toujours l’ancienne équipe qui dirige. Quant à l’Egypte, c’est l’armée qui est au pouvoir. La même armée qui a toujours toléré les bombardements de Gaza (et qui a contribué à isoler cet îlot palestinien du reste du monde en fermant hermétiquement ses frontières) et qui les tolère encore aujourd’hui. Une armée qui se présente comme la garante de la démocratie mais qui s’est contentée de proposer des amendements à la Constitution et qui s’est bien gardée d’en proposer une toute nouvelle. Une armée qui à mon avis tirera également sur le peuple le jour où celui-ci réclamera de vraies réformes.
Revenons à la Lybie. Le mandat de l’ONU prévoit qu’il faut empêcher les massacres. On nous dit que la première phase de l’opération militaire est un succès et que Kadhafi ne peut plus employer son aviation ni déplacer ses chars. Victoire donc. On nous dit aussi avec fierté qu’un avion français vient d’abattre un appareil libyen qui venait de se poser. Tiens donc, ce n’est pas contradictoire, cela ? Kadhafi pourrait-il encore se servir d’une partie de son aviation ?
Au journal d’Antenne de 20H, on invite l’inévitable BHL. Le même qui dans son « Testament de Dieu » expliquait qu’Israël était le peuple choisi et rien que lui. Le même qui était venu nous raconter qu’il fallait attaquer l’Irak à cause des armes de destruction massive. Le même qu’on retrouve partout dès que les intérêts israéliens sont en jeu quelque part.
Qu’est-il venu nous dire aujourd’hui ? Que la première phase (sécuriser l’espace aérien) était un franc succès. Que les rebelles tardaient un peu à reprendre l’offensive, mais qu’il allait suffire de les armer pour parvenir à nos fins. Les armer ? Tiens donc ! Je croyais que le mandat de l’ONU nous demandait simplement de nous interposer entre les belligérants et d’empêcher Kadhafi de nuire ? Le journaliste lui-même semblait étonné de cette affirmation. On va donc armer les opposants ? Bien sûr dit BHL, d’ailleurs l’armée égyptienne le fait déjà, afin « d’aider ses frères ». Comprenez : cette armée est à la solde des USA et elle va nous aider à former les opposants libyens. Ce sont de simples citoyens, mais avec un peu d’entraînement ils devraient arriver à renverser Kadhafi. Tiens, s’étonne le journaliste. On ne sort pas un peu du mandat de l’ONU, là ? Et BHL de répondre que quitter la Lybie sans renverser Kadhafi n’aurait aucun sens. C’est vrai bien entendu et on le savait, mais je suis désolé, ce n’est pas ce que l’ONU avait dit. BHL ajoute en substance que nous ne devons pas avoir mauvaise conscience puisque c’est la ligue arabe elle-même qui a réclamé les frappes (comprenez : les régimes favorables aux USA : l’Arabie etc.). Et BHL conclut que de toute façon il faut se préparer à une guerre longue. Tiens cela n’avait pas été dit non plus, cela.
Notons en passant, puisque la guerre va être longue, qu’elle va nous coûter cher. Un missile Tomahawk coûte 1,5 million de dollars pièce. A charge des contribuables des différents pays de l’alliance. Lesquels devront aussi supporter l’augmentation du prix du baril de pétrole. D’accord, il ne faut pas regarder à l’argent quand il s’agit de faire tomber un tyran et promouvoir la démocratie, mais quand même…
A une époque où tous les pays sont endettés et où on sabre dans les budgets des services publics pour essayer vainement d’arriver à un équilibre budgétaire, il est étonnant que personne ne se soit posé la question. Mais si au moins nous étions certains que nos efforts allaient contribuer au bonheur du peuple libyen, nous les consentirions avec plaisir. Cependant, on a vu ce qu’a donné en Irak cette ingérence étrangère avec appui de l’armée. Certes le dictateur est parti, mais que reste-t-il de l’Irak ? Un état divisé, appauvri, humilié. Il ne faudrait pas qu’une fois les Occidentaux partis, la Libye tombe dans la guerre civile. C’est qu’il y aura eu tellement de morts des deux côtés, que cela n’aidera pas à la fraternité entre les différentes tribus qui composent ce pays. Vous l’avez compris, comme en Irak, il faudra une longue présence étrangère pour assurer la stabilité après le départ de Kadhafi. Nous gèrerons la partie Est, là où sont les puits de pétrole et nous affaiblirons au maximum la partie Ouest…
Pour conclure, je reviens à ma question initiale sur le droit à l’ingérence humanitaire. Bien comprise, elle semble un devoir (quid cependant des soldats libyens tués qui ne font finalement que leur métier ?). Mais je ne suis pas certain justement qu’on ne se serve pas de nos bons sentiments simplement pour agrandir notre zone d’influence économique et politique en faisant basculer la Libye dans notre camp. En nous faisant payer la note, bien entendu.
