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14/07/2011

Pause estivale

Partir sur les chemins...

00:05 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (1)

10/07/2011

Une île (19)

Mais le temps passait et les provisions, à bord, commençaient à diminuer dangereusement. Nous n’avions que ce qui était resté sur le bateau après son échouage : quelques sacs de farine, des pommes dans une grande boîte, un tonneau de poissons séchés et salés et deux tonneaux de choucroute. Le menu était un peu monotone, mais au moins nous ne manquions de rien, le chou fermenté, c’est bien connu, ayant sauvé plus d’un marin du scorbut. Cependant, nous ne pouvions rester indéfiniment à attendre. Il allait falloir prendre une décision. Heureusement, le quarantième jour le volcan cessa son éruption et trois jours plus tard encore nous avons pu accoster dans ce qui avait été le port. La lave se solidifiait lentement mais sûrement. Une croûte dure apparaissait en surface, mais en-dessous tout était encore liquide. En choisissant bien les endroits, il y avait moyen de se déplacer, mais il fallait faire très attention. En effet, après quelques mètres, la chaleur transperçait la semelle des chaussures et rendait toute progression impossible. Un des marins eut la bonne idée d’envelopper ses pieds dans des chiffons puis de ficeler des lattes de bois par en-dessous. Nous démontâmes aussitôt une partie du pont du navire afin d’avoir des planches bien droites et, munis de ces étranges raquettes, nous pûmes ainsi traverser le champ de lave sans encombre. Une fois sur le versant de la colline, nous remîmes nos chaussures et courûmes jusqu’au sommet. Bien entendu, j’étais en tête et c’est moi qui suis arrivé le premier devant les portes du château.

Celles-ci étaient grandes ouvertes, ce qui était pour le moins étrange. Nous avons visité tout l’intérieur mais nous n’avons rien trouvé, ni personne. Sur une table, traînaient encore les restes d’un repas, comme si on avait quitté précipitamment la pièce pour ne plus y revenir. Tout cela n’était pas trop rassurant. A la fin, je suis allé vers la salle d’eau. Plus je descendais les marches, plus mon cœur s’affolait, sans doute parce que cet endroit avait pour moi une connotation affective particulière. Près de la baignoire d’eau froide, je n’ai rien remarqué de particulier. Par contre, en descendant vers l’autre baignoire, une sorte de mauvais pressentiment s’empara de moi. Tout semblait pourtant normal là aussi, sauf que la porte qui donnait sur la petite plate-forme surplombant le fleuve de lave était ouverte. Il venait de là une lueur anormale ainsi qu’une chaleur difficile à supporter. Je me suis pourtant approché, mais ce fut pour reculer aussitôt. La lave qui en principe aurait dû se trouver deux cents mètres plus bas léchait maintenant les dalles de pierre. On devinait même qu’elle était montée plus haut encore et qu’elle avait franchi la balustrade protectrice, car celle-ci était recouverte d’une roche volcanique solidifiée. Ma princesse aurait-elle été emportée par ce feu souterrain en voulant venir le contempler ? Aurait-elle été surprise par une brusque montée de la lave ou bien, incommodée par la chaleur épouvantable qui régnait ici, aurait-elle fait un malaise et serait-elle tombée dans ce magma en fusion ? Ou bien encore (mais je refusais d’office cette dernière hypothèse, tant elle était horrible), désespérée par la destruction du village et la mort de ses compagnes, se serait-elle jetée volontairement dans la roche en fusion, afin de disparaître à son tour sans laisser de traces ? Privée de mère dès l’enfance, elle aurait ainsi trouvé au sein de la terre une espèce de cocon protecteur, une sorte d’utérus primitif qui l’aurait ramenée aux jours d’avant sa naissance ? Je ne savais que penser.

Je suis revenu dans la salle de bains. Au mur, des vêtements pendaient à un clou, mais ce n’étaient pas ceux qu’elle portait le matin où je l’avais quittée. Quant au peignoir, il était jeté négligemment le long de la baignoire, le col trempant même légèrement dans l’eau, ce qui semblait indiquer qu’il avait été déposé là précipitamment. Que fallait-il en déduire ? Ma princesse avait pu vouloir prendre un bain. Mais déjà l’idée qu’elle serait venue ici par nostalgie après mon départ, pour se souvenir des bons moments que nous avions passés ensemble, m’étreignait le cœur. Avant de s’étendre dans la baignoire elle aurait eu alors la curiosité d’aller vérifier le niveau de la lave dans la cave d’à côté et là elle serait tombée, soit accidentellement, soit volontairement. Mais toutes ces hypothèses reposaient sur la seule présence des vêtements pendus à un clou et malheureusement je n’arrivais pas à me souvenir s’ils n’avaient pas été oubliés là depuis quelque temps déjà, ce qui aurait changé la donne. En fait, la princesse était peut-être tout simplement en sécurité sur le sommet d’une des collines épargnées par la lave...

