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05/12/2010

Vacances de rêve

Il y a quelque temps, les éditions Antidata recherchaient des textes pour réaliser un petit recueil de nouvelles sur le thème de la musique. Il s’agissait donc d’un recueil collectif. Malheureusement, j’étais fort occupé par la rédaction d’Obscurité et je n’avais pas trop le temps d’imaginer une histoire originale. De plus, il m’aurait été très difficile de « sortir » de mon texte (Obscurité) tant j’étais en phase avec les personnages de mon récit. Par contre, je venais d’écrire un chapitre où je parlais justement de musique. Les lecteurs fidèles s’en souviennent forcément, c’est l’épisode au cours duquel l’enfant rencontre dans une clairière une jeune fille inconnue qui joue du violoncelle. Pour les lecteurs moins fidèles (honte à eux) c’est ici.

Pris par le temps, j’ai donc repris cette histoire de la musicienne et l’ai intégrée dans un autre contexte. Cela a donné le texte qui suit, dans lequel j’ai mis en gras les passages modifiés (pour les lecteurs pressés). Comme il fallait s’y attendre, cette histoire n’a pas été retenue par les éditeurs, qui sortent maintenant leur livre (dans lequel nous retrouvons une connaissance, le désormais "célèbre » Bertand Redonnet).

Si je remets cette nouvelle ici, c’est pour montrer comment un même texte peut prendre des connotations différentes selon le contexte dans lequel on l’insère. Nous retrouvons donc indirectement notre débat sur les étapes successives par lesquelles passe un manuscrit (corrections importantes ou pas de corrections, etc.)

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Vacances de rêve.

 

Il pleuvait ce jour-là et ses parents l’avaient amené au musée. Lui, avec ses douze ans, cela ne l’intéressait pas trop d’arpenter des kilomètres de galeries pendant des heures, aussi s’ennuya-t-il beaucoup. Un tableau, cependant, retint son attention. C’était une peinture du XVI° siècle qui représentait une jeune femme en train de jouer de la musique. Il n’aurait pu dire quel instrument elle tenait en main, mais il fut frappé par l’expression de son regard, qui semblait en extase. En plus, il y avait un tel recueillement dans son attitude, une telle concentration, qu’il sentit qu’il se passait là quelque chose. Cette jeune fille, il aurait bien aimé la rencontrer en vrai et l’écouter, pour percer le mystère qui semblait émaner de la musique elle-même, domaine qui lui était complètement étranger. En plus elle était belle, délicieusement belle, avec une mèche de cheveux noirs qui retombait sur son front et elle avait de longs doigts fins et délicats. Quelque part dans son subconscient, il assimila donc la beauté féminine et l’art musical. Puis il oublia le tout.

Quelques mois plus tard, cependant, alors qu’il était en vacances dans la Creuse et qu’il s’était enfoncé dans une forêt particulièrement profonde, il crut entendre de la musique. Cela paraissait tout à fait incroyable en cet endroit ! Pourtant, plus il avançait en direction d’une clairière qu’il devinait à travers le feuillage, plus il lui semblait percevoir des notes. Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ? Non, ce n’était pas possible… Il s’approcha donc lentement de la fameuse clairière et là, dissimulé dans les fourrés, il vit la plus belle chose qu’il lui eût jamais été donné de voir.     

 (...) Tout en continuant à écouter cette musique envoûtante, il se dit que c’était quand même bien étrange d’assister à un tel spectacle au milieu des bois. Il y avait là quelque chose d’absolument insolite, c’était le moins que l’on pût dire. Et que faisait cette adolescente, seule, en cet endroit ? D’où venait-elle ? Et puis, surtout, quel âge pouvait-elle bien avoir ? Quinze ans, seize ans ? Il n’avait aucune réponse à ses questions, ce qui le  désespérait.

 

A la fin, la jeune musicienne arrêta de jouer. Elle regarda autour d’elle et soupira. Ensuite, elle rangea son instrument dans une housse protectrice et l’emporta tant bien que mal à travers la clairière, puis disparut. Aussitôt, un grand vide et un grand silence se firent dans le cœur de l’enfant et c’est à contrecœur qu’il rentra chez lui. Q’aurait-il encore pu faire, tout seul là au milieu des bois ? (...)

Cependant, il voulait la revoir ! Il ne pensait même qu’à cela … C’est pourquoi, le lendemain, à peine avait-il avalé la dernière miette du déjeuner, qu’il s’enfuyait déjà vers la forêt. (...) Quand il arriva à la clairière, De son observatoire, il put enfin voir son visage. Il en resta figé sur place, tant celui-ci lui parut charmant. (...)  Il grava dans sa mémoire ses traits réguliers et se promit de les comparer avec ceux du fameux tableau, qui le hantaient toujours. Il nota également qu’elle avait un air pensif, un peu triste, un peu rêveur, qui correspondait bien avec la mélodie qu’elle jouait et cela l’émut fortement. A la fin, comme la veille, la jeune musicienne rangea son instrument et s’achemina vers l’extrémité de la clairière. L’instant d’après, comme un fantôme, elle s’était volatilisée. Il rebroussa donc chemin, mais se promit de revenir encore.

Le jour qui suivit, comme il était en avance, il se mit à attendre patiemment à son poste. Une heure passa, puis deux, puis trois. Malheureusement, la clairière resta désespérément vide. (...) A la fin, le soleil rougeoyait déjà à l’horizon quand il se décida à quitter les lieux, la mort dans l’âme. La belle inconnue n’était pas venue… Existait-elle, seulement ou n’était-elle que le fruit de son imagination ? Allait-il revenir encore une fois ? Bien sûr qu’il allait revenir ! Qu’aurait-il pu faire d’autre ? (...) (...) (...)

Le lendemain, il s’achemina donc une nouvelle fois vers la clairière enchantée. Il approchait de l’endroit fatidique, le cœur un peu serré, quand il entendit dans le  lointain la musique plaintive de l’instrument. Elle était donc là ! Une vague de bonheur le submergea aussitôt. A pas de loups, il se glissa derrière les troncs pour parvenir à son lieu d’observation habituel. La jeune fille était bien là, en effet, mais elle avait changé de place ! Elle se trouvait aujourd’hui beaucoup plus près de la lisière de la forêt. Autrement dit, elle n’était qu’à une dizaine de mètres de lui, ce qui, à la fois le combla de bonheur et le paralysa complètement. Qu’est-ce qu’elle était belle ! Cette fois il la voyait bien  (...) et il remarqua ses seins qui pointaient à travers le tee-shirt. (...) Il en avala sa salive et resta comme paralysé. (...) C’est qu’en plus elle semblait vivre dans un univers tellement différent du sien ! Jouer de la musique comme elle le faisait, c’était fabuleux. Elle devait sûrement être riche et vivre dans un château, ce n’était pas possible autrement. Il imaginait des pièces immenses, avec des lustres de cristal pendus au plafond, des cheminées monumentales en marbre rose, des escaliers en pierre blanche qui semblaient monter directement vers le ciel, des tables de bois noir bien ciré, avec des corbeilles qui débordaient de fruits exotiques, et en plus de tout cela, une armée de domestiques qui s’empressaient de tous côtés. Dans une pièce merveilleuse aux fenêtres ogivales et aux vitraux colorés, elle devait apprendre la musique avec des professeurs de renom, descendus de Paris ou de Vienne tout exprès pour elle. Ou bien elle jouait seule, cherchant l’inspiration, et relevait parfois la tête en  contemplant, rêveuse, le jeu de la lumière sur les vitraux. (...)

Il la regarda encore, la contempla, plutôt. Elle tenait son instrument avec une aisance déconcertante. (...)  Elle venait de terminer un morceau et en entamait un autre, encore plus beau, encore plus aérien. Il lui semblait voir les notes s’envoler comme des oiseaux et aller se perdre la-bas dans les feuillages. La mélodie était prenante, attendrissante même et n’était pas dépourvue d’une certaine tristesse. (...)  C’était véritablement l’âme de la jeune fille qui s’exprimait là et plus il écoutait cette musique et plus il avait l’impression de la connaître et même de la comprendre, elle. Car ce qu’elle disait, là, avec ses notes, c’est qu’elle était seule, un peu trop seule pour être heureuse. Elle disait aussi que le monde était beau, qu’elle appartenait à ce monde, mais qu’il lui manquait un petit quelque chose pour que tout fût parfait. Le fait d’exprimer ainsi cette mélancolie finissait par rendre celle-ci presque attendrissante. Au lieu de pleurer sur son sort, la musicienne disait simplement ce qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même et du coup, parce qu’elle était parvenue à dire cela, sa propre tristesse se changeait en beauté. L’enfant venait de découvrir le langage musical et il sut là, au bord de cette clairière, qu’il n’oublierait jamais cette leçon. (...)

 

Mais  soudain, après un dernier accord plus long et plus langoureux encore que les autres, la mélodie prit fin. Le silence qui suivit fut impressionnant, tout rempli encore des timbres musicaux qu’on venait d’entendre. La jeune fille alors se redressa et tourna la tête dans sa direction. Bien qu’il fût en partie dissimulé dans les branchages, leur regard se croisèrent. Il resta paralysé. Trop tard pour se sauver ou même pour faire un pas en arrière ! Elle lui sourit « Tu as aimé ce morceau ? » demanda-t-elle comme s’ils s’étaient toujours connus. Il ne sut que répondre et ne répondit donc rien, restant planté là comme un nigaud alors qu’il avait envie de dire et même de crier que c’était là une musique magnifique et qu’il n’avait jamais rien entendu de plus beau. Un peu décontenancée par son mutisme, elle n’en continua pas moins à lui sourire. « Allez, viens, ne reste pas caché là, tu peux venir près de moi pour écouter, si tu veux. »

 

Alors il sortit de sa cachette car il n’y avait plus d’autre solution. Il se sentait pris en faute comme un voleur.  (...) Il aurait dû reculer et s’enfuir, mais il n’en avait plus ni la force ni le courage. Cette voix féminine l’avait complètement paralysé. Il fallait dire qu’elle était douce, incroyablement douce, comme celle d’une mélodie. Elle le regarda. « Ce n’est pas la première fois que tu viens, hein ? Tu aimes la musique ? Tu joues d’un instrument, toi aussi ? » (...) Bien sûr que non, qu’il ne jouait pas d’un instrument ! Il se sentait vraiment idiot, là à côté d’elle. Si au moins il avait pu l’impressionner et lui annoncer qu’il maîtrisait le piano ou la flûte traversière, il aurait eu une chance de se faire remarquer et d’être accepté, mais non, il n’avait rien à dire, il ne jouait d’aucun instrument, pas même du tambour ou de l’harmonica.  (...)

 

Son interlocutrice, pourtant, continuait à se montrer bienveillante avec lui. Il se dit qu’elle devait avoir le fond gentil pour manifester autant de patience avec un idiot tel que lui, qui ne savait répondre que par oui ou par non. Alors, pour rompre cette situation embarrassante et sortir de son malaise, il se lança en avant et parvint à formuler une phrase entière : « Qu’est-ce que c’est pour un instrument que vous avez là ? »  Évidemment, il avait à peine posé cette question qu’il en perçut toute l’incongruité et tout le ridicule. S’enquérir de l’instrument lui-même, c’était avouer son ignorance totale dans le domaine de la culture en général et dans celui de la musique en particulier. (...)

Il resta donc là à attendre que le ciel lui tombât sur la tête, tout en avalant une nouvelle fois sa salive. Allait-elle éclater de rire ? Allait-elle le congédier d’un geste brusque ? Allait-elle se fâcher devant autant d’ignorance ? Et bien non. De sa voix douce, elle répondit calmement que cet instrument était un violoncelle et elle se mit patiemment à lui en montrer les différentes parties. Elle lui montra la pique, qui permettait de fixer l’appareil au sol, tandis qu’autrefois on le coinçait entre ses jambes. Elle parla de l’archet, elle lui expliqua la technique des cordes frottées et celle du « démanché », qui n’était autre qu’un déplacement de la main gauche le long du manche afin d’obtenir des notes plus aigües. Il en resta saisi d’admiration.

Son étonnement redoubla quand la jeune fille lui proposa de jouer lui-même. Il se mit donc devant l’instrument et elle se mit derrière lui. Elle avait un parfum envoûtant qui le fit chavirer aussitôt. Ensuite, elle prit sa main pour la positionner correctement sur  le manche. Ah ! Comme le contact de cette main était agréable ! La belle inconnue avait la peau douce et sa main était toute chaude… Il en fut complètement troublé. Cependant, il n’eut pas le temps d’analyser les sentiments qui l’agitaient car déjà elle lui confiait l’archet. Son corps était tout contre le sien et c’était délicieux. Elle se pencha davantage encore pour tenir sa main droite et guider le mouvement. Le violoncelle émit un cri aigu, suivi d’un grognement rauque. Ils se mirent à rire tout les deux, trouvant là une première complicité. On recommença et ce fut bien meilleur. Quelques notes plus ou moins correctes s’envolèrent dans les airs. C’est elle qui faisait tout, bien entendu, mais cela n’avait aucune importance. L’instant était délicieux. (...)

A un moment donné, elle changea de position et vint se placer à sa droite. Pour tenir l’archet, elle se pencha donc devant lui et là il crut complètement défaillir. Ses beaux cheveux noirs venaient toucher sa figure et dans l’échancrure du tee-shirt un peu entrebâillé de par sa position, il entrevit ce qu’il n’aurait jamais cru voir, la naissance de ses deux seins. Sans cesse, ses yeux revenaient s’attarder à cet endroit, pendant qu’elle guidait sa main et que le violoncelle se mettait à gémir de plus en plus fort.

Mais déjà l’obscurité tombait et il fallait partir. Reviendrait-elle le lendemain ? Non, malheureusement, car c’était son dernier jour de vacances et elle rentrait à Paris… Il crut que l’univers allait s’effondrer autour de lui. Il la regarda, consterné. Elle lui sourit. « Allons, ne fais pas cette tête-là, tu auras encore bien d’autres occasions d’apprendre à jouer du violoncelle ! »  Il n’y avait plus qu’à se dire au revoir. Il la fixa longuement, de la même manière dont, autrefois au musée, il avait regardé la musicienne du tableau. La jeune fille, un peu intimidée quand même, s’approcha pour lui faire la bise, mais sa lèvre vint effleurer le coin de la bouche du garçon. Quelle intensité il y avait dans ses yeux quand elle s’écarta ! Quel trouble il y avait dans les siens ! Sans plus la regarder, il se précipita en courant vers la forêt et c’est à peine s’il l’entendit qui criait « Bonnes fins de vacances »

Il s’arrêta dans la partie la plus sombre du bois. Son cœur battait à tout rompre. Etait-ce seulement d’avoir couru ? Il écouta le grand silence qui l’entourait et ferma les yeux. L’image de la musicienne peinte sur le tableau surgit devant lui avec une netteté incroyable. Avait-elle vraiment existé ou était-elle sortie de l’imagination de l’artiste ?

 

01:39 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

Commentaires

Miroir troublant et tremblant de l'enfance scruté par le regard fiévreux de l'enfance c'est notre héritage.

Écrit par : voyageuse | 05/12/2010

Eh oui! Le personnage a pris consistance au fil des routes et en trio. On l'a aimé dans cette fuite. C'était une gageure de vouloir le faire voler brièvement de ses propres ailes!
Jalousie de lectrice qui a suivi «Obscurité»: quoi? Vous exploitez votre héros, vous le faites travailler ailleurs? (Un enfant!)

Écrit par : Natacha S. | 05/12/2010

Oui, oui, j'exploite mon héros, ne faisant en cela que suivre la tendance actuelle de la société. Je suis la mode, quoi.

Écrit par : Feuilly | 05/12/2010

Bonne chance aux produits dérivés! Et vous pourriez être sponsorisé par Pigeot (juste la fin du livre à changer). Vous remodelez votre itinéraire sur le prochain Tour de France (et le tour est joué ah! mais toujours la fin à changer)...

Écrit par : Natacha S. | 06/12/2010

Oui, et rebaptiser l'hsitoire "l'été meurtrier", histoire d'avoir des références.

Écrit par : Feuilly | 06/12/2010

«La carte et le territoire»... c'est un bon titre aussi.

Écrit par : Natacha S. | 06/12/2010

Voilà, un peu de pub et le Goncourt est à nous.

Écrit par : Feuilly | 06/12/2010

Les commentaires sont fermés.