Il ne restera plus alors qu’à éliminer la Syrie et l’Iran et la pax americana pourra régner sur une moitié du monde, pour le plus grand profit de quelques-uns.
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : libye, ingérence humanitaire
22/03/2011
Des guerres démocratiques
On ne me fera pas croire qu’on s’intéresse vraiment au peuple libyen. Voilà 40 ans que celui-ci doit supporter Kadhafi et cela n’a jamais inquiété personne. Quant à Sarkozy, qui soutenait encore Ben Ali il y a un mois (au point de vouloir lui envoyer sa police pour faire le ménage plus proprement et surtout plus efficacement), il a été tellement ridicule qu’il essaie de redorer son blason en soutenant la révolution libyenne. Lui, qui n’aime que les Français riches, se mettrait à soutenir des Arabes pauvres ? Allons, allons…
Et l’Occident irait dépenser une fortune en armement pour une telle cause ? Laissez-moi rire. Le but est autre, évidemment. Puisque tous les dictateurs tombent les uns après les autres, c’est le bon moment pour faire tomber Kadhafi, un des seuls qui ne nous était pas favorable. Ensuite, on fera semblant de promouvoir la démocratie en instaurant un régime qui nous obéira au doigt et à l’oeil. La preuve, c’est que les révolutionnaires-insurgés brandissent déjà le drapeau du roi Idris, ce fantoche mis autrefois en place par les Anglais et qui a bradé le pétrole libyen un bon prix tout en acceptant que son territoire serve de base à nos armées.
Je soutiens ces révolutions populaires arabes, qui sont justifiées. Pourquoi le peuple devrait-il végéter au bord de la misère alors que quelques familles vivent dans l’opulence en s’appropriant toutes les richesses du pays ?
Pour ouvrir une parenthèse, remarquez que cette situation est un peu semblable à celle que nous connaissons, mais disons que nous avons notre système de sécurité sociale ( allocation de chômage, soins de santé, retraites) qui permet tout de même de réduire l’écart existant entre les plus pauvres et les plus riches d’entre nous. Ecart qui se creuse pourtant de jour en jour. Quand le système libéral aura tout démantelé, les inégalités deviendront tellement flagrantes qu’on risquerait bien, chez nous aussi, d’avoir des soulèvements populaires difficiles à contrôler.
Mais fermons cette parenthèse et revenons au monde arabe. Le peuple va-t-il jouir de la liberté et du bien-être auquel il aspire ? Non évidemment. En Tunisie, la situation est encore un peu confuse, mais en Egypte les choses sont déjà beaucoup plus claires. L’armée est au pouvoir. Belle démocratie ! Et quelle armée ? Une armée dont tous les hauts dirigeants ont été formés aux Etats-Unis. Une armée qui depuis des décennies collabore avec Israël pour maintenir le blocus de Gaza, cette étroite bande de terre où sont enfermés d’autres Arabes musulmans comme eux et que l’on a bombardés aujourd’hui même encore. Je ne pense pas que ce soit vraiment là la volonté du peuple égyptien.
Quant à la Libye, comme le soulèvement populaire spontané ( ???) était en train de perdre du terrain devant Kadhafi, on ne pouvait que l’aider. Comme cela nous aurons dans toute l’Afrique du Nord des régimes dits « démocratiques » qui seront nos alliés. Nous pourrons commercer avec eux, leur vendre nos produits, exploiter leur main d’œuvre bon marché et surtout y cantonner nos armées dans des camps construits rien que pour nous.
Il existe cependant une zone d’incertitude. On entend que cela gronde beaucoup au Yemen, à Bahreïn et dans le sultanat d’Oman. A Bahreïn, il s’agit de renverser la dynastie des Al-Khalifa, au pouvoir depuis trois siècles. Au Yemen, c’est Ali Abdallah Saleh, que le peuple tente de faire partir. Surnommé le « boucher », il dirige le pays depuis 1978. A Oman, c’est Qaboos qui devient indésirable, lui dont les ancêtres étaient déjà à la tête de l’état en 1749 !
Là aussi les peuples se révoltent à juste titre. Là aussi on entend dire qu’on tire dans la foule. L’Occident s’en émeut-il ? Sarkozy envoie-t-il les avions de la coalition (payés par nos impôts quand même) pour rétablir l’ordre ? Nullement.
Et quand les émeutes vont éclater en Arabie ? Demandera-t-on au roi d’abdiquer ? Lui enverra-t-on nos chars pour le déloger de son palais ? Certainement pas. Et au Maroc ? On sait que sous l’ancien roi des opposants politiques ont été emprisonnés pendant trente ans, qu’ils vivaient dans des conditions d’insalubrité épouvantables et qu’ils étaient même torturés de temps à autre. Quelqu’un s’en est-il jamais indigné ?
