02/06/2010
Obscurité (30)
Une jeune fille était là, qui tenait devant elle un instrument énorme, d’une taille vraiment impressionnante. A la main, elle avait une espèce de grand bâton (il saurait bientôt que cela s’appelait un archet) qu’elle faisait glisser sur les cordes de ce qui ressemblait finalement à un grand violon. Il la voyait de profil et ne pouvait pas bien distinguer ses traits mais, du peu qu’il entrevoyait, il en déduisit qu’elle était belle, incroyablement belle. Quant à ce qu’elle jouait, c’était tout simplement divin. Jamais il n’avait entendu quelque chose d’aussi beau. Tout ce qu’on écoutait, chez lui, autrefois, c’était la radio, laquelle diffusait les chansons à la mode du moment, quelques-unes en français et la plupart en anglais. Ici, c’était autre chose. Les sons s’envolaient dans les airs avec une élégance qu’il n’avait jamais rencontrée nulle part. Les notes se suivaient, lentes et espacées, presque mélancoliques, puis subitement elles s’accéléraient et formaient entre elles une harmonie parfaite. Là, au milieu des bois, dans cet endroit sauvage, la musique s’élevait, envoûtante, sublime. Dans sa tête, cela faisait comme de grands cercles concentriques et, sans trop savoir pourquoi, il pensa aux buses et aux éperviers qui, dans l’immensité du ciel bleu, faisaient eux aussi des mouvements circulaires, incompréhensibles mais très beaux. De plus, la mélodie qui se dégageait des notes appelait une suite, qu’il devinait pour ainsi dire avant que l’instrument ne la révélât. Du coup, quand la main de la jeune fille, avec son étrange bâton, se mettait à produire ces sons, il ressentait comme un frisson dans tout son être, sans trop savoir, d’ailleurs, si ce frisson était provoqué par l’harmonie de la mélodie, qu’il attendait inconsciemment, ou bien par la beauté et l’élégance de cette main, si belle et si fine. Car cette main l’obsédait et il ne parvenait pas à détacher le regard de ces doigts longs et fins, aux ongles délicats. Il regarda sa propre main et la trouva ridicule. Elle était courte et large, avec des doigts solides, mais petits et trapus. Là-bas, chez cette fille, c’était tout autre chose. Il y avait une élégance naturelle dans la manière dont les doigts se mouvaient avec agilité en tenant ce mystérieux bâton qui produisait des sons si beaux. En plus, la musicienne avait la peau bronzée par le soleil, ce qui accroissait son charme. Il aurait voulu observer son regard, mais une mèche de cheveux noirs pendait sur le côté, cachant les yeux de la belle inconnue, et comme il la voyait de profil, il ne pouvait rien distinguer.
10:58 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature
Commentaires
Suis sans mots. C'est très beau! Merci!
Écrit par : Natacha | 02/06/2010
Dommage que l'extrait musical ne fonctionne pas (chez moi). J'ai comme l'intuition d'une suite de Bach... ;-)
Écrit par : Cigale | 02/06/2010
L'extrait musical ne fonctionne pas chez moué non plus...
Ce passage me fait penser à "La fête étrange" de Meaulnes.
Écrit par : Bertrand | 02/06/2010
Pas de musique ici non plus. Je pensais aussi en vous lisant à une suite de Bach.
Écrit par : Natacha | 02/06/2010
Pas de musique chez moi non plus, je n'arrive pas à faire le lien.
Je constate par ailleurs que d'anciennes videos ont été supprimées (par qui?) pour "infraction aux conditions d'utilisation".
http://feuilly.hautetfort.com/archive/2009/11/07/leo-ferre-et-l-italie-2.html
Écrit par : Feuilly | 02/06/2010
Bon, le lien semble maintenant vouloir fonctionner...
Écrit par : Feuilly | 02/06/2010
Merci pour la musique. Terriblement mélancolique, mais peut-être moins grave qu'une suite de Bach.
Écrit par : Natacha | 02/06/2010
Oui ça fonctionne. Très jolie mélodie qui s'écoute facilement malgré un violoncelle un peu nasillard, fait probablement du à la prise de son. Mais le film donne le tournis ! :-)
Écrit par : Cigale | 02/06/2010
J'ai beaucoup aimé cet épisode où se mêle le mystère et la grâce de la musique..
Écrit par : Débla | 03/06/2010
C'est drôle, moi ça m'a tout de suite évoqué le concerto pour violoncelle de Dworak dans l'interprétation de Fournier, que j'écoutais jusqu'à faire hurler ma mère, pourtant musicienne. Quel chapitre splendide! Voilà enfin Tom sur les traces de Becky.
Une obserrvation tout de même. Quand tu écris: "Il traversa donc la clairière en courant, afin de ne pas la perdre de vue, mais quand il arriva à l’endroit où elle avait disparu, il n’y avait plus personne. Comme un fantôme, elle semblait s’être volatilisée. Il rebroussa donc chemin, tout dépité d’avoir échoué dans ses investigations, mais se promettant bien de revenir le jour suivant." on ne peut pas parler d'investigations, mais plutôt d'invraisemblable découragement et de nonchalance. S'il l'a perdue de vue, c'est bien sûr qu'elle s'était enfoncée dans le bois au bout de la clairière. Moi, à son âge à lui, j'eus au moins pisté un bout de temps la jeune fille dans le bois. Et pourtant, crois-moi, mon esprit aventureux était toujours fréiné par une bonne dose de prudence, voire de trouillardise.
Écrit par : giulio | 04/06/2010
Tiens, tiens, Giulio... Bienvenue parmi nous.
Investigations n'est peut-être pas le mot qui convient. Mais il s'agit bien de recherche quand même: il veut savoir d'où vient la mystérieuse jeune fille. Il ne part pas à sa recherche car rien ne lui indique dans quelle direction elle est partie. Elle s'est volatilisée comme un fantôme (ce qui augmente le côté mystérieux de la scène).
Écrit par : Feuilly | 05/06/2010
Tout comme Bertrand, je pense au Grand Meaulnes, lu à l'âge fatidique : celui où l'on tombe fatalement amoureux d'Yvonne de Galais... C'est précisément chez le cousin dont je parle dans mon dernier commentaire chez Solko que j'ai lu ce livre. Ce cousin avait une maison à Soleymieu, en Isère. Vous constaterez que non loin se trouve un lieu-dit dont je fus fort surpris : Sablonnières... tout comme dans le livre que j'étais en train de lire ! Mon imagination d'adolescent (j'avais 13 ans) ne fit qu'un tour, je me pris à rêver de rencontrer réellement Yvonne de Galais... je n'ai jamais autant fait de vélo que cette année là, espérant forcer le hasard, en quête de la belle ! Au retour d'une de ces recherches, je me suis arrêté dans le bois situé entre Sablonnières et Soleymieu (visible sur la carte dont je donne le lien). Croyez-le ou non, j'ai le souvenir d'y avoir vu mon oiseau préféré, que je retrouve dans votre texte : un épervier (le dernier que j'ai vu, c'était l'an dernier : il nichait dans les remparts d'Avignon). Pour info, Soleymieu est ici :
http://maps.google.fr/maps?hl=fr&q=sablonnieres+38&ie=UTF8&hq=&hnear=Sablonni%C3%A8res,+Soleymieu,+Is%C3%A8re,+Rh%C3%B4ne-Alpes&gl=fr&ei=7FwKTJS5OOKR4gbGjoGTAQ&ved=0CAsQ8gEwAA&ll=45.698027,5.376434&spn=0.05719,0.110035&z=13
Écrit par : Le Photon | 05/06/2010
Quelle coïncidence, cet épervier...
Votre version personnelle du Grand Meaulnes est captivante. Déjà pas évident de chercher La femme dans l'absolu plutôt qu'une femme, mais si en plus vous voulez trouver des héroïnes de romans...
Pas évident, j'imagine.
Écrit par : Feuilly | 07/06/2010
Tant pis pour moi si je ne l'ai pas trouvée, mais ce qui compte, c'est le souvenir cette quête (nous l'avons déjà évoqué ici : le voyage plutôt que le point d'arrivée) et le sentiment d'avoir connu un moment privilégié pour pénétrer au coeur d'une oeuvre.
Écrit par : Le Photon | 07/06/2010
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