J’ai donc rebroussé chemin et, une fois à l’extérieur, je me suis mis à explorer les environs. Mes compagnons m’aidaient et à la fin nous nous sommes mis à appeler de toutes nos forces, mais personne n’a jamais répondu. Quand le soir est tombé, on m’a fait comprendre qu’il était inutile de s’obstiner. Si nous ne voulions pas laisser notre peau dans ce fichu pays, il fallait au plus vite reprendre la mer et tenter de trouver une terre plus accueillante afin de nous procurer des vivres. Je n’ai dit ni oui ni non, mais je savais qu’ils avaient raison. J’étais exténué et désespéré et je me suis laissé guider comme un enfant. Quand le bateau a appareillé, j’ai regardé longuement cette île où j’avais été si heureux. Je me disais que je n’aurais pas dû partir, que ma compagne, peut-être, était encore vivante, qu’elle était simplement bloquée sur une colline, entourée par la lave et que demain elle allait réapparaître. Un des marins était resté près de moi, de peur sans doute que je ne fusse attiré par cette espèce de chant de sirènes qui résonnait dans ma tête. Avait-il peur que je ne me jette dans les flots pour tenter de regagner le rivage à la nage ? Il avait raison, ce n’était pas l’envie qui m’en manquait. Même si je me doutais qu’il n’y avait plus aucun espoir de retrouver quelqu’un vivant, je m’obstinais à penser que j’aurais dû rester, ne serait-ce qu’en mémoire de celle que j’avais tant aimée et qui m’avait aimé aussi.

« Allons, arrête de te tracasser » me dit le marin à mes côtés. « N’est-ce pas toi qui voulais remettre la bateau à flot et partir ? C’était une bonne idée, on ne pouvait quand même pas demeurer là indéfiniment. Et puis si nous étions restés, nous serions tous morts maintenant, ensevelis sous deux mètres de lave. Nous serions bien avancés ! Allons, il faut aller de l’avant, désormais… » Je lui dis qu’il avait raison, mais je n’en continuai pas moins à regarder l’île qui commençait à disparaître à l’horizon. La nuit tombait. Bientôt on ne distingua plus qu’une petite ligne noire, tout là-bas, puis on ne distingua plus rien du tout. C’était fini, nous étions partis. Je ne saurais jamais ce qu’était devenue ma petite sirène, seule sa voix, telle un chant, resterait à jamais en moi.

Nous naviguâmes pendant trois jours par un fort vent d’ouest, puis, un beau matin, une masse noire apparut dans les lointains. Nous crûmes que nous avions atteint quelque continent aux montagnes gigantesques et impressionnantes, une sorte de cordillère qui aurait surgi mystérieusement de la mer et qui n’aurait été reprise sur aucune carte. Mais non, ce que nous voyions là et qui avançait droit sur nous, c’était un nuage, le nuage noir et terrible d’une tornade tropicale.

Bientôt des vagues énormes se sont abattues sur le pont, endommageant les mâts et s’engouffrant dans les écoutilles. Elles étaient très violentes, ces vagues. Allions-nous finalement périr noyés dans un naufrage ?

 

 

FIN

 

littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

07/07/2011

Une île (18)

Pour mettre toutes les chances de notre côté, nous avons jeté par-dessus bord une bonne partie de ce qui se trouvait dans la cale, afin d’alléger au maximum l’embarcation. Les minutes défilaient et il ne se passait toujours rien. Enfin, à un certain moment, le bateau bougea lentement sur sa base, puis subitement la proue s’éleva, suivie bientôt par la poupe. Il flottait ! Notre bateau flottait ! Nous montâmes aussitôt sur le  pont et dansâmes de joie. Quelqu’un qui nous aurait aperçus nous aurait pris assurément pour des sauvages en train d’accomplir quelque rituel sacré. Il faut croire que dans des moments difficiles et d’intense émotion, l’homme d’aujourd’hui, aussi civilisé qu’il soit, a tendance à se tourner vers ses origines. On n’efface pas comme cela les millénaires qui nous ont précédés et confrontés comme nous l’étions avec les éléments naturels, l’océan d’un côté et la lave en fusion de l’autre, nous renouions sans le savoir avec les coutumes de nos ancêtres. L’être primitif, en nous, refaisait surface, et avec lui des centaines de siècles de pensée sauvage.

