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26/05/2011

Une île (10)

J’ai souri à ses propos. « Il faut parfois prendre des risques et forcer le destin, non ? La nuit est la nuit et elle ne sera romantique que si j’ai envie de la voir comme telle. » « Soit. Et bien entrons dans le château, vous me direz comment vous le trouvez. Personnellement il me semble surtout lugubre. Il est vrai que j’y vis seule, avec juste une ou deux femmes qui viennent parfois me donner un coup de main pour faire le ménage. Cela m’aide à passer les journées, qui sont bien longues, et à vrai dire je considère ces deux aides comme des amies plutôt que comme des servantes. Mais le soir elles retournent toujours dans leur foyer. Surtout aujourd’hui, avec la venue de vos amis ! Vous pensez qu’elles n’allaient pas rater cela ! » « Nous sommes donc seuls, si je comprends bien ? » «Cela vous dérangerait-il ? » « Je n’ai pas dit cela…» 

Mon hôtesse alluma deux chandeliers et nous entrâmes dans un salon superbe, qui ressemblait à s’y méprendre à l’intérieur d’un navire. En effet, non seulement les murs comme le plafond étaient recouverts de lattes de bois, mais en plus on avait volontairement donné à l’ensemble une forme courbe ou du moins ogivale. C’était superbe. On sentait qu’on était ici en présence d’un vrai peuple de marins. D’abord c’était en bateau qu’ils étaient venus sur cette île, puis ensuite, pendant des siècles, ils n’avaient côtoyé que des matelots, et finalement c’est sur un navire construit de leurs mains qu’ils étaient partis pour ne plus revenir. Ces gens avaient la mer dans le sang, cela se voyait.

Je n’en finissais pas d’admirer ce salon. De beaux meubles en chêne brut lui donnaient un cachet certain et une grande bibliothèque dominait l’ensemble. J’approchai mon chandelier pour tenter de lire quelques titres. C’étaient de beaux livres anciens, reliés en cuir et dont la plupart étaient écrits en langue espagnole. Je reconnus au passage le Lazarillo de Tormes, puis les œuvres de Lope de Vega, de Calderon de la Barca, de Guillen de Castro, de Gongora et bien évidemment de Cervantes. Il n’y avait pas que le Don Quichotte, mais aussi Les Nouvelles exemplaires, Persilès et Sigismonde et le fameux roman pastoral Galatée. Bref, à chaque fois, il y avait plusieurs volumes pour un même écrivain et on devinait que les propriétaires de ces lieux ne voulaient posséder que des œuvres complètes. Sans doute fallait-il voir là une volonté de ne pas se couper du monde. Eloignés de l’Amérique comme de l’Europe, perdus sur leur ile au milieu de la mer, ils avaient sans doute voulu suppléer, par la culture, à leur éloignement. Il y avait quelque chose d’existentiel dans leur démarche, je le sentais très fort. Comme si le fait de rassembler tous ces volumes était une manière de se définir comme humains au milieu de cette nature sauvage et hostile. Lire et posséder les plus grands chefs d’œuvre de l’humanité, c’était pour eux une manière de dire qu’ils étaient bien vivants et qu’ils étaient autre chose que de simples animaux rejetés par le destin sur une plage.

Ceci dit, que sommes-nous d’autre, finalement ? Nous débarquons dans la vie sans l’avoir demandé. Nous nous trouvons dans un endroit que nous n’avons pas choisi. Nous tentons de nous y habituer et d’y vivre le mieux possible. Pour ce faire, nous luttons contre les éléments, contre les autres hommes, puis contre la maladie et la mort. Le travail occupe une bonne partie de notre existence, mais seul l’art nous permet de nous élever un peu et de réfléchir à notre condition. Qu’on lise, qu’on écrive, qu’on peigne des tableaux ou qu’on compose de la musique, il s’agit chaque fois de dénoncer notre condition et d’imaginer des mondes meilleurs. Depuis les grottes préhistoriques, l’homme n’avait pas fait autre chose, finalement.

J’en étais là de mes réflexions, un doigt frôlant la tranche de tous ces livres qui s’offraient à moi, quand je sentis le regard de mon hôtesse posé sur moi. Elle m’observait attentivement. Il faisait assez sombre dans cette pièce et je ne distinguais pas bien ses traits, mais comme la lueur des flambeaux se réfléchissait dans ses yeux, je crus y voir briller mille étincelles. Sans doute n’était-ce que le reflet des flammes, mais peut-être aussi était-ce la manifestation d’un feu intérieur. Je me mis donc moi aussi à l’observer attentivement. Cet échange de regard ne dura que quelques secondes, mais cela me sembla une éternité. Pendant ce temps infini, je compris subitement qu’il n’y avait pas que les livres pour parvenir à dire la vie et que la présence à mes côtés d’une personne de l’autre sexe était beaucoup plus importante que ce ramassis de papier. Je n’en finissais pas de la regarder et je réalisai soudain qu’elle comptait déjà pour moi. Beaucoup plus que je ne l’aurais cru en tout cas. Moi le marin, qui n’avait fait que parcourir le monde à la recherche de je ne sais quelle vérité qui m’avait toujours échappé, voilà qu’en échouant sur cette île je découvrais subitement un trésor insoupçonné. Et ce trésor n’était pas fait de pièces d’or ou de richesses futiles, il était tout simplement concentré dans ce regard interrogateur qui me fixait.

