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18/12/2010

Pause

Après une année de bons et loyaux services, Marche romane prend ses quartiers d’hiver, ce qui signifie que ce site entre en hibernation pour quelque temps. J’ai envie de me plonger tout entier dans le silence des livres. Mon texte « Obscurité » a été écrit pour ainsi dire en direct et sous le regard de tous, aussi ai-je besoin maintenant d’un peu de recul. Internet est un outil fantastique, pour autant qu’on vienne y exprimer ce qui émane du plus profond de soi, sinon on risque de tomber dans un inutile bavardage, ce que je ne voudrais pas. Il est donc nécessaire de se ressourcer de temps à autre et telle est bien mon intention. Lorsque dehors tombe la neige, on n’a point trop envie de parcourir les routes, fussent-elles virtuelles, mais plutôt de rester bien au chaud et d’ouvrir un livre. Il suffit alors de tourner les pages pour retrouver aussitôt un autre voyage, celui où nous emmènent les écrivains. Rêver et plonger dans l’imaginaire peut être vu comme une philosophie de vie, une manière comme une autre d’échapper à ce monde agressif dans lequel il nous fait pourtant bien vivre.

 

A bientôt donc. Dans une autre année, probablement.

 

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07:00 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (5)

13/12/2010

Dernière rose

Je me souviens d’un monde où les roses fleurissaient en novembre. C’étaient des fleurs étranges qui gardaient la mémoire de nos amours. Elles étaient belles dans leur ardente robe rouge et avaient en elles-mêmes une grâce et une splendeur incomparables.

Quand il avait plu, elles semblaient fort fragiles, avec une goutte d’eau qui parfois glissait le long de leurs pétales avant d’aller s’écraser dans la boue du chemin. Mais elles, sur leur branche, paraissaient attendre les jours d’un printemps improbable qu’elles ne verraient jamais.

Parfois, j’effeuillais d’un doigt délicat leurs pétales tendres, qui s’ouvraient sans résistance, laissant voir un instant les souvenirs enfermés là, au cœur des ténèbres.

Puis, quand venait décembre, un manteau de neige recouvrait soudain les roses. Immobiles, figées dans l’instant, elles semblaient n’exister qu’en rêve, comme si elles nous avaient déjà quittés.

De temps en temps, une mésange venait se poser sur une branche et, sous l’offense, celle-ci ployait légèrement. D’un bec rageur, l’oiseau effronté picorait alors le givre qui recouvrait la rose, la meurtrissant dans son rêve éternel.

 Plus tard, bien plus tard, quand venait le printemps, la reine des fleurs, desséchée et flétrie, pendait lamentablement. Ballotée au gré des vents de mars, elle finissait par tomber sur le sol humide, où elle disparaissait bientôt sous des pas anonymes.

Il ne restait plus rien alors de la rose, rien qu’un parfum évanoui au plus profond de notre mémoire, rien qu’un souvenir oublié de nos amours adolescentes.

 

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12:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

08/12/2010

Le vent de l'Histoire

Le monde est à genoux

Terrassé par le vent de l’Histoire.

Dans les livres des Dieux,

Un poème s’est écrit

Avec des lettres de feu.

 

Quelque part tombe la foudre

Et dans les jardins d’Orient

Une jeune fille rédige des lettres d’amour.

 

Plus loin, le long des fleuves,

Courent des enfants nus,

Tandis que sur les plages de l’océan

Quelqu’un a tracé ton nom sur le sable infini.

 

Regarde les nuages dans le ciel,

Cet alphabet mystérieux…

On dirait un rêve qui se dessine

Puis qui se transforme en un tableau changeant

Jusqu’à figurer la carte de mondes inconnus.

 

Dans le lointain, les forêts du Sud n’en finissent plus de brûler

Et un épais nuage de fumée occulte tous les soleils.

Maintenant c’est la nuit

La nuit profonde des origines

Et le souvenir revient de guerriers incroyables

Qui pillaient les villages et emportaient nos femmes.

 

Plus loin encore, sur les plages de l’océan,

Des vagues s’inversent et s’échouent

Dans le bruit des tempêtes et du vent,

Gerbes d’écume qui gémissent en glissant,

Grondement rocailleux des rochers déchirés.