Quand nous fûmes un peu calmés, nous avons rapidement fait le tour du navire, pour voir s’il était bien étanche. A première vue, c’était le cas car nous n’avons décelé aucune entrée d’eau. C’est alors que nous nous sommes tous regardés. Nous avions été les derniers des idiots. Car pour partir et mettre le cap au large, il manquait un élément de taille : les voiles. Or celles-ci étaient toujours accrochées aux anciens mâts et gisaient lamentablement sur le sable mouillé. C’était un comblé ! Nous étions restés des heures et des heures à attendre et à ne rien faire et voilà que nous découvrions  que nous n’étions pas prêts !

Bon, on regagna le rivage, on détacha les voiles et on les achemina comme on put dans le bateau. Inutile de dire qu’elles étaient trempées quand elles se retrouvèrent sur le pont. Il fallut ensuite les trier, ce qui ne fut pas facile, car ce que nous avions devant nous, c’était un amas informe de tissu, une boule compacte qui ne ressemblait à rien. Après bien du mal, nous sommes pourtant arrivés à tout démêler. Il fallut ensuite attacher ces voiles aux mâts, ce qui ne fut pas une mince affaire, je peux vous le garantir. Heureusement il faisait chaud et une fois étendues, elles séchèrent  très rapidement. Il était quand même près de seize heures quand le bateau prit enfin la direction du large. Il était temps, la lave avait fait son chemin à travers la forêt et une première coulée était sur le point d’atteindre la plage.

Pour éviter les récifs et d’éventuels écueils, nous avons accompli une large boucle autour de l’île. Enfin, vers dix-huit heures, après avoir contourné le cap au sommet duquel se dressait fièrement le château de ma  princesse,  nous pénétrâmes dans la baie septentrionale, celle où se trouvait le  village. Il se fit aussitôt un grand silence parmi nous. Plus personne ne parlait et chacun retenait son souffle. Ce n’était pas possible ! Du haut du volcan, six grandes traînées de lave descendaient pour se rejoindre dans la plaine. Là, comme un torrent impétueux, la matière incandescente avait complètement ravagé les cultures. Des beaux champs de blé et de maïs, il ne restait plus rien. Puis, comme si cela ne suffisait pas, la lave avait poursuivi son chemin vers la mer, dans laquelle elle tombait, formant un énorme panache de fumée blanche et de vapeur d’eau. Quant au village, c’était bien simple, il n’en subsistait absolument rien. C’était comme s’il n’avait jamais existé. A son emplacement, s’étendait maintenant une masse compacte et visqueuse, d’un rouge brun inquiétant. Nous ne savions que dire. En fait, il n’y avait rien à dire devant une telle désolation.

Il restait à savoir ce qu’étaient devenues toutes les femmes. Avaient-elles été prises au piège de la lave ou s’étaient-elles réfugiées au château ? C’était à espérer, mais comment pouvions-nous en être certains ? Il était évidemment impossible de s’approcher du rivage puisque la mer bouillonnait et que le littoral n’était qu’un magma en fusion. Quant à atteindre le château, il ne fallait même pas y songer. D’abord le navire se serait fracassé sur les récifs, mais même si par miracle nous étions parvenus sans encombre au pied des falaises, nous n’aurions pas pu en entreprendre l’escalade, tant celles-ci étaient abruptes.

Alors, la mort dans l’âme, nous avons attendu. Pendant quarante jours et quarante nuits nous sommes restés au large, scrutant à la longue vue la moindre activité dans les environs du château. Mais nous avions beau nous user les yeux, nous ne voyions jamais rien. Egoïstement, je me disais que ma princesse, au moins, devait être vivante, puisque c’était un jour à l’aube que l’éruption avait commencé. En toute logique, à cette heure-là, elle n’avait aucune raison de se trouver au village, où elle ne descendait que l’après-midi. Evidemment, il aurait encore fallu savoir combien de temps la lave avait mis pour progresser jusqu’à la côte… De plus, connaissant la détermination de ma bien-aimée, il y avait fort à parier qu’elle n’était pas restée inactive une fois qu’elle avait eu conscience du danger qui menaçait ses compagnes. C’est cela qui me faisait le plus peur : qu’elle ait quitté le site protégé du château pour aller se faire prendre au piège de la lave en contrebas. Rien que d’y penser, j’en avais des frissons. Je revoyais alors son beau regard fier lorsque nous l’avions découverte en train de se baigner dans la rivière avec ses amies. Quelle prestance et quelle dignité elle avait eue à ce moment-là. En y repensant, je devenais de plus en plus amoureux. J’aurais voulu qu’elle soit là près de moi, à l’instant même. Alors je l’aurais serrée dans mes bras de toutes mes forces. Qu’est-ce que j’avais été bête de vouloir m’en aller ! J’étais heureux et je ne le savais pas. Ou plutôt si, je le savais, mais ce bonheur ne m’avait pas suffi. Je voulais autre chose, quelque chose qui pigmentât ma vie. Comme quoi l’homme est un éternel insatisfait et il ne sait pas se contenter de ce qu’il a. A force de vouloir rendre sa vie semblable à celle des dieux, il finit par tout perdre.

Nous restions donc là au large, à contempler la lave qui n’en finissait plus de couler et à guetter le moindre signe de vie dans tout ce chaos digne de la création du monde. Mais il n’y avait rien, jamais rien. Parfois, avec notre longue vue, nous saisissions pourtant l’image fugace d’un animal sauvage, une biche ou un lièvre, qui cherchait à se faire un chemin entre les fleuves de laves incandescentes. Cette découverte nous mettait en joie et nous nous disions que tant qu’il restait un soupçon de vie sur l’île, tout n’était pas perdu. Alors pendant un jour ou deux nous reprenions espoir. Puis une sorte de marasme s’emparait de nouveau de nous et nous replongions dans notre torpeur. Je pensais, en voyant ces animaux fugaces qui tentaient d’échapper à la mort, que nous n’avions pas été à la hauteur. Dans le mythe biblique, Noé accueille un couple de tous les êtres vivants dans son arche et les sauve du déluge. Nous, nous n’avions sauvé personne, même pas nos charmantes compagnes, que nous aimions tant. La situation s’était inversée : si autrefois elles avaient vécu seules sur leur île, maintenant il n’y avait plus que des hommes sur ce bateau qui aurait pu, qui aurait dû même, servir d’abri à tout le monde.

Parfois, épuisé d’avoir tant scruté l’horizon, je m’assoupissais quelques heures et c’était pour faire des rêves étranges. Il s’agissait souvent de cauchemars. Je fuyais devant des tigres qui insensiblement, par ronds concentriques, m’amenaient au bord d’un cratère dans lequel je finissais par tomber. Ou bien c’était le navire qui subitement prenait eau et coulait. J’étais le  seul rescapé et je nageais comme je pouvais jusqu’à la plage où m’attendaient les mêmes tigres agressifs. Alors, pour ne pas être dévoré, je continuais à nager jusqu’au moment où je coulais à pic. C’était horrible. Heureusement, certains rêves étaient plus agréables. Cela se passait à chaque fois dans les bains chauds situés sous le château et ma princesse en était le personnage principal. Je revivais en fait en boucle la scène initiale que j’avais vécue, quand elle avait ôté son peignoir. Son image se réfléchissait à l’infini dans les miroirs, dans une sorte de mise en abyme érotique. Il n’y avait plus une princesse, mais des dizaines et leur belle peau mate prenait un éclat chatoyant à la lumière des bougies. Puis soudain, c’était mon amie seule qui venait me rejoindre dans la baignoire. Et là j’étais vraiment heureux. Comprenez-moi bien, il ne s’agissait pas seulement d’attirance physique, même s’il y avait de cela aussi, forcément. Non, j’étais tout simplement bien en sa compagnie. Sa présence était très forte et j’étais sensible à sa voix chaude et à l’éclat de son regard, si vif et si tendre. Puis je me réveillais et je n’avais devant moi que cette île en fusion et ce château solitaire, qui gardait ses secrets. La frustration alors était terrible et j’aurais tout donné pour savoir si j’allais un jour la retrouver.

littérature

 

 Hawaï, lave tombant dans la mer.