Ce que je veux démontrer, c’est qu’il y a bien deux poids deux mesures. L’Occident intervient là où cela l’arrange. Et quand je dis l’Occident, je devrais dire l’Amérique, car dans cette affaire, malgré les discours tonitruants de Sarkozy, la vieille Europe n’a fait que suivre et obéir. La France seule conservait encore un peu d’indépendance (un peu) mais depuis que l’ami Nicolas l’a fait rentrer dans l’Otan, elle est devenue elle aussi le valet de l’Amérique. Obama, prix Nobel de la Paix, commence cette troisième guerre avec réticence (il est déjà bien embourbé en Afghanistan et en Irak), aussi pense-t-il déléguer le commandement des opérations à ses alliés. Pourquoi s’en priverait-il, en voyant l’enthousiasme de Sarkozy pour partir en guerre…
Reste que la situation est complexe. Ne pas agir, c’était en effet laisser un peuple se faire massacrer (mais pourquoi alors au Yémen, à Oman…), ce qui n’est pas acceptable. Agir, c’est se donner le beau rôle en soutenant une aspiration à la démocratie plus que légitime (personne, en effet, ne regretterait le départ du dictateur Kadhafi, qu est parvenu à se mettre tout le monde à dos, les Occidentaux comme les Arabes, les communistes comme les religieux). Mais agir, c’est aussi se servir de cette aspiration légitime des peuples à accéder à un peu plus de liberté pour finalement mieux les dominer économiquement parlant. Car derrière ce beau geste sarkozien, c’est l’imposition de la libre circulation des biens et des marchandises qui se dissimule. La Lybie était un état fermé, où l’état contrôlait tout. Avec la démocratie, on pourra privatiser des pans entiers de l’économie et imposer le libéralisme. Quelques Libyens s’enrichiront. Beaucoup d’Occidentaux également. Quant au peuple, il a l’habitude d’initier des révolutions qui lui échappent toujours.
Voilà pourquoi les avions français sont partis détruire les Mirages libyens. Encore heureux que Kadhafi ait renoncé récemment à acheter des Rafale, sinon on aurait eu de beaux combats aériens avec des avions français dans les deux camps. C’est Dassault qui se serait frotté les mains…
11:18 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : libye, sarkozy, révolution, kadhafi
21/03/2011
Nuit blanche
La nuit, parfois ils descendaient jusque dans le village, du moins c’est ce que l’on disait. Personne ne les voyait jamais, mais on les devinait, on sentait leur présence. On entendait ou on croyait entendre des grognements, des frôlements, et de temps en temps le bruit insolite d’un objet qui tombait dans l’obscurité. Personne n’osait sortir, évidemment. S’il n’y en avait eu qu’un, cela aurait pu aller, on se serait bien risqué à aller jeter un coup d’œil, quitte à rentrer précipitamment si cela tournait mal. Mais là, on ignorait tout de leur nombre. Combien étaient-ils ? Cinq, dix ? Douze peut-être ? C’était trop risqué. Alors, derrière les volets clos, on se contentait de tendre l’oreille. Le moindre feulement nous faisait sursauter, mais souvent ce n’était que le vent qui agitait les arbres, le grand vent de la nuit qui venait de la mer et qui chassait les nuages.
On finissait par retourner se coucher, mais le sommeil était lent à venir. On se tournait et retournait et tout le temps on les imaginait, là, dehors, occupés à faire Dieu sait quoi. On se demandait subitement si on avait bien fermé la porte de la remise du jardin. Il n’aurait plus manqué que d’en retrouver un là-dedans au petit matin ! Mais non, la porte était bien fermée, on s’en souvenait maintenant. Mais c’était pour penser aussitôt au potager. On revoyait les pommes de terre en fleurs ainsi que les courgettes, si fragiles encore avec leurs deux petites feuilles tendres qui sortaient timidement du sol. S’ils s’aventuraient de ce côté, ils allaient tout saccager et il n’allait rien rester. Il aurait fallu se lever, prendre le fusil et sortir. Et pour faire quoi ensuite ? C’est qu’on ne voyait rien là dehors. C’était le noir absolu et même si la lune dépassait le sommet des montagnes, ici, dans le fond, c’était l’obscurité totale. S’aventurer d’une dizaine de mètres, c’était courir le risque de se faire renverser par un de ces monstres. Car ils voyaient, eux, dans le noir. En tout cas cela ne les empêchait pas de se déplacer. Au moindre bruit, on aurait tiré, c’est sûr. Au hasard, comme cela, sans viser, avec le risque de toucher quelqu’un qui se serait aventuré sur le chemin, quelqu’un qui comme soi serait sorti avec son fusil tellement il en aurait eu assez de ruminer toute la nuit et de se demander ce qu’ils faisaient. C’était un risque qu’on ne pouvait pas prendre. C’est du moins ce qu’on se disait en se retournant encore une fois sur le vieux sommier qui grinçait, mais dans le fond on savait que ce n’était là qu’un beau prétexte. La vérité, c’est qu’on préférait encore rester là pendant des heures, à tendre l’oreille, plutôt que de se lever d’un bond, d’ouvrir la porte et d’en avoir le cœur net une fois pour toutes. La vérité c’est qu’on mourait de peur, au fond de nos lits, et que pour rien au monde on n’aurait voulu se retrouver parmi eux en plein cœur de la nuit.
Alors on se contentait d’écouter et d’écouter encore. Quand, pour la troisième fois, un objet tombait sur le sol, on savait que ce ne pouvait plus être le vent, même s’il soufflait maintenant en rafale. Alors, pour oublier, comme on était éveillé, on se mettait à penser à sa vie. On se revoyait enfant, là-bas, à l’autre bout du pays, dans la grande forêt qui n’avait ni commencement ni fin. Ou plus tard, adolescent, dans de grandes villes dont on avait presqu’oublié le nom. On se souvenait d’amphithéâtres, de salles de cours, de bibliothèques, et puis surtout d’une étudiante au sourire énigmatique, qu’on suivait de loin en loin, en contemplant sa démarche souple et en admirant le balancement de ses hanches. Puis on revoyait des guerres, des voyages, des mariages, des révoltes, des déménagements, des fuites en avant, des retours en arrière, bref tout ce qui fait habituellement la vie d’un homme. Tout cela pour se retrouver ici, dans l’obscurité d’une chambre, à les écouter aller et venir. Car c’était bien ce qu’ils faisaient, non ? Ils allaient où ils voulaient, eux, arpentant nos terres, foulant nos gazons, renversant nos outils. Parfois ils se frottaient à l’écorce des chênes lièges et pendant des jours on croyait percevoir leur odeur de bêtes sauvages, cette odeur d’animal non dompté, qui vit selon son bon vouloir. Alors, sans le dire vraiment et surtout sans jamais l’avouer, nous nous mettions à les admirer secrètement. Peut-être, finalement, aurions-nous voulu jouir de la même force et de la même liberté qu’eux ?
Mais pendant que nous réfléchissions ainsi, la nuit avançait. Déjà il était déjà six heures du matin et l’aube commençait à poindre à travers les fentes des volets. C’est le moment où nous finissions enfin par nous assoupir, exténués par toutes ces émotions.
Au matin, nous retrouvions le ciel tout dégagé et le soleil brillait sur les montagnes. Nous prenions le petit déjeuner sur la terrasse, admirant le paysage. Pendant que les premières cigales commençaient leur obsédant refrain, on sentait comme une odeur de thym sauvage qui venait des sommets. Alors l‘un d’entre nous se levait et allait inspecter le potager. Il se penchait vers la terre meuble et là, incrédule, il regardait les traces qu’ils avaient laissées. Des traces de pas, mais aussi comme des traces de lutte. Ils avaient tout retourné en cherchant des racines avec leur groin. C’est à peine si on voyait encore une dernière courgette et seule l’étendue de la surface ravagée et piétinée donnait une idée de leur nombre. Alors, tout en savourant un croissant, on se disait qu’on avait drôlement bien fait de ne pas sortir cette nuit et de faire semblant de dormir.
Photo personnelle
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16/03/2011
Au pays du soleil levant.
Photo de presse
Que dire encore après tout cela ? Quel sens pourrait bien avoir l’écriture devant de telles catastrophes ?
Se souvenir qu’on était tous méfiants devant cette technologie nucléaire, très méfiants. Comme devant toute technologie d’ailleurs.
J’avais dix-sept ans et j’étais au lycée. Dans les couloirs, après le cours, nous discutions avec le professeur de mathématique de la pertinence des centrales nucléaires. Nous étions jeunes, nous avions en nous le goût de l’opposition, nous avions également une fibre vaguement écologique (c’était l’époque du Larzac, du camp militaire qu’on devait construire là-bas, des Parisiens qui quittaient leurs bureaux pour aller élever des moutons sur le Causse). Lui, il nous vantait la puissance de la technique, l’indépendance énergétique enfin trouvée, ainsi que les possibilités immenses et infinies de l’atome. Nous, plus terre à terre, nous demandions : « Et s’il se produit un accident ? » « C’est impossible », répondait-il péremptoire. « Même s’il y a un accident, il y a tellement de moyens de sécurité qui sont mis en place, qu’il est impossible que quelque chose tourne mal. »
« Oui, mais si tous ces moyens de sécurité tombent en panne les uns après les autres ? » argumentions-nous, plus pour le plaisir de la discussion d’ailleurs que par conviction, car nous nous rendions bien compte que ce que nous disions là n’avait pas beaucoup de sens. Alors le vieux professeur, qui ressemblait un peu à Einstein, nous donnait sa réponse et cette réponse, nous la connaissions à l’avance. Il était impossible, statistiquement parlant, que dix moyens de prévention tombent en panne en cascade.
