23/11/2007
De l'édition de masse
Il n’y a pas que les pots de yogourt que l’on veut vendre aux masses. Les produits culturels, littéraires en particulier, n’échappent pas à la règle. On lit plus, nous dit-on ; on n’a jamais publié autant de livres ; la société n’a jamais eu autant de diplômés. Tout cela est vrai, certes. Et pourtant…
Pourtant on a surtout l’impression que l’on édite ce qui se vend. Sans doute reste-t-il quelques perles rares au milieu de cet océan, je n’en disconviens pas, mais il devient malaisé de les repérer au milieu de toute la masse compacte que forment les livres de la rentrée d’automne.
Je constate surtout :
- Qu’on édite des personnalités déjà connues, même si elles n’ont plus grand chose à dire
- Que si on édite des inconnus, il faut qu’ils aient été recommandés d’une manière ou d’une autre (ce qui souvent, ne présage en rien de la qualité de leurs textes, même si c’est parfois le cas)
- Qu’on édite des livres qui portent sur des thèmes porteurs (ce qui ne présage rien de bon de l’avenir du livre quand on voit ce que la télévision, ce média du grand public par excellence, est devenue)
- Que ce sont souvent les éditeurs qui cherchent des auteurs capables de leur fournir un livre qui aborde tel ou tel thème, livre pour lequel ils auront reçu la consigne d’intégrer autant de pages de ceci et autant de pages de cela. On n’est donc plus tellement loin de la politique éditoriale des éditions Harlequin, lesquelles demandent des histoires d’amour romantiques entre une jeune fille pauvre et un riche médecin, avec juste un peu de sexe, mais pas trop, histoire de pouvoir faire rêver sans tomber dans un dévergondage malséant.
- Que la poésie devient manifestement le parent pauvre du milieu de l’édition au point qu’on se demande si un nouveau Rimbaud parviendrait à s’imposer si par hasard il s’en trouvait encore un.
- Que l’éditeur a tendance à demander à l’auteur de modifier le manuscrit initial, histoire que le livre publié corresponde plus à ce qu’il estime lui, être intéressant. Il est normal qu’il agisse ainsi, guidant les premiers pas de l’apprenti, mais on n’imagine pas Proust modifiant La Recherche du temps perdu pour en faire un roman de gare, ni Hugo donnant une version abrégée de Notre dame de Paris et transformant le personnage d’Esméralda en celui d’une nymphomane perverse, histoire de faire grimper les chiffres de vente.
- Qu’une fois que l’auteur est connu et reconnu (et surtout si ses chiffres de vente sont honorables), le même éditeur n’osera manifestement plus lui demander de modifier quoi que ce soit à son manuscrit. Or il faut bien reconnaître qu’il arrive même aux meilleurs auteurs de proposer des livres plus faibles ou de moins bonne qualité.
Tout ceci étant dit, ils doivent cependant avoir raison quelque part, ces éditeurs, dans la mesure où leur travail est de mettre à la disposition du public des réflexions qui intéressent tout le monde et pas seulement l’égotisme étroit de l’auteur.
D’un autre côté, on se dit que tout est phénomène de mode et qu’après avoir publié le nouveau roman qui consacrait 30 pages à détailler une poignée de porte (selon la théorie du « chosisme ») ou préfère maintenant l’auto fiction, qui n’est quand même qu’une sorte de nombrilisme exacerbé.
Alors, où est la littérature, dans tout cela ? Souvent, désorienté par toute cette agitation, écœuré par les spots médiatiques, déçu par les querelles mesquines entre écrivains, le lecteur ordinaire aura tendance à se retourner vers les classiques, chez lesquels, à l’abri de l’agitation du monde, il pourra savourer le plaisir de lire de grands livres.
15:25 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : Littérature, édition
Commentaires
Feuilly, cher ami, vous avez oublié les "éditeurs" subventionnés qui publient à tour de bras. Il est vrai que pour conserver leurs subventions, ils n'ont même pas besoin d'ouvrir les manuscrits si ce n'est pour connaître le nombre de caractères typographiques et ne pas dépasser le budget.
Les classiques? Quelle hérésie proférez-vous là ! Avez-vous songé, un seul instant, que, d'ici une petite dizaine d'année, il va falloir retraduire toute la littérature à partir du dix-neuvième siècle pour qu'elle reste compréhensible ? Et où va-t-on trouver les budgets pour les traducteurs ?
Allons, allons, Feuilly, vous me semblez bien fatigué pour le moment. Un peu d'air grenellement purifié devrait vous faire du bien.
Écrit par : Joseph Orban | 24/11/2007
Mais on dit aussi que ces éditeurs subventionnés préfèrent tout de même éditer des personnes déjà connues tout en empochant la prime.
Ceci dit, vous me rassurez. Je me disais que je devais être bien mauvais pour être refusé par des éditeurs qui auraient pourtant bénéficié de primes en m'acceptant.
Maintenant qu'on sait qu'ils ne lisent rien, tous les espoirs sont permis.
Les classiques? Evidemment, pour ceux qui sont habitués au style SMS, même Yasmina Reza va devenir trop compliquée.
Tiens, à ce sujet je viens d'apprendre qu'elle était à la fois d'origine juive et hongroise. Ce n'est pas grave en soi, mais cela me rappelle quelqu'un. Le problème, c'est que je ne sais plus qui.
Écrit par : Feuilly | 24/11/2007
Vous ne savez plus qui ? Rassurez-vous, cher Feuilly, il paraît que je ne sais plus qui va accorder des subsides pour Alzheimer. C'est l'affaire de quelques jours, je crois.
Enfin, c'est ce que je ne sais plus qui disait il y a quelques mois.
Écrit par : Joseph Orban | 25/11/2007
Cette terrible maladie - Alzheimer - a tout de meme un avantage : On se fait des nouveaux copains tous les jours, parait-il...
Bon, blague a part, ce que vous dites la, cher Feuilly, est tout vrai. Sans surprise, le monde marchand investit partout ses tentacules (et je suis poli), "parlons valeur d'echange, la valeur d'usage on verra apres" s'applique aussi aux Lettres et qu'on me pardonne ces vieux concepts marxistes.
Une anecdote qu'on m'a racontee et que j'ai quelque raison de prendre pour authentique.
Engueulade un jour entre Barclay (editeur de disques) et Ferre, que je ne vous presente pas.
Je resume a outrance :
Ferre : Vous ne publiez que de la soupe, Hallyday, France Gall et j'en passe...
- Il faut bien que je vende de la soupe a profit si je veux continuer d'editer a perte des poetes tels que vous. Parce que vous etes incapable de produire la moindre chanson qui se vende, Leo.
- Ferre pique au vif : Demain alors, je vous ramene un tube, une connerie. Pour que vous ne travaillez pas a perte sur mes poemes...Pour m'auto-financer.
Leo tint parole et expedia "C'est extra"...On connait le resultat.Hit-parade, juxe box,redio, bals... etc... etc
Un grand.
Et les vendeurs de soupe d'aujourd'hui dont vous parlez ici sont incapables, bien sur, d'un tel esprit.
Cordialement
Écrit par : redonnet | 25/11/2007
Euh... C'est bien, cette anecdote, mais elle est évidemment complètement inventée. Cela dit, il n'est pas exclus que ce genre de propos ait été tenu par les deux hommes en d'autres circonstances. Barclay n'a jamais travaillé à perte avec Ferré qui, surtout dans les premières années 70, ne vendait jamais moins d'un million d'exemplaires de chacun de ses nouveaux disques. Quant à l'album Les chansons d'Aragon, il se vend encore, et très bien, et sans cesse depuis 1961.
Écrit par : Jacques Layani | 25/11/2007
Pour compléter mon commentaire, les circonstances exactes de la naissance de C'est extra :
Les jeudi 12 et vendredi 13 décembre 1968, il a enregistré La Nuit, Madame la Misère, Pépée, L'Eté 68, Le Testament, Les Anarchistes, A toi et Comme une fille. Pour finir ce disque, il lui manque deux chansons. Un matin de fin décembre, à Cubagnac, près de Sanilhac et de Largentière (Ardèche), dans une maison trouvée par l'intermédiaire de Jean-Pierre Chabrol où il vit provisoirement, il se lève à 4 h 30 et, sur un piano loué, écrit C'est extra et L'Idole. Il envoie les partitions piano et chant à Jean-Michel Defaye, en lui faisant confiance pour qu'il les orchestre. Le disque paraîtra en 1969 (33-tours, 30-cm, Barclay, 80383, photographies d'Hubert Grooteclaes).
Écrit par : Jacques Layani | 25/11/2007
Bravo, Jacques...Bien documente. C'est extra a ete ecrit en une nuit, parait-il...L'anecdote que je raconte ici, j'ai bien dit que je la tenais pour vraie sans avoir verifie.
Cependant, je ne crois pas qu'on puisse dire que, avant 1967/ 68, Ferre vendait foison de disques...
Autre "anecdote" sur mon blog...
Merci et bien cordialement
Écrit par : redonnet | 26/11/2007
Pour Jacques, Feuilly, lui, connait :
www.lexildesmots.hautetfort.com
Écrit par : redonnet | 26/11/2007
Desole, je recommence, tant je suis maladroit
http://lexildesmots.hautetfort.com
Écrit par : redonnet | 26/11/2007
Attention, ami Redonnet, avec Jacques vous êtes tombé sur un des grands spécialistes de Ferré.
Écrit par : Feuilly | 26/11/2007
Je vois ca...Ce qui me le rend d'autant plus sympa.J'attends un petit commentaire sur l'anecdote decrite sur mon blog. La, c'est une anecdote vraie car vecue a peu pres en ces termes.
Cordialement
Écrit par : redonnet | 26/11/2007
Voir aussi le site que Jacques consacre à Ferré (voir le lien ici-même à droite)
Écrit par : Feuilly | 26/11/2007
A propos de l'anecdote en question : bien entendu, Léo Ferré n'a jamais dit une chose pareille, mais consacré à la mémoire de Brassens un texte amical dont la presse -- qui demande toujours des "réactions" de telle ou telle personnalité au décès de telle ou telle autre -- a publié, en 1981, quelques extraits.
Écrit par : Jacques Layani | 26/11/2007
Je connais ces extraits de presse, je les ai meme conserves....Mais la, Jacques, a moins que vous n'ayez ete un ami perso de Ferre, je trouve que vous etes bien sur de vous.
Le jeune homme de mon recit etait des environs d'Agen et, lui aussi, grand admirateur "specialiste" de Ferre...De toutes facons, peu importe, comme je l'ai ecrit, je trouve la repartie tres drole et elle aurait plu a Brassens.
C'etait pas vous, ce jeune homme, par hasard ?
Cordialement, les gars.
Écrit par : redonnet | 27/11/2007
Je deconne...Le jeune homme etait ne bien apres 1952....Je m'en vais de ce pas refaire un tour sur votre site
Écrit par : redonnet | 27/11/2007
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