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06/05/2016

Chaperon rouge sang

Au coin d’un bois j’ai rencontré le petit Chaperon rouge qui pleurait. Assise sur une souche, la pauvrette semblait désespérée.

– Qu’y a-t-il, petite, qui te bouleverse à ce point ?

– Un chasseur a tué le loup, le grand loup gris qui hantait ces parages.

– C’est peut-être une bonne chose, non ? Un loup, c’est méchant…

– Non, celui-là je le connaissais. On parlait souvent ensemble et je lui offrais des galettes de mon panier, celles que ma mère cuisait pour ma mère-grand.

– je vois, ce loup était ton ami. Peut-être au fond de toi l’aimais-tu ? Tu n’aurais pas été un peu amoureuse ?

– Non, mais je l’aimais bien. Parfois on se roulait sur l’herbe et j’aimais sentir ses poils contre la peau de mon visage.

– C’est ce que disais, tu étais un peu amoureuse.

– Mais non. Pourtant j’adorais quand il me léchait la figure et qu’il descendait dans le cou. J’avais des frissons partout.

– Bon, je ne vais pas insister, mais…

– J’aimais aussi quand il soulevait ma jupe et qu’il mettait sa tête sur mes cuisses nues.

– Tu vois ? Tu l’aimais, c’est tout.

– Mais non, je te dis. L’amour c’est autre chose. L’amour c’est un chevalier qui arrive sur son cheval blanc et qui t’emporte au paradis.  Lui, c’était un loup. Mais quand il avait mangé deux ou trois galettes et qu’il m’embrassait, j’adorais.

– Parce qu’en plus il t’embrassait ?

– Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Je suis une grande fille, déjà. Et bientôt je serai une femme.

– Certes. Mais quand même, un loup… Qu’aurait dit ta mère si elle avait su cela ?

– Elle m’aurait dit de prendre un autre chemin, celui des aiguilles, par exemple. Et d’éviter le loup

– Et toi, qu’aurais-tu fait ?

– Je ne l’aurais pas écoutée, bien sûr ! J’aurais pris l’autre chemin et j’aurais offert toutes les galettes à mon ami le loup.

– Je vois. Et que vas-tu faire, maintenant que le grand loup gris, ton  ami, est mort ?

– Je ne sais pas. Je ne vois plus trop l’intérêt d’aller chez ma mère-grand. Elle est vieille et n’entend presque plus rien.  Mon ami le loup, lui, avait de grandes oreilles et je pouvais lui confier tous mes chagrins.

– Tu as des chagrins à ton âge ? Quel genre de chagrins ?

– Bien sûr !   Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir des chagrins ?

– Je ne sais pas.  Je croyais que c’était réservé aux grandes personnes.

– Bien sûr que non !

– Et quel genre de chagrin avais-tu ?

– J’aurais voulu passer toutes mes journées et toutes mes nuits avec mon ami le loup. J’aurais tellement aimé sa chaleur quand il se serait blotti contre moi.

– Oui, je comprends. Tu dois terriblement en vouloir à ce chasseur…

– Si je le croise, je le tue.

– Et comment t’y prendras –tu ?

– Je ne sais pas. Encore que… Tu sais, je suis une femme ou c’est tout comme. Il suffit de faire un peu de charme et il va déposer son fusil pour m’embrasser. A ce moment-là, je n’ai plus qu’à prendre le fusil.

– Diable ! Tu ferais cela ?

– Et pourquoi pas ?  Il a bien tué mon ami le loup !

– Oui, c’est ce que je disais. Tu devais être amoureuse.

 

Littérature

01:25 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature

Commentaires

Ah oui notre petite Chaperon Rouge était bel et bien amoureuse et réclame le sang de qui lui a arraché son amour. Chaperon Rouge confond l'amour qu'on lui a décrit avec celui qu'elle a ressenti... le frisson d'amour avec le loup!

Écrit par : Edmée De Xhavée | 07/05/2016

Mais peu importe la version, le loup finit toujours mal :))

Écrit par : Feuilly | 08/05/2016

Mais non le loup ne meurt jamais. Il est toujours là, près de nous, enfoui sous nos draps, il approche sa peau de notre peau, frotte son poil à notre poil, vieille connaissance...

Écrit par : Michèle | 08/05/2016

Le mythe du loup est éternel, c'est un fait. :))

Écrit par : Feuilly | 09/05/2016

J'ai toujours pensé à cette dualité qui existe dans les contes pour enfants, double lecture, bien et mal mélangés selon une formule plus ou moins alambiquée.
Cette histoire fort bien contée l'exprime à sa façon, qui n'a jamais été attiré par des prédateurs, des beaux parleurs, des voyous, des femmes fatales ?
Et puis ce sentiment de vengeance pas nécessairement dirigé vers la bonne personne, c'est typiquement ...humain !

Écrit par : saravati | 11/05/2016

@ Saravati : le goût du danger. Le loup, prédateur par excellence, symbolise dans le conte le prédateur sexuel. Le Chaperon est encore une enfant naïve dans la version de Perrault. Elle l'est beaucoup moins dans des versions antérieures. D'où cette idée d'inverser les rôles : le jeune fille qui est attirée par le loup.

Sur le même sujet, qui décidément me fascine :

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2007/09/07/voyage-au-pays-de-l-enfance.html

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2009/10/03/le-conte-du-chaperon-rouge-encore.html

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2012/10/07/le-loup-et-le-chaperon.html


http://feuilly.hautetfort.com/archive/2016/02/01/le-chaperon-rouge-etymologie-5752732.html

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2016/02/08/les-contes-de-perrault-5755961.html

Écrit par : Feuilly | 11/05/2016

Dans la Rome antique, le mot latin ''lupa'' désignait la louve et la la prostituée. Et le bordel était appelé ''lupanar''. A part la forêt où elles exerçaient leurs activités nomades, quand la prostituée n'était pas affiliée à un lupanar, certains ajoutent que la louve symbolise la débauche et l’incarnation du désir sexuel.

Écrit par : Halagu | 14/05/2016

@ Halagu : et dans le même registre, n'oublions l'expression "elle a déjà vu le loup".

Écrit par : Feuilly | 14/05/2016

J'aime plutôt bien cette histoire (même si elle est triste), alors que je déteste franchement les contes (et les contes de Perrault, j'ai toujours trouvé cela plutôt sadique) Et les contes d'Andersen triste (sauf "Le grand serpent de mer", assez curieux...

Il faut lui trouver un autre loup o;)))

Écrit par : Pivoine | 15/05/2016

Hélas, la morale de Perrault se devait de tuer le loup à la fin de l'histoire. Voilà la jeune fille veuve avant même d'avoir vécu.

Écrit par : Feuilly | 15/05/2016

Ce grand (!) méchant loup est peut-être + qu ' un prédateur . Il faut qu ' il se déguise en femme pour pouvoir prendre la petite chaperonne . Cette histoire de prédation ne parle peut-être que de peur du sexe , peur de l ' amour , peur de s ' identifier à l ' autre - ( Christiane Rochefort en parlait magnifiquement dans son chef-d ' œuvre " Archaos ou le jardin étincelant " ) -
Fort heureusement nos protagonistes n ' en restent pas là :
- le petit chaperon surmonte sa peur des grandes dents , des grands yeux , des grandes mains ( c ' est pour mieux te caresser , mon enfant ! ) et des grandes dents , et va jusqu ' au bout , se fait manger -
- le loup surmonte sa peur contenue par le déguisement féminin , jette les frusques par dessus tête et dévore la charmante enfant -
Quelle alchimie de bonheur se passe à ce moment ?
Le loup satisfait et repu s ' endort . C ' est tout dire !
Le chaperon se réveille et s ' en va guillerette vers de nouvelles aventures ! vivat !
Le loup se réveille sous la forme du chasseur , et repart en chasse ! vivat !
Gageons qu ' ils se retrouveront au coin d ' un bois plein de mystères et s ' aimeront à nouveau comme des fous !
Je leur souhaite tout le bonheur du monde !
Amitié à toutes et tous -
http://mondeindien.centerblog.net/

Écrit par : monde indien | 16/05/2016

@ mondeindien : il est vrai que le déguisement de loup, qui a revêtu les habits (de nuit) de la grand-mère pose question. Certes, il s'agit de se faire passer pour elle, mais il doit y avoir une signification plus profonde. Mieux approcher la jeune fille en se présentant comme une femme donc comme quelqu'un sans danger sexuellement ? Le Chaperon, pourtant, remarque des différences et s'en étonne (grands yeux, grandes oreilles, etc.). La description de l'anatomie singulière de cette grand-mère relèverait-il d'un euphémisme ? Ce serait le sexe du loup, qui serait grand, mais Perrault ne pouvait pas écrire cela.

Écrit par : Feuilly | 16/05/2016

Le déguisement ... je pencherai pour une approche de notre altérité , composante du désir -
Quand à la taille du sexe , je crois à ça - Perrault était assez fin pour laisser l ' allusion s ' immiscer - Beaucoup d ' artistes font ça - ( lis Archaos si tu le connais pas - un bouquin extra! )

Écrit par : monde indien | 16/05/2016

Archaos de Christiane Rochefort ? Pas lu mais à lire el résumé, cela me semble intéressant.

Écrit par : Feuilly | 16/05/2016

Les commentaires sont fermés.