« Vous avez là de bien beaux livres » murmurai-je, histoire surtout de prendre une contenance et d’avoir quelque chose à dire. La princesse sembla sortir de sa torpeur et m’expliqua que ses ancêtres avaient dépensé une fortune pour acquérir tous ces volumes. Mais ils étaient loin d’avoir tout lu et malheureusement la bibliothèque ne servait souvent qu’à impressionner les visiteurs de passage ou les habitants du coin. « C’est une manière comme une autre de diriger, mais ce n’est pas la mienne. Je suis pour la vérité toute nue, je n’aime pas dissimuler.» Je souris, en pensant à la scène du bain que nous avions surprise dans l’après-midi. Il faut croire qu’elle parvint à lire dans mes pensées car elle proposa, avant de me montrer ma chambre, de m’indiquer l’emplacement de la salle de bain. « Je suppose que vous serez heureux de pouvoir vous rafraîchir avant de dormir ? » Après toutes mes aventures de la journée, ce n’était pas de refus et c’est avec joie que j’accueillis sa proposition. 

 

littérature

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20/05/2011

Une île (9)

Il était plus de deux heures du matin quand la soirée toucha à sa fin. Se posa alors la question du logement. Où allions-nous dormir ? Il y eut comme un flottement dans l’assemblée, suivi d’un grand silence. Il était difficile de ne pas voir les regards que se lançaient nos convives. A vrai dire, nous ne savions pas trop quoi en penser. Etions-nous subitement de trop ? Allait-on nous demander poliment de regagner la forêt et de nous confectionner un lit de fougères ? Après tout, nous ne connaissions rien aux habitudes de ces dames et nous ne savions pas du tout comment elles avaient organisé leur vie affective. Mais subitement l’une d’entre elle se souvint qu’il y avait un logement libre : une vieille grange désaffectée qu’il suffirait de meubler sommairement et qui ferait très bien l’affaire. Tout le monde sembla soulagé. Nous les premiers, qui n’avions pas trop envie d’affronter des tigres au milieu de la nuit (au point que nous nous demandions déjà si toute cette histoire de marins disparus à jamais en mer avec leur bateau n’était pas une simple invention et si en fait nos belles Amazones ne se débarrassaient pas discrètement de la population mâle en la livrant aux fauves nocturnes). Mais elles aussi semblaient soulagées, ce qui, ma foi, nous rassura et même nous flatta : c’était la preuve qu’elles tenaient à nous, ce qui était assurément une bonne chose. Mais pourquoi alors ces regards étranges qu’elles continuaient à se lancer l’une l’autre par en-dessous ? On sentit subitement comme une sorte de tension et même d’agressivité entre elles, ce qui était en totale contradiction avec l’atmosphère chaleureuse du dîner. C’était à n’y rien comprendre et d’ailleurs nous n’y comprenions rien. Nous en étions à nous demander si finalement nous n’aurions pas été plus en sécurité au milieu de la forêt plutôt que parmi ces tigresses qui s’observaient en silence.

C’est alors que l’une d’entre elles proposa de nous conduire à notre logement. Toutes suivirent aussitôt, ce qui mit fin au malaise général. Nous nous dirigions déjà vers la fameuse grange, au milieu des rires et de la bonne humeur retrouvée, quand la voix de la princesse se fit entendre derrière nous. « Puisque manifestement vous êtes le capitaine », dit-elle en s’adressant à moi, « cela vous plairait-il de venir loger au château ? » Je me retournai et la regardai avec surprise. Elle sourit. « Allons, je sais qu’un capitaine ne quitte jamais son navire et qu’il n’abandonne jamais son équipage. Mais bon, vous n’êtes pas en mer, ici, vous êtes sur terre et les règles sont un peu différentes. Déjà que vous n’avez plus de bateau... Quant à vos amis, ils se passeront bien de votre protection pendant une nuit, non ? Ce sont de grands garçons. Et puis je crois qu’ils sont en de bonnes mains, vous ne trouvez pas ? » Des rires et des gloussements se firent entendre parmi les femmes. « C’est très gentil à vous, mais je ne sais pas si je peux… » « Et pourquoi ne pourriez-vous pas ? Vous avez peur d’abuser de mon hospitalité ? Vous ne me dérangez pas. Mais pas du tout alors. C’est même plutôt le contraire et je serais fâchée si vous n’acceptiez pas mon invitation.» Sur ces paroles, elle me fixa droit dans les yeux, avec une certaine insistance. J’en frémis. « On ne désobéit pas à une princesse », m’entendis-je répondre. « Alors venez », dit-elle avec un sourire énigmatique.

Mes compagnons continuèrent leur route, tout en plaisantant avec les femmes. Moi, je suivis mon hôtesse dans un petit chemin étroit et escarpé qui devait mener au château. Nous nous taisions. Il faut dire que le fait qu’elle marchait devant ne facilitait pas la conversation. Il faisait assez sombre et la lune n’était pas encore levée. La situation me semblait insolite. J’étais là, au milieu de la nuit, et je me laissais guider par cette inconnue dont j’ignorais jusqu’à l’existence il y a quelques heures à peine. Je ne pensais à rien et surtout pas à ce qui m’attendait là-haut. En fait, je crois que sans le vouloir mon regard se portait sur le balancement de ses hanches. Du coup, j’étais un peu troublé par la proximité de ce corps de femme au milieu des ténèbres. Ce corps me semblait à la fois si proche physiquement (j’aurais pu le toucher) et si lointain moralement (rien que l’effleurer eût été un sacrilège).

J’en étais là de mes réflexions quand nous arrivâmes enfin à destination. Le sentier débouchait sur une espèce d’esplanade au bout de laquelle se dressait le château. « Il a été construit il y a plus de cent ans, lorsqu’il y avait encore beaucoup d’hommes sur l’île» dit ma compagne. « D’ici, la vue est superbe car on voit à la fois la mer et les montagnes. Bon, le moment est mal choisi, on ne distingue quasi rien puisque nous sommes au cœur de la nuit. Mais la nuit aussi a ses charmes, non ? » « Des charmes différents » dis-je. Elle me regarda attentivement. Un peu intimidé, je crus bon de rectifier : « Oui, la nuit a en soi quelque chose de mystérieux et de romantique. Qu’on soit dans l’obscurité la plus profonde ou sous un magnifique clair de lune, on vit dans une réalité différente de celle de la journée. Une sorte de monde parallèle, si vous voulez, un univers étrange où on ne sait jamais ce qui peut arriver. En bien comme en mal, d’ailleurs. » « C’est vrai » dit-elle. « La nuit évoque souvent pour moi la mort, peut-être parce que c’est en fin de soirée, après un bon repas, que mon père a été assassiné. J’étais présente et j’ai tout vu. Je n’avais que dix ans, mais je n’ai rien oublié et cela m’a marquée à vie. » « Je comprends… Mais vous me faites peur » dis-je en souriant. « Nous venons nous aussi de faire un bon repas et il fait bien noir, maintenant… » « Vous craignez de vous faire tuer dans mon château ? Qui sait, je pense peut-être à me venger de la folie des hommes. Si cela se trouve je vous ai tendu un piège… Vos amis sont bien loin, maintenant…» Nous nous regardâmes longuement. « Un piège ? Je ne crois pas non. La nuit n’est pas toujours sombre et maléfique. Elle peut aussi être romantique, non ? » « Puisque vous le dites. Mais peut-être confondez-vous vos souhaits avec la réalité… »   

 

littérature

 

 

Outre ses plages, j'imagine cette île avec des falaises semblables à celles d'Etretat (crédit photo, Hardware.fr). 

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16/05/2011

Une île (8)

Nous nous sommes tous retournés et nous avons alors reconnu la jeune femme de tout à l’heure, celle qui nous avait regardés après être sortie de son bain dans la rivière et dont la prestance nous avait tant impressionnés. « Non, on ne les a jamais revus » reprit-elle et il y avait dans ses paroles à la fois de la tristesse et de la résignation, mais aussi comme la conscience aigüe d’avoir vécu un destin particulier. Elle me fixa dans les yeux, toujours avec ce sérieux qui semblait la caractériser. Elle me fixa et je sentis que quelque chose se passait, un « je ne sais quoi » qui me fit deviner que nos destins respectifs étaient en train de se jouer. Cela dura combien de temps ? Cinq secondes ? Six peut-être ? Mais déjà, j’avais compris tant de choses. D’abord que je ne m’étais pas trompé tout à l’heure et qu’elle était bien une personne fière, imposant le respect. Ensuite, que derrière cette histoire de la disparition des hommes se cachait un drame : celui de la solitude existentielle d’un être qui était condamné à trouver sa vérité seule sans jamais y parvenir, puisque toujours manquerait cette moitié inaccessible que représentait l’autre sexe.

"J’avais dix ans quand ils sont partis », poursuivit-elle « et depuis vingt longues années se sont écoulées. Ils ne reviendront plus, maintenant, c’est sûr. Leur bateau aura fait naufrage ou tout simplement ils ont décidé de nous abandonner à notre sort. Ceci dit, c’est peut-être mieux ainsi, du moins pour moi. Qu’est-ce que j’aurais fait s’ils étaient revenus ? Comment aurais-je accueilli les assassins de mon père ? Car je suis la fille du roi que l’on a assassiné. »

Alors, je l’ai regardée, saisissant d’un coup tout le drame cornélien qui se cachait là-derrière. Tandis que les autres femmes espéraient toujours le retour improbable d’un père ou d’un mari, elle, seule et à l’écart, s’enfermait dans sa douleur et ruminait sa vengeance. Du coup, déjà isolée sur cette île comme toutes ses compagnes, elle se singularisait en plus de ses amies d’infortune par son destin propre. Entre elle et les autres, il y avait ce meurtre qui faisait que si elle avait attendu comme tout le monde le retour des hommes, c’était pour de tout autres motifs. Partagée entre le désir de représailles et la peur d’être à son tour assassinée, elle ne savait plus trop, finalement, ce qu’elle désirait vraiment. Le fait qu’elle était de sang princier avait dû encore accentuer la distance qui la séparait des autres.

C’est tout cela que je perçus dans son regard. Cela et autre chose encore. Il y avait eu dans ses yeux un éclat un peu trop brillant, une sorte d’insistance qui m’avait troublé et qui m’avait fait souvenir que cette jeune femme, comme toutes celles de l’île, d’ailleurs, n’avait plus vu d’hommes depuis vingt ans. Les belles Amazones s’étaient bien débrouillées entre elles pour l’organisation de la vie quotidienne, comme nous avions pu en juger par les champs cultivés et bien entretenus que nous avions  aperçus, mais, en faisant soudain irruption dans leur monde exclusivement féminin, j’avais le sentiment que nous venions de rompre un équilibre précaire.

Je n’eus pas le temps d’approfondir mes pensées car déjà on nous conviait à un dîner, pour fêter le fait que nous avions échappé à un naufrage et pour célébrer dignement cette rencontre inespérée entre personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. L’ambiance était à la fête. Le repas fut somptueux et nos hôtesses adorables. On parla beaucoup, on rit plus encore. Elles nous servaient à tour de rôle et sans discontinuer un petit vin rosé issu de leur vigne qui, ma foi, se laissait boire avec plaisir. Il avait aussi la particularité de délier les langues car mes compagnons n’en finissaient plus de raconter des histoires de marins, dont je me demandais bien s’ils les avaient vraiment vécues, s’ils les tiraient d’un roman, ou s’ils les inventaient pour les besoins de la cause, à savoir entrer dans les bonnes grâces de ces dames. Mais ils se donnaient de la peine pour rien, car sur ce dernier point il n’y avait aucun doute à avoir. Notre seule présence semblait avoir suffi à les bouleverser et la gaieté dont elles faisaient preuve montrait à suffisance qu’elles étaient heureuses de nous accueillir. Bref, ce fut une bonne soirée, qui se prolongea tard dans la nuit.

Parfois, quand je regardais dans la direction de ma princesse (c’est ainsi que je l’appelais intérieurement) je surprenais son regard qui me fixait. Elle semblait calme et heureuse elle aussi, mais elle conservait au fond d’elle cette gravité qui semblait la caractériser. Et puis, derrière sa bonne humeur, demeurait toujours comme une sorte de tristesse sous-jacente, qui elle aussi devait faire partie de sa personnalité. J’avoue que cette sorte de vague à l’âme m’attirait au plus haut point. J’aurais voulu l’aider, lui apporter quelque chose, je ne savais pas trop quoi, d’ailleurs, mais faire en sorte que son sourire fût spontané et n’exprimât point cette sorte de peine qui n’osait pas se montrer. Puis j’étais repris par la fête et l’ambiance générale. Je racontais moi aussi des histoires, je ne sais plus trop lesquelles d’ailleurs. Mais quand j’arrivais à la fin et que toute l’assemblée éclatait de rire, je me tournais vers elle et c’était une nouvelle fois pour surprendre ce regard rieur certes, mais aussi insistant et grave. On aurait dit qu’elle n’écoutait pas vraiment mes propos et que c’était moi en fait qu’elle observait. Elle se situait au-delà de mes mots et à la limite j’aurais pu dire n’importe quoi que cela n’aurait eu aucune importance. Ce n’était pas mon histoire qu’elle analysait, mais ce que j’étais moi. J’avoue qu’autant d’attention de sa part me troublait encore plus et je me demandais comment faire pour parvenir à me rapprocher d’elle car les places que nous occupions à table étaient assez éloignées.

 

repas-de-noel.jpg

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11/05/2011

Attention, piratage de la messagerie

Mon adresse de messagerie (marcheromane@gmail.com) a été piratée.

Une partie de mes messages a été effacée (et j’ai effacé le reste). Pas trop grave.

Tous mes contacts ont disparu (plus embêtant)

Ensuite, ce « pirate » a envoyé un message, sous ma signature (mon prénom), à toutes les personnes qui figuraient dans mes contacts.

Je le sais car ce message, je l’ai reçu dans ma boîte professionnelle (qui était un des cinquante contacts).

Ce message, le voici :

 

Comment vas tu ? Où es tu actuellement ? Aurais tu du temps à consacrer à une situation particulière me concernant discrètement et par mail ?

Je suis dans des difficultés telles que je ne saurai que faire sans ton soutien et apport.

Je reste dans l'attente urgente de te lire.

 

Je sais que certains ont répondu. Or moi, dans ma messagerie, je n’ai reçu aucune réponse. Preuve que c’est le « pirate » qui reçoit tout.

Bref, je supprime l’adresse marcheromane@gmail.com. Elle n’existe plus.

22:50 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (20)

Une île (7)

Les années passèrent et même les décennies. Le climat était agréable et la vie finalement facile. Les tempêtes, elles, étaient rares, mais terribles, comme on l’a vu, ce qui provoqua l’arrivée d’autres naufragés, dont les navires s’étaient à leur tour échoués le long des grandes plages de sable blanc. Insensiblement, la population se mit à croître. De cinquante personnes, on passa à soixante-dix, puis à cent. Chez les plus jeunes, et même à vrai dire chez les moins jeunes, l’amour fit le reste. Des couples se formèrent et à défaut de prêtres (les voies de Dieu étant impénétrables, comme dit le proverbe, aucun ne survécut jamais à ces catastrophes maritimes) on vécut en union libre. Des enfants naquirent, puis les enfants de ces enfants. D’autres navires, plus chanceux, vinrent mouiller dans le petit port qu’on avait construit, ce qui leur évita de sombrer dans l’océan en furie. Des échanges se firent. On se mit à vendre des fruits et des légumes frais à ces marins qui venaient tout droit d’Espagne et que le scorbut menaçait. En échange, ils offrirent des vêtements, des ustensiles de cuisine, quelques bijoux…

Les jeunes filles ne restaient pas insensibles devant la virilité de ces loups de mer au regard énigmatique, perdu dans les lointains. Beaucoup se retrouvèrent enceintes et sans compagnon, car une fois les cales de leurs bateaux remplies de provisions, les marins en question repartaient aussitôt vers la fascinante Amérique. Ce n’était pas bien grave et très vite la collectivité s’organisa en conséquence pour aider les pauvres filles éplorées à élever leurs enfants. Pour les consoler, il se trouva même sur l’île des hommes mariés tout disposés à leur procurer un peu de tendresse. Cela déboucha sur d’autres naissances et sur quelques scandales, mais bon, c’est la vie.

La réputation du lieu s’accrut auprès des matelots et bientôt l’île devint un passage obligé pour les grands voiliers en partance pour la Jamaïque ou la lointaine Colombie. Le petit port s’était transformé en un lieu d’échange, une sorte de plaque tournante internationale, et maintenant, à côté des galions espagnols ou portugais, il n’était pas rare de trouver des navires anglais ou français. Tout cela faisait pas mal de monde et la population locale s’enrichit considérablement de ce commerce, population qui, dit-on, atteignit les trois mille âmes au milieu du XVII° siècle.

littérature

Puis, la roue de la fortune, comme toujours, finit par tourner. Les guerres entre les grandes puissances maritimes rendirent la zone peu sûre. Bientôt on ne vit plus que des bateaux espagnols et encore, ceux-ci hésitaient à venir jeter l’ancre dans le petit port, de peur de se retrouver encerclés par une flotte ennemie, surgie de nulle part pour les anéantir. Alors les Espagnols eux-mêmes se montrèrent rares, d’autant plus qu’avec le temps la taille des navires s’était considérablement accrue. En plus des douze rangées de canons qu’ils arboraient fièrement, ils pouvaient maintenant transporter des quantités plus importantes de vivres, ce qui rendait superflu le détour par la petite île.

On se retrouva entre soi, bien seuls, avec le sentiment d’être abandonnés par la terre entière. Les plus jeunes commencèrent à partir, afin d’aller tenter leur chance ailleurs. En cinquante ans, la population décrut considérablement. De trois mille âmes, on passa à deux mille, puis à mille. C’est alors qu’un des rares bateaux qui avait accosté apporta une maladie terrible, qui était peut-être la peste. Il mourut beaucoup de monde et pas seulement chez les vieux. Après l’épidémie, il ne restait plus que cinq cents personnes, toutes fort affaiblies.

Les années passèrent encore, mais maintenant le nombre de naissances ne compensait plus le nombre de décès et on se retrouva à deux cents, puis à cent insulaires. Ce n’était plus possible. Les hommes avaient beau s’acharner au travail, labourant, plantant, sarclant, il n’y avait plus assez de bras pour entretenir tous les champs. La forêt tropicale reprit rapidement ses droits et on survécut comme on put en pêchant, autrement dit en cherchant dans la mer une ultime ressource. A l’horizon, plus aucune voile n’apparaissait jamais, ce qui fit qu’on se retrouva complètement isolés et qu’on vécut en autarcie. Loin de faciliter les rapports de bons voisinages, cette situation créa des conflits entre les habitants. C’est qu’il fallait se partager le peu de richesse qu’il restait et surtout il fallait se partager les femmes. Il faut dire que les jeunes filles à marier se faisaient plutôt rares et qu’elles étaient fort convoitées. Il s’ensuivit des rixes sanglantes, parfois mortelles, entre les prétendants, ce qui indirectement rétablit l’équilibre numérique entre les sexes, mais  contribua également à faire baisser une nouvelle fois le nombre des survivants. Car on pouvait bien appeler comme cela les pauvres hères qui vivotaient sur l’île.

La famille princière, qui s’était déclarée noble deux siècles plus tôt et qui avait toujours tout dirigé avec souplesse et intelligence, avait maintenant bien du mal à se faire écouter. Ses ordres étaient contestés, ses décisions fort peu respectées. Petit à petit l’anarchie s’installa, ce qui n’améliora pas le combat pour la survie. Les hommes surtout, se montraient de plus en plus agressifs, et les meurtres devenaient monnaie courante. Si on continuait de la sorte, il était clair qu’il n’allait plus rester un seul être humain sur l’île. Alors, un jour, le prince prit une décision de la plus haute importance, une décision que curieusement il parvint pour une fois à imposer. C’était il y a vingt ans  de cela, environ. Il expliqua que la population mâle allait s’exterminer d’elle-même dans des rixes sanglantes complètement ridicules, des rixes que lui, le chef, ne parviendrait ni à empêcher ni à réprimer. Alors il demanda à tous les hommes de construire un grand navire et d’aller tenter leur chance ailleurs, derrière cet horizon qui devait bien cacher quelque part des terres habitées. L’idée était d’aller faire fortune dans ces contrées lointaines, puis de revenir chercher les femmes une fois qu’on se serait bien établi là-bas.

Pendant six longs mois les hommes cessèrent donc de se quereller et de se battre. Dès que le soleil paraissait à l’horizon, ils se levaient et allaient travailler à la construction du fameux bateau. Il fallut abattre des arbres, scier des troncs, en faire des planches, puis plier celles-ci à la chaleur du feu afin qu’elles épousent les formes rondes du navire. Ils riaient désormais entre eux, disant que le seul souvenir qu’ils conserveraient des femmes, ce serait précisément la rondeur de la carène de cette espèce d’arche étrange. Alors, par ironie ils la baptisèrent Noé.

Quand tout fut terminé, ils décidèrent encore de dresser à la proue une grande statue représentant une sirène. Pour cela, il leur fallut encore bien un mois. Le résultat, cependant, était époustouflant. Dans un tronc d’arbre entier, tout d’une pièce, ils étaient parvenus à sculpter un corps de femme. Celle-ci avait un visage fin et gracieux, de longs cheveux bouclés et un regard nostalgique. Elle était vêtue d’une ample robe aux replis abondants, mais qui laissait à découvert une poitrine provocante, aux seins durs et dressés devant les intempéries à venir. A partir du ventre, son corps devenait celui d’un poisson et se perdait insensiblement en dégradé dans la structure-même de la proue. Cette statue était une merveille et manifestement cette sirène n’avait pas besoin  de chanter pour séduire le cœur des marins.

Le dernier soir, on organisa un grand festin durant lequel le prince prit la parole. Il expliqua que de tous les hommes, lui seuil allait rester avec les femmes, afin, disait-il, de les protéger. Mais l’instinct de survie avait aiguisé la conscience de classe et les futurs marins se gaussèrent de lui. Quoi ? On les envoyait, eux, sur la mer, à la recherche de richesses fort incertaines, pendant, que lui, le prince, parce qu’il se disait noble, allait pouvoir rester avec leurs femmes et en jouir à sa convenance ? Cela n’allait certainement pas se passer comme cela ! Le ton monta et le vin aidant, un des hommes finit par se saisir d’une hache et par fracasser la tête du roi. Alors, sans attendre l’aube, on poussa le navire dans l’eau et on embarqua pour une destination inconnue. Restées seule sur la plage, les femmes les regardèrent partir, la gorge serrée. La dernière image qu’elles conservèrent dans leur mémoire, c’est celui du bateau qui, après être sorti du port, vira à bâbord toute et se retrouva de profil pendant quelques instants. Alors, à la lumière de la lune, qui était pleine ce soir-là, elles purent voir distinctement la figure de la sirène laquelle, la poitrine dénudée, contemplait fixement les ténèbres et la nuit.

« On ne les a jamais revus », dit une voix derrière nous, qui nous fit tressaillir. 

 

littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

07/05/2011

Une île (6)

Les premiers habitants étaient  arrivés il y avait très longtemps. C’était l’époque des grands voiliers et Colomb venait à peine de découvrir l’Amérique. Il fallait peupler la nouvelle colonie et de Séville étaient partis douze navires avec à leur bord pas mal de monde. Des gens pauvres essentiellement, qui avaient préféré quitter leur terre andalouse, où ils mourraient de faim, pour tenter leur chance là-bas, dans ce nouveau continent où on disait que tout était possible et où, en tout cas, on leur offrait gratuitement une terre à cultiver. Une terre qui leur appartiendrait ! C’était inespéré, eux qui n’avaient jamais été que journaliers dans les grandes exploitations des seigneurs de l’époque et qui travaillaient des quatorze heures par jour pour recevoir comme salaire un petit sac d’olives avec lequel il fallait nourrir toute une famille. Alors, avoir subitement une terre à soi, c’était plus que magnifique, c’était tout simplement un rêve extraordinaire.

Ils étaient donc partis, plusieurs centaines de familles, hommes, femmes, enfants, tout cela entassé dans douze galions de la marine royale. Car Isabelle, la reine très catholique, prêtait même ses vaisseaux pour aller peupler de chrétiens ces terres du bout du monde. C’est que ces contrées étaient remplies de sauvages, des êtres sans âme, proches des animaux, et qui n’avaient jamais entendu parler de Dieu. Il fallait donc amener là-bas des Européens en masse, des hommes de race blanche, de la race supérieure, pour contrer la puissance du Diable, qui régnait en maître sur ces terres reculées.

Eux, les pauvres, sur leurs galions, ils s’en moquaient bien du Diable. Certes, ils étaient catholiques comme tout un chacun, mais que les sauvages, là-bas, vénèrent les plantes ou les animaux, ce n’était pas vraiment leur problème. C’était plutôt du ressort des prêtres, qui eux aussi, soit dit en passant, étaient venus en nombre. Sur les navires, ils occupaient d’ailleurs les plus belles cabines, tandis que les paysans étaient relégués à fond de cale, mais bon, ce n’était après tout qu’un mauvais moment à passer... Non, ce qui les intéressait, les pauvres, ce n’étaient pas ces sauvages à évangéliser, mais c’étaient ces champs qu’on leur avait promis et qu’ils allaient pouvoir cultiver et faire fructifier rien que pour eux. Bien sûr, cela allait être dur, il allait falloir défricher, arracher, labourer, sarcler, mais tout cela, ils savaient le faire. Ils n’avaient même jamais rien fait  d’autre dans leur vie. La différence c’est que pour la première fois ils allaient bénéficier directement du fruit de leur travail. Alors, quand on leur disait que cette terre promise était l’empire du Diable, ils souriaient intérieurement, car le Diable, c’est en Andalousie qu’ils l’avaient rencontré.

Ils étaient donc partis confiants et tout heureux. Malheureusement, la durée de la traversée dépendait des vents. Après un calme plat qui immobilisa les navires pendant des semaines, une tempête terrible se déchaîna. Personne n’avait jamais vu cela et surtout pas ces pauvres paysans andalous, habitués à des cieux plus sereins dans leur Espagne méridionale. Les vagues étaient énormes, vraiment impressionnantes, et les bateaux roulaient et tanguaient dans tous les sens, plongeant, remontant, plongeant encore. Bientôt les mâts commencèrent à se rompre, dans des craquements de fin du monde, emportant dans leur chute les gabiers qui se cramponnaient comme ils pouvaient dans ce qui restait des cordages. Sur le pont, c’était un désastre et on n’avait pas le temps de compter les morts que déjà ceux-ci étaient entraînés par les vagues qui n’en finissaient pas de déferler. Les pauvres marins, jetés par-dessus bord dans la mer en furie, se retrouvaient aussitôt dans ce qui allait devenir leur tombeau. Mais dans les cales, ce n’était pas mieux. Les grosses barriques de vin et d’eau avaient rompu leurs amarres sous la violence des chocs et elles s’étaient mises à rouler dans tous les sens, écrasant au passage hommes femmes ou enfants, sans distinction d’âge ou de sexe. Et comme si cela ne suffisait pas, deux des navires, ballottés par les flots aveugles et devenus complètement hors de contrôle, entrèrent en collision. Les coques se brisèrent et bientôt il ne resta plus à la surface des éléments déchainés que des débris de toutes sortes auxquels s’accrochaient désespérément quelques survivants.

Le lendemain, le soleil était revenu et la mer était calme. Les malheureux qui avaient pu rester accrochés, qui à un tonneau, qui à un madrier, furent poussés par le courant sur une plage de sable fin. Dans leur malheur, c’est à proximité d’une île qu’ils avaient fait naufrage, mais c’était une île déserte. Revenus de leurs émotions, ils se comptèrent. Ils étaient exactement cinquante. Alors il fallut s’organiser et lutter pour survivre. Avec des outils récupérés après le naufrage, on coupa des arbres pour construire des espèces de maisons. Bientôt, un village était né. Pour manger, on chassa et on fit la cueillette des fruits, puis très rapidement on se mit à défricher et à semer les graines récupérées dans les débris des navires, ces graines qu’ils avaient emmenées avec eux pour les planter en Amérique. Ma foi, ici ou ailleurs, qu’est-ce que cela changeait, finalement ?

 

 

Aïvazovski (1817-1900), Tempête

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03/05/2011

Une île (5)

Poliment nous attendîmes quelques minutes avant de reprendre notre route. C’est que nous étions quand même un peu embarrassés d’avoir ainsi fait irruption sans le vouloir dans l’intimité de ces filles. Bien sûr ce n’était pas notre faute, mais bon, il fallait savoir se mettre à leur place aussi. Elles ne pouvaient que nous en vouloir de notre arrivée inopinée. On se regardait, un peu goguenards, un peu blagueurs, mais c’était surtout pour cacher la gêne qui nous habitait tous. Nous avions surpris Eve dans son Paradis et nous avions vu ce que nous n’aurions pas dû voir. C’était peut-être bien cela le fameux péché originel dont ils parlaient dans la Bible. La conscience d’un interdit entre les sexes. Le péché naissait au même moment que le désir. Et pourtant, non, car ces belles sirènes, nous ne les avions pas désirées, nous les avions plutôt admirées dans leur simplicité. Leurs jeux, comme leur nudité, étaient l’innocence-même. C’est surtout quand une des filles nous avait vus et qu’elle avait poussé un cri, que nous avions eu conscience d’avoir mal agi. Notre regard naïf s’était subitement transformé en regard lascif, du moins aux yeux de celle qui se sentait observée à son insu. Tout cela était bien compliqué. Trop compliqué pour des marins fatigués qui venaient de faire naufrage et qui avaient dû marcher toute la journée en se battant contre un serpent. Peut-être bien, finalement, était-ce celui qui, dans la Genèse, gardait l’entrée du Paradis…

Nous reprîmes notre route et nous nous acheminâmes vers le village. Nous nous attendions à un accueil plutôt froid et même peut-être à trouver porte close. Eh bien non. On avait dû annoncer notre arrivée car une foule curieuse nous attendait sur la place principale. « Les voilà ! » « Ils arrivent ! » « Combien sont-ils ? » « Six, il parait qu’ils sont six… » « D’où peuvent-ils bien venir ? » « Comment ont-ils pu arriver jusqu’ici ? » Bientôt, nous fûmes entourés par une bonne cinquantaine de personnes qui semblaient fort intéressées de savoir d’où nous venions. Mais nous, de notre côté, nous étions frappés par un élément absolument insolite, qui nous intriguait au plus haut point et qui à vrai dire nous intimidait quelque peu. Cette foule compacte qui nous pressait de toute part, nous enserrait, et nous posait mille questions, était composée exclusivement de femmes. Il n’y avait pas un seul homme dans cette assemblée. Où étions-nous donc tombés ? Chez la reine des Amazones ou quoi ?

Un certain temps fut nécessaire pour s’expliquer de part et d’autre. Ces dames semblaient si impatientes de savoir d’où nous venions qu’il fallut se résoudre à raconter notre histoire de long en large. Il aurait été impossible de poser à notre tour des questions avant d’avoir satisfait leur curiosité. On parla donc du bateau, de la tempête, de la longue errance en mer, puis de l’échouage ici-même, sur l’autre versant de l’île. On évoqua les rugissements des tigres, la traversée du lac à la nage, puis la rencontre avec le serpent. On allait passer pudiquement sous silence l’incident des baigneuses quand quelques jeunes filles y firent d’elles-mêmes allusion en pouffant de rire. Bon, elles ne semblaient pas trop mal prendre la chose, c’était déjà cela. Bien au contraire elles étaient toutes émoustillées en évoquant ce souvenir. Pourquoi pas, après tout. Nous rîmes avec elles de bon cœur et cela nous rapprocha. Une sorte de complicité était en train de naître.

C’était donc à notre tour de poser des questions. Et évidemment, ce qui nous intriguait le plus, c’était de savoir pourquoi, à part nous, il n’y avait aucun homme sur cette île. Quel était ce mystère ? Quel subterfuge la nature avait-elle trouvé pour se passer ainsi d’une moitié du genre humain sans compromettre la pérennité de l’espèce ? Etions-nous tombés sur une race particulière, aux caractéristiques étranges ? Ces femmes étaient-elles hermaphrodites ? Ou bien, comme les mantes religieuses, les divines créatures qui étaient devant nous tuaient-elles les mâles une fois leur devoir conjugal accompli ? A quelles Amazones avions-nous finalement affaire? Nous ne savions plus que penser et pour un peu nous aurions remis en cause les principes de la raison cartésienne. Pour le dire autrement, nous n’étions pas loin de croire à un univers fantastique, comme si cette île était un monde à part, un microcosme singulier où il se produisait des événements étranges.

Nous regardions nos compagnes avec une fascination mêlée de crainte, mais plus nous posions des questions pour tenter de percer ce mystère, plus elles éclataient de rire. A chaque hypothèse une peu folle que nous émettions, le même fou rire s’emparait d’elles, ce qui fait que bientôt on ne s’entendit plus et que notre conversation devint une véritable cacophonie.

Mais bon, quand elles se furent bien amusées à nos dépens, elles acceptèrent de nous dire la vérité, ce qui prouvait qu’aucune n’avait le fond méchant. On les sentait plutôt désireuses de se rapprocher de nous et de nous sortir de l’embarras où nous nous trouvions. Alors, gentiment, elles nous expliquèrent qu’il n’y avait rien d’extraordinaire dans cette présence exclusive de femmes sur cette île.

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07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature