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17/04/2009

Des auteurs connus et de leurs manuscrits

Nous avons déjà parlé ici des auteurs et des éditeurs. Quiconque éprouve le besoin d’écrire se retrouve être un «écrivant», puis, le temps passant, il espère souvent devenir un écrivain, ce qui demande une reconnaissance publique qu’il ne peut obtenir sans être publié, autrement dit sans avoir été accepté par un éditeur.

Évidemment, quand on raisonne de la sorte, on pense de prime abord aux « écrivants » inconnus ou aux auteurs méconnus, étant entendu que tout écrivain reconnu (vous me suivez ?) ne doit avoir, lui, aucune difficulté pour continuer à se faire éditer (parce que son écriture est excellente et qu’il a atteint sa maturité disent certains ; parce que l’édition est d’abord un système commercial qui mise sur les célébrités du moment, disent d’autres, plus méchantes langues).

Une chose qui étonne, cependant, c’est qu’il est rare qu’un même auteur fasse toute sa carrière chez le même éditeur. Il y en a même qui changent de maison à chaque fois qu’ils sortent un livre. Inconstance des auteurs, gémissent les éditeurs (qui voient s’envoler la poule aux œufs d’or) ou même désir sordide et mesquin de vouloir gagner plus d’argent ailleurs avec un contrat mieux ficelé. Il y a du vrai dans tout cela, sans aucun doute, mais ne pourrait-on pas imaginer qu’un auteur déjà reconnu puisse voir son manuscrit refusé par son éditeur habituel ? Dans ce cas, il faudrait supposer, soit que ce manuscrit est de moins bonne qualité que la production antérieure et que l’éditeur, qui fait consciencieusement son travail, ne veut pas voir son nom associé à un pareil navet, soit que l’auteur a pris un cheminement différent dans sa manière d’écrire (dans le style ou dans les sujets traités) et que dès lors sa production ne correspond plus à la ligne éditoriale en vigueur chez son éditeur.

Dès lors, le voilà contraint d’aller sonner à d’autres portes, où généralement on lui ouvrira sans trop de problème, vu sa notoriété antérieure. Encore faut-il frapper à la porte qui soit la bonne et trouver une maison dont la philosophie corresponde à celle qui sous-tend ce dernier manuscrit et là, cela ne semble pas gagné d’avance.

Voici un exemple réel, trouvé sur le site d’Alina Reyes. (je ne sais par quel hasard je m'y suis retrouvé, les voies de Dieu sont vraiment impénétrables). J'’ai déjà parlé plusieurs fois de cette auteure, lui ayant même consacré un article dans la Presse littéraire autrefois et on connaît par ailleurs mes réserves face à ses récentes orientations mystiques, je n’y reviens pas. Après avoir joué sur la ligne d’un certain érotisme, elle écrit maintenant sur des sujets religieux (ceci dit, ces deux domaines ne sont pas incompatibles à mes yeux) et après avoir publié un livre sur Lourdes et Bernadette Soubirous, elle vient d’en écrire un autre sur Marie-Madeleine (belle manière d’associer la chair et la foi). Il lui fallait donc trouver un éditeur et là, voilà que cela se complique. Les trois éditeurs contactés se sont montrés enthousiastes sur son texte, mais tous ont déclaré qu’ils n’éditeraient pas ce livre.

L’un, qui est avant tout un éditeur purement commercial, spécule déjà sur le nombre limité de lecteurs qu’un tel ouvrage pourrait avoir et, vu paraît-il la qualité du texte, renvoie l’auteur vers des collègues spécialisés dans le domaine littéraire.

L’autre, parce que chrétien, trouve cette Marie-Madeleine un peu trop sensuelle.

Le troisième, quant à lui, très orienté vers des ouvrages littéraires, apprécie l'écriture « éblouissante », mais trouve que le contenu est « trop chrétien pour lui ».

En résumé, le manuscrit serait bon (mais auraient-ils dit la même chose, ces hypocrites, à un écrivain débutant ?), mais il ne correspondrait jamais avec la ligne éditoriale des maisons contactées. Celle-ci, c’est à craindre, vise surtout à caresser le lecteur dans le sens du poil et donc à lui proposer les livres qu’il a envie de lire. Cela signifie que si un auteur sort des sentiers battus, comme c’est le cas ici avec ce livre qui traite d’un sujet religieux, il aura les pires difficultés à trouver un éditeur.

On connaît mes sentiments face à la religion, dont je ne suis certes pas en train de faire l’apologie dans ce blogue. Je donne simplement cet exemple du manuscrit de « Marie-Madeleine » pour illustrer la politique éditoriale. Il faut rentrer dans un moule, en fait. Si l’auteure avait fait dans le style bigot, elle aurait trouvé preneur sans difficulté dans les milieux catholiques. Si elle s’était écartée du personnage biblique et s’était contentée de s’en inspirer pour dessiner les contours d’un héros littéraire, il n’y aurait pas eu de problème non plus. Si elle avait résolument choisi de choquer en faisant de Marie-Madeleine une héroïne purement érotique, on se serait bousculé pour vendre ce livre à succès. Non, ce qui ne va pas ici, c’est que le sujet est hybride : d’une dimension à la foi religieuse et humaine, il est trop profond et trop complexe (trop sincère aussi, à mon avis, l’auteure devant certainement y exprimer toutes ces convictions) pour les maisons d’édition, qui veulent finalement des produits formatés sur mesure.

Enfin, ne nous tracassons pas trop pour Alina Reyes, ses succès antérieurs vont certainement finir par lui ouvrir quelques portes. Mais que se passerait-il s’il s’agissait d’un premier manuscrit ? La réponse n’est pas difficile à trouver.


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Marie-Madeleine, par Léonard de Vinci

03/06/2008

De l'édition

Qu’apprend-on de neuf, aujourd’hui, dans le monde de l’édition ? Rien qui intéresse les amoureux de littérature, malheureusement et seuls les financiers vont dresser l’oreille. Voici ce dont il s’agit :

La société Editis, qui contrôle notamment Plon, Robert Laffont, XO, First et les dictionnaires Le Robert (et qui avait été achetée en mai 2004 au groupe Lagardère pour 660 millions d'euros), vient d’être revendue avec un gain de 500 millions d'euros au groupe espagnol Planeta.
Editis, numéro deux du secteur en France derrière Hachette (Lagardère), emploie 2.600 salariés et contrôle plus de 40 maisons d'édition.
Depuis 2004, Editis avait acheté le spécialiste du best-seller (XO), les éditions First ou le Cherche Midi. Le résultat d'exploitation s'est accru, nous dit-on, de 60% pour atteindre 93 millions d'euros.

Planeta, quant à lui, souhaite développer l'enseignement à distance (e-learning) et se placer sur le marché des livres et encyclopédies numériques. Il possède déjà 40 maisons d'éditions qui publient plus de 5.000 auteurs (chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros). Il possède aussi une participation dans la chaîne Antena 3. Il est aussi présent en Colombie, où il a acquis le contrôle du groupe El Tiempo.

Nous ne pouvons que rester muets devant ces chiffres, ces fusions, ces rachats et ces ventes. Quel intérêt ces gens portent-ils aux livres qu’ils vont vendre ? Aucun, bien entendu. Pour eux le livre est un produit comme un autre, qu’il s’agit de commercialiser afin d’en tirer un maximum de bénéfice.

Je suis bien sombre en ce qui concerne l’avenir de l’édition. Devant un tel déferlement, les petites maisons ne vont pas résister bien longtemps, or nous savons tous que ce sont surtout elles qui osent encore publier des auteurs inconnus. Les grands groupes, on l’aura compris, préféreront privilégier des écrivains déjà établis, dont le chiffre des ventes ne suscite aucune inquiétude. On n’édite que ce qui se vend et donc on ne publie que ce qui se lit déjà. Loin de proposer aux lecteurs des ouvrages originaux, on travaille à l’envers. On sonde d’abord le public pour repérer ses besoins et on demande ensuite aux auteurs de répondre à cette attente.

J’ai un peu honte de venir parler de tout cela ici. Ces chiffres sont tellement éloignés de nos centres d’intérêt et de notre amour pour les livres ! Aborder un tel sujet après une note sur la disparition de Dominique Autié peut sembler plus qu’incongru. Pourtant, il disait toujours qu’il croyait encore à un avenir pour l’édition. Il lui semblait percevoir comme un frémissement annonciateur d’un renouveau. Pour lui, en marge de ces grands groupes financiers qui traitent les livres comme s’il s’agissait de vulgaires boîtes de conserve, de petits éditeurs, fiers de leur métier, devraient bientôt refaire surface. Conscients du fait que le livre relève du domaine du sacré, amoureux de la littérature et des beaux ouvrages, ils devraient d’ici peu proposer une alternative intéressante à ces grands groupes dont la production est pour le moins stéréotypée. C’est du moins ce qu’il disait sur son blogue et nous avons tous eu l’occasion de dialoguer avec lui sur ce sujet. Personnellement, je reste très pessimiste, mais lui, qui était du métier, l’était beaucoup moins et je suppose qu’il savait de quoi il parlait. Puisse l’avenir lui donner raison. En attendant, il n’est plus là pour nous rassurer et nous restons bien seuls à contempler ces chiffres de ventes et ces courbes de croissance exponentielles. Bref, il nous manque déjà, lui et son authentique amour des livres.

23/11/2007

De l'édition de masse

Il n’y a pas que les pots de yogourt que l’on veut vendre aux masses. Les produits culturels, littéraires en particulier, n’échappent pas à la règle. On lit plus, nous dit-on ; on n’a jamais publié autant de livres ; la société n’a jamais eu autant de diplômés. Tout cela est vrai, certes. Et pourtant…

Pourtant on a surtout l’impression que l’on édite ce qui se vend. Sans doute reste-t-il quelques perles rares au milieu de cet océan, je n’en disconviens pas, mais il devient malaisé de les repérer au milieu de toute la masse compacte que forment les livres de la rentrée d’automne.

Je constate surtout :

- Qu’on édite des personnalités déjà connues, même si elles n’ont plus grand chose à dire

- Que si on édite des inconnus, il faut qu’ils aient été recommandés d’une manière ou d’une autre (ce qui souvent, ne présage en rien de la qualité de leurs textes, même si c’est parfois le cas)

- Qu’on édite des livres qui portent sur des thèmes porteurs (ce qui ne présage rien de bon de l’avenir du livre quand on voit ce que la télévision, ce média du grand public par excellence, est devenue)

- Que ce sont souvent les éditeurs qui cherchent des auteurs capables de leur fournir un livre qui aborde tel ou tel thème, livre pour lequel ils auront reçu la consigne d’intégrer autant de pages de ceci et autant de pages de cela. On n’est donc plus tellement loin de la politique éditoriale des éditions Harlequin, lesquelles demandent des histoires d’amour romantiques entre une jeune fille pauvre et un riche médecin, avec juste un peu de sexe, mais pas trop, histoire de pouvoir faire rêver sans tomber dans un dévergondage malséant.

- Que la poésie devient manifestement le parent pauvre du milieu de l’édition au point qu’on se demande si un nouveau Rimbaud parviendrait à s’imposer si par hasard il s’en trouvait encore un.

- Que l’éditeur a tendance à demander à l’auteur de modifier le manuscrit initial, histoire que le livre publié corresponde plus à ce qu’il estime lui, être intéressant. Il est normal qu’il agisse ainsi, guidant les premiers pas de l’apprenti, mais on n’imagine pas Proust modifiant La Recherche du temps perdu pour en faire un roman de gare, ni Hugo donnant une version abrégée de Notre dame de Paris et transformant le personnage d’Esméralda en celui d’une nymphomane perverse, histoire de faire grimper les chiffres de vente.

- Qu’une fois que l’auteur est connu et reconnu (et surtout si ses chiffres de vente sont honorables), le même éditeur n’osera manifestement plus lui demander de modifier quoi que ce soit à son manuscrit. Or il faut bien reconnaître qu’il arrive même aux meilleurs auteurs de proposer des livres plus faibles ou de moins bonne qualité.

Tout ceci étant dit, ils doivent cependant avoir raison quelque part, ces éditeurs, dans la mesure où leur travail est de mettre à la disposition du public des réflexions qui intéressent tout le monde et pas seulement l’égotisme étroit de l’auteur.

D’un autre côté, on se dit que tout est phénomène de mode et qu’après avoir publié le nouveau roman qui consacrait 30 pages à détailler une poignée de porte (selon la théorie du « chosisme ») ou préfère maintenant l’auto fiction, qui n’est quand même qu’une sorte de nombrilisme exacerbé.
Alors, où est la littérature, dans tout cela ? Souvent, désorienté par toute cette agitation, écœuré par les spots médiatiques, déçu par les querelles mesquines entre écrivains, le lecteur ordinaire aura tendance à se retourner vers les classiques, chez lesquels, à l’abri de l’agitation du monde, il pourra savourer le plaisir de lire de grands livres.




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