 

Ici finit l’Histoire, ses batailles et ses défaites

Ici finit le monde, dans l’éternité d’outre-mer.

 

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07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

06/12/2010

Vases communicants, bilan.

Le principe des échanges, tels que je l’ai pratiqué vendredi dernier, semble prendre de l’ampleur. Je ne sais si c’est un bien ou un mal, car si chacun bouge d’une case et va écrire chez son voisin, les lecteurs vont finir par s’y perdre. Mais quelque part, cela me semble renouveler le processus de création et tous ces textes qui s’échangent sans qu’on sache trop finalement qui les a écrits, me fait penser à la littérature orale primitive, celle des aèdes grecs ou celles de nos chansons de gestes moyenâgeuses. Internet devient dès lors un immense réservoir de paroles.

Le problème sera de discerner là-dedans les textes forts. Certains diront que tout le monde peut désormais écrire et y aller de son petit texte et donc que le tri que faisaient les éditeurs ne se fait plus. D’autres diront au contraire que beaucoup de ces fameux éditeurs ont failli à leur tâche en publiant tout et n’importe quoi et donc que les textes de qualité qu’ils ont écartés peuvent s’exprimer ici.  

Au-delà de cette polémique, je dirai surtout que derrière tout cela il y a le plaisir d’écrire et que cette écriture qu’on croyait morte et qu’on nous annonçait comme telle (civilisation de l’image, de la télévision et du téléphone, primauté de l’oral sur l’écrit, etc.) renait à une vitesse incroyable. Écrire et être lu, que demander de plus, finalement. ?.    

 

En attendant, on en parle des échanges de vendredi  ici : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2366

Et encore là :   http://brigetoun.blogspot.com/2010/12/comme-presque-nombreux-etaient-les.html

 

de-monge-et-serre-poncon-wilhelm-avait-repere-il-y-a-plus-de-cent-ans-le-lieu-ou-serait-edifie-le-grand-barrage-sur-la-durance_-le-dl-vincent-ollivier.jpg

 

 

 

Barrage de Serre-Ponçon, sur la Durance

15:46 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

05/12/2010

Vacances de rêve

Il y a quelque temps, les éditions Antidata recherchaient des textes pour réaliser un petit recueil de nouvelles sur le thème de la musique. Il s’agissait donc d’un recueil collectif. Malheureusement, j’étais fort occupé par la rédaction d’Obscurité et je n’avais pas trop le temps d’imaginer une histoire originale. De plus, il m’aurait été très difficile de « sortir » de mon texte (Obscurité) tant j’étais en phase avec les personnages de mon récit. Par contre, je venais d’écrire un chapitre où je parlais justement de musique. Les lecteurs fidèles s’en souviennent forcément, c’est l’épisode au cours duquel l’enfant rencontre dans une clairière une jeune fille inconnue qui joue du violoncelle. Pour les lecteurs moins fidèles (honte à eux) c’est ici.

Pris par le temps, j’ai donc repris cette histoire de la musicienne et l’ai intégrée dans un autre contexte. Cela a donné le texte qui suit, dans lequel j’ai mis en gras les passages modifiés (pour les lecteurs pressés). Comme il fallait s’y attendre, cette histoire n’a pas été retenue par les éditeurs, qui sortent maintenant leur livre (dans lequel nous retrouvons une connaissance, le désormais "célèbre » Bertand Redonnet).

Si je remets cette nouvelle ici, c’est pour montrer comment un même texte peut prendre des connotations différentes selon le contexte dans lequel on l’insère. Nous retrouvons donc indirectement notre débat sur les étapes successives par lesquelles passe un manuscrit (corrections importantes ou pas de corrections, etc.)

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Vacances de rêve.

 

Il pleuvait ce jour-là et ses parents l’avaient amené au musée. Lui, avec ses douze ans, cela ne l’intéressait pas trop d’arpenter des kilomètres de galeries pendant des heures, aussi s’ennuya-t-il beaucoup. Un tableau, cependant, retint son attention. C’était une peinture du XVI° siècle qui représentait une jeune femme en train de jouer de la musique. Il n’aurait pu dire quel instrument elle tenait en main, mais il fut frappé par l’expression de son regard, qui semblait en extase. En plus, il y avait un tel recueillement dans son attitude, une telle concentration, qu’il sentit qu’il se passait là quelque chose. Cette jeune fille, il aurait bien aimé la rencontrer en vrai et l’écouter, pour percer le mystère qui semblait émaner de la musique elle-même, domaine qui lui était complètement étranger. En plus elle était belle, délicieusement belle, avec une mèche de cheveux noirs qui retombait sur son front et elle avait de longs doigts fins et délicats. Quelque part dans son subconscient, il assimila donc la beauté féminine et l’art musical. Puis il oublia le tout.

Quelques mois plus tard, cependant, alors qu’il était en vacances dans la Creuse et qu’il s’était enfoncé dans une forêt particulièrement profonde, il crut entendre de la musique. Cela paraissait tout à fait incroyable en cet endroit ! Pourtant, plus il avançait en direction d’une clairière qu’il devinait à travers le feuillage, plus il lui semblait percevoir des notes. Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ? Non, ce n’était pas possible… Il s’approcha donc lentement de la fameuse clairière et là, dissimulé dans les fourrés, il vit la plus belle chose qu’il lui eût jamais été donné de voir.     

 (...) Tout en continuant à écouter cette musique envoûtante, il se dit que c’était quand même bien étrange d’assister à un tel spectacle au milieu des bois. Il y avait là quelque chose d’absolument insolite, c’était le moins que l’on pût dire. Et que faisait cette adolescente, seule, en cet endroit ? D’où venait-elle ? Et puis, surtout, quel âge pouvait-elle bien avoir ? Quinze ans, seize ans ? Il n’avait aucune réponse à ses questions, ce qui le  désespérait.

 

A la fin, la jeune musicienne arrêta de jouer. Elle regarda autour d’elle et soupira. Ensuite, elle rangea son instrument dans une housse protectrice et l’emporta tant bien que mal à travers la clairière, puis disparut. Aussitôt, un grand vide et un grand silence se firent dans le cœur de l’enfant et c’est à contrecœur qu’il rentra chez lui. Q’aurait-il encore pu faire, tout seul là au milieu des bois ? (...)

Cependant, il voulait la revoir ! Il ne pensait même qu’à cela … C’est pourquoi, le lendemain, à peine avait-il avalé la dernière miette du déjeuner, qu’il s’enfuyait déjà vers la forêt. (...) Quand il arriva à la clairière, De son observatoire, il put enfin voir son visage. Il en resta figé sur place, tant celui-ci lui parut charmant. (...)  Il grava dans sa mémoire ses traits réguliers et se promit de les comparer avec ceux du fameux tableau, qui le hantaient toujours. Il nota également qu’elle avait un air pensif, un peu triste, un peu rêveur, qui correspondait bien avec la mélodie qu’elle jouait et cela l’émut fortement. A la fin, comme la veille, la jeune musicienne rangea son instrument et s’achemina vers l’extrémité de la clairière. L’instant d’après, comme un fantôme, elle s’était volatilisée. Il rebroussa donc chemin, mais se promit de revenir encore.

Le jour qui suivit, comme il était en avance, il se mit à attendre patiemment à son poste. Une heure passa, puis deux, puis trois. Malheureusement, la clairière resta désespérément vide. (...) A la fin, le soleil rougeoyait déjà à l’horizon quand il se décida à quitter les lieux, la mort dans l’âme. La belle inconnue n’était pas venue… Existait-elle, seulement ou n’était-elle que le fruit de son imagination ? Allait-il revenir encore une fois ? Bien sûr qu’il allait revenir ! Qu’aurait-il pu faire d’autre ? (...) (...) (...)

Le lendemain, il s’achemina donc une nouvelle fois vers la clairière enchantée. Il approchait de l’endroit fatidique, le cœur un peu serré, quand il entendit dans le  lointain la musique plaintive de l’instrument. Elle était donc là ! Une vague de bonheur le submergea aussitôt. A pas de loups, il se glissa derrière les troncs pour parvenir à son lieu d’observation habituel. La jeune fille était bien là, en effet, mais elle avait changé de place ! Elle se trouvait aujourd’hui beaucoup plus près de la lisière de la forêt. Autrement dit, elle n’était qu’à une dizaine de mètres de lui, ce qui, à la fois le combla de bonheur et le paralysa complètement. Qu’est-ce qu’elle était belle ! Cette fois il la voyait bien  (...) et il remarqua ses seins qui pointaient à travers le tee-shirt. (...) Il en avala sa salive et resta comme paralysé. (...) C’est qu’en plus elle semblait vivre dans un univers tellement différent du sien ! Jouer de la musique comme elle le faisait, c’était fabuleux. Elle devait sûrement être riche et vivre dans un château, ce n’était pas possible autrement. Il imaginait des pièces immenses, avec des lustres de cristal pendus au plafond, des cheminées monumentales en marbre rose, des escaliers en pierre blanche qui semblaient monter directement vers le ciel, des tables de bois noir bien ciré, avec des corbeilles qui débordaient de fruits exotiques, et en plus de tout cela, une armée de domestiques qui s’empressaient de tous côtés. Dans une pièce merveilleuse aux fenêtres ogivales et aux vitraux colorés, elle devait apprendre la musique avec des professeurs de renom, descendus de Paris ou de Vienne tout exprès pour elle. Ou bien elle jouait seule, cherchant l’inspiration, et relevait parfois la tête en  contemplant, rêveuse, le jeu de la lumière sur les vitraux. (...)

Il la regarda encore, la contempla, plutôt. Elle tenait son instrument avec une aisance déconcertante. (...)  Elle venait de terminer un morceau et en entamait un autre, encore plus beau, encore plus aérien. Il lui semblait voir les notes s’envoler comme des oiseaux et aller se perdre la-bas dans les feuillages. La mélodie était prenante, attendrissante même et n’était pas dépourvue d’une certaine tristesse. (...)  C’était véritablement l’âme de la jeune fille qui s’exprimait là et plus il écoutait cette musique et plus il avait l’impression de la connaître et même de la comprendre, elle. Car ce qu’elle disait, là, avec ses notes, c’est qu’elle était seule, un peu trop seule pour être heureuse. Elle disait aussi que le monde était beau, qu’elle appartenait à ce monde, mais qu’il lui manquait un petit quelque chose pour que tout fût parfait. Le fait d’exprimer ainsi cette mélancolie finissait par rendre celle-ci presque attendrissante. Au lieu de pleurer sur son sort, la musicienne disait simplement ce qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même et du coup, parce qu’elle était parvenue à dire cela, sa propre tristesse se changeait en beauté. L’enfant venait de découvrir le langage musical et il sut là, au bord de cette clairière, qu’il n’oublierait jamais cette leçon. (...)

 

Mais  soudain, après un dernier accord plus long et plus langoureux encore que les autres, la mélodie prit fin. Le silence qui suivit fut impressionnant, tout rempli encore des timbres musicaux qu’on venait d’entendre. La jeune fille alors se redressa et tourna la tête dans sa direction. Bien qu’il fût en partie dissimulé dans les branchages, leur regard se croisèrent. Il resta paralysé. Trop tard pour se sauver ou même pour faire un pas en arrière ! Elle lui sourit « Tu as aimé ce morceau ? » demanda-t-elle comme s’ils s’étaient toujours connus. Il ne sut que répondre et ne répondit donc rien, restant planté là comme un nigaud alors qu’il avait envie de dire et même de crier que c’était là une musique magnifique et qu’il n’avait jamais rien entendu de plus beau. Un peu décontenancée par son mutisme, elle n’en continua pas moins à lui sourire. « Allez, viens, ne reste pas caché là, tu peux venir près de moi pour écouter, si tu veux. »

 

Alors il sortit de sa cachette car il n’y avait plus d’autre solution. Il se sentait pris en faute comme un voleur.  (...) Il aurait dû reculer et s’enfuir, mais il n’en avait plus ni la force ni le courage. Cette voix féminine l’avait complètement paralysé. Il fallait dire qu’elle était douce, incroyablement douce, comme celle d’une mélodie. Elle le regarda. « Ce n’est pas la première fois que tu viens, hein ? Tu aimes la musique ? Tu joues d’un instrument, toi aussi ? » (...) Bien sûr que non, qu’il ne jouait pas d’un instrument ! Il se sentait vraiment idiot, là à côté d’elle. Si au moins il avait pu l’impressionner et lui annoncer qu’il maîtrisait le piano ou la flûte traversière, il aurait eu une chance de se faire remarquer et d’être accepté, mais non, il n’avait rien à dire, il ne jouait d’aucun instrument, pas même du tambour ou de l’harmonica.  (...)

 

Son interlocutrice, pourtant, continuait à se montrer bienveillante avec lui. Il se dit qu’elle devait avoir le fond gentil pour manifester autant de patience avec un idiot tel que lui, qui ne savait répondre que par oui ou par non. Alors, pour rompre cette situation embarrassante et sortir de son malaise, il se lança en avant et parvint à formuler une phrase entière : « Qu’est-ce que c’est pour un instrument que vous avez là ? »  Évidemment, il avait à peine posé cette question qu’il en perçut toute l’incongruité et tout le ridicule. S’enquérir de l’instrument lui-même, c’était avouer son ignorance totale dans le domaine de la culture en général et dans celui de la musique en particulier. (...)

Il resta donc là à attendre que le ciel lui tombât sur la tête, tout en avalant une nouvelle fois sa salive. Allait-elle éclater de rire ? Allait-elle le congédier d’un geste brusque ? Allait-elle se fâcher devant autant d’ignorance ? Et bien non. De sa voix douce, elle répondit calmement que cet instrument était un violoncelle et elle se mit patiemment à lui en montrer les différentes parties. Elle lui montra la pique, qui permettait de fixer l’appareil au sol, tandis qu’autrefois on le coinçait entre ses jambes. Elle parla de l’archet, elle lui expliqua la technique des cordes frottées et celle du « démanché », qui n’était autre qu’un déplacement de la main gauche le long du manche afin d’obtenir des notes plus aigües. Il en resta saisi d’admiration.

Son étonnement redoubla quand la jeune fille lui proposa de jouer lui-même. Il se mit donc devant l’instrument et elle se mit derrière lui. Elle avait un parfum envoûtant qui le fit chavirer aussitôt. Ensuite, elle prit sa main pour la positionner correctement sur  le manche. Ah ! Comme le contact de cette main était agréable ! La belle inconnue avait la peau douce et sa main était toute chaude… Il en fut complètement troublé. Cependant, il n’eut pas le temps d’analyser les sentiments qui l’agitaient car déjà elle lui confiait l’archet. Son corps était tout contre le sien et c’était délicieux. Elle se pencha davantage encore pour tenir sa main droite et guider le mouvement. Le violoncelle émit un cri aigu, suivi d’un grognement rauque. Ils se mirent à rire tout les deux, trouvant là une première complicité. On recommença et ce fut bien meilleur. Quelques notes plus ou moins correctes s’envolèrent dans les airs. C’est elle qui faisait tout, bien entendu, mais cela n’avait aucune importance. L’instant était délicieux. (...)

A un moment donné, elle changea de position et vint se placer à sa droite. Pour tenir l’archet, elle se pencha donc devant lui et là il crut complètement défaillir. Ses beaux cheveux noirs venaient toucher sa figure et dans l’échancrure du tee-shirt un peu entrebâillé de par sa position, il entrevit ce qu’il n’aurait jamais cru voir, la naissance de ses deux seins. Sans cesse, ses yeux revenaient s’attarder à cet endroit, pendant qu’elle guidait sa main et que le violoncelle se mettait à gémir de plus en plus fort.

Mais déjà l’obscurité tombait et il fallait partir. Reviendrait-elle le lendemain ? Non, malheureusement, car c’était son dernier jour de vacances et elle rentrait à Paris… Il crut que l’univers allait s’effondrer autour de lui. Il la regarda, consterné. Elle lui sourit. « Allons, ne fais pas cette tête-là, tu auras encore bien d’autres occasions d’apprendre à jouer du violoncelle ! »  Il n’y avait plus qu’à se dire au revoir. Il la fixa longuement, de la même manière dont, autrefois au musée, il avait regardé la musicienne du tableau. La jeune fille, un peu intimidée quand même, s’approcha pour lui faire la bise, mais sa lèvre vint effleurer le coin de la bouche du garçon. Quelle intensité il y avait dans ses yeux quand elle s’écarta ! Quel trouble il y avait dans les siens ! Sans plus la regarder, il se précipita en courant vers la forêt et c’est à peine s’il l’entendit qui criait « Bonnes fins de vacances »

Il s’arrêta dans la partie la plus sombre du bois. Son cœur battait à tout rompre. Etait-ce seulement d’avoir couru ? Il écouta le grand silence qui l’entourait et ferma les yeux. L’image de la musicienne peinte sur le tableau surgit devant lui avec une netteté incroyable. Avait-elle vraiment existé ou était-elle sortie de l’imagination de l’artiste ?

 

01:39 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

03/12/2010

Bertrand Redonnet, "Le bourgeois, la mort et le manant"

 

Vous connaissez le principe des vases communicants ? C’est tout simple : l’auteur d’un blogue invite une connaissance à venir discourir sur son site tandis que lui-même va prendre possession du site laissé libre. Alors voilà, aujourd’hui, j’ai remis les clefs de Marche romane à Bertrand Redonnet, qui doit être tout heureux de quitter un instant sa Pologne enneigée et ses moins vingt-cinq degrés pour venir se réchauffer un peu plus à l’Ouest. Pas de chance, il y a aussi de la neige ici, mais il ne fait que moins huit et il appréciera, j’en suis certain.

Il est inutile de vous présenter Bertrand. Si vous ne l’avez pas lu ici, en commentaire, vous l’aurez entendu tempêter depuis son blogue d’exilé qu’il a consacré aux mots. Et ses mots, justement, sonnent généralement fort car il a su garder en lui, malgré les années qui défilent et qui lui ont quelque peu blanchi les cheveux, il a su garder, dis-je, cet esprit de révolte (contre toutes les tromperies de la société) qu’on possède généralement quand on a dix-sept ans. Et ses propos, contrairement à ce qu’affirmait Rimbaud, sont toujours très sérieux…

Je vous laisse en sa compagnie. Quant à moi, je me sauve…  

 

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C’est la fête aujourd’hui aux vases communicants : Je vais passer  chez un ami…Le saluer. Nous nous connaissons depuis plus de trois ans.

 Je pousse la porte de Marche Romane…J’appelle. Personne….La maison est vide mais le feu crépite et la table est servie.

Que faire ? Attendre là ? Mais il est où, l’ami Feuilly ?

Et tout à coup j’y repense : Il est chez moi…Je l’avais invité.

Merde ! Quel âne bâté je fais !

Bon…Il est tard…J’étais venu pour laisser un mot…Un texte que j’avais écrit il y a quelques années et puis que j’avais abandonné.

Je le lui laisse sur la table.

J’espère qu’il me laissera aussi un mot.

Chez moi.

Comme ça, nous ne nous serons croisés qu’à demi.

De toute façon entre nous, c’est toujours une histoire de mots.

 Bertrand

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Le bourgeois, la mort et le manant

 

Quentin vit le soleil se lever par-dessus  la forêt. Trois chevreuils au détour d’une allée détalèrent devant lui et, d’un bond, sautèrent sous le couvert des taillis. L’herbe des allées était blanche d’une moindre gelée et craquait sous la chaussure.

On était le matin du 28 décembre.

Quentin marchait d’un pas désordonné, pressé de constater l’état dans lequel la tempête de la nuit aurait laissé son chantier.

Ses coupes se situaient au cœur d’une vaste propriété de plus de quatre cent hectares, entièrement ceinte d’une clôture grillagée. Aussi l’hiver, par respect pour les allées détrempées, laissait-il sa camionnette au portail d’entrée et se rendait-il à pied à travers la forêt jusqu’à sa coupe du moment, le plus souvent à deux ou trois kilomètres de distance.

Chemin faisant, il furetait les sous-bois, tâchait de surprendre les animaux sauvages et prenait le temps d’examiner les empreintes de chevreuils ou les dévastations des sangliers de la migration d’automne.

A la saison, il musardait aussi pour repérer le passage des lièvres et des lapins. Si les indices lui paraissaient probants, une vieille corde de guitare était alors disposée en collet. Dès potron-minet et très discrètement, il faisait alors de longs détours dans les sous-bois pour aller lever ses pièges.

Car il y avait danger. Le propriétaire des lieux, hobereau de village, bourgeois fesse-mathieu, ladre obsédé par la propriété, s’il l’eût surpris, aurait assurément voulut dénoncer la convention d’exploitation qui le liait à Quentin.

A grand regret sans doute car le bonhomme, âpre aux gains, recevait pour les replantations une subvention substantielle et la récolte annuelle de Quentin lui procurait, en plus, un joli petit dividende.

N’empêche qu’un article du contrat, peut-être par intimidation, stipulait bien que toute action de chasse, à plus forte raison de braconnage, était absolument prohibée  et même, idiotie suprême de l’hystérie accaparatrice, la cueillette des champignons, le ramassage des escargots, des fraises des bois, des noisettes, des fleurs sauvages, dont en premier lieu les orchidées.

La transgression systématique de ces interdictions - sauf celle s’appliquant aux orchidées - constituait pour Quentin un double plaisir : Il mettait un point d’honneur à « voler le voleur ».

Une fois même, il s’était emparé d’un chevreuil.

C’était peu avant Noël. La journée avait été sombre et le brouillard flottait maintenant autour des arbres, enveloppant aussi  les allées d’une humidité tremblante. Quentin avait mis  la dernière main au chargement de son camion. Il  se préparait à partir et se lavait les mains à l’eau rougeâtre d’une ornière. Dans le lointain depuis longtemps il entendait la chasse, les cris gutturaux des hommes, les aboiements rauques des chiens de meute, comme ceux de fauves mis en appétit et qui se racleraient la gorge et, de temps à autre, appel navrant de la mort aux abois, une corne.

Un frisson remua les broussailles alentour et les genêts s’écartèrent, sans bruit, avec douceur presque. Quelqu’un claudiquait là, tout près.

Quentin tressaillit  et se retourna vivement. Une sombre silhouette s’était arrêtée aux abords de l’allée, qui respirait bruyamment.

Grelottant sur ses pattes écartées pour garder l’équilibre, le bas côté ensanglanté et l’œil qui dégoulinait de stupeur et d’effroi, un chevreuil fixait Quentin.  Se voyant là perdue, la retraite coupée par cet homme immobile et qui le regardait en silence,  avec la meute qui rugissait là-bas et la corne lancinante derrière les brouillards et les chasseurs hurlant,  la bête ne bougea plus, regarda l’homme en pleurant de grosses larmes, pencha doucement la tête de côté comme si elle voulait d’un œil voir une dernière fois la couleur des nuages et du ciel, meurtrie autant par la fatigue de ses blessures que par le désespoir du combat perdu, plia les pattes, se mit lentement à genoux, éternua dans un soubresaut et se laissa choir enfin sur la boue du chemin.

Déjà la petite langue pendait  des babines entrouvertes.

Quentin s’était précipité et avait  jeté l’animal sur son chargement, entre les deux rangées de bois. Dans ses larges rétroviseurs il avait vu, tandis qu’il cahotait lentement sur l’allée, la meute  écumante tourner en rond et rugir, là où était tombé le chevreuil.

 

Mathilde, sa compagne,  avait préparé des civets et des sauces aux airelles et on avait festoyé entre amis pour Noël.

Mais Quentin n’avait goûté que du bout des lèvres et avait déclaré que c’était dégueulasse, trop fort, trop saveur de sauvage.

Peut-être revoyait-il, parmi les sauces, les morceaux de viande et les champignons, flotter les deux yeux du désespoir et de la mort.

 

 

 

 

 

07:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

02/12/2010

Lecture du jour

Quand l'art atteint une plus grande perfection que la nature...

 

On trouve par escrit que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant esté prié par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance de leur donner le pourtrait de la belle Helaine et la leur representer si belle comme on disoit qu’elle avoit esté, il ne leur en voulut point refuser ; mais qu’avant d’en faire le pourtrait , il les contempla toutes fixement  et, en prenant de l’une et de l’autre ce qu’il y put trouver de plus beau, il en fit le tableau comme de belles pièces rapportées, et en representa par icelles Helaine si belle qu’il n’y avoit rien à dire, et qu’il fut tant admirable à toutes, mais Dieu mercy à elles, qui y avoyent bien tant aydé par leurs beautez et parcelles comme Zeuxis avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire que de trouver sur Helaine toutes les perfections de beauté il n’estoit pas possible, encor qu’elle ait esté en extremité très-belle.

Brantôme, "les Dames galantes"

 

richem.gifChâteau de Richemont, demeure de Pierre de Bourdeille, dit Brantôme, dans le Périgord.

15:19 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature