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17/04/2009

Des auteurs connus et de leurs manuscrits

Nous avons déjà parlé ici des auteurs et des éditeurs. Quiconque éprouve le besoin d’écrire se retrouve être un «écrivant», puis, le temps passant, il espère souvent devenir un écrivain, ce qui demande une reconnaissance publique qu’il ne peut obtenir sans être publié, autrement dit sans avoir été accepté par un éditeur.

Évidemment, quand on raisonne de la sorte, on pense de prime abord aux « écrivants » inconnus ou aux auteurs méconnus, étant entendu que tout écrivain reconnu (vous me suivez ?) ne doit avoir, lui, aucune difficulté pour continuer à se faire éditer (parce que son écriture est excellente et qu’il a atteint sa maturité disent certains ; parce que l’édition est d’abord un système commercial qui mise sur les célébrités du moment, disent d’autres, plus méchantes langues).

Une chose qui étonne, cependant, c’est qu’il est rare qu’un même auteur fasse toute sa carrière chez le même éditeur. Il y en a même qui changent de maison à chaque fois qu’ils sortent un livre. Inconstance des auteurs, gémissent les éditeurs (qui voient s’envoler la poule aux œufs d’or) ou même désir sordide et mesquin de vouloir gagner plus d’argent ailleurs avec un contrat mieux ficelé. Il y a du vrai dans tout cela, sans aucun doute, mais ne pourrait-on pas imaginer qu’un auteur déjà reconnu puisse voir son manuscrit refusé par son éditeur habituel ? Dans ce cas, il faudrait supposer, soit que ce manuscrit est de moins bonne qualité que la production antérieure et que l’éditeur, qui fait consciencieusement son travail, ne veut pas voir son nom associé à un pareil navet, soit que l’auteur a pris un cheminement différent dans sa manière d’écrire (dans le style ou dans les sujets traités) et que dès lors sa production ne correspond plus à la ligne éditoriale en vigueur chez son éditeur.

Dès lors, le voilà contraint d’aller sonner à d’autres portes, où généralement on lui ouvrira sans trop de problème, vu sa notoriété antérieure. Encore faut-il frapper à la porte qui soit la bonne et trouver une maison dont la philosophie corresponde à celle qui sous-tend ce dernier manuscrit et là, cela ne semble pas gagné d’avance.

Voici un exemple réel, trouvé sur le site d’Alina Reyes. (je ne sais par quel hasard je m'y suis retrouvé, les voies de Dieu sont vraiment impénétrables). J'’ai déjà parlé plusieurs fois de cette auteure, lui ayant même consacré un article dans la Presse littéraire autrefois et on connaît par ailleurs mes réserves face à ses récentes orientations mystiques, je n’y reviens pas. Après avoir joué sur la ligne d’un certain érotisme, elle écrit maintenant sur des sujets religieux (ceci dit, ces deux domaines ne sont pas incompatibles à mes yeux) et après avoir publié un livre sur Lourdes et Bernadette Soubirous, elle vient d’en écrire un autre sur Marie-Madeleine (belle manière d’associer la chair et la foi). Il lui fallait donc trouver un éditeur et là, voilà que cela se complique. Les trois éditeurs contactés se sont montrés enthousiastes sur son texte, mais tous ont déclaré qu’ils n’éditeraient pas ce livre.

L’un, qui est avant tout un éditeur purement commercial, spécule déjà sur le nombre limité de lecteurs qu’un tel ouvrage pourrait avoir et, vu paraît-il la qualité du texte, renvoie l’auteur vers des collègues spécialisés dans le domaine littéraire.

L’autre, parce que chrétien, trouve cette Marie-Madeleine un peu trop sensuelle.

Le troisième, quant à lui, très orienté vers des ouvrages littéraires, apprécie l'écriture « éblouissante », mais trouve que le contenu est « trop chrétien pour lui ».

En résumé, le manuscrit serait bon (mais auraient-ils dit la même chose, ces hypocrites, à un écrivain débutant ?), mais il ne correspondrait jamais avec la ligne éditoriale des maisons contactées. Celle-ci, c’est à craindre, vise surtout à caresser le lecteur dans le sens du poil et donc à lui proposer les livres qu’il a envie de lire. Cela signifie que si un auteur sort des sentiers battus, comme c’est le cas ici avec ce livre qui traite d’un sujet religieux, il aura les pires difficultés à trouver un éditeur.

On connaît mes sentiments face à la religion, dont je ne suis certes pas en train de faire l’apologie dans ce blogue. Je donne simplement cet exemple du manuscrit de « Marie-Madeleine » pour illustrer la politique éditoriale. Il faut rentrer dans un moule, en fait. Si l’auteure avait fait dans le style bigot, elle aurait trouvé preneur sans difficulté dans les milieux catholiques. Si elle s’était écartée du personnage biblique et s’était contentée de s’en inspirer pour dessiner les contours d’un héros littéraire, il n’y aurait pas eu de problème non plus. Si elle avait résolument choisi de choquer en faisant de Marie-Madeleine une héroïne purement érotique, on se serait bousculé pour vendre ce livre à succès. Non, ce qui ne va pas ici, c’est que le sujet est hybride : d’une dimension à la foi religieuse et humaine, il est trop profond et trop complexe (trop sincère aussi, à mon avis, l’auteure devant certainement y exprimer toutes ces convictions) pour les maisons d’édition, qui veulent finalement des produits formatés sur mesure.

Enfin, ne nous tracassons pas trop pour Alina Reyes, ses succès antérieurs vont certainement finir par lui ouvrir quelques portes. Mais que se passerait-il s’il s’agissait d’un premier manuscrit ? La réponse n’est pas difficile à trouver.


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Marie-Madeleine, par Léonard de Vinci

09/07/2008

Alina Reyes dans La Presse littéraire

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Dans la note intitulée « De la fonction poétique », les commentaires vont bon train au sujet du site d’Alina Reyes. C’est l’occasion de citer mon article « Alina Reyes, de l’érotisme à l’esprit » paru dans la presse littéraire n° 15 (juin/juillet/août 2008), consacré essentiellement à son livre « Forêt profonde ».

Quelques explications s’imposent.

Alina Reyes (de son vrai nom Aline Chardonne) est née « quelque part aux confins du Médoc, entre l’Océan et l’estuaire de la Gironde, à « la Fin des Terres » (tout un programme). Elle y grandit en petite sauvageonne, en relation étroite avec la nature et jette déjà sur le monde un regard lucide, tandis que très tôt se manifeste l’éveil sexuel, qui ouvre d’autres portes. »

Ses parents sont communistes et très jeune, alors qu’elle termine ses études de lettres, elle publie « Le Boucher », un roman érotique qui lui ouvre les portes de la littérature mais qui l’enferme aussi dans un genre auquel elle ne veut pas se limiter.

Personnellement, je l’ai découverte voici deux ou trois ans via son blogue et j’ai été tout de suite sensible à ce qu’elle dit de la nature. Elle possède une petite grange restaurée dans les Hautes Pyrénées, où elle se retire de temps à autre, complètement coupée du monde (surtout en hiver) et où elle partage son temps entre les promenades en forêt et l’écriture.

J’ai lu son livre « Moha m’aime », qui s’inspire d’un séjour qu’elle fit au Maroc. Ce roman est plein de sensibilité et traite essentiellement des rapports humains et cela avec beaucoup de pudeur. Elle a publié toute une série d’autres ouvrages qui eurent un succès certain et qui furent traduits en de nombreuses langues.

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Puis, en août 2007, vint « Forêt profonde » qui eut peu d’écho auprès de la critique, laquelle préféra privilégier le livre de Yannick Haenel « Cercle ». Mais voilà qu’Alina découvre dans ce roman de Haenel les thèmes fondamentaux de son propre livre. Il semblerait donc que l’éditeur (dont nous tairons charitablement le nom), qui avait eu le manuscrit d’Alina en main, l’eût confié à Haenel qui s’en serait inspiré. Je mets tout au conditionnel, car cette affaire est actuellement devant les tribunaux et la Justice tranchera.

Il m’avait donc semblé opportun de faire sortir «Forêt profonde » de l’ombre en en parlant un peu dans un article selon mes modestes moyens.
C’est un livre que j’ai aimé, qui parle de la vie, de la mémoire et de la nature. C’est aussi un livre qui se veut cathartique pour celle qui l’a écrit (laquelle se remet d’une déception amoureuse). Dans de nombreuses pages, on côtoie la beauté sauvage et celle-ci touche souvent au sacré.

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Entre le moment où l’article a été écrit et celui où il a été publié, il s’est passé quelques mois, durant lesquels dame Alina, toujours très prolixe, en a profité pour écrire d’autres livres.

Il y a « La dameuse », qui raconte l’histoire d’un viol (lequel renvoie manifestement au viol symbolique qu’elle a subi avec cette affaire de plagiat). Je n’ai pas encore lu ce livre, mais je le lirai.

Il y a aussi « La jeune fille et la Vierge » sur les apparitions de Lourdes et là, j’avoue que je suis plus. Autant j’apprécie l’analyse du sacré (car la poésie touche au sacré et à l’indicible), autant les références soudaines à un catholicisme pur et dur me dérangent. Elles me dérangent et m’étonnent également car je lisais aussi parfois des articles d’Alina sur le site Bellaciao qui est très clairement laïque et orienté à gauche (ce qui me convenait assez bien). D’où mon étonnement en découvrant le délire mystique dans lequel elle a maintenant plongé. A la limite, moi qui adore les chants grégoriens (ou même en vieux romain) et qui me délecte de Palestrina ou d’Hildegarde Von Bingen, je peux comprendre que le sentiment d’appartenir à la grande nature (et d’être un microcosme dans un microcosme) peut soulager de toutes les angoisses car alors vous n’êtes plus vraiment seul, mais vous devenez un élément du vaste univers, autrement dit vous avez votre place dans le monde.

J’avais cru, tout d’abord, qu’Alina, si proche de la nature sauvage, avait poussé un peu plus loin son expérience et avait atteint une spiritualité qui, ma foi, pour autant qu’elle exalte son monde intérieur, ne pouvait que lui permettre de trouver un équilibre. Malheureusement, il ne s’agit pas de cela et c’est bien des références au catholicisme pur et dur qu’elle nous donne sur son blogue. Moi qui suis athée pour ainsi dire par essence (ma lucidité et mon pessimisme s’accordent mal avec la foi et la croyance en un monde meilleur, dans lequel nous irions folâtrer après notre mort), c’est trop pour moi. Alina, qui est manifestement en pleine crise de je ne sais pas quoi, est en train de se faire récupérer par les mouvements conservateurs. Dommage et je ne reconnais plus vraiment celle qu’on avait baptisée « « la baronne rouge » lors d’un passage chez Pivot.


08/02/2008

La Presse littéraire

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Sur la nouvelle écrite par Stendhal en 1829, "Vanina Vanini":

(...)

"La nouvelle est un genre qui finalement convenait très bien à Stendhal. Courte, centrée sur une seule action, elle suppose un déroulement rapide tout en permettant de brosser des portraits psychologiques. Or Stendhal était un auteur qui écrivait vite. Ainsi, il n’a pas relu entièrement Le Rouge et le Noir et La Chartreuse a été dictée à un copiste en un délai d’un mois environ. Il a d’ailleurs avoué ne pas faire de plan avant de commencer à écrire, car celui-ci entravait son imagination. Il préfère se laisser guider par l’histoire qu’il est en train de raconter, sans savoir vraiment où le récit va le mener.

L’action de Vanina Vanini se déroule à Rome, ville qui pour l’auteur, véritablement fasciné par l’Italie, conserve le sens des passions à l’Antique. On y est noble jusqu’au bout des ongles, les caractères y sont bien trempés et il est clair que c’est la cité par excellence où les passions amoureuses peuvent se manifester pleinement et sans retenue. Car s’il existe une noblesse de sang, il existe aussi une noblesse de cœur. A Rome (4), on ose mener ses passions jusqu’à leur terme, sans compromis aucun. Quiconque a une passion se doit de l’accomplir jusqu’au bout.
"

La suite de mon article dans la Presse littéraire.


On trouvera aussi, dans la rubrique "Littérature sur la Toile", une approche du livre "Forêt profonde" d'Alina Reyes, en tout cas les pages où elle analyse ses rapports à Internet et où elle nous donne quelques belles decriptions de la blogosphère.

14/11/2007

Alina Reyes (suite)

Nous ne parlerons pas ici de la série des prix littéraires qui est (enfin) en train de se terminer. Qu’en dire, en effet ? Un Goncourt à Gilles Leroy, qui semble bien fade pour assurer la relève après Les Bienveillantes de Littell. Un Renaudot à Daniel Pennac dont je ne comprends toujours pas le succès qu’il peut remporter. Personnellement, je n’ai lu qu’un livre de Pennac et cela m’a suffit. Oui, c’est plaisant et il y a de l’humour. Et après ? Une fois le livre refermé, on s’empresse de l’oublier et on ne retient le nom de l’auteur que pour se souvenir qu’il ne faut plus rien acheter de lui.

Outre le fait que ces deux romans sont publiés (directement ou indirectement) chez Gallimard, on pourrait tout de même se demander sur quels critères se sont basés les membres du jury. La réponse, c’est Patrick Besson qui la donne lui-même : «Pennac, c'était une idée de Le Clézio, reprise par Giesbert. Ce sont mes copains, alors j'ai voté comme eux». Evidemment, vu comme cela, il n’y a plus rien à dire…

Le 6 novembre, Gallimard a encore ajouté le prix Décembre à son palmarès avec « Cercle » de Yannick Haenel.. Les lecteurs de ce blogue se souviendront peut-être de lui car j’avais déjà parlé de cet auteur, non pour ses qualités littéraires, certes, mais au sujet des accusations de plagiat qu’Alina Reyes avait formulées à son encontre.

Où en est cette affaire ? Sur son propre blogue, Alina a patiemment relevé tous les emprunts qui avaient été faits à son livre « Forêt profonde » par ledit Haenel. La liste en est si longue qu’on en reste médusé. Ceci dit, elle ferait peut-être bien d’arrêter là son décompte des emprunts, car, à force de vouloir en trouver, elle finit par fournir des preuves moins évidentes que celles qu’elle donnait au début, ce qui risque de déforcer son dossier. Par ailleurs, elle a contacté un avocat pour estimer ses chances de succès au cas où elle irait en justice. Le chose est faisable, lui a répondu celui-ci en substance, mais pas gagnée d’avance. Evidemment. Ce qui est sûr, par contre, c’est que ce n’est pas elle qui a remporté les 30 000 euros du prix Décembre, l'un des mieux dotés de la saison. Avec cet argent elle aurait au moins pu s’assurer une bonne défense.

Sollers, l’éditeur de Haenel doit être content, lui. Ce qui est amusant, c’est qu’il est par ailleurs un des membres du jury du prix Décembre. Il aurait fallu qu’il soit fou pour ne pas voter pour son poulain. Ainsi va la littérature, entre plagiat, compromission, renvoi d’ascenseur et petits prix que l’on se décerne entre amis.

Quant à Alina Reyes, manifestement, elle ne se trouve plus parmi les amis de Sollers. C’est du moins ce qu’elle avait dit elle-même sur le blogue de Pierre Assouline, le 09 octobre (à 16H 47, pour ceux qui veulent aller vérifier), quand elle se plaignait qu’on (c’est-à-dire Sollers) ne faisait aucune publicité à son roman:

« La vérité c’est que tout ceci tient à des questions d’ordre privé entre Philippe Sollers, l’éditeur de Yannick Haënel, et moi. J’ai longtemps parlé par mail à Sollers, et il m’a répondu à travers des livres, entre autres - entre autres celui de Haënel, qui lui a en même temps servi de contre feu au mien.
La vérité c’est que je l’aime très fort, Sollers, et qu’il ne devrait pas se sentir menacé par mon livre “Forêt profonde”, qui est un roman avec des personnages sortis de mon imaginaire, des personnages inspirés par des personnes réelles mais transformées, amplifiées parfois jusqu’à l’horreur par mon imaginaire.
»
(…)
« Je dis la vérité. Il me déplait d’avoir à évoquer des questions d’ordre privé, mais je n’ai d’autre moyen de défendre mon livre, puisque ce sont ces questions, en grande partie, qui l’empêchent d’accéder à une visibilité normale. »

Moi qui suis en train de lire « Forêt profonde », afin de me faire une idée, je me dis que finalement tout tient aux relations personnelles. Vous êtes en bons termes avec Sollers et on vous propulse au sommet de la gloire, votre étoile décline et vous voilà rejeté aux orties avec vos livres.

Ce qui est plus troublant, c’est que j’en arrive à me demander si le héros de « Forêt profonde » n’est pas Sollers lui-même. L’héroïne du roman est amoureuse d’un ministre avec lequel elle correspond par mail. Visiblement les deux parties trouvent du plaisir à cet échange à distance, jusqu’au jour où une rencontre réelle se solde par échec. Econduite, la femme rejetée sombre dans le désespoir avant d’essayer de se reconstruire. Le problème c’est que ce « ministre », tel qu’il est décrit, ressemble beaucoup à un écrivain (il a d’ailleurs écrit des livres) et fort peu à un homme politique. Il est par ailleurs affublé d’une mégère acariâtre qui lui sert de secrétaire. De là à imaginer un roman à clef et voir Sollers et Savigneau (Le Monde des livres) derrière ces personnages de papier, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Mais avouez que les propos-mêmes d’Alina Reyes sont troublants puisqu’elle avoue elle-même avoir eu des échanges de mails avec Sollers (lequel, comme le héros, lui a répondu à travers des livres). Elle ajoute aussi « aimer très fort Sollers » et s’être inspirée de personnages réels, même si son imaginaire les a transformés « jusqu ‘à l’horreur ». Si mon hypothèse est juste (mais ce n’est qu’une hypothèse) cela expliquerait à la fois pourquoi l’auteur regrettait « d’avoir à évoquer des questions d’ordre privé » pour défendre son livre et pourquoi ce livre n’a pas reçu beaucoup de publicité.

Comme quoi, les histoires d’amour avec le Roi Soleil, c’est bien, à condition de ne pas s’appeler Louise de La Vallière.



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15/10/2007

Alina Reyes.

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Alina Reyes, dont j’avais un peu fréquenté le blogue du temps où elle en tenait un, revient sur le devant de la scène, victime de ce qui semble bien être une affaire de plagiat.

Mais d’abord, qui est Alina Reyes ? Ce nom est en fait un pseudonyme emprunté à une nouvelle de Cortazar, ce qui est déjà tout un programme. Elle s’appelle en réalité Aline Nardone et est née en 1956 en Gironde. De cette enfance devant l’océan, elle a manifestement conservé le goût de la nature et des impressions à fleur de peau. En 1988 parait son premier livre, Le Boucher, alors qu’elle est toujours étudiante en lettres. Je me souviens lui avoir demandé comment, avec le recul, elle expliquait cette publication, car on sait qu’il n’est pas facile de se faire remarquer par les éditeurs quand on est un(e) illustre inconnu(e). Sa réponse a été claire : elle était jeune, était une femme et proposait un roman érotique. Cela passait donc beaucoup mieux auprès des éditeurs (qui sont toujours habiles à flairer la bonne affaire) que les manuscrits sérieux et rébarbatifs de quinquagénaires universitaires. Donc acte.

Le problème, c’est que ce qualificatif d’érotique va lui coller à la peau. Ses autres livres ne peuvent pourtant pas tous être qualifiés de tel, loin de là. Disons plutôt qu’ils sont sensuels (ce qui est différent), sensuels dans la mesure où Alina semble décrire son corps et écrire avec ce corps. C’est qu’elle ressent intensément les expériences que la vie lui apporte, que ce soit les rapports avec les gens ou les contacts directs avec la nature. Visiblement, on a voulu la ranger une fois pour toute dans une catégorie, mais elle est trop vraie pour que cela lui convienne. D’elle, je n’ai lu que Moha m’aime , un beau récit sur un voyage au Maroc. L’héroïne, qui est en fait elle-même, y rencontre un jeune pêcheur marocain, Mohamed, avec qui elle se lie d’amitié. Mohamed est un peu son double et il vit en fusion avec la nature (il plonge dans l’océan pour pêcher des poissons qui semblent être sa seule nourriture). Insensiblement elle se rapproche de lui, fascinée par sa douceur et sa générosité. Mais leur aventure ne va pas plus loin que cette reconnaissance de soi dans l’autre (ou l’inverse). C’est donc bien d’un voyage intérieur qu’il s’agit et nous sommes à mille lieues, dans ce petit roman sensible, de l’érotisme au sens habituel. Notons que le livre se termine par un retour en France un peu désabusé. La dernière page, cependant, s’ouvre sur l’espoir. L’héroïne se retrouve dans sa petite maison au sommet des Pyrénées. De ces hauteurs enneigées, en harmonie avec la nature sauvage, elle domine le monde et la folie des hommes.

Notons que la vraie Alina possède une vieille bergerie qu’elle a restaurée, quelque part sur les hauteurs d’Argelès-Gazost. Quand elle n’est pas à Paris, elle va se ressourcer là-bas, commençant sa journée d’écriture par de longues promenades en forêt. Voilà une existence qui fait rêver : partager son temps entre l’écriture et la nature, que désirer de plus ? C’est de tout cela qu’elle parlait autrefois sur son blogue et on se dit que quelqu’un qui vit ainsi ne doit pas être bien méchant et qu’en tout cas ce ne doit pas être le genre à se complaire dans la chicane.

Pourtant, l’autre jour, il lui a bien fallu montrer les dents. Durant l’été était sorti son dernier roman, Forêt profonde, que je n’ai pas encore lu mais que je comptais de toute façon lire dans la mesure où il faisait suite à la tenue et à la fermeture de son blogue. Visiblement déçue par Internet, lieu où elle se disperse en tant qu’écrivain, elle met ses confrères en garde : « Ne vous perdez pas dans ce bourbier » et de conclure : « La blogosphère, c’est l’infini à la portée des rats. ». Nous voilà prévenus. D’après ce que je sais de ce livre, il est avant tout une sorte de mise au point avec elle-même. Elle y raconte « ses amours, ses fantasmes, son désespoir, son mysticisme, sa sensualité, sa soif de liberté, d'absolu, de solitude, de fraternité, sa révolte… ». Bref, il s’agit de quelque chose de fort personnel, une entrée au plus profond de soi-même, en quelque sorte.

Or, voilà qu’elle remarque, en lisant un roman, en l’occurrence Cercle d’un certain Yannick Haenel (par ailleurs totalement inconnu de moi, qui suis plutôt du genre à lire les classiques), l’existence de ressemblances étranges avec son propre imaginaire. Pour faire bref, disons que plus elle poursuit la lecture de ce roman et plus elle y retrouve les thèmes du sien, « Forêt profonde ». Que dis-je, non seulement des thèmes, mais aussi des détails ou même des tournures de phrases. Gênant. Gênant et révoltant, surtout qu’on l’a dit, le sujet de « Forêt profonde », c’est elle-même, Alina. On ne peut donc pas simplement supposer que les deux écrivains ont des imaginaires fort proches, ce qui peut arriver, et expliquerait qu’ils soient amenés à traiter des thèmes semblables.

Alina Reyes envoie donc quelques courriels bien sentis à Yannick Haenel, qui ne répond pas. Devant ce silence, elle passe à l’offensive sur Agoravox, déplorant moins les emprunts que le fait que, selon elle, « on » occulte délibérément son livre au profit de celui de Haenel. Ce « on » renverrait à Philippe Sollers lui-même, qui, en tant que Dieu de l’édition, fait la pluie et le beau temps dans ce petit monde :

http://www.agoravox.fr/article_tous_commentaires.php3?id_...

Puis c’est Pierre Assouline, sur son blogue, qui en parle, disqualifiant d’office l’auteur de « Forêt profonde » en laissant sous-entendre qu’elle vit mal le fait qu’on ne la met plus en avant comme du temps où elle publiait « Le Boucher ». Ceci dit, il doit savoir de quoi il parle et il est certain que la célébrité d’un écrivain tient plus à la publicité qu’on fait de son livre qu’à ses qualités d’écriture. Autrement dit, on fait apparaître ou disparaître les écrivains au gré des goûts du moment. Si nous voulons être objectifs, il se pourrait bien, en effet, qu’Alina Reyes ne réponde plus aux attentes que le monde de l’édition avait mises en elle. En voulant sortir de la zone strictement érotique où on l’a confinée, elle commet peut-être un impair (compréhensible et justifié sur le plan de la littérature, mais suicidaire sur la plan éditorial).
En attendant, il n’en reste pas moins que les procédés employés semblent scandaleux. Assouline, par exemple, donne la réponse (bien tardive) de Haenel mais refuse les commentaires postés par Alina Reyes. On voudrait couler quelqu’un qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Pour ceux que l’affaire intéresse, je me permets de les renvoyer au blogue d’Igor Yanka, lequel en propose un bon résumé. De plus, il a établi un historique de tous les rebondissements successifs.





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