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30/01/2013

La neige

La neige, infiniment blanche, avait tout recouvert.

Elle avait recouvert les routes et les chemins, les plaines et les collines, les villes et les villages.

Fascinés par cette blancheur étincelante qui couvrait le monde, nous en avions oublié nos peines, celles qui se cachent au plus profond de l’être.

Comme des enfants, nous avions marché et joué dans cette neige, image du paradis perdu, jardin de l’insouciance, désert aux congères changeantes comme des  dunes de sable blanc.

Puis la pluie est revenue. La pluie et ses tempêtes qui te font si peur, mon amour.

Et avec la pluie, nos peines ensevelies sont réapparues, plus fortes que jamais. Comme si nos routes ne devaient plus jamais se croiser.

21:47 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

25/01/2013

Dans le métro

Il était entré dans le métro en même temps que moi et je ne faisais pas attention à lui. Puis subitement, comme les portes étaient toujours ouvertes, il est redescendu sur le quai. Sans le vouloir, il m’a un peu bousculé et s’est excusé très poliment.

Pourquoi sortait-il de la rame dans laquelle il venait d’entrer ? Etrange. C’est là que je l’ai regardé. Trente-cinq à quarante ans, une barbe courte, une veste normale, le capuchon de son pull sur la tête, il tenait en main un sac en plastique.

Puis subitement il s’est mis à parler tout seul. C’est là que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il parlait parce qu’il était perdu et qu’il n’en pouvait plus de tout le silence qu’il avait enduré depuis des jours.  Du coup, son sac en plastique, qui m’avait d’abord paru anodin, prit tout son sens : c’était son seul bagage, son seul avoir dans la grande ville où il devait sans doute chercher chaque soir un endroit où dormir. Peut-être ici, justement, dans les couloirs du métro.

Lui, continuait à parler, en nous regardant tous, nous qui étions restés à l’intérieur. Ce qu’il disait était un peu incohérent et je ne pourrais pas le retranscrire ici. Moi je regardais ses yeux : des yeux plein de gentillesse, ceux d’un homme perdu à qui la vie n’avait pas fait de cadeau.

Puis tout en me fixant moi, il a continué son discours en arabe. Mais calmement, posément, sans élever la voix. Il n’avait rien d’un fou privé de raison. C’était un homme, tout simplement, un homme qui disait sa souffrance et qui regrettait l’indifférence de ses semblables. C’est du moins ce qu’il me semblait comprendre, à travers son langage pour moi inconnu.

Les portes se sont finalement refermées avec un claquement sec et le métro nous a emportés, laissant là sur le quai cet Arabe qui resterait à jamais un étranger.

metro_bruxelles.jpg

21/01/2013

De la guerre au Mali.

Sur ce site Marche romane, j’ai toujours marqué mon opposition à l’invasion de la Libye et à l’actuelle déstabilisation de la Syrie. Indépendamment de ce que l’on peut penser des régimes de Kadhafi et de Bachar-el-Assad, qui n’ont rien de très démocratiques, il faut cependant reconnaître qu’ils offraient l’avantage de faire vivre ensemble et dans la paix des peuples de races et de religions différentes. Ces deux régimes avaient aussi comme caractéristique de s‘opposer à la domination occidentale et à celle du grand capital, ce qui, de leur point de vue, me semble respectable. Pourquoi devraient-ils se soumettre à une influence étrangère qui vient piller leurs ressources comme au temps des colonies ? De plus, le niveau de vie de la population n’était pas si mauvais que cela. En Libye, une grande partie de l’argent du pétrole était réinjecté par l’Etat dans l’économie locale. Il existait des banques alimentaires pour les plus démunis et les familles nombreuses, tout le monde pouvait faire des études et la condition féminine n’avait rien à voir avec ce qui se passe chez nos amis saoudiens, par exemple, puisqu’il y avait des femmes médecins, avocats, professeurs d’université, etc. En Syrie, que je sache, existait une grande liberté religieuse. Même si Bachar–el-Assad s’appuie essentiellement sur les Alaouites, les femmes portent ou ne portent pas le voile, selon le courant de l’Islam auquel elles appartiennent. Il y a des Chrétiens, des Kurdes, des Arméniens, des Maronites, etc. et ces gens vivaient quand même en grande harmonie dans un pays qui n’était pas pauvre et qui pouvait se défendre militairement et se faire respecter.

Bref, l’Occident a armé des intégristes musulmans pour faire tomber Kadhafi (qu’on a exécuté pour être certain que ses nombreux partisans ne poursuivent pas la lutte) et aujourd’hui pour chasser Assad du pouvoir. Une partie de ces intégristes musulmans, une fois la guerre terminée en Lybie, sont partis combattre en Syrie (preuve que la guerre « civile » qui y règne n’a rien d’un soulèvement intérieur),  tandis que l’autre partie s’est dirigée vers le Mali, avec toutes les armes qu’ils ont pu trouver (celles que l’Occident leur avait données et celles qu’ils ont volées dans les stocks de l’armée libyenne en déroute).

Bref, on se retrouve aujourd’hui avec des djihadistes qu’on soutient en Syrie et d’autres (les mêmes) qu’on combat au Mali.

Dans mon dernier billet, tout en soulevant toutes ces contradictions de l’Occident, j’ai eu la naïveté de dire qu’il convenait quand même, au Mali,  de combattre ces intégristes qui imposent la charia et détruisent des monuments classés sous prétexte qu’ils ne correspondent pas à leur foi (ce qui en dit long sur leur ouverture d’esprit). Depuis, cependant, j’ai un peu réfléchi et je me suis dit que je m’étais peut-être laissé influencer par la propagande officielle.

En effet, on se souvient qu’avant d’envahir l’Afghanistan, on nous a bien abreuvés d’articles sur la destruction des statues bouddhiques par les Talibans.  On nous a expliqué aussi comment ils pratiquaient une justice sommaire et n’hésitaient pas à lapider une femme adultère (laquelle, la pauvre, avait été mariée de force à 15 ans à un homme de 50 ans et qui voulait juste vivre le grand amour avec un homme de son âge). Tous ces événements étaient vrais et c’est bien pour cela que je n’aime pas les régimes qui s’appuient sur la religion et que je leur préfère des régimes laïcs (la France ne cesse d’ailleurs de répéter avec fierté qu’elle tient à la laïcité de ses institutions) comme l’étaient ceux de Kadhafi et de Bachar-el-Assad. Ces événements étaient vrais mais on les a bien mis en évidence dans notre presse pour justifier l’invasion de l’Afghanistan.

