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29/04/2011

Une île (4)

Une fois arrivés au pied de la montagne, nous sommes venus butter contre une large rivière qui nous barrait complètement le passage. Le courant en était trop impétueux pour que l’idée même de traverser à la nage nous effleurât. L’eau bouillonnait en cascades et venait s’écraser sur d’énormes rochers dans un grondement terrible. En fait, c’était un torrent que nous avions sous les yeux et des volutes de vapeur d’eau s’élevaient dans les airs, créant, à cet endroit, une impression étrange, un peu féérique. Les rayons du soleil perçaient difficilement cette espèce de brouillard, mais ils y parvenaient quand même, créant des dizaines d’arcs en ciel multicolores. Abasourdis, stoppés dans notre élan, nous restâmes là à regarder ce spectacle grandiose, un peu surréel. Le contraste était saisissant entre les flots en furie qui s’agitaient à nos pieds et cette pureté diaphane et immobile de l’air. Des particules d’eau restaient en suspens dans l’atmosphère et donnaient au paysage un aspect insolite, quasi magique. Il y avait là une sorte de mystère qui imposait le respect et c’est en silence et avec une conscience très nette du caractère sacré de ce lieu que nous nous mîmes à contempler ce qui nous entourait. Nous venions de trouver un endroit sur terre où les dieux, sans doute, venaient encore parfois parler aux humains.

Mais bon, même si nous étions sous le charme poétique de ce petit coin enchanteur, il nous fallait penser à poursuivre notre route. Comme il était impossible de franchir le torrent, nous avons commencé à le longer en le descendant. Nous espérions que plus bas, près de l’embouchure, ses flots seraient plus calmes et qu’il nous serait alors plus facile de traverser. Nos prévisions étaient bonnes car après un bon quart d’heure nous trouvâmes un passage à gué. Le torrent furieux, en arrivant dans la plaine, s’était subitement transformé en un plan d’eau calme. Quelques pierres, judicieusement posées en travers du courant, allaient nous permettre de passer sans encombre.

C’est alors que nous entendîmes des voix. Intrigués, nous avons regardé aussitôt autour de nous. Ben ça alors, quelle surprise ! A vingt mètres après le gué, la rivière faisait un coude, créant du coup une sorte de petit lac peu profond où l’eau était particulièrement transparente. Et qu’est-ce que nous découvrîmes là ? Six jeunes filles, qui étaient occupées à se baigner tout en riant et en s’éclaboussant. Nous qui avions vécu plus de trois mois sur notre bateau sans voir une seule femme, nous sommes restés tout interdits à la vue de ces beaux corps dénudés et innocents. Le paradis existait-il donc sur terre ? En tout cas le spectacle qui s’offrait à nous avait quelque chose de biblique. On aurait dit Eve et ses sœurs au jardin d’Eden, offertes dans leur nudité première. Il y avait une telle simplicité, un tel naturel dans leur attitude, sans provocation aucune, que nous en restions subjugués. Il nous semblait avoir remonté le temps bien au-delà de notre naissance et avoir atteint un stade antérieur de l’humanité, quand l’harmonie et la beauté régnaient partout dans le monde. L’eau tranquille, le soleil, ces filles nues et insouciantes, qui riaient en s’amusant, tout cela existait-il vraiment ? Ou n’était-ce qu’un reflet renvoyé par une sorte de miroir magique, afin de nous abuser ? Mais non, ces déesses étaient bien réelles.

D’ailleurs l’état de grâce dans lequel nous étions plongés cessa très vite. Une des filles nous aperçut et poussa un cri strident. Il s’ensuivit un départ précipité dans un désordre indescriptible. Comme un troupeau de gazelles, les belles inconnues s’enfuirent dans des gerbes d’écume, au milieu de hurlements perçants et de rires suraigus. Une fois sur la berge opposée, elles ramassèrent leurs vêtements et allèrent se réfugier dans le sous-bois, sans prendre le temps de les enfiler. Une seule s’arrêta et se retourna. Ses habits serrés contre la poitrine, elle nous regarda d’un air grave pendant quelques secondes, puis elle disparut à son tour.

Quel regard profond elle avait eu là ! Il émanait d’elle une telle noblesse et une telle prestance que personne, je crois, n’aurait pensé à aller la chahuter ou à plaisanter sur la situation délicate où elle se trouvait, ainsi dévêtue devant les hommes que nous étions. Non, par ce seul regard elle avait su asseoir son autorité et nous n’avions déjà pour elle que du respect.

 

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Renoir, les grandes baigneuses (détail)

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

25/04/2011

Une île (3)

Mais le temps passait et il fallait se remettre en route. En face de nous, une forêt touffue recouvrait ce que nous avions d’abord pris pour une colline mais qui était en fait une montagne. D’ailleurs son sommet devait certainement constituer le point culminant de l’île et si nous voulions savoir ce qu’il y avait de l’autre côté, nous n’avions pas le choix, il allait falloir grimper et escalader ce versant. Ce ne fut pas facile, à vrai dire, car la pente était vraiment très forte et la végétation était plus dense encore que ce que nous avions traversé jusque là. Il fallut plusieurs fois nous aider de nos couteaux pour sectionner les lianes qui empêchaient notre passage. La chaleur était étouffante dans ce sous-bois et nous ne progressions pas vite. A un moment donné, le marin qui était en tête lança un cri : « Arrêtez ! » A vingt centimètres de son visage, un énorme serpent se balançait. Quelle bête ! Il devait bien faire dix mètres de long ! En t0ut cas on n’en voyait pas la fin et sa queue se perdait dans les hautes branches. Il ne bougeait pas et nous observait d’un œil sournois et fixe, à moitié fermé. Que faire ? Un pas de plus et il allait se précipiter sur l’homme de tête et l’étouffer dans ses anneaux. D’un autre côté, si nous reculions en lui tournant le dos, la situation risquait d’être la même. Nous sommes donc restés immobiles, aussi immobiles que le monstre. Il se fit un grand silence. Seuls, dans les lointains, une bande de perroquets jacassaient, mais, par contraste, leurs cris éloignés ne faisaient qu’accentuer le silence qui régnait ici. On s’observait de part et d’autre. On sentait qu’il allait se passer quelque chose et que le moindre mouvement, même involontaire, allait déclencher une catastrophe.

Dix secondes se passèrent ainsi, puis vingt, trente, quarante. Quand on arriva à une minute, nous avions tous les nerfs à vif et nous allions craquer. C’est alors que l’homme de tête, lentement, très lentement, se saisit du long couteau qui pendait à sa ceinture. Le serpent eut un clignement des yeux, ce qui voulait dire qu’il avait compris le danger et qu’il allait attaquer le premier. Mais ce fut le marin qui prit l’initiative. D’un geste vif et imprévu, il plaqua une main contre la tête du monstre, qu’il maintint de force, et de l’autre il lui enfonça le couteau dans la gorge. La bête se débattit et remua de tous côtés mais le marin continua à enfoncer le couteau, s’en servant comme d’une scie. Il y eut encore un soubresaut plus fort que les autres puis l’animal s’abattit à terre, tandis que dans les hauteurs de l’arbre, des mètres et des mètres d’anneaux gluants continuaient de glisser vers le sol. Quand tout le serpent fut là, il représentait une masse de chair d’environ un mètre cube. Même mort, nous n’osions nous en approcher car son corps continuait d’être agité par de petites contractions. Nous le contournâmes, tout en conservant une prudente distance entre lui et nous, puis nous poursuivîmes notre route.

Il nous fallut encore bien une bonne heure avant d’atteindre le sommet. Cette montagne devait s’élever à plus de huit cents mètres d’altitude, peut-être mille. En partant du niveau de la mer comme nous l’avions fait, le moins que l’on pût dire c’est que ce n’était pas une promenade de tout repos. Mais enfin, avec du courage et de la détermination, nous étions arrivés à nos fins et c’était ce qui comptait. D’autant plus que ce que nous vîmes alors nous coupa le souffle.

Autant le versant que nous venions de gravir était boisé, autant celui qui s’étendait devant nous était découvert et tout pelé. Parsemé d’une végétation timide et basse qui ressemblait à notre maquis méditerranéen, il descendait en pente douce vers la mer. Et là, le long de l’océan, une plaine fertile s’étendait, avec des cultures, un village et même une espèce château dont la silhouette imposante se dressait au bord d’une falaise. Incroyable ! Nous étions donc sauvés ! Nous qui croyions avoir échoué sur une île déserte, voilà que nous retrouvions la civilisation. Un cri de joie s’empara de notre petite équipe et c’est en courant que nous nous précipitâmes vers le village. Pourtant, nous n’étions pas encore au bout de nos surprises. 

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21/04/2011

Une île (2)

Nous redoublâmes d’énergie pour nous dégager et je crois que sans cette peur supplémentaire qui nous avait subitement tenaillé le ventre à l’idée d’être dévorés par un fauve, nous aurions mis des heures à nous extirper de ce marécage. Mais du coup nous y parvînmes, non sans mal il est vrai, mais nous y parvînmes. Nous nous sommes alors retrouvés sur un terrain beaucoup plus sec, que bordait une rivière. Que faire d’autre, si ce n’est la suivre ? Tout en marchant, nous scrutions les fourrés, craignant toujours d’y découvrir les yeux énigmatiques et implacables d’un tigre royal. Mais non. Tout était calme et un grand silence régnait en ces lieux. Peut-être finalement avions-nous rêvé et ces rugissements étaient-ils le fruit de notre imagination ? C’est du moins ce que nous nous disions entre nous pour nous donner du courage, mais chacun, au fond de lui, savait bien qu’il n’en était rien et que la mort était là, quelque part, qui rôdait autour de nous. 

A un certain endroit, la petite rivière que nous longions se jetait dans un lac. Celui-ci occupait tout le fond d’une vallée étroite et s’il n’était large que d’une bonne centaine de mètres, il semblait, dans sa longueur, n’avoir pas de fin. Nous avions beau regarder à gauche ou à droite, il n’y avait que de l’eau. Nous n’avions donc pas le choix. Si nous voulions continuer notre progression, il allait falloir traverser.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés en train de nager, ce qui n’était pas une  mince affaire à cause du fusil que chacun tenait hors de l’eau comme il pouvait. Vous avez déjà nagé d’une seule main ? Essayez et vous verrez : on n’avance pas, on s’épuise rapidement et on dévie complètement sur le côté. Ajoutez à cela le poids de l’arme qu’on porte à bout de bras et vous aurez une idée de l’état dans lequel nous étions tous en arrivant sur l’autre rive. Ces cent mètres de traversée nous parurent interminables. A vrai dire, nous avons bien cru ne jamais y arriver, d’autant plus que l’eau était glacée, ce qui était pour le moins étrange dans un pays aussi chaud. Malgré l’énergie déployée pour avancer, nous sentions nos membres qui s’engourdissaient petit à petit, aussi ce fut un réel soulagement quand nous avons atteint la rive opposée.          

Une halte s’imposait, pour reprendre notre souffle et pour sécher nos vêtements. L’avantage, c’est que nous étions maintenant tout propres et que nous nous étions débarrassés de la boue du marécage. Inconsciemment, nous sentions que nous venions de franchir une étape. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » avait dit un philosophe grec, je ne sais plus très bien lequel. Il avait raison. Nous savions qu’une étape venait d’être franchie, que probablement nous ne reviendrions plus auprès de notre bateau et que celui-ci, complètement échoué, ne reprendrait jamais la mer. Le passé était derrière nous. Il restait à savoir ce qui nous attendait devant. 

Nous en étions  là de nos réflexions quand de la forêt surgit une biche. Quand elle nous vit, elle s’immobilisa aussitôt et nous contempla de ses grands yeux doux. A ma grande surprise, ceux-ci étaient bleus, d’un bleu profond d’océan. Je n’avais jamais vu une biche avec des yeux bleus et cela m’étonna au plus haut point. Cette couleur insolite donnait à son regard un aspect presque humain. C’est alors qu’un de mes compagnons, par instinct, épaula son fusil. Je n’eus même pas le temps de crier que déjà le coup était parti. L’animal chancela et s’écroula aussitôt sur le sol. Catastrophe ! Une biche aux yeux bleus, c’était si rare qu’il fallait la laisser vivre ! Trop tard, évidemment ! je me sentais mal à l’aise. Sans doute parce que ce regard doux et insolite m’avait faisait penser à celui d’une femme… Les autres marins, eux, semblaient moins romantiques que moi et ne manifestaient aucun état d’âme. Déjà, certains entouraient l’animal et commençaient à le dépecer tandis que d’autres préparaient du feu. 

Une heure plus tard, nous étions tous en cercle en train de manger de la viande de gibier, délicate à souhait. Au fond de moi, pourtant, persistait comme un malaise. Même si ce n’était pas moi qui avais tiré, j’avais l’impression d’avoir commis un sacrilège. Cet animal avait en lui quelque chose d’extraordinaire et il méritait de vivre. Il me semblait presque avoir commis un assassinat et cela me contrariait fort. Mes compagnons, au contraire, étaient tout heureux de l’aubaine qui s’était offerte et ils plaisantaient tout en mangeant  avec appétit.              