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature

04/07/2011

Une île (17)

Ce soir-là, nous n’avions pas le  cœur à raconter des histoires. Nous allumâmes rapidement un feu, histoire d’avoir chaud et d’éloigner les bêtes sauvages, puis nous nous endormîmes aussitôt. Il faut dire que nous étions exténués par le travail de la journée ! A un certain moment, je fis un rêve étrange. J’étais dans la salle de bains du château et je voulais descendre pour vérifier si l’eau qui coulait en bas était toujours aussi chaude. Mais dans l’escalier en colimaçon, voilà que je tombe presque nez à nez avec deux tigres qui me barraient le passage. Que faire ? Avancer, il n’y fallait même pas songer, car ils émettaient déjà des feulements inquiétants, presque des grognements. Quant à reculer tout en leur faisant face, ce qui aurait été la seule solution, on en conviendra, j’en étais complètement incapable, tant mes jambes tremblaient et ne parvenaient plus à me porter.

C’est alors que derrière les tigres, qui se montraient de plus en plus menaçants, j’aperçus le compagnon que nous avions enterré ce matin. Je savais qu’il était mort et donc que c’était à son fantôme que j’avais à faire. Enfin, quand je dis son fantôme, ce n’est peut-être pas le mot qui convient. Je dirais plutôt son âme ou son esprit, comme on voudra. Et voilà qu’il me parlait et me faisait de grands signes. « Tu vois » disait-il « qu’il y a quelque chose après la mort. Mais j’aurais encore préféré qu’il n’y ait rien. Le fameux paradis n’existe pas. Il n’y a que les enfers et c’est horrible ! Viens donc voir… » Et il commençait à descendre les marches tout en me faisant signe de le suivre. Descendre ? Pas question, car les deux tigres étaient toujours là, qui m’observaient d’une étrange façon. Faire un pas en avant afin d’accompagner mon ami, c’eût été courir à ma perte. C’était pourtant ce que celui-ci voulait en m’invitant à le suivre, j’en étais sûr. Il désirait ma mort pour se venger du fait qu’indirectement il avait perdu la vie à cause de moi. J’en étais là de mes réflexions quand la terre se mit à trembler. Tout bougeait autour de moi, le sol, les parois, le plafond. Encore un instant et j’allais être enseveli sous les décombres de l’escalier. Les tigres, eux, avaient disparu. Quand les premières pierres commencèrent à tomber autour de moi, je poussai un cri et me réveillai en sursaut. Ce fut pour constater que la terre tremblait réellement. Un grondement sourd emplissait tout l’espace et j’étais ballotté dans tous les sens. Ce n’était donc pas un rêve ! Les secousses étaient terribles et cela ne s’arrêtait pas.

Après une bonne minute, le bruit cessa enfin ainsi que les tremblements. Quel silence, subitement ! Mes compagnons, qui s’étaient réveillés, se regardaient tous d’un air ahuri. Il faisait encore noir, mais comment se rendormir après une telle frayeur ? On remit un peu de bois sur les braises du feu et on discuta sur ce qu’il convenait de faire. Nos pensées, cela va sans dire, allaient vers le village, sur la côte septentrionale. Avait-il été touché ? Forcément ! L’activité sismique avait été tellement importante qu’il ne faisait aucun doute qu’il y eût des dégâts. Ce que nous ignorions, c’était leur étendue. Fallait-il donc retraverser l’île à pied ou bien d’abord remettre le navire à flot ? Par lequel de ces deux moyens parviendrions-nous le plus rapidement sur les lieux du drame ? Car avec de telles secousses, nous ne doutions pas un instant qu’une catastrophe ne se fût produite là-bas. En retraversant par le col, nous étions certains d’arriver dans la soirée, mais il y avait le risque de croiser d’autres tigres. Personnellement, je n’étais pas très chaud pour adopter cette solution, car j’avais encore en mémoire les deux fauves rencontrés dans mon rêve. Avec le bateau, par contre, nous irions plus vite, pour autant, bien entendu, que nous puissions le remettre à flot dans la matinée, sinon…

Chacun discutait en avançant des arguments pour l’une ou l’autre des solutions et ce n’était pas facile de trancher. Au-dessus de l’océan, l’aube commençait à poindre et un fin liseré rouge barrait l’horizon. Il fallait se décider ! Je fis remarquer que la voie terrestre comportait encore un inconvénient auquel personne n’avait pensé : on risquait de se perdre à cause du nuage qui couvrait les sommets. Instinctivement, chacun se retourna pour regarder ce fameux nuage et là nous restâmes stupéfaits. Le jour se levait à peine, je l’ai dit, et on commençait seulement à deviner l’océan. Pourtant, devant nous, les sommets qui auraient dû être plongés dans l’obscurité étaient bien visibles. Une barre rouge, étincelante, éclairait la montagne et au-dessus d’elle, le nuage, plus impressionnant et plus noir que jamais, était bien visible. Nous fixions ce spectacle fantastique sans rien comprendre. « On dirait du feu » dit un des marins. Et en effet, en y regardant bien, on voyait que cette ligne rouge bougeait, comme si elle se déplaçait. Mais pas comme des flammes, non. Elle avançait d’une manière continue, uniforme, du haut vers le bas. On aurait plutôt dit une rivière. Une rivière de feu. De la lave ! Cette île s’était formée autour d’un volcan et il venait de se réveiller !

Aucun doute, c’était bien de la lave qui s’échappait d’un cratère et qui coulait le long de la montagne avant de disparaître sur l’autre versant, du côté du village. Au-dessus, l’énorme nuage de cendres n’en finissait plus de grossir. Impossible de passer par là, donc, la voie était coupée. Il n’y avait plus une minute à perdre, il fallait remettre à l’eau ce satané bateau. Sans nous concerter, nous nous levâmes tous en même temps et courûmes jusqu’à la mer.  On plongea dans l’eau et on se mit à creuser dans le  sable. On creusait si fort que les doigts nous faisaient mal, mais nous nous en moquions bien et nous poursuivions notre tâche avec une frénésie anormale. Après un quart d’heure, il fallut se rendre à l’évidence. Nous étions fort agités, mais complètement inefficaces. Alors on se calma un peu et on commença à s’organiser. On cala d’abord le bateau avec de nouvelles perches, puis on se remit à creuser, armés d’outils cette fois. L’idée était de faire un trou sous le bateau. Evidemment, avec son poids, il allait s’enfoncer, mais au moins quand la mer arriverait la hauteur d’eau sous la quille serait plus importante. C’était notre seule chance de réussir. Si cette tactique échouait, il n’y avait plus d’espoir.

Après une bonne, heure le travail était achevé et il n’y avait plus qu’à attendre la marée haute. Derrière nous, le volcan continuait à déverser ses flots de lave et une odeur de soufre se répandait jusqu’à l’endroit où nous nous trouvions. Ce fut un moment pénible car il fallait rester là sur la plage, inactifs et impuissants, tandis que les pires pensées traversaient notre esprit. Vers onze heures, nous nous remîmes à l’eau car le niveau avait déjà fortement monté, mais pas encore assez pour soulever le bateau. C’est à ce moment qu’il se produisit une effroyable explosion. Le volcan venait d’éclater et entrait dans un nouveau type d’éruption. Ce n’était plus seulement de la lave qui sortait de son sommet, mais un nuage de cendres incandescentes mélangées à des pierres en fusion. Celles-ci tombaient partout, y compris sur notre versant qui avait été épargné jusqu’à présent. Il ne fallait plus traîner, mais nous ne pouvions rien faire d’autre qu’attendre que le niveau de l’eau devînt acceptable.

Cette attente était insupportable et l’angoisse à son comble. Il y avait maintenant environ deux mètres d’eau sous la proue du navire, mais celui-ci ne bougeait toujours pas. En regardant le volcan, je vis que la lave s’écoulait maintenant de notre côté. A la vitesse où elle allait, dans moins d’une heure elle aurait atteint la plage et donc la mer. Nous allions être ébouillantés comme des écrevisses dans une casserole ! Et on entendait toujours les pierres qui tombaient un peu partout dans la forêt. Je me souviens qu’à un certain moment quatre tigres sortirent du bois en courant. Ils s’immobilisèrent sur la plage et regardèrent dans notre direction. Puis, toujours en courant, ils longèrent le rivage et disparurent de notre vue. Nous n’étions plus des  ennemis, maintenant que chacun essayait de sauver sa peau. La même peur nous unissait et la mort nous guettait pareillement. Je repensai à mon rêve : les tigres, le tremblement de terre, mon ami mort qui m’appelait. Tout cela semblait drôlement prémonitoire !

 

Littérature
 
 
 
 
Photo du Stromboli, dans les îles Eoliennes

 

 

 

 

 

00:12 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature