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31/12/2015

Soirée de réveillon

En ce soir de réveillon, c’était décidé, il irait retrouver Agnès et lui dirait qu’il avait eu tort de partir, que la vie sans elle n’était pas possible et que l’amour qu’il avait éprouvé pour elle était toujours là. Il ne savait pas comment elle réagirait, mais ce qui était sûr, c’est qu’il n’y avait pas de meilleur moment pour tenter de se réconcilier que la Nouvelle Année. Bon, il avait beaucoup de tort à se faire pardonner, c’était certain, mais il ne pouvait pas continuer à vivre comme il le faisait, se contentant de petits boulots et passant d’une femme à l’autre sans jamais en aimer aucune. Il se rendait bien compte que depuis son départ il n’avait fait que décliner, dormant une semaine ici, deux semaines là-bas, errant sans cesse, n’ayant pas de domicile fixe, dépendant des amis, des copains, et surtout des filles de hasard rencontrées dans les cafés. Car en plus il s’était mis à boire et fréquentait maintenant assidument les cafés. Lui qui autrefois ne buvait que du thé, il était maintenant capable d’ingurgiter deux bouteilles de vin en une soirée, quand ce n’était pas une vingtaine de bières. Non, ce n’était plus possible, il devait sortir de cette déchéance !

Un jour, ou plutôt une nuit, il s’était mis à réfléchir et, tout en caressant le sexe de la fille couchée à ses côtés, il avait pris conscience qu’Agnès lui manquait, qu’il l’aimait toujours et qu’il n’avait jamais aimé qu’elle. Pourquoi était-il parti, finalement ? Il avait du mal à le comprendre. Sans doute l’habitude et la vie quotidienne trop routinière avaient-elles affadi petit à petit ses sentiments. Agnès, pourtant, débordait toujours d’amour à son égard, mais il y avait des jours où elle devenait morose et où on finissait par s’ennuyer en sa compagnie. Elle passait son temps à ranger la maison, à remplir le lave-vaisselle, à préparer les tartines pour le casse-croûte du lendemain, à s’occuper du lave-linge, à donner à manger aux chats, et à prendre les poussières sur la télévision. Bref, rien de très érotique, tout cela. Alors, insensiblement et sans qu’il s’en aperçoive lui-même, il avait cessé de la désirer. Quand, toutes ses tâches ménagères accomplies, elle venait enfin le rejoindre dans le grand lit de chêne, il dormait souvent depuis une demi-heure. Si elle le réveillait, câline et nue, il finissait par la repousser en grognant, car il savait que son désir à lui ne serait pas au rendez-vous. Mieux valait jouer l’indifférent que de risquer de voir son honneur viril en prendre un coup. Alors, dépitée, Agnès prenait un livre et lisait jusque tard dans la nuit. C’était encore une belle occasion de râler sous prétexte que la lampe était gênante et qu’il ne parvenait pas à dormir. Le ton montait de part et d’autre et Agnès finissait par sortir du lit et par rejoindre le salon en bas, non sans avoir caché sa nudité à l’aide d’un vieux peignoir mal attaché qui laissait entrevoir sa belle poitrine. Alors il restait là dans le noir, frustré, mécontent de lui et d’Agnès.

Ne parvenant pas à trouver le sommeil, il finissait par redescendre à son tour. Il va sans dire que sa compagne l’accueillait alors avec un rire sarcastique et moqueur. Quand il tentait de l’enlacer malgré tout pour essayer de désamorcer la dispute qui n’allait pas tarder à surgir, elle le repoussait violemment, refermant autant qu’elle pouvait les deux côtés du peignoir. De plus en plus frustré, il remontait et finissait par s’endormir la lampe allumée et plongeait alors dans un sommeil sans rêve et peu réparateur.

Bref, entre eux, cela n’allait plus et c’était pour cela qu’un jour il était parti. Mais voilà, il se rendait compte qu’il l’aimait toujours. Il aurait suffi de se parler et d’établir quelques règles de vie pour que tout fût parfait. D’accord pour remplir le lave-vaisselle chaque soir, mais les poussières sur la télévision auraient pu attendre un autre moment. Et lui, quand elle se montrait câline et désirante, il aurait quand même pu répondre à ses attentes. Ce n’était pourtant pas compliquer de prendre dans ses bras la femme qu’on aime, de lui donner quelques baisers dans le cou et de l’entendre déjà gémir de satisfaction.

Allons, c’était décidé, il irait retrouver Agnès le soir du réveillon.  Il débarquerait avec un beau cadeau (il avait trouvé les œuvres complètes de Proust dans la Pléiade. Elle qui aimait passer ses nuits à lire, elle ne pourrait qu’apprécier) et ils feraient la paix. A dix-sept heures, il se mit donc en route pour parcourir les soixante kilomètres qui le séparaient de leur maison commune. Mais voilà qu’après un quart d’heure la voiture avait montré des signes de fatigue. Elle avait d’abord toussoté, renâclé, puis avait fini par s’immobiliser complètement. Idiot qu’il était ! Il avait oublié de remettre de l’essence ! Voilà ce que c’était que de passer ses soirées dans les cafés ! Il dut donc faire du stop jusqu’à une pompe à essence, remplir un bidon que le tenancier voulut bien lui prêter, puis encore revenir à la voiture. Il était près de vingt heures quand enfin il redémarra. Mais il fallait rendre le bidon si gentiment prêté par le pompiste. Il s’arrêta donc à la station-service où on le réveillon avait déjà commencé, du moins les apéritifs. On l’invita à trinquer, pour oublier ses déboires. Que faire d’autre un soir de réveillon ? Refuser aurait été impoli et il décida d’appliquer tout de suite les bonnes résolutions qu’il comptait bien adopter avec Agnès. Il devait se montrer plus souple avec les gens et ne pas les froisser. Il s’attabla donc avec la famille du pompiste et avec deux trois amis qui étaient là. Il but quelques verres, grignota quelques toasts et finit par repartir. Ce ne fut pas facile, car chaque fois qu’il se levait on remplissait son verre. Il le vidait donc dans la bonne humeur générale, écoutait une blague, en racontait une à son tour, et riait comme un fou avec ces gens si sympathiques qu’il ne connaissait pourtant ni d’Eve ni d’Adam.

Quand enfin il se retrouva dans sa voiture, il était près de vingt-deux heures. Ce n’était pas grave en soi, il ne restait plus que cinquante kilomètres à parcourir, mais il prit conscience que s’il voulait surprendre Agnès en plein réveillon, il ne fallait plus trainer. Il accéléra et prit quelques risques mais cette fois la chance était avec lui. En effet, près d’un rond-point, les gendarmes avaient installé un barrage, sans doute en vue de vérifier le taux d’alcoolémie des conducteurs. Si on l’avait arrêté, il était cuit, c’était certain, avec tout ce qu’il venait d’ingurgiter ! Mais heureusement ces fichus poulets étaient déjà occupés avec trois autres voitures et on le laissa passer. Ouf !

Un peu plus loin cependant, en traversant un petit village, voilà qu’il tombe sur une bande de fêtards qui marchaient au milieu de la chaussée. Il lui fallut bien s’arrêter pour les laisser passer. Mais qui était-ce, là, dans la foule ? Incroyable, c’était Jean ! Jean, un copain d’école qu’il n’avait plus revu depuis au moins vingt ans ! Au point où il en était, Agnès pourrait encore bien l’attendre une demi-heure de plus. Il gara la voiture et rejoignit la bande au café de la mairie, qui était tout illuminé pour la Saint Sylvestre. Jean lui offrit un verre, qu’il lui rendit. Puis les autres s’y mirent aussi et bientôt, tout en parlant du temps passé et des bons souvenirs d’école, il se retrouva avec trois verres devant lui, qu’il vida sans même s’en rendre compte.

Quand le cabaretier mit tout le monde dehors, à trois heures du matin, et que les lampions s’éteignirent, il regagna sa voiture en titubant. Il s’installa au volant et n’eut même plus la force de mettre la clef de contact. Il s’endormit comme un loir et rêva à la nouvelle vie qu’il allait mener avec Agnès.

Pendant ce temps-là, celle-ci venait de tout ranger au rez-de-chaussée et, toute souriante, elle regagnait sa chambre, où l’attendait son nouveau compagnon. Dès qu’elle apparut dans sa nouvelle robe de chambre rose, celui-ci lui sourit et l’enlaça affectueusement. Elle n’avait jamais rien connu de si bon.

 Littérature

13:08 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature

26/12/2015

La vengeance est un plat qui se mange froid

 

Mon pays, c’est l’Albanie, et à l’âge de vingt-cinq ans je n’avais encore jamais quitté mon petit village où je vivais parfaitement heureux. Il en a été ainsi jusqu’au jour où ma sœur Alasina a décidé d’épouser un chrétien. Vous vous rendez compte du scandale ? Non seulement ce gars n’était pas originaire de nos montagnes et il habitait à cinquante kilomètres d’ici, dans la plaine, mais en plus il était chrétien ! Si elle avait eu un peu de décence, ma sœur aurait renoncé d’elle-même à cet amour, mais elle s’est entêtée. Notre mère a bien fait une ou deux remarques, pour la forme, mais elle ne s’est pas vraiment opposée à ce mariage. Je la soupçonne au contraire d’avoir admiré Alasina pour son courage, comme  si c’était un honneur pour une fille de braver l’opinion publique. De plus, en agissant ainsi, la mère semblait dire qu’elle n’avait pas été heureuse en se soumettant à nos traditions et en acceptant pour époux le garçon que ses parents avaient choisi pour elle. Ce n’était vraiment pas gentil pour mon père ! Lui, au contraire, il s’était montré beaucoup plus énergique et il avait crié et hurlé plusieurs fois, en frappant du poing sur la table. Il avait même crié si fort que dans sa colère il avait fini par gifler Alasina de toutes ses forces. Du coup, elle était partie sans se retourner, elle avait épousé son chrétien et on ne l’avait plus revue.

Pendant plus d’un an on n’a pas eu de nouvelles d’elle. La maison semblait morte maintenant, car Alasina était comme un petit oiseau plein de vie qui chantait tout le temps. La mère préparait seule les repas et je voyais de la tristesse dans ses yeux. Quant au père, du jour où sa fille était partie avec cet énergumène, il n’avait plus fréquenté le café où il aimait tant jouer aux dés ou aux échecs avec les autres hommes du village, après la prière à la mosquée. En été, il ne s’était plus assis sous le tilleul centenaire de la grande place, pour discuter tranquillement à l’ombre avec les voisins. Il n’osait plus se montrer, c’était clair. Moi-même, quand j’allais abattre les arbres dans la forêt et que je croisais les jeunes du village, ils me lançaient des méchancetés incroyables. Certains crachaient même par terre en me croisant. Fichue Alasina, elle avait bien gâché notre vie !

Puis un jour on a reçu une lettre d’elle. Elle annonçait qu’elle attendait un enfant et elle demandait la permission de nous rendre visite. La mère a regardé le père craintivement et lui, il lui a répondu qu’elle n’avait qu’à agir comme elle l’entendait puisqu’après tout c’était sa fille. Elle a vu dans cette réponse un accord tacite, alors que si elle avait analysé les paroles du père, elle aurait compris qu’il lui disait : « Fais ce que tu veux, c’est ta fille, ce n’est plus la mienne. »

Ils sont arrivés en calèche un dimanche, jour de repos des chrétiens. Alasina était enceinte de sept mois, ça ne pouvait pas se cacher, c’est sûr ! A table, (c’était un repas froid, avec des tranches de veau et de la salade au yoghourt, je m’en souviens très bien) tout le monde semblait heureux de se retrouver et de faire connaissance avec l’étranger, mais moi, à part quelques mots,  je n’ai rien dit. Vers la fin de l’après-midi, comme tout cela me tapait sur les nerfs, j’ai attrapé mon fusil et j’ai dit que j’allais tirer quelques lapins, mais ce n’était qu’un prétexte pour pouvoir m’éclipser. J’en avais assez supporté ! La mère a semblé déçue à cause de mon attitude, mais le père m’a regardé longuement dans les yeux. J’en ai déduit que j’avais son accord.