« Et en cas de tremblement de terre ? » avais-je demandé. « Impossible qu’il y ait des dégâts, les constructions sont faites pour résister à tout ». « Et si on bombarde la centrale en cas de guerre ? », avait demandé un autre élève, plus pessimiste encore que moi. « Alors, si c’est la guerre, il y aura déjà tellement de morts que ce n’est pas une petite catastrophe de plus qui va changer grand-chose » lui avait répondu le professeur, avant de remonter ses lunettes et de s’acheminer vers une autre salle de cours.
Je l’ai regardé s’éloigner. Ce jour-là, moi qui étais dans une section littéraire et qui, la tête pleine d’Homère et de Virgile, ne raisonnais pas comme lui, je me suis dis que malgré toutes ses certitudes, il ne devait pas avoir raison.
Aujourd’hui, devant l’ampleur du désastre qui peut-être se prépare, je ne suis pas spécialement fier d’avoir eu finalement raison. Pour une fois, je voudrais au contraire m’être lourdement trompé.
00:49 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : japon, centrales nucléaires
13/03/2011
Stupeur et tremblements
Le premier novembre 1755, un tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée ravagea Lisbonne. Il y eut entre 50.000 et 100.000 victimes. Les personnes qui n’avaient pas péri sous les décombres des maisons, se ruèrent sur les quais, croyant être à l’abri des chutes de pierres. Là, elles découvrirent avec stupéfaction que le fond de l’océan était visible. La mer s’était retirée. Évidemment, peu de temps après, un tsunami ravagea la partie basse de la ville. Le peu qui avait été épargné fut ensuite la proie des incendies, les cheminées ayant été endommagées lors du séisme.
On connaît la réaction de Voltaire, qui pour la circonstance composa le Poème sur le désastre de Lisbonne. Pourquoi, en effet, Dieu, s’il existait (et pour Voltaire, déiste et non athée, Dieu existait, même si dans son imaginaire il était plus proche des forces de la nature que du vieillard barbu de l’Ancien Testament) avait-il voulu tuer ainsi des innocents, qui plus est le jour d’une fête chrétienne, la Toussaint ? En remettant ainsi en cause la sagesse divine, notre philosophe s’opposait directement aux thèses optimistes de Leibniz et Pope. Ceux-ci soutenaient que la Providence gouvernait le monde et que si parfois il arrivait quelques événements regrettables, ceux-ci restaient minimes par rapport au Bien absolu, qui progressait toujours. Le bouillant Voltaire ne pouvait tolérer cette sorte de fatalisme béat et il s’en moquera dans Candide avec sa fameuse formule « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. »
Rousseau répondra au poème sur le désastre de Lisbonne par la Lettre sur la Providence.
Et nous, que dirons-nous, devant ce malheur qui frappe le Japon ? Un tremblement de terre, un raz-de-marée, un incident nucléaire majeur… Cela fait beaucoup en un jour, pour un seul pays. Pays qui nous est proche, même s’il est loin géographiquement, puisque nous avons le même stade de développement technologique, le même genre de vie, etc. Je veux dire par-là que ce n’est pas le tiers-monde. Car quand un cataclysme frappe le tiers-monde, nous ne nous sentons guères concernés. Nous nous disons que nous n’avons pas le même climat extrême et que nous sommes de toute façon bien mieux préparés pour y faire face. Mais ici ? Tout avait été prévu. Les bâtiments avaient été construits en respectant les normes antisismiques (heureusement !) même la centrale nucléaire, qui pouvait résister à un tremblement de terre de force 7. Mais là on était à 8,9 ! On appréciera l’optimisme des spécialistes, qui ont toujours raison, sauf quand les faits leur donnent tort.
Les croyants fondamentalistes diront que Dieu a puni les hommes de leurs péchés (ah bon ?). Les croyants se refuseront à prendre position et soutiendront que les voies de Dieu sont impénétrables. Les fatalistes diront qu’on n’y peut rien, que cela devait arriver et voilà... Les athées comme moi seront impressionnés par cette force aveugle de la nature, qui nous oblige de temps à autre à nous souvenir que nous ne sommes pas grand-chose, malgré notre culture, notre science et notre savoir-faire. L’homme, finalement, reste un animal bien démuni.