Alors, ici, avec le Mali et la destruction des mausolées de Tombouctou, je me demande si on n’est pas en présence de la même propagande. Plutôt que d’avouer qu’on a commis une belle bêtise en armant les djihadistes contre la Libye puisqu’ils retournent maintenant ces armes contre nous, on se contente de les laisser avancer le plus loin possible à l’intérieur du Mali,  on relate abondamment toutes leurs exactions (que je n’approuve certes pas), puis on passe à l’offensive militaire. Pour le dire autrement, est-ce qu’ils ne font pas fonction d’idiots utiles ? Parfois on les envoie au front pour faire tomber les régimes qui ne nous plaisent pas et parfois on se sert de leur présence dérangeante pour s’imposer militairement dans une région où nous avons pas mal d’intérêts économiques.

Mais ces guerres coûtent cher. Très cher même. Alors qu’on demande aux citoyens occidentaux de se serrer la ceinture (dette publique et désir de respecter les fameux 3% du traité de Maastricht), subitement on retrouve de  l’argent pour aller au Mali. Là il n’y a aucun problème. Et on nous ressert le discours humanitaire habituel : il faut aller protéger les populations du sud du Mali, pays démocratique s’il en est. Bref, on ne fait même plus de l’ingérence humanitaire, mais de la prévention humanitaire. Je ne dis pas que la population noire ne mérite pas, en effet, d’être protégée de ces islamistes enragés qui ont tout d’une bande mafieuse. Ce que je dis, c’est que j’ai des doutes quand François Hollande, la main sur le cœur, nous dit qu’il est du devoir moral de la France d’aller aider la population la plus pauvre du globe afin d’éviter qu’elle ne tombe plus bas encore. Mais si le Mali est notre ami et si la misère y règne, pourquoi la France a-t-elle attendu cette invasion islamiste pour voler à son secours ? On a eu cinquante ans (depuis la décolonisation) pour aider ce pays à se relever et on n’a pas fait grand-chose, que je sache. Or ici, on a été capable en quelques heures de mettre sur pied une armada militaire qui coûte certainement plus cher que l’aide alimentaire ou économique que l’on aurait pu apporter. Tout cela me semble louche. La rapidité de notre intervention aussi, qui laisse supposer que tout était prêt de longue date et qu’on n’attendait qu’un prétexte pour entrer en action.

Après la guerre de Sarkozy contre la Libye (dont Total est certainement le grand gagnant et pas le peuple libyen), après le coup d’Etat (appelons-le comme cela) qui a permis à la France de renverser le président Gbagbo au profit d’un ancien du FMI, Alassane Ouattara, on peut dire que la France est très présente dans la région. S’emparer du Mali permettrait d’asseoir son influence du Maghreb et des côtes méditerranéennes jusqu’au golfe de Guinée.

Donc, au vu de ce qui précède, j’en viens à me demander si on ne nous manipule pas une nouvelle fois (les Talibans n’avaient pas grand-chose à voir avec la destruction des tours de New-York, Sadam Hussein n’avait pas d’armes de destruction massive, Kadhafi n’a jamais envoyé son aviation tuer 6.000 civils et ce n’est certainement pas Bachar-el-Assad qui commet des attentats tous les jours dans les zones qui sont sous son contrôle). A partir du moment où des islamistes intégristes ne servent pas nos intérêts (Libye, Syrie) mais se tournent contre des pays qui se montrent très coopératifs avec nos industriels, il faut les arrêter. Pour que la population occidentale accepte les frais de cette guerre, il suffit de demander à la presse de les diaboliser tous les jours (et certes, leurs exactions ne  manquent pas). L’armée française était présente sur le terrain depuis longtemps et elle cherchait un prétexte pour s’implanter au Mali. Ces idiots de djihadistes viennent de lui en fournir l’occasion.

Remarquez en passant qu’on se garde bien de divulguer les horreurs commises par les islamistes qui combattent actuellement en Syrie. Il y a donc bien deux manières de présenter les événements, ce qui laisse planer quelques doutes sur les motifs réels de notre présence militaire au Mali. Quelque part, François Hollande poursuit donc la même logique expansionniste que son prédécesseur Sarkozy.

Mais, m’objecterez-vous, si la Libye avait du pétrole, si la Syrie a du gaz et représente en outre une menace pour Israël, que peut-on dire du Mali, un des pays les plus pauvres du monde ? Ces gens-là n’ont rien et notre action, purement désintéressée, se place dans la droite ligne de la France révolutionnaire de 1789, ouverte et généreuse. Ne croyez pas cela. Si la population malienne est pauvre, le sous-sol du pays, lui, ne l’est pas. Le Mali est un des premiers producteurs d’or au monde et il possède d’importants gisements d’uranium, sans parler du fer, du cuivre, de l’étain, du manganèse et du phosphate.

Quand on sait cela, on peut quand même se poser la question de savoir si notre intervention vise à sauver la population du joug islamique ou plutôt à conserver l’accès de nos industriels à tous ces gisements précieux.

Bon, me direz-vous, c’est un peu normal. D’accord, notre intention n’est pas purement humanitaire, mais au moins l’argent que la France va dépenser dans cette guerre va profiter à notre industrie, ce qui n’est quand même pas une mauvaise chose en période de crise. Je veux bien, mais de quelle industrie française parlez-vous ? Ces grands groupes, Total et Elf en tête, paient moins d’impôts que vous. Il s’agit en fait de multinationales qui n’ont aucune attache. Elles vont là où sont leurs intérêts et à partir du moment où elles ne paient pas d’impôts en France, pour moi elles ne sont plus françaises.  On demande en fait aux citoyens de financer une guerre qui ne profitera qu’à ces grands groupes financiers et industriels et ni à la France ni aux Français. C’est le Capital dans  toute son ampleur. Si les citoyens s’en rendaient compte, ils s’insurgeraient, évidemment. Aussi est-il utile de les monter contre ces affreux islamistes et de présenter cette guerre comme un acte humanitaire désintéressé. Du coup le citoyen veut bien ouvrir son porte-monnaie pour cette noble cause, comme il l’a fait déjà pour faire tomber l’affreux Kadhafi ou le méchant Assad.

D’ailleurs les habituels donneurs de leçon refont surface. Après Fabius et Hollande, voilà Kouchner qui vient justifier cette guerre au Mali. Il ne manque plus que BHL et ils seront tous là.

Une autre chose qui m’inquiète (et qui tend à prouver malheureusement que j’ai raison quant aux motifs réels de cette intervention) c’est la durée de l’opération. Alors que Laurent Fabius avait d’abord parlé de quelques semaines (histoire de rassurer, sans doute), le chef de l‘Etat dit maintenant que l’armée française restera au Mali « le temps nécessaire » pour éradiquer le terrorisme. Voilà qui peut durer longtemps, si on regarde le précédent afghan…  Bref, on nous ment et le but réel de l’opération est bien de rester à demeure dans ce pays d’Afrique. Comme on ne peut plus dire comme autrefois qu’on en fait une colonie, on affirme qu’on vient protéger sa population.

Au moins, elle ne tombera pas sous l’emprise des islamistes, me direz-vous. C’est déjà cela, en effet, je le concède. Mais je regrette que personne ne signale que si ces islamistes sont bien armés, c’est en grande partie à cause de nous (la guerre en Libye) ou à cause de pays amis comme le Qatar ou l’Arabie. Si on laisse les monarchies du golfe financer ces enragés de Dieu, c’est qu’ils nous sont utiles, soit pour combattre sur le terrain à notre place, soit pour justifier notre intervention quand c’est nécessaire. Et la preuve que les djihadistes nous sont nécessaires, c’est que l’Occident fait tout pour affaiblir dans le monde arabe la pensée laïque et progressiste. On préfère favoriser des régimes archaïques comme l’Arabie (où il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les droits de l’homme, puisque cette notion semble être devenue notre seule grille de lecture). Rien d’étonnant donc à ce que les pauvres des pays arabes, qui ne voient aucun avenir devant eux, se tournent vers cet extrémisme musulman. Je veux dire par là que notre politique dans ces pays favorise l’apparition du terrorisme, qu’il nous faut ensuite combattre (mais dont on se sert pour « envahir » certains pays comme hier l’Afghanistan et aujourd’hui le Mali).

Oui, mais tout n’est pas aussi noir que vous le dites, ferez-vous remarquer, il y a tout de même eu le printemps arabe. C’est vrai. Mais s’il fut spontané, ce printemps (ce qui n’est pas certain), il fut très vite récupéré par la bourgeoisie occidentale. On se retrouve en Tunisie, en Libye  comme en Egypte (et demain probablement en Syrie) avec des mouvements religieux obscurantistes au pouvoir. Je ne vois pas ce que les peuples de ces pays vont y gagner. A part des dettes, évidemment, car sous prétexte de  modernisation (mais qui va construire ? nos entrepreneurs occidentaux évidemment) les bons Frères musulmans égyptiens ou tunisiens sont en train de faire appel au FMI. On sait ce que cela veut dire. Pauvre printemps arabe…

 mali

 L'armée française au Mali (d'après Libération)

19/01/2013

"Mali" soit qui mal y pense.

Que dire de l’intervention au Mali ? Elle est relativement logique puisque c’est un pays ami qui s’est retrouvé agressé par des bandes armées. Ces bandes tiennent plus des réseaux mafieux qu’autre chose, elles imposent de force un islam radical, remplacent le droit par une charia sanguinaire (prévoyant lapidations et amputations), ne respectent pas les monuments religieux (atteinte à l’art et aux croyances), proposent une régression de la condition féminine  et font peu de cas de la vie humaine. Bref, on peut comprendre qu’on décide de  s’opposer à leur avancée.

Je voudrais simplement faire quelques remarques.

Il ne faudrait pas qu’on se lance dans une nouvelle guerre d’Afghanistan. Je veux dire que nos troupes armées vont se retrouver dans un pays inconnu face à une guérilla qui va les harceler. Les attentats et les coups fourrés ne vont pas manquer et si la guerre ne se termine pas rapidement par l’écrasement de l’adversaire (qui pour le moment est rassemblé pour entreprendre sa conquête du sud du Mali), on risque bien de se retrouver dans une guerre d’usure qui pourrait bien durer des années et concerner plusieurs pays (tout le Sahel et la région désertique comprise entre le Maghreb et l’Afrique noire).

Notre décision d’attaquer de front ces enragés de Dieu aura des conséquences en ce qui concerne le terrorisme (on le voit déjà avec la prise d’otages en Algérie et avec l’évacuation du métro de Lyon suite à une alerte à la bombe). Je veux dire qu’en voulant combattre le terrorisme, on ne fait généralement que l’accentuer et plus on tue de combattants, plus il en vient qui sont prêts à venger leurs frères. J’ai souvent expliqué sur ce site que c’est la politique expansionniste des Etats-Unis qui avait entraîné une résistance des populations locales humiliées et que c’est dans cette population qu’on allait trouver les futurs terroristes. Plus leur nombre augmente, plus ils nous font forcément du tort, et donc plus on les combat. Mais alors c’est un cercle sans fin car cela provoque une radicalisation de ces mouvements et on n’en finit plus.

Indépendamment du fait que ces djihadistes veulent imposer un islam radical et réactionnaire (en quoi ils n’ont certes pas ma sympathie), on pourrait quand même se demander si certaines de leurs revendications ne sont pas légitimes. Si on remonte aux temps de la colonisation, puis de la décolonisation, on se rend compte que les frontières de tous ces pays d’Afrique ne correspondent en rien aux réalités humaines. Le Mali, pour ne parler que de lui, se compose aux deux tiers d’un désert au nord, où vivent des populations d’origine berbère (Touaregs), nomades et de religion musulmane, tandis que dans la partie sud, nettement moins aride et plus propice à l’habitat, on trouve une population noire et sédentaire. Ces gens n’ont pas grand-chose en commun. Par contre, les Touaregs se répartissent sur plusieurs pays : sud de l’Algérie et de la Libye, nord du  Mali et du Burkina-Faso ainsi qu’à l’ouest du Niger. On aurait donc pu imaginer qu’au moment de la décolonisation se soit constituée une grande nation touareg, ce qui a été refusé. Bien au contraire on a morcelé ce territoire qui constitue pourtant un ensemble géographique et culturel cohérent (en gros le Sahara où vivent des peuples nomades berbères) et on l’a réparti entre plusieurs états. Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver des revendications autonomistes derrière les combats actuels. Il est un peu facile de se contenter de stigmatiser ces guerriers en disant que ce sont des membres d’AQMI (Al Quaida au Maghreb islamique). Ils sont cela aussi, certes, mais disons que les indépendantistes touaregs se sont plutôt associés aux membres d’AQMI pour parvenir militairement à leurs fins et proclamer leur indépendance politique. Malheureusement pour eux, une fois le nord du Mali « libéré », ils ont été évincés par les bandes paramilitaires d’AQMI.

Une autre réflexion qu’on pourrait se faire, c’est de se demander quels intérêts économiques nous sommes en train de protéger dans cette région. Je n’y connais rien du tout, mais je constate que l’armée française est déjà intervenue en Côte  d’Ivoire, où elle a permis de chasser l’ancien président et de mettre à sa place Alassane Ouattara, un ancien du FMI, ce qui veut tout dire.

Enfin, je soulignerai une nouvelle fois la partialité de notre presse.  Sans rien enlever à la légitimité de l’action en cours, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec la situation en Syrie. Là aussi nous avons des djihadistes bien armés (mais qui ont notre soutien, ceux-là) venus en grande partie de l’étranger (comme ici), qui s’en prennent à un gouvernement légal qu’ils veulent renverser. Dans les deux cas il s’agit d’imposer une certaine conception de l’islam sans respect aucun pour les croyances des peuples qu’on va soumettre, lesquels sont considérés comme méprisables par le simple fait qu’ils n’adhèrent pas aux mêmes croyances. Mais alors que la presse fustige les bandes d’AQMI et insiste sur leurs méfaits (la destruction des mausolées à Tombouctou), elle continue à présenter leurs frères de Syrie comme des opposants épris de démocratie (lesquels, s’ils en sont arrivés à prendre les armes et à commettre des attentats monstrueux comme celui qui a coûté la vie à plus de quatre-vingts étudiants à l’université d’Alep, n’ont été poussés à ces extrémités que par un régime qui n’a pas voulu écouter leurs revendications légitimes). Au Mali, par contre, on a critiqué les envahisseurs qui, pour échapper à l’armée française, s’étaient réfugiés dans une ville et s’étaient fondus parmi ses habitants, utilisant ceux-ci comme des boucliers humains. La même chose se passe tous les  jours en Syrie, mais là on insiste sur la victoire des combattants qui se sont emparés d’une agglomération. Quand l’armée légale de Bachar el Assad se met à bombarder pour tenter de les déloger, on parle à juste titre de massacre. Pourtant l’autre jour on a vanté l’aviation française qui elle aussi avait bombardé les djihadistes qui s’étaient emparés de plusieurs quartiers d’une ville. Espérons tout de même que nos avions fassent moins de dégâts que ceux d’Assad. De cela on peut être certain, les différentes guerres du golfe nous ayant habitués à la précision chirurgicale de la force aérienne occidentale.

Mali

D'après Paris-Match, crédit photo: Photo Apa News/News Pictures (curieusement ces véhicules ressemblent à ceux que l'Occident avait fournis aux opposants de Kadhafi) 

15/01/2013

Une autre guerre humanitaire

Nous avons parlé de Napoléon Bonaparte et de son intervention en Egypte décidée soi-disant pour libérer son peuple et le délivrer des dirigeants qui l’opprimaient.

Trois quarts de siècle plus tard, c’est Napoléon III qui est au pouvoir. En 1860, il décide d’intervenir en Syrie (tiens donc !), alors province ottomane, pour « y rétablir l’ordre ».  Que s’était-il passé qui justifiât cette intervention ?  Environ 20.000 personnes, la plupart des Chrétiens, venaient d’être massacrées au Liban et à Damas, dans des affrontements intercommunautaires, ce qui avait fortement ému l’Occident (remarquez que les choses ont un peu changé, puisqu’aujourd’hui le même Occident soutient des djihadistes musulmans qui ne cachent pas leur intention de se débarrasser de la population chrétienne).  On accuse immédiatement le pouvoir en place, à savoir les autorités ottomanes, au mieux d’avoir laissé faire, au pire d’avoir incité à la haine.  

Bref, Napoléon III envoie donc  60.000 soldats, qui débarquent au Liban le 16.août 1860. Ils y resteront une bonne année, le temps que le calme revienne. L’empire ottoman étant affaibli, toutes les puissances occidentales cherchaient en réalité à se positionner pour s’emparer des morceaux du gâteau. La Russie souhaitait s’étendre vers le sud, tandis que la France, une nouvelle fois, cherchait à affaiblir l’Angleterre en se positionnant sur la route des Indes (tout en faisant du commerce). Il fallait donc conquérir La Syrie et pour y parvenir chacun s’était appuyé sur les minorités locales (ce qu’on fait encore aujourd’hui en dressant les Sunnites contre les Chiites) : les Français avaient choisi de protéger les Catholiques, les Russes les Orthodoxes et les Anglais les Druzes. Les massacres intercommunautaires de1860 n’avaient pas d’autre origine.

Un peu plus tard, en pleine Première Guerre mondiale, voilà les Français et les Anglais réconciliés. Du coup, ils organisent ensemble un blocus des côtes syriennes afin d’empêcher le ravitaillement en blé. Le but est de pousser les Arabes à se révolter contre l’Empire ottoman qui soutient par ailleurs l’Allemagne dans le conflit en cours. Affaiblir l’Empire et précipiter sa chute, c’est indirectement affaiblir l’Allemagne. On ne connaît pas le nombre exact des victimes, mais on estime que la famine qui a fait suite au blocus a causé la mort de 200.000 personnes au Liban et de 300.000 en Syrie.

Ca va, pour le moment la tentative de renversement d’Assad n’a encore fait que 60.000 morts.

Syrie, Empire ottoman

Empire ottoman

00:06 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : syrie, empire ottoman

11/01/2013

Les guerres humanitaires ne datent pas d'hier.

En 1798, l’Egypte est une province de l’Empire ottoman. En pratique, elle est aux mains des Mamelouks (des anciens esclaves affranchis qui ont pris le pouvoir), qui dirigent à la place du sultan et oppriment le pays. La jeune France révolutionnaire, généreuse à souhait, décide d’organiser une expédition militaire pour délivrer le peuple égyptien du joug de ses tyrans et lui apporter les idées des Lumières.

On voit donc que la guerre humanitaire au Proche-Orient ne date pas d’hier.

Cependant, quand on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte que la réalité est légèrement différente. D’abord, il y a eu une certaine pression des commerçants français installés en Egypte, qui se plaignent des tracasseries administratives imposées par les Mamelouks. Le commerce et l’argent primant sur tout, l’idée de conquérir l’Egypte était dans l’air. Mais il s’agissait surtout d’affaiblir la Grande-Bretagne (qu’on n’osait pas attaquer de front) et de lui enlever une de ses colonies tout en l’affaiblissant en lui coupant la route des indes.

On envoie donc un jeune général (un peu trop remuant) pour « délivrer » de ses tyrans  la terre des Pharaons. Ce général s’appelle Bonaparte. Celui-ci, qui voulait ressembler à César et à Alexandre le Grand, accepte avec joie cette mission. Il remporte la Victoire des Pyramides. Malheureusement, Nelson, qui avec son escadre cherchait la flotte française depuis des semaines, la découvre enfin dans la rade d’Aboukir et la détruit. Voilà donc les soldats français à la fois maîtres et prisonniers des terres d’Egypte. Le futur Napoléon laisse là  ses soldats et revient précipitamment en France tirer les fruits de sa victoire. Bientôt il se proclamera empereur.

 

bataille des pyramides,champollion

Watteau, Bataille des Pyramides, musée de Valenciennes

Tout cela pour dire que les interventions pour des raisons humanitaires ne datent pas d’hier et que ceux qui les dirigent pensent avant tout à leur carrière.

Heureusement, l’expédition d’Egypte eut des conséquences scientifiques bénéfiques puisque Bonaparte avait embarqué avec lui des historiens, des botanistes et des dessinateurs, lesquels se mirent à faire une description détaillée de tout ce qu’ils voyaient (suivant les armées et dessinant parfois alors qu’ils étaient en selle sur leur cheval). Leurs travaux vont donner naissance à l’égyptologie.

Sur le plan militaire, l’opération fut finalement un désastre car coincée en Egypte et privée de son général qui avait regagné la France, l’armée française va devoir affronter les Anglais. Atteints de maladie, les soldats capituleront et négocieront leur rapatriement sur des vaisseaux britanniques. Les Anglais voulurent saisir tous les croquis qui avaient été réalisés par les scientifiques français, mais après de nombreux pourparlers, ces derniers purent les emporter ave ceux, seules les pièces historiques restant en possession des Anglais. Ce fut le cas de la fameuse pierre de Rosette, qui se retrouva au British Museum dès 1802.

Elle est écrite en deux langues (égyptien ancien et grec ancien) et trois écritures : écriture hiéroglyphique, écriture démotique (une version simplifiée et plus cursive de la précédente, qui s’est répandue à partir de la XXVI° dynastie car le nombre d’écrits à remplir par les scribes devenait très important) et alphabet grec. On espérait bien, en partant du grec, parvenir à déchiffrer enfin ces fameux hiéroglyphes. C’est Jean-François Champollion qui en perça le mystère, comme chacun sait. Il le fit à partir des copies faites lors de la campagne d’Egypte. Du coup, il sauva l’honneur de la France face à cette Angleterre qui venait de l’humilier sur le plan militaire.

 Bataille des Pyramides, Champollion

 Pierre de Rosette

08/01/2013

De la partialité de la presse (2)

 

http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/p-1911-Mali-tirs-de-sommation-de-l-armee-contre-des-groupes-armes-islamistes.htm?&rub=6&xml=newsmlmmd.ded1855d8d8e6b9868ce0ebbb815308d.431.xml

Comme pour l’article du Point commenté hier, il suffit d’écrire quelques mots clefs dans Google (en l’occurrence ici  « Tirs de l'armée contre des groupes armés islamistes au Mali ») et vous trouvez une bonne vingtaine de journaux qui répètent le même texte issu de l’AFP.

Comme dans cet article d’hier également, on a affaire à des groupes islamistes intégristes, venus en grande partie de l’étranger, qui s’en prennent à un gouvernement légal. La seule différence, c’est que cela ne se passe plus en Syrie, mais au Mali.

La seule différence ? Non, car l’article dit exactement le contraire de celui analysé hier. Alors qu’en Syrie on nous parlait d’une opposition qui tentait de renverser un tyran sanguinaire pour rétablir la démocratie, on nous présente maintenant des  «groupes armés islamistes » qui « occupent » le nord du Mali. C’est nettement moins valorisant, convenez-en. L’armée régulière (qui visiblement est bien vue par le journaliste) a procédé à des « tirs de sommation » (comprenez : il s’agissait simplement de se faire respecter, l’intention n’était donc pas de tuer) contre un « ennemi » qui a reculé. Ensuite, on explique pour les lecteurs qui l’auraient oublié que cet « ennemi » avait mis « deux mois et demi » pour s’emparer du nord du Mali (ce qui ne semble pas très glorieux) suite à une « offensive » contre l’armée régulière (le gouvernement  légal est donc bien victime d’une agression).

 Ensuite, on discrédite cet « ennemi », qui a dû s’allier aux rebelles Touaregs pour parvenir à ses fins, ce qui ne l’a pas empêché par la suite d’évincer purement et proprement ces mêmes Touaregs (quels traitres, ces islamistes !). De plus, ce n’est pas un mouvement islamiste unique qui s’en est pris ainsi au pauvre Mali. Non, c’est un ramassis de plusieurs groupes : les djihadistes maliens, mais aussi  Mujao (un mouvement djihadiste qui concerne l’ensemble de l’Afrique) et Aqmi (autrement dit Al-Qaïda au Maghreb islamique, le pire de tous et dont le nom seul effraie le lecteur européen). Et comme si cela ne suffisait pas pour diaboliser cet « ennemi », on nous dit que ces envahisseurs ont avec eux « des hommes de la secte islamiste Boko Haram », dont j’avoue ne rien savoir, pas plus que  vous sans doute, mais dont on devine, puisqu’il s’agit d’une secte, qu’elle doit tenir un discours déviant et intransigeant.

Bon, il faudra maintenant m’expliquer pourquoi ces djihadistes-là sont de méchants envahisseurs (qu’une armée internationale, dont la France fera sans doute partie, pourrait combattre afin de rétablir le gouvernement légal dans ses droits, ce qui serait une belle action désintéressée, convenez-en) tandis que leurs homologues qui envahissent la Syrie et la mettent à feu et à sang ont tout notre soutien.

Car si les faits décrits plus haut se passaient en Syrie et non au Mali, on aurait écrit :

  • Que l’opposition avait démontré sa force en progressant vers le Sud
  • Que l’armée avait riposté en ouvrant le feu
  • Que cette opposition regroupe différents courants (et donc qu’elle est représentative de l’ensemble du peuple malien)
  • Qu’elle occupe le nord du pays depuis des mois et que l’armée régulière n’est pas parvenue à  la déloger
  • Qu’elle est arrivée à se débarrasser des Touaregs, ce peuple semi-nomade perturbateur

Bref, il existe donc bien deux manières de présenter les mêmes faits et tout cela dépend visiblement des relations que nous entretenons avec le pays concerné. On peut donc à la fois combattre Al Quaïda en Afghanistan, s’en servir en Syrie et s’apprêter à combattre cette organisation au Mali. C’est ce qu’on appelle du réalisme politique. Le tout est de bien savoir présenter les choses à l’opinion.

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07/01/2013

De la partialité de la presse.

http://www.lepoint.fr/monde/syrie-les-chretiens-de-damas-vises-05-01-2013-1608811_24.php

 

La manière dont la presse rend compte du conflit syrien est tout à fait orientée.  Tout d’abord, il faut savoir que l’article du Point repris ci-dessus, vous le retrouvez mot pour mot dans une série impressionnante de journaux (tapez « tir d’obus sur un quartier chrétien de Damas » dans Google et vous verrez combien de journaux sont concernés). On a donc bien affaire à un matraquage de la pensée. On veut faire croire que si tout le monde dit la même chose, c’est que c’est forcément vrai. Cette tactique a été bien utile pour discréditer de régime de Damas et nous faire croire que l’opposition était constituée de citoyens syriens pacifiques épris de démocratie.

Petit à petit, quand il devint évident que les « opposants » employaient les armes d’une manière aussi efficace  que l’armée syrienne, il a bien fallu changer de discours. On a dit alors que le conflit se militarisait devant la dure répression du régime. Autrement dit : la lutte armée de l’opposition est légitime (notez en passant que la lutte armée du Hamas, qui envoie des roquettes sur Israël, n’est pas présentée de la même façon puisque là on nous dit en gros qu’Israël a le droit de se défendre)

Ce qu’on s’est bien gardé de nous dire, c’est que les « opposants » légitimes syriens ont vite été entourés et dépassés par de nombreux djihadistes venus des quatre coins du monde arabe. Il s’agit surtout « d’enragés de Dieu » qui ont déjà combattu un peu partout et dont un certain nombre sont directement issus des troupes d’Al Quaïda. Ces djihadistes sont armés par l’étranger (les pays arabes que nous soutenons comme l’Arabie et la Qatar).  De plus, les services secrets américains, français et anglais, ainsi que certains éléments de l’armée de ces pays sont bien présents dans la région. Les conseillers russes, qui soutiennent Assad, ne manquent pas non plus,  me direz-vous. Certes. Mais cela veut bien dire qu’on est en fait en présence d’un conflit entre la Russie et l’Occident et que ce dont il est question, c’est de se disputer la Syrie. Alors qu’on arrête de nous faire croire qu’il s’agit d’un conflit interne pour la démocratie. L’avenir du peuple syrien, tout le monde s’en moque.  On a en Syrie des conseillers militaires et du matériel russes et en face un Occident belliqueux qui se sert de djihadistes fanatiques tout en leur fournissant des armes et un soutien logistique (les satellites américains doivent leur donner pas mal d’indications sur ce qui se passe sur le terrain, comme les satellites russes doivent donner le même genre de renseignements aux troupes d’Assad, d’ailleurs).

Mais revenons à notre article du Point. Qu’un  obus soit bien tombé sur un quartier chrétien, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais alors il aurait fallu avouer:

  •  que les djihadistes n’ont rien de simples « opposants »

  • qu’ils ne sont pas seulement armés d’armes légères mais aussi d’armes lourdes

  • qu’ils essaient d’impliquer dans le conflit les populations palestiniennes en exil en Syrie et les chrétiens syriens eux-mêmes, ces deux communautés étant restées jusque maintenant en dehors des affrontements (soit en prenant à contrecœur le parti de l’armée d’Assad qui était la seule à pouvoir les protéger, soit en constituant eux-mêmes des milices citoyennes pour empêcher les djihadistes d’envahir leurs quartiers)

  • Que les djihadistes ont bien dit qu’ils massacreraient tous les Alaouites et mettraient les Chrétiens dehors

Voilà ce que l’article du Point (ou des autres journaux qui recopient sans réfléchir les dépêches de l’AFP) ne pouvait pas dire sans heurter la sensibilité de ses lecteurs. Le public occidental ne comprendrait pas pourquoi nos gouvernements soutiennent des islamistes enragés dont le programme est de massacrer les civils innocents qui ne seraient pas de la même confession qu’eux  (sont visés les chiites, les alaouites, les maronites et les chrétiens).

Alors, plutôt que d’avouer que des rebelles étrangers que nous soutenons tirent des obus sur une population civile chrétienne innocente, on se contente de citer le fait sans rien dire de l’origine du tir. A ce stade, un lecteur inattentif qui ne suit pas le conflit de près pourrait même s’imaginer, s’agissant d’un obus,   que c’est l’armée syrienne qui a tiré, ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais il y existe heureusement des lecteurs attentifs, alors, après avoir relaté  la chute de cet obus sans en avouer l’origine, on noie l’information et on nous dit par exemple

-  que  « les troupes (syriennes) ont pilonné durant la nuit Daraya, une localité qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines.

- Alors que le quotidien Al-Watan, proche du pouvoir, affirmait dans son édition de vendredi que la ceinture sud de Damas était désormais "sécurisée", de violents combats y ont eu lieu dans la nuit, faisant quatre morts parmi les rebelles »

Donc le tir des djihadistes contre une population civile innocente n’est finalement qu’un tir de plus dans un conflit qui s’éternise. Mieux : on insiste sur l’impuissance de l’armée à s’imposer sur le terrain (cf. les mots «qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines »). Puis on discrédite les organes de presse de l’ennemi : Al-Wattan avait annoncé qu’une zone était sécurisée alors que de violents combats y ont de nouveau lieu ». De cette information, le lecteur occidental retire l’impression que l’armée syrienne est à bout de souffle, qu’elle n’en peut plus, que la chute du régime est proche, et que même dans les zones « sûres » les opposants sont capables de continuer les combats. S’ils meurent, c’est en martyrs de leur cause (il y a eu quatre tués).

On aurait pu présenter les choses autrement. Dire que même dans un quartier « sécurisé » il est facile de s’introduire et de faire exploser une voiture. Ou dire que l’armée syrienne a été formée pour se défendre contre Israël et qu’elle n’était pas préparée à des combats de rue menés par des étrangers qui s’infiltrent parmi la population syrienne dont ils se servent comme bouclier humain. Si l’armée ne fait rien, les djihadistes massacrent les civils non sunnites, si elle tente de reprendre le quartier, elle tue  des innocents et on aura alors un beau prétexte pour que l’Occident intervienne (comme il l’a fait en Libye).   

Voilà tout ce que l’article ne dit pas. Mais il continue en ridiculisant le discours officiel du régime (comme cet aéroport qui serait fermé à cause du brouillard alors qu’en réalité les djihadistes l’ont une nouvelle fois investi). Finalement, il conclut en citant le nombre de morts (toujours les chiffres cités par l’opposition, qui a intérêt à minimiser ses pertes propres et à gonfler le nombre de victimes innocentes. Elle compte donc probablement ses djihadistes morts au combat parmi les victimes civiles innocentes).

Bref, dans  nos pays démocratiques et libres, on aura compris que notre presse est orientée selon les intérêts de certains (et qui ne sont ni ceux des citoyens occidentaux ordinaires ni ceux des citoyens syriens). Ce qui m’inquiète, c’est que la liberté de la presse est un des piliers de notre démocratie et on a souvent reproché à juste titre aux régimes dictatoriaux d’en faire un outil de propagande.  Il serait donc grand temps de se poser des questions sur la nature réelle de notre régime politique.

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Chrétiens syriens (Crédit photo AFP)

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03/01/2013

A fond de cale

C’est à cause de mon jeune âge, que je me suis retrouvé à fond de cale, c’est  évident.  Les marins, là-haut, avaient tous plus de quarante ans et Ils avaient déjà fait au moins quinze fois le tour  du monde. C’étaient de vieux loups de mer, aguerris à la vie sur les bateaux. Alors, vous pensez bien, quand ils ont vu un jeune mousse de seize ans débarquer, ils s’en sont donnés à cœur joie.  J’ai eu droit à toutes les blagues idiotes que l’on fait dans ces cas-là : le lit en portefeuille, les vêtements qui disparaissent, les planches du pont qu’il a fallu récurer avec une brosse usée, le laxatif dans le potage et j’en passe. Bon, c’est de bonne guerre et il faut bien subir tout cela si on veut un jour être reconnu comme un vrai marin. J’ai donc supporté toutes ces petites mesquineries avec un certain humour, même si ce fut parfois très dur. Imaginez-le jour où, à l’aube, je me suis retrouvé tout nu en haut du grand mât, tentant d’attraper mes vêtements qu’on avait attachés là. Imaginez surtout ma honte quand l’équipage au grand complet a surgi sur le pont, complètement hilare…

Bref, tout cela n’est pas bien grave, ce ne sont finalement que de petites taquineries. Mais le coup du tonneau de rhum, ça c’est autre chose ! Bon, c’est vrai que j’avais bien essayé une fois ou deux de boire un petit verre, histoire de faire comme les autres, mais c’était tellement fort que je n’y avais plus jamais touché. Les marins, par contre, ne s’en privaient pas. Il y avait trois tonneaux dissimulés au fond de la cale, mais tout le monde connaissait la cachette, vous pensez bien ! Discrètement, à tour de rôle, ils descendaient sans bruit et buvaient une ou deux rasades ou plutôt trois ou quatre. Bref, quand le premier tonneau fut vide et que le capitaine s’en aperçut, il mit des cachets de cire sur les robinets de sortie, avec le sigle de la marine royale. Briser un tel sceau, c’eût été un acte grave qui aurait pu vous mener aux galères, aussi, dans un premier temps, personne ne s’y risqua.

Mais la soif donne des idées et bientôt un des marins trouva une solution. Il perça un petit trou à l’arrière du deuxième tonneau, qu’il colmata avec un bouchon de liège. La légalité était donc respectée. Les insignes du Roi avaient beau protéger le précieux nectar, le tonneau n’en fut pas moins vide après une semaine. Alors, les marins usèrent du même stratagème avec le troisième tonneau, qui ne dura pas plus de cinq jours. Malheureusement un des hommes, passablement ivre et vacillant complètement,  se prit les pieds dans un rouleau de cordages qui traînait sur le pont et il alla s’affaler juste devant les bottes du capitaine. Celui-ci, qui trouvait déjà que l’humeur de ses marins était anormalement joviale, fit immédiatement le rapprochement avec les tonneaux de rhum. Il courut à la cale, brisa les sceaux royaux, ouvrit les robinets et dut bien vite se rendre à l’évidence : les tonneaux étaient vides ! Il n’y avait plus une goutte de rhum à bord !

Alors il entra dans une colère olympienne. Lui d’habitude si posé et si digne, il se mit à injurier tout l’équipage en des termes que je n’oserais retranscrire ici. Puis il chercha un coupable. Un grand silence se fit. Personne ne voulait dénoncer personne, évidemment ! Un marin ne trahit pas un autre marin… Coupables, ils l’étaient tous et il était donc impossible de livrer un camarade plutôt qu’un autre à la colère du capitaine. Pourtant celui-ci continuait à exiger un nom. Les hommes se regardèrent, chuchotèrent quelques mots entre eux et l’un deux s’avança. « Le coupable, c’est le mousse. On l’a vu souvent descendre dans la cale, mais on n’a rien dit pour lui éviter des ennuis. » Là, j’en suis resté sans voix ! Il n’y avait que moi qui n’avais rien bu ou si peu et voilà que c’était moi le coupable ! Je compris immédiatement leur raisonnement : d’abord je n’appartenais pas encore à leur monde de marins, je n’étais qu’un apprenti. Ensuite, ne buvant pas, ils se vengeaient des reproches qu’on leur faisait en accusant la seule personne sobre de l’équipage (autrement dit, le groupe faisait bloc contre l’innocent, pour se protéger). Enfin, ils devaient se dire que je n’étais qu’un gamin et donc que le capitaine se montrerait relativement clément pour « mon » étourderie, vu mon jeune âge.  Ce ne fut pas vraiment le cas. Il fut décidé, puisque j’aimais tellement descendre dans la cale, que j’y resterais enfermé jusqu’à la fin de la traversée, soit environ cinq semaines.

Les premiers jours furent très durs. Coupé du monde, dans une obscurité totale, j’ai vraiment eu l’impression d’être au fond d’un tombeau. Mais on s’habitue à tout. Petit à petit, je me suis mis à être attentif à tous les bruits du bateau et je parvins ainsi à me faire une idée de la vie qu’on menait là-haut. Une fois par jour, on venait m’apporter un peu de nourriture. Le marin qui descendait avait toujours l’air embêté, sachant bien que j’étais innocent et sachant aussi que si je croupissais là, c’était notamment à cause de lui. Aussi essayait-il de se montrer le plus aimable et le plus gentil possible. Moi je ne disais rien et je me drapais dans ma dignité. Comment aurais-je pu entamer une conversation avec un des mouchards qui m’avaient envoyé dans cette geôle ?  En plus j’étais aveuglé par sa lampe tempête et les yeux me faisaient mal.

Une fois le marin remonté sur le pont et  la lourde trappe refermée sur ma solitude, je reprenais peu à peu mes repères habituels : le frottement de l’eau contre la coque, les pas sur le plancher supérieur, les voix des hommes qui montaient au grand mât… Même le claquement sec des voiles gonflées de vent me parvenait, m’indiquant que le navire allait à toute vitesse vers sa destination. Tout allait bien, donc. Il ne me restait plus qu’à attendre, à accepter ma destinée, et à rêvasser à un monde meilleur. Alors, rassuré, je cherchais à tâtons la gamelle de pommes de terre bouilles qu’on avait bien voulu me donner et je mangeais, savourant comme un gourmet ces produits de la terre ferme. Cela peut paraître incroyable, mais je n’ai jamais rien mangé de si bon que ces repas frugaux dégustés dans le noir : un jour du potage de légumes, le lendemain du chou cuit à l’eau, le troisième jour de nouveau des pommes de terre fades, accompagnées parfois d’une tranche de lard (ce qui m’indiquait mieux que n’importe quel calendrier qu’on était un dimanche et qu’une semaine déjà s’était écoulée). Ce n’était pourtant pas là des menus de premier choix, mais je dégustais ces mets avec délectation, comme si le fait d’être dans l’obscurité avait exacerbé mes papilles gustatives. Il faut dire que je n’avais rien d’autre à faire et que ces repas constituaient le meilleur moment de la journée.

Des jours et des semaines se passèrent ainsi. A un moment donné, j’ai su, au tangage accentué du navire, que nous abordions le cap Horn, de sinistre mémoire. Pourtant, il n’y avait pas d’autre moyen de gagner la côté chilienne, où nous nous rendions, et cela, c’était un fait connu depuis le départ de La Rochelle. On m’avait raconté tellement d’horreurs sur cette traversée du cap Horn, que j’en frémissais à l’avance, alors même que je n’avais pas encore quitté le sol de France. Et maintenant,  voilà nous étions en plein dedans. Le bateau bougeait dans tous les sens et des objets mal amarrés se promenaient dans la cale, ce qui ne me rassurait pas du tout. Parfois, quand le bateau plongeait au creux d’une vague, un seau ou un morceau de bois venait soudain me frapper à l’improviste. J’en avais des coups partout et je commençais à avoir sérieusement peur. Pourtant, mes vraies craintes commencèrent quand j’entendis un grand choc sourd, suivi d’un long craquement de planches particulièrement impressionnant. Catastrophe ! Manifestement, nous avions été projetés contre un écueil. Sur le pont, ce fut le branle-bas de combat. Ca courait dans tous les sens, ça criait, ça hurlait. Je n’arrivais pas à distinguer le sens des ordres qu’on donnait, à cause du bruit des vagues qui s’abattaient sans prévenir sur le navire, le faisant quasiment chavirer, mais l’angoisse que je percevais dans ces voix qui s’égosillaient  me faisait suffisamment comprendre que l’heure était grave.

Après un petit quart d’heure de ce remue-ménage, je perçus un bruit métallique, comme si on avait déroulé des chaînes, puis ce fut un nouveau raclement le long de la coque. Il y eut encore quelques ordres épars, puis plus rien. Rien que le fracas des vagues qui n’en finissaient plus de se ruer contre le bateau pour tenter de le submerger. Je m’interrogeais sur ce silence étrange, cette absence de voix humaines, quand soudain la vérité m’apparut dans toute son évidence : les marins avaient mis le canot de sauvetage à la mer ! Ils avaient tous quitté le navire en perdition et m’avaient oublié ! Mon sang se glaça instantanément, une sueur froide courut le long de mon dos et je me mis à trembler de tous mes membres. Affolé, je parcourus comme je pus et dans l’obscurité la distance qui me séparait de l’échelle, que je gravis tant bien que mal. Quand j’arrivai à la trappe qui fermait la cale, je me mis à frapper de toutes mes forces et à hurler. Rien à faire ! Après un quart d’heure de panique et d’agitation frénétique, je dus me rendre à l’évidence : j’étais seul, désespérément seul dans ce bateau en perdition qui prenait l’eau et que tout le monde avait abandonné ! Je redescendis l’échelle comme je pus, car mes jambes continuaient de trembler sous moi, je  retraversai la longueur de la cale, non sans heurter l’un ou l’autre objet, et j’allai me recroqueviller dans un coin, attendant la mort.

Alors, les yeux fermés, dans le noir absolu, je me suis mis à écouter les bruits qui m’entouraient. Curieusement, ils me semblaient familiers. J’essayais de me souvenir, mais je n’y arrivais pas. Pourtant, j’étais persuadé d’avoir déjà connu un environnement semblable. Certes, je n’avais jamais été abandonné dans un navire en train de sombrer, mais ces bruits, ces craquements, ainsi ce tangage et ce roulis permanents, ne m’étaient pas inconnus. Ils évoquaient une époque lointaine, très lointaine et avaient curieusement quelque chose de rassurant. Alors j’ai oublié la tempête et le péril où je me trouvais pour essayer de remonter le temps, aux sources de ma mémoire. Quand avais-je déjà connu cela ? Cela remontait à loin, à l’enfance, à la petite enfance même, plus loin encore peut-être… J’ai fermé les yeux de toutes mes forces, je n’ai plus pensé à rien, et me suis laissé bercer par tous ces bruits qui emplissaient mon être.

Oui, c’était il y avait longtemps. J’étais bien. Il faisait chaud. Un doux roulement de gauche à droite me berçait. Un bruit monotone et régulier de basse me faisait vibrer toutes les deux secondes. Je percevais comme le chuintement d’un liquide qui se répandait, qui coulait dans des canalisations. C’était aux origines du monde, aux débuts de ma vie. Parfois j’entendais une voix, une voix aigüe mais pourtant douce et rassurante. J’adorais l’entendre. Quand elle se taisait, il y avait un grand silence, comme quand les marins avaient quitté le navire, tout à l’heure. Ce silence me faisait mal, me faisait peur. J’aimais trop cette voix, je voulais l’entendre encore.  Mais voilà que des grognements se manifestaient, d’abord discrètement, puis de plus en plus forts. Des bruits sauvages qui m’effrayaient et qui ressemblaient au frottement des flots le long de la carène. C’était un bruit étrange, comme des borborygmes qui n’en finissaient pas.

J’étais là, au fond de la cale, dans le noir absolu, replié sur moi-même dans un coin comme un petit enfant et j’essayais de me souvenir. Soudain, cette image de mon être recroquevillé sur lui-même me rappela un dessin que j’avais vu autrefois dans un livre et qui représentait un fœtus dans le ventre de sa mère. Alors tout me revint avec une évidence incroyable. Le bruit du cœur, puissant, régulier, et puis cette voix douce qui me plaisait tant et qui était celle de ma mère ! Quant aux borborygmes impressionnants, ils étaient provoqués par tous les viscères en action, avec tous leurs liquides qui se déplaçaient par à coup. Je me souvenais maintenant avoir été ce fœtus dans le ventre de sa mère, entouré de bruits, mais pourtant bien au chaud et protégé à l’intérieur de ce ventre de femme. Rassuré par ma découverte, je m’apaisai et finis par m’endormir, certain que rien de fâcheux ne pouvait m’arriver.

Quand je revins à moi, on donnait des coups sur la trappe d’accès à la cale. Bientôt un peu de jour se fit entre deux planches, puis la lumière devint aveuglante. Un homme descendait par l’échelle, une lampe tempête à la main. Quand il me vit, il laissa échapper un tel cri de stupeur qu’il faillit laisser tomber sa lanterne.

On me fit monter sur le pont et là, à la lumière du jour, je compris ce qui était arrivé. Le bateau, à moitié démantelé, s’était échoué sur des récifs, à une vingtaine de mètres du rivage. Il n’avait donc pas sombré. Pendant que je dormais tranquillement dans l’utérus de ma génitrice, il avait poursuivi sa route, balloté par les flots et était venu s’encastrer entre deux gros rochers, qui l‘avaient maintenu en équilibre. Je l’avais échappé belle ! Je pris une profonde respiration et regardai les falaises impressionnantes qui étaient devant moi. Je venais d’aborder en Amérique, sur cette pointe qu’on appelle la Tierra del Fuego.

Littérature

       

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02/01/2013

Bonne Année !

Bonne année à tous les lecteurs et lectrices.

Espérons que 2013 se passe bien pour tout le monde. Mieux vaut ne pas regarder l’actualité, si on veut rester optimiste (avec la Grèce qui s’enfonce dans les mesures d’austérité, l’Espagne qui la talonne, l’Italie dont le Premier Ministre, issu du monde bancaire, dit sans rire qu’il ne se présentera pas aux élections, mais qu’il est prêt quand même à diriger le pays, avec le chômage qui monte partout, les lois sur la protection du travail qu’on détricote et les milliardaires qui n’en finissent plus de s’enrichir…).

Mieux vaut donc cultiver son jardin, ouvrir quelques vieux livres, relire des poèmes beaux et rêver à ce que l’on voudrait que demain soit. Vivons pour nous,  égoïstement, et cherchons la substantifique moelle de cette vie qui nous a  été donnée.

Gardons pourtant  toujours notre conscience en éveil et ne laissons pas quelques dirigeants louches décider à notre place de ce qui ne nous convient pas.

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