J’ai manqué le premier lapin, car ma main tremblait, mais les deux autres, je les ai bien eus. Ensuite, je me suis assis sur une pierre au bord de la route, pour me reposer. C’est alors que la calèche est arrivée comme prévu. Aussitôt, j’ai bondi en brandissant les deux lapins par les oreilles. La calèche s’est arrêtée et le mari d’Alasina m’a souri : « Une belle prise, vraiment ! » « Oui, une belle prise, un coup double, même ! » ai-je répondu en riant aussi. Puis j’ai laissé tomber les lapins, j’ai saisi mon fusil qui était chargé et je lui ai tiré dessus en plein visage. Alasina a hurlé. Alors j’ai braqué le fusil sur son ventre de femme et j’ai tiré trois coups. Comme elle ouvrait la bouche de stupéfaction ou de douleur, je lui ai enfoncé le canon du fusil dans le gosier et j’ai encore tiré un coup. Ca lui apprendra à ne pas respecter les traditions et à se comporter comme une trainée ! Non, mais…

Depuis, je vis dans la montagne. On dit que les gendarmes me recherchent, c’est bien possible. Mais je les connais, ils ne vont pas faire beaucoup de zèle pour une histoire d’honneur vengé. Dans quelques mois l’affaire sera oubliée. En attendant, pour manger, je tire sur tous les lapins qui ont le malheur de croiser ma route.           

 

 Ce texte était paru en juin 2015 sur le blogue des éditions Chloé des Lys :

 

Littérature

22:01 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature

13/12/2015

Eve et l'océan

Eve en son lit lisant

Lisant des livres qui parlent de rêves

Des rêves d’Eve

Qui lit nue, assise sur son séant

Dans son lit comme si elle était devant l’océan.

 

Nue elle lit et rêve

Rêve à des livres parlant d’océan.

Elle voit ou croit voir des goélands,

Des oiseaux blancs, des cormorans,

Qui là-haut, dans le ciel, tournent sans trêve,

 Inlassablement.

 

Sur le sable de la plage

Elle tourne une page,

Eve qui lit nue dans son lit et qui attend.

 

Jean-Jacques Henner (1829 - 1905)

Littérature

 

 

 

 

22:14 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature

05/12/2015

"J'accuse"

La célèbre invective de Zola, reprise ici par Michel Collon, qui dénonce, mieux que je ne pourrais le faire moi-même, tout ce qui a amené les attentats de Paris et que notre presse s’est bien gardée de vous révéler, préférant vous laisser dans l’ignorance depuis quatre ans.

Pour tous ceux et toutes celles qui veulent comprendre et chercher les causes profondes et qui ne se contentent pas de réagir émotionnellement aux faits sanglants que nous venons de vivre.

Pour tous ceux et toutes celles qui ne font pas confiance à nos dirigeants quand ils disent qu’ils vont nous protéger alors qu’en réalité ils sont indirectement responsables de la situation actuelle. Et quand je dis « indirectement », je veux dire qu’ils ne sont pas les seuls responsables, mais qu’ils ont contribué à ce que ce djihadisme sanguinaire prenne de l’ampleur.

    


02/12/2015

Un nouveau livre !

Vous aurez tous remarqué que j’étais peu présent sur mon site ces derniers temps. Tout d’abord, il y a eu le massacre du 13 novembre à Paris, qui rendait toute prise de parole un peu vaine. Et puis, à côté de cela,  il y a eu l’écriture, ce merveilleux refuge. Non point une écriture en direct, pour un blogue, mais une écriture plus réfléchie, en retrait. Pour le dire plus simplement et plus clairement, je relisais un manuscrit dans le but de l’envoyer à un éditeur. Voilà qui est fait et il me faut maintenant attendre une bonne année pour avoir une réponse. En espérant qu’elle soit positive.

Ce qui ne m’empêche pas de vous annoncer une bonne nouvelle, à savoir la parution imminente d’un deuxième livre (dont le manuscrit avait été envoyé, lui, fin décembre 2014 et qui vient d’être accepté). J’ai déjà des exemplaires en main, mais il faudra patienter jusqu’en février 2016, à mon avis, pour pouvoir se le procurer via le site de l’éditeur ou pour le commander en librairie.

Il s’agit d’un recueil de poésie, objet invendable s’il en est, mais dont l’existence me réjouit. En effet, comme disait le Cyrano de Rostand : « C'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! » ou, pour reprendre la théorie de l’art pour l’art si chère à Théophile Gautier, « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ».

 

le temps de l'errance,poésie