 

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07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

18/04/2011

Une île (1)

C’est une tempête qui nous a fait perdre notre route et qui a endommagé le bateau. Une tempête incroyable, comme nous n’en avions jamais connu. Des vagues énormes se sont abattues sur le pont, endommageant les mâts et s’engouffrant dans les écoutilles. Elles étaient si violentes, ces vagues, que nous avons tous cru que notre fin était venue et que nous allions périr noyés dans un naufrage. Et puis non, après des  heures de folie, le vent s’est calmé et la mer aussi.

Evidemment, nous avions perdu notre route et pendant des jours nous avons navigué sur des océans bleus, nous guidant, comme nous pouvions, sur la course du soleil. Plus de vingt fois, nous le vîmes, ce soleil, monter vers les zéniths puis redescendre, vaincu et déconfit, pour finalement disparaître inexorablement derrière l’horizon ensanglanté. Plus de vingt fois nous vîmes la lune grossir au firmament de la nuit et offrir son ventre rond et impudique à nos yeux ébahis. Parfois, elle laissait sur la mer comme une traînée magique que nous suivions, incrédules, dans l’espoir de trouver enfin dans son sillage les ports tant espérés.

Mais rien. Nous ne trouvions rien.

Notre bateau tanguait au gré des vagues, longeant des récifs et coupant de sa proue l’éternelle écume, cette bave d’un autre âge des chevaux de la mer. Des monstres étranges nous accompagnaient, dont on n’apercevait que le dos noir, mais dont la présence certaine se révélait à nous par des chants étranges venus des profondeurs.

Enfin, une nuit, nous nous échouâmes sur une plage, quelque part au bout du monde. Prudemment, nous attendîmes l’aube avant de nous aventurer sur cette terre inexplorée. Dans l’obscurité profonde, assis sur le pont du navire, nous entendions les sanglots des oiseaux de la nuit et, parfois, le cri strident d’une bête frappée à mort dans son sommeil. De la grande forêt toute proche, dont nous percevions les parfums épicés, nous parvenaient des feulements étranges ou des courses précipitées. Ce n’étaient que coassements stridents, beuglements sourds ou grognements inquiétants.

Enfin, la lumière parut et nous sautâmes sur le sable blond, laissant là notre navire dont l’étrave était si enlisée que tout départ semblait impossible.

Une fois dans la forêt, nous marchâmes pendant des heures sans rien apercevoir d’autre que des arbres gigantesques, à la circonférence impressionnante et dont le faîte rejoignait les nuages. C’est du moins ce que nous supposions, car nous n’apercevions plus le ciel, tant la végétation était dense, et c’est dans une demi-obscurité que nous progressions, fort péniblement d’ailleurs. Nous suivions une sorte de piste, qui n’était sans doute que le passage obligé des grands fauves dont il nous semblait parfois sentir dans les parages l’odeur trouble et sauvage. Le moindre craquement à proximité nous plongeait aussitôt dans une panique totale et nous n’avancions pas autrement que le fusil en avant, craignant à chaque instant de faire une rencontre indésirable.

Après de nombreuses heures de marche, nous arrivâmes dans une étrange clairière en forme de cuvette où une petite rivière devait prendre sa source. Le terrain était si humide et si gorgé d’eau que nous nous enfonçâmes aussitôt jusqu’aux mollets. Quelle horreur ! Plus nous essayions de nous dégager et plus nous nous enfoncions. Il fallait faire un effort surhumain pour tenter de dégager un pied puis l’autre et c’est avec bien du mal que nous y arrivions, dans un grand bruit de succion. Mais le premier pied était à peine reposé sur le sol qu’il s’enfonçait de nouveau, plus profondément encore. Nous étions tous là à patauger et la panique commençait à s’emparer de nous quand, tout près, nous entendîmes le rugissement d’un tigre...       

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07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

13/04/2011

Anniversaire

Juste un mot pour signaler que ce blogue a maintenant quatre ans. C’est en effet le 04.04.07 qu’est parue la première note. Que dire ? Rien de spécial, si ce n’est que le temps continue à avancer et à grignoter tout ce qui l’entoure. Quatre ans, ce n’est rien et en même temps c’est beaucoup. Si on regarde derrière soi, on se dit quand même qu’on n’a pas fait grand chose durant cette période. Rien de fondamental, je veux dire. On n’a pas changé le monde. On a râlé un peu ici et là sur tout ce qui n’allait pas dans cette société dans laquelle nous vivons. Il y avait d’ailleurs beaucoup à dire. Et puis quoi ? Cela a fait du bien de râler, de voir qu’on n’était pas le seul à penser de la sorte. Mais après ? Alors on s’est tourné vers les livres et la littérature. On a un peu écrit. Quelques poèmes et puis «Obscurité», qui fut une belle expérience. Et puis après ? Après rien. Je n’ai pas remplacé Sarkozy à l’Elysée pour pouvoir peser sur le cours des choses et je n’ai pas écrit une œuvre fondamentale qui justifierait un prix Nobel de littérature. Je ne suis même pas publié. Alors ?

Le monde va toujours aussi mal et même cette belle promesse de la révolution des peuples arabes me semble se transformer petit à petit en simple révolte. Ou en tout cas on fera tout pour en limiter la portée. Le pouvoir fera quelques concessions, apportera quelques arrangements à la Constitution, remplacera deux ou trois hommes (un dictateur pas un président, un président par un dictateur, un corrompu par un autre corrompu) et puis voilà. La vie reprendra son cours et on oubliera les centaines de morts, qui seront donc morts pour rien.

En Europe, nous ne voyons même pas le moindre souffle de changement. Tout le monde reste amorphe et accepte sans broncher la prise de pouvoir du capitalisme économique. Chacun se replie sur soi et tente de conserver son petit confort. Tant qu’on a encore de quoi se nourrir et se loger, c’est déjà bien. Et puis de quoi acheter tous ces gadgets inutiles dont la publicité nous vante les mérites, c’est ce qui compte. Alors les privatisations systématiques, le démantèlement du pouvoir étatique, la remise en question du système de sécurité sociale, la précarisation de l’emploi, l’augmentation de l’âge de la retraite, la pauvreté galopante, la crise économique qui touche tout le monde sauf le grand capital (qui ne s’est jamais aussi bien porté), qu’est-ce qu’on s’en moque, n’est-ce pas ? Pour se rassurer, on se dit qu’il y a toujours plus mal loti que soi.

Que faudrait-il faire ? Comment agir pour arrêter cette machine infernale, cette société de l’argent et de la technique, qui nous écrase chaque jour un peu plus ? L’accident nucléaire au Japon est pourtant un signe d’avertissement… Il semble impossible, en fait, que des individus isolés puissent agir sur le cours des choses. Alors chacun se résigne.

C’est sans doute cela, un blogue. Pouvoir dire ce que l’on pense et donner à voir à d’autres la manière dont on perçoit les choses. Cela permet au moins de montrer qu’on n’est pas dupe et qu’il y a au fond de nous une toute petite étincelle (qui est certainement notre personnalité, ce que nous avons de spécifique et d’unique) qui brille et qui ose s’affirmer. C’est déjà beaucoup. Cela fait du bien. Cela donne l’impression d’exister. Mais cela ne sert encore à rien.

Le problème, en fait, c’est la dichotomie qui existe entre l’individu, ce qu’il est vraiment, et le monde dans lequel il doit vivre et auquel il lui faut bien s’accommoder.

En attendant le temps passe, comme je le disais plus haut, les années défilent et on se dit qu’on n’a qu’une vie et qu’il devient urgent d’en faire quelque chose. Et comme modifier la marche du monde semble une illusion, une perte d’énergie vouée à l’échec (mais peut-on se résigner et accepter ? Non, ce serait une fuite), on se replie un peu sur soi-même, sur ses lectures, ses petits poèmes, ses courtes nouvelles. Et on les publie ici, en se disant que certains passeront et comprendront ce qu’on a voulu dire. On aura ainsi un public, des lecteurs, lesquels, très souvent, tiennent eux-mêmes un site où ils écrivent pour les mêmes raisons : tenter d’exprimer ce qu’ils sont, qui ils sont. Tout cela ressemble un peu à un cri de désespoir dans le grand silence qui nous entoure. Le vide abyssal de Pascal n’est pas loin. Car finalement, qu’est-ce qu’un être humain ? « Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. »

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12:10 Publié dans Blogue, Errance | Lien permanent | Commentaires (4)

09/04/2011

En ce temps-là

En ce temps-là

 

Il y avait, dans le ciel, des étoiles par milliers,

Une lune rousse

Et d’étranges oiseaux de nuit

Qui criaient leur désespoir

De n’avoir vu le jour qu’en rêve.

 

Sur les plages de l’océan,

Au bord du monde,

Déferlaient des vagues infinies,

Des vagues immenses,

Qui puisaient leurs forces dans les profondeurs abyssales,

Là où des monstres inconnus

S’accouplaient sans retenue

Dans les silences sous-marins.

 

La terre naissait à peine

Et partout des volcans répandaient leur colère. 

Ce n’était que pluie de feu, lave coulante et rivières de sang.

Dans les grottes, d’étranges créatures attendaient,

L’œil aux aguets, que se lève enfin le jour.

Les rochers prenaient des formes étranges,

Sculptés par le vent des déserts

Et dans la moiteur des forêts

Se glissait le serpent fondateur,

Rampant sans répit au milieu de ses rêves.

 

Un cyclone parfois frappait les côtes

Et dans la grande nuit déchirée d’éclairs

On apercevait des plaines infinies

Où couraient les premiers hommes.

 

Nus, hirsutes, le corps tatoué d’étranges signes,

Ils emportaient avec eux les os de leurs ancêtres

Les vénérant comme des dieux immortels.

 

Dans l’ombre, on devinait le souffle des bêtes fauves

Tandis que le sol était ébranlé

Par la fuite éperdue des grands herbivores.

 

Cachés dans les replis de la terre,

Des chamans dessinaient sur les parois

Les animaux fantastiques qu’ils avaient cru voir en songe.

Eclairés par des torches, leurs ombres géantes

S’agitaient dans la nuit,

Fantômes incertains aussitôt évanouis.

 

Parfois, tout en haut du ciel, parmi les nuages,

Planait un oiseau de proie, l’œil implacable et menaçant.

Quelque part aux abords de la grande forêt

Une femme criait, écartelée sur un lit de fougères.

Accroupis autour d’elle, les hommes du clan

Observaient la naissance de l’Histoire.

 

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01:03 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie

07/04/2011

De la Libye

Je reviens une dernière fois sur la guerre en Lybie. Ce qui frappe, dans cette affaire, c’est la mauvaise foi et le mensonge généralisé de la coalition. Je continue à dire que le but ultime n’est pas d’empêcher des massacres de civils, mais bien de faire tomber Kadhafi pour mettre en place un régime qui nous serait bien plus favorable. Si on en croit certaines sources, des militaires et des diplomates anglais étaient d’ailleurs présents en Libye avant même que ne soit votée la résolution de l’ONU :

http://www.romandie.com/infos/news2/110306142633.hwfq2tsp.asp

Je ne dirai pas que la révolte populaire a été attisée sciemment, puisque tout le monde arabe est en ébullition, mais une fois que cette révolte a éclaté en Libye, il est clair que certains ont tenté d’en profiter. Que faisaient sur le sol libyen des soldats britanniques en armes ? Qu’y faisaient des diplomates ? Assurément, il s’agissait de convaincre les insurgés d’accepter l’aide occidentale. Ceux-ci, craignant à juste titre qu’on ne détournât leur combat de son but initial, auraient tout d’abord refusé toute ingérence étrangère (d’où cette arrestation) avant finalement de l’accepter. Mais qui a accepté ? Les dirigeants, ceux qui se sont mis à la tête des révoltés, autrement dit d’anciens fidèles de Kadhafi qui ont retourné leur veste. Des gens pas trop fréquentables donc, puisque l’un serait l’ancien ministre de l’intérieur qui avait donné l’ordre de torturer les infirmières bulgares et l’autre serait un des juges qui les avaient condamnées à mort. Bref, des opportunistes prêts à tout pour conserver leur petit pouvoir. Après avoir soutenu Kadhafi, ils vendent maintenant leur pays à des étrangers tout en parlant subitement de démocratie. Etrange. Mais ils savent que c’est grâce à ces étrangers qu’ils occuperont de hautes fonctions dans la Libye de demain. Ils ne peuvent donc qu’approuver l’intervention de l’Angleterre et de la France.

Tous les jours on voit d’ailleurs d’anciens fidèles du colonel faire sécession. De là à penser que des agents secrets occidentaux les manœuvrent en leur promettant l’amnistie, il n’y a qu’un pas…

En résumé, nous avons donc une révolte populaire spontanée (du moins espérons-le) qui est dirigée par d’anciens fidèles de Kadhafi et qui est noyautée par l’Occident. Il est d’ailleurs curieux que le peuple accepte ainsi sans broncher de recevoir des ordres de ceux qu’ils combattaient la veille encore. Imaginerait-on des proches du Maréchal Pétain se mettre à la tête de la Résistance en 1944 ?

Ce qui est tout aussi curieux, ce sont les armes dont disposent ces insurgés. Ils ne sont pas armés de bâtons mais de mitrailleuses. On a même vu qu’ils disposaient d’avions puisque l’un d’entre eux s’est écrasé l’autre jour. Curieux civils donc. Certes, on sait que des militaires libyens ont fait défection, mais il ne fait pas de doute que des armes sont acheminées en secret. BHL ne s’en cachait pas l’autre soir au journal d’Antenne 2 : l’armée égyptienne, celle qui a instauré la démocratie au pays des Pharaons, fournit des armes aux insurgés. On sait aussi que les Anglais et l’ami Sarkozy suggéraient d’armer les rebelles, afin d’éviter que la coalition ne doive envoyer des troupes au sol. Car il y a tout de même un petit problème. L’Occident, après avoir obtenu l’accord des pays arabes (comprenez : l’accord des dirigeants arabes pro-occidentaux, pas forcément la rue arabe. Ceci dit, la rue arabe est occupée à se battre partout contre ses dirigeants, alors elle ne va pas s’opposer à ceux qui gentiment viendraient donner un coup de main pour expulser le dictateur libyen) et après avoir obtenu le feu vert de l’ONU, l’Occident, dis-je, espérait un peu que Kadhafi allait quitter le pouvoir après les premières frappes aériennes. Mais voilà que celui-ci s’accroche à son trône et ne veut pas partir (du moins c’est ce qu’il dit). Or nos frappes aériennes (bien ciblées et qui ne font jamais de dégâts collatéraux) montrent leurs limites. Elles conviennent peut-être pour séparer les belligérants (ce qui était tout de même le sens de la résolution de l’ONU, ne l’oublions pas) ou du moins pour réduire les capacités aériennes de Kadhafi, mais elles se montrent inefficaces pour renverser le colonel. Ou alors il faudrait tout détruire. Mais comment justifier la mort de milliers de citoyens, ceux-là mêmes qu’on venait précisément libérer ?

La solution, c’est donc d’armer les rebelles, en espérant qu’ils seront assez malins pour parvenir où nous voulons qu’ils parviennent, à savoir instaurer la démocratie (et la libre circulation des biens et des richesses). Mais certains pays de la coalition s’y opposent. La Belgique, par exemple (qui n’a toujours pas de gouvernement, mais qui est partie en guerre sans sourciller, on se demande d’ailleurs sur quelle base légale) a refusé de fournir des armes aux révoltés en faisant remarquer, à juste titre, qu’en prenant ouvertement parti pour un des belligérants, on sortait du cadre de la résolution de l’ONU. Après la défection allemande, voilà l’Europe bien divisée. Et les Etats-Unis qui comptaient sur nous pour mener à bien cette opération le plus rapidement possible (et qui parlent d’ailleurs de se retirer et de ne fournir que des renseignements via leurs satellites) ! La belle croisade de Sarkozy semble manquer de souffle. 

En attendant, si l’issue des combats est incertaine, on peut toujours faire la guerre avec les mots. C’est ainsi qu’on n’insistera pas trop sur le F15 américain qui s’est écrasé (car défaillance technique ou riposte de Kadhafi, dans les deux cas ce n’est pas trop glorieux) ni sur les insurgés que notre aviation a malencontreusement mitraillés. On ne parlera pas non plus du coût des missiles que l’on a tirés (et qui seront payés par le contribuable) ni de la présence d’uranium appauvri dans ces mêmes missiles (ce qui risque tout de même d’affecter durablement la santé des populations civiles qu’on vient soi-disant délivrer). On préférera mettre en avant les termes, bien plus commodes, « d’opération humanitaire ». Il n’empêche que dans cette affaire et sans aucune sympathie de ma part envers Kadhafi, on pourrait quand même se demander qui sont les agresseurs et les agressés. 

En réalité nous sommes ici en présence d’une guerre civile, ni plus ni moins. Et dans cette guerre civile, nous avons privilégié un camp. Officiellement, le meilleur, celui de la démocratie. En pratique, on s’immisce dans un pays étranger en soutenant une partie de la population contre une autre (car Kadhafi n’est pas un homme seul, il a ses partisans et ils semblent nombreux) et en mettant sans vergogne à la tête de l’insurrection des anciens cadres du régime que l’on combat. Le but n’est donc pas de parvenir à une démocratie exemplaire, mais de remporter une bataille sur le terrain puis d’imposer à la tête du pays « libéré » un gouvernement fantoche qui sera à nos ordres. Si par malheur on ne parvient pas à déloger Kadhafi, on coupera le pays en deux : la Cyrénaïque avec ses puits de pétrole sera libre (et notre armée sera bien présente pour protéger cette liberté) et la Tripolitaine sera abandonnée au vieux colonel. Si ce n’est pas du colonialisme déguisé, tout cela, je ne sais pas ce que c’est.

 

Oui, mais vous me direz que j’exagère et qu’un authentique vent de liberté souffle sur les pays arabes. C’est vrai. Mais en attendant, les réformes tardent à se mettre en place en Tunisie, au point que quelques citoyens clairvoyants se demandent déjà si on n’est pas en train de récupérer leur révolution. En Egypte, l’armée est au pouvoir et on attend la suite. Quelque chose me dit que si la colère populaire s’exprime à nouveau, on la fera vite taire. Pourquoi en effet continuer à manifester puisque la démocratie est officiellement rétablie ? Manifester, ce serait en quelque sorte faire œuvre de terrorisme et le nouveau régime trouvera bien le moyen de se défendre. Au Yémen, la situation est encore confuse et personne ne sait dire comment les choses vont se terminer. Cette incertitude n’est pas sans inquiéter Washington, soyez-en certains. Pour le reste, notre presse dite libre nous parle bien peu de ce qui pourrait se passer en Arabie (il faut donc croire que la démocratie y règne puisqu’il n’y a pas de révolte) et encore moins de ce qui se passe réellement à Bahreïn (pour rappel, c’est l’armée saoudienne qui est allée réprimer les manifestations). Par contre on écrit beaucoup d’articles sur la Syrie. Tiens donc, encore un pays qu’on n’aime pas trop et où on verrait avec satisfaction un changement de régime (vous pensez, aux portes d’Israël…). Mais bon, en attendant, Bachar el-Assad s’accroche et ne parle pas vraiment de réformes démocratiques. Finalement, quel que soit le pays arabe que l’on regarde et que des révolutions y aient eu lieu ou pas, je ne vois pas encore de changements fondamentaux. Oui, deux dirigeants qui s’étaient honteusement enrichis ont été priés de partir (et nous sommes occupés à en chasser un troisième), mais en dehors de cela ? Peut-on vraiment parler de démocratie et de libertés ? C’est ce à quoi les peuples arabes aspirent et ils en ont montré la voie. Mais y parviendront-ils ? C’est ce que je leur souhaite, mais j’ai bien peur que demain la victoire ne leur échappe au profit de quelques nouveaux parvenus qui vont à leur tour s’enrichir sur leur dos. Avec la bénédiction de l’Occident évidemment. Pourquoi la libre circulation des biens se limiterait-elle à l’Europe ?

 

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Image TF1

04/04/2011

Petit retour en arrière.

Je ne peux résister à l’envie de republier ici deux anciens textes, écrits en 2007, qui traitaient de la visite de Kadhafi à Paris. On se souvient que le colonel avait été reçu en grande pompe par l’Élysée…  

 

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2007/12/10/de-la-libye.html

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2007/12/17/feuilleton-presidentiel.html

 

 

 

01/04/2011

Changements...

En ce premier avril, on apprend que les Américains se retirent d’Irak et d’Afghanistan. Suite à cette bonne nouvelle, Kadhafi a quitté le pouvoir, conscient que sa lutte ancestrale contre l’impérialisme est désormais dépassée. En Iran a lieu un referendum populaire sur l’instauration prochaine d’un état laïque. Israël est occupé à démanteler ses colonies de Cisjordanie tandis que la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte est enfin ouverte. Les Egyptiens, revenus à la démocratie, accueillent à bras ouverts leurs frères Palestiniens.

A Bruxelles, l’Union européenne vient de créer une Commission pour l’Instauration  de l’Europe sociale (CIES), laquelle compte bien mettre un frein aux privatisations anarchiques de ces dernières années. Un fond spécial européen devrait être créé pour assurer le paiement des retraites dans toute l’Union. Il sera alimenté en partie par les économies réalisées sur les budgets militaires et en partie par une taxe sur les transactions financières. En France, Nicolas Sarkozy a remis le pouvoir à un comité de sages et a décidé de passer son temps libre à apprendre l’italien.

 

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