La presse, évidemment, toujours friande de catastrophes, surtout si le nombre des victimes est élevé, s’est emparée de l’événement. On en a oublié la Lybie. Ca tombe bien, car l’ami Sarkozy voulait justement partir en guerre contre celui qu’il accueillait en grande pompe en 2007 encore, mais il a été désavoué par ses alliés européens. La France n’ira donc pas bombarder la Lybie, seul état arabe dont le dirigeant osait tenir tête à l’Occident. Tant mieux, cela aurait fait un peu expédition coloniale, surtout qu’il y a du pétrole à voler. Et puis débarquer là-bas juste au moment où Kadhafi est en train de reprendre la situation en main, cela allait être compliqué. Cela nous aurait encore fait pas mal de victimes en plus et dans les deux camps encore bien.
Vous me direz qu’on n’est plus à quelques victimes de plus ou de moins, surtout quand il s’agit d’aller imposer la démocratie et la libre circulation des biens et des richesses. Les Afghans le savent bien qui ont l’habitude de voir leur population civile bombardée par l’Otan, par erreur sans doute mais pour la bonne cause toujours.
Tout cela pour dire que les hommes sont fous. Comme si on n’avait pas déjà assez des tremblements de terre et des tsunamis ! Il faut encore qu’ils se tuent entre eux. La vie est pourtant si courte ! C’est ce que doivent se dire cette nuit les Japonais qui ont survécu. Ils ont perdu des proches, toute leur famille peut-être, leur maison est détruite et ils sont là dans le noir (plus d’électricité), devant la mer qui s'est retirée, à se poser les mêmes questions que Voltaire quelques siècles plus tôt : « Pourquoi ? »
Et il n’y aura évidemment personne pour leur répondre.
00:29 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (10)
11/03/2011
Une affaire de plagiat ?
Mauvaise surprise l’autre jour. En ouvrant ma page d’accueil Hautetfort, je trouve le message suivant :
Votre blog a fait l'objet d'une plainte de l'AFP concernant des articles que vous avez publiés sans en avoir l'autorisation et listés ci-dessous. Ces articles ont été retirés de la publication et sont à présent en mode brouillon. Vous ne devez pas remettre en ligne ces contenus faute de quoi nous serons amenés à fermer l'accès à votre blog, conformément aux CGU. Articles retirés : http://feuilly.hautetfort.com/archive/2008/07/05/des-langues-regionales.html
Et effectivement, l’article a été retiré du site et se retrouve dans les brouillons. Fort étonné, je le relis plusieurs fois et ne trouve décidément rien qui viendrait justifier ces avertissements peu amènes (fermer l’accès au site, quand même !). En gros, j’avais parlé des langues régionales, que j’aime beaucoup par ailleurs, mais je mettais en garde contre la politique actuelle de l’Union européenne, qui, en valorisant les régions et leurs langues, risquait de contribuer un jour à l’éclatement des grands états nationaux. Ce sont là des idées strictement personnelles, qu’on peut approuver ou désapprouver, certes, mais qui en tout cas ne devaient rien à un quelconque article de l’AFP. Je m’étonne donc toujours de cette censure à retardement (un article de 2008 !).
Peut-être est-ce la carte illustrative, qui présentait les différents patois de France et dont je n’avais pas cité la source (en 2008 j’étais encore un peu novice ou un peu inconscient) qui serait la cause de toute cette affaire. Je l’ignore. Dans ce cas, ne suffisait-il pas de demander à ce que cette source soit citée ou bien, à la imite, à ce que la carte soit retirée ?
Le plus curieux c’est que d’autres sites ont connu la même mésaventure et eux aussi pour des articles publiés en 2008. Un comité de censure s’est-il donc mis en place ? Sont-ce là les premières manifestations de la loi Hadopi ? Sarkozy craint-il de perdre son pouvoir via une révolution organisée sur Internet, comme ce fut un peu le cas en Tunisie ? L’Union européenne a-t-elle des espions qui surveillent ceux qui osent la critiquer ? Ce serait me faire beaucoup d’honneur…
Si l’incident reste isolé, ce n’est pas trop grave, mais si un comité de « sages » commence à éplucher tout ce qui se dit sur Internet, cela va être dur d’émettre la moindre idée, car on retrouvera toujours bien un article de presse quelque part qui développe le même thème.
Quant à Hautetfort, je leur ai demandé de m’expliquer de quoi il s’agissait exactement, mais je n’ai pas reçu de réponse.
07:00 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : blogues, internet, censure
08/03/2011
Forêt
Ce n’étaient que feuilles, branches et futaies,
Troncs lisses, nuages et pluie.
Ce n’étaient que forêts, toujours, et horizons bleus,
Bêtes dissimulées,
Sangliers farouches, cerfs aux aguets, brames et amour.
Ce n’étaient que bruissements et rumeurs
Regards et fuites.
Ce n’était que lune, la nuit, en la clairière offerte
Ce n’était que bleu, partout, au profond du silence.
Puis mort jaune et or, automne, en novembre de brume.
Et encore flocons, quand tombe l’hiver, empreinte du loup,
Tache de sang.
C’était renard au printemps, amour et rage.
C’était bave sur la pierre, dans le village, en plein midi.
Et enfant mort, mordu, perdu,
Enfant d’ici, de la forêt, dedans sa tombe.
Tombe la pluie, sur la lune bleue, en son printemps.
Et les flocons, dedans l’hiver, sur le loup gris.
Regard perdu, mort à l’affut, sang répandu.
Oiseau de nuit, oiseau tout noir, dans la forêt.
Cri éperdu, peur du midi, enfant perdu.
Village de pierres, forêt des morts, cimetière tout gris.
Horizons bleus, sangliers noirs, hordes de nuages.
Ce n’étaient que forêts, toujours, branches et futaies
Ce n’étaient que regards, village perdu, renard d’ici
Puis l’enfant mort, dans la pluie bleue, sous sa pierre grise.
Puis l’enfant mort, forêt profonde, oiseau de nuit.
00:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature
04/03/2011
Là-bas (fin)
Mais l’horizon, déjà, rougeoyait, et le soleil, fatigué, quittait la scène du grand théâtre du monde. Si nous ne voulions pas nous faire surprendre par l’obscurité, il fallait regagner bien vite la voiture. Tant pis pour le cadran solaire en marbre blanc, de dix mètres de diamètre, qui devait se trouver quelque part dans les fourrés et que nous n’avions jamais vu. Tant pis pour la tour lunaire, qui servait à observer les éclipses et que nous n’avions jamais vue non plus. Ce n’était pas encore aujourd’hui que nous allions découvrir ces merveilles et il nous faudrait revenir une fois encore.
Nous rentrions au plus vite. Nous repassions devant le lavoir, dont les tuiles rouges avaient maintenant une couleur ocre, nous longions les ruines du palais-bibliothèque, dont les contours commençaient à s’estomper dans l’obscurité naissante, nous laissions à notre gauche les ruines du théâtre antique et nous abordions enfin le chemin qui devait nous ramener à la voiture.
Mais, une fois de plus, nous avions trop tardé à partir et en traversant le bois de pins il faisait si sombre qu’une peur ancestrale et atavique nous saisissait aussitôt. C’était la peur du noir et de la nuit, la peur des bêtes sauvages et de la mort, cette même peur que les hommes préhistoriques avaient dû connaître et qui les avaient poussés à trouver refuge à l’intérieur des grottes. Ensuite, ils avaient donné une forme à leurs angoisses en tentant de dessiner sur les parois ce qui allait devenir la première forme de l’art humain. Car l’art n’était pas autre chose que l’affirmation de l’homme devant la mort, nous le savions bien et c’est pour cela que nous revenions sans cesse contempler les ruines de ce lieu insolite, perdu au milieu des bois. Depuis le théâtre antique jusqu’au palais princier, nos ancêtres avaient tenté désespérément de marquer leur passage sur terre. Ce n’était évidemment qu’une illusion et il suffisait de regarder l’état de délabrement de tous ces bâtiments pour se rendre compte de la vanité de leur démarche, mais peut-être qu’en multipliant nos visites nous voulions inconsciemment honorer leur travail et tenter de nous souvenir qu’ils avaient existé.
Derrière tout cela, c’était évidemment notre propre vie qui était en jeu et en contemplant les ruines des siècles passés nous n’étions pas sans nous demander ce que nous allions laisser, nous, comme traces de notre passage. Certes nous étions bien jeunes encore, à cette époque, mais l’adolescence n’est-elle pas propice à ce genre de réflexion ? Après, nous allions devenir tellement occupés à lutter pour vivre et pour survivre, que nous en oublierions de nous poser la question du « pourquoi » de l’existence.
C’est donc inquiets et l’âme angoissée que nous traversions le bois de pins, finalement plongé dans l’obscurité totale. Puis nous longions une nouvelle fois les pâtures où les vaches, bovines à souhait, n’en finissaient plus de ruminer l’herbe tendre sans s’interroger le moins du monde sur leur état. Quand nous arrivions enfin à la voiture, il faisait nuit noire. Derrière nous, l’ancien hôtel dressait sa masse sombre. Il nous semblait alors entendre les pas feutrés d’amants imaginaires qui glissaient sur les vieux parquets cirés. Dans le silence de la nuit, ils se dirigeaient vers des lits d’un autre âge pour aimer à leur façon des dames souvent plus jeunes qu’eux et qui leur offraient sans retenue leur corps presque parfait. En cet instant, nous croyions subitement percevoir le côté illusoire de tous ces jeux érotiques. Car nous qui venions de contempler des monuments en ruine, nous qui venions de voir la vanité de l’Histoire, de l’art et des princes, nous ne pouvions qu’émettre des doutes sur la pérennité de ces corps enlacés dans un éphémère bonheur. Tant de couples avaient dû passer par ici… Et que restait-il de leurs étreintes ?
Nous poussions un soupir en remontant dans la voiture. Dans une heure, nous serions dans la grande ville et respirerions ses fumées nauséabondes. Ce qui nous consolait, c’est que nous savions déjà que nous reviendrions bientôt afin de tenter de percer le mystère de ces ruines qui, décidément, n’en finissaient plus de nous intriguer.
07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
02/03/2011
La-bas (suite de la suite)
Plus loin, une petite rivière alimente toujours un lavoir étonnant, dont les poutres impressionnantes ont résisté aux siècles. On ne sait quelles jeunes filles venaient ici se pencher sur l’onde, rêvant à des amours impossibles tout en regardant les fils du seigneur qui, sur leurs montures, partaient pour des guerres dont ils n’allaient pas revenir. On imagine leur désarroi à l’annonce de la mort de ces princes et bien des larmes durent tomber dans l’onde du lavoir, des larmes aussi secrètes qu’inavouables. Quant à celles qui avaient eu plus de « chance » et qui, malgré leur servile condition, avaient été remarquées un instant, elles avaient perdu leur honneur dans des amours ancillaires. On les retrouvait bientôt courbées sur le linge à laver, le frottant avec désespoir, puis, subitement, on les voyait se tordre de douleur et s’affaler sur la pierre froide et mouillée, tentant désespérément de cacher leur ventre proéminant, fruit douloureux de ces amours diaboliques.
Elles étaient alors impitoyablement chassées et quand elles s’enfonçaient seules dans la grande forêt où gémissaient les loups, le rire cruel et ironique des seigneurs ressemblait à la lame qui allait tuer ces pauvrettes. Car une fois arrivées dans les clairières profondes, elles tentaient toutes de faire partir par le fer ce fruit du démon qui arrondissait leur ventre. Certaines y arrivaient, mais la plupart y perdaient la vie et après l’hiver on retrouvait près d’un arbre des restes décharnés dont les loups n’avaient pas voulu. Mais il y avait longtemps qu’on ne doutait plus de leur mort car chaque fois que l’eau du lavoir rougissait, on savait que l’une d’entre elles était morte dans son sang, transpercée par le fer de la honte, celui qui, par vengeance divine, met un terme à la vie des filles impudiques.
Ces histoires des temps anciens nous bouleversaient et c’est le cœur meurtri pour ces pauvres lavandières que nous continuions notre promenade. A quelques mètres du lavoir, nous apercevions bientôt les arcades d’un promenoir. Il ne restait que deux pans de mur avec des colonnes et la voûte qui soutenait le toit de tuiles, lequel était resté miraculeusement intact. La présence isolée de ce déambulatoire au milieu d’une clairière nous surprenait toujours. Les bâtiments dont il dépendait avaient été détruits et nous n’avons jamais su s’il avait appartenu à un couvent ou à un château. Des moines y méditaient-ils leur bréviaire ou de belles princesses y lisaient-elles des lettres d’amour, écrites par quelque chevalier parti bien loin pour une vague croisade ?
Plus loin, un muret de pierres sèches empêchait les passants de tomber dans une fosse. Celle-ci avait dû servir de cage pour les ours et nous supposions qu’une espèce de jardin zoologique avait été aménagé en ce lieu, peut-être au XVIIIe siècle. Rien n’était moins sûr, mais comment expliquer autrement l’existence de ces paons, redevenus sauvages, qui hantaient les alentours ? Leurs cris parfois nous glaçaient d’effroi, quand ils nous surprenaient au milieu du silence. Par contre nous admirions leurs parades amoureuses et quand les mâles faisaient la roue, il nous semblait voir dans leur plumage chatoyant comme le souvenir des vitraux d’une cathédrale à jamais disparue.
Près de la cage aux ours, à l’entrée du chemin qui s’avançait vers la forêt, deux lions de pierre évoquaient des continents lointains et inconnus, tandis que quelques arbres aux essences inconnues de nous avouaient une origine manifestement africaine. D’où venaient-ils, comment étaient-ils arrivés là ? C’était un mystère. Cette partie de la propriété avait-elle été consacrée à la botanique ? Nous imaginions alors quelque adepte de Linné ou de Jussieu occupé à cultiver ici des plantes rares et des espèces vénéneuses. Le « Genera Plantorum secundum ordines naturales disposita » aurait-il été écrit ici même que nous n’en aurions pas été autrement surpris.
00:37 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature