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04/07/2011

Une île (17)

Ce soir-là, nous n’avions pas le  cœur à raconter des histoires. Nous allumâmes rapidement un feu, histoire d’avoir chaud et d’éloigner les bêtes sauvages, puis nous nous endormîmes aussitôt. Il faut dire que nous étions exténués par le travail de la journée ! A un certain moment, je fis un rêve étrange. J’étais dans la salle de bains du château et je voulais descendre pour vérifier si l’eau qui coulait en bas était toujours aussi chaude. Mais dans l’escalier en colimaçon, voilà que je tombe presque nez à nez avec deux tigres qui me barraient le passage. Que faire ? Avancer, il n’y fallait même pas songer, car ils émettaient déjà des feulements inquiétants, presque des grognements. Quant à reculer tout en leur faisant face, ce qui aurait été la seule solution, on en conviendra, j’en étais complètement incapable, tant mes jambes tremblaient et ne parvenaient plus à me porter.

C’est alors que derrière les tigres, qui se montraient de plus en plus menaçants, j’aperçus le compagnon que nous avions enterré ce matin. Je savais qu’il était mort et donc que c’était à son fantôme que j’avais à faire. Enfin, quand je dis son fantôme, ce n’est peut-être pas le mot qui convient. Je dirais plutôt son âme ou son esprit, comme on voudra. Et voilà qu’il me parlait et me faisait de grands signes. « Tu vois » disait-il « qu’il y a quelque chose après la mort. Mais j’aurais encore préféré qu’il n’y ait rien. Le fameux paradis n’existe pas. Il n’y a que les enfers et c’est horrible ! Viens donc voir… » Et il commençait à descendre les marches tout en me faisant signe de le suivre. Descendre ? Pas question, car les deux tigres étaient toujours là, qui m’observaient d’une étrange façon. Faire un pas en avant afin d’accompagner mon ami, c’eût été courir à ma perte. C’était pourtant ce que celui-ci voulait en m’invitant à le suivre, j’en étais sûr. Il désirait ma mort pour se venger du fait qu’indirectement il avait perdu la vie à cause de moi. J’en étais là de mes réflexions quand la terre se mit à trembler. Tout bougeait autour de moi, le sol, les parois, le plafond. Encore un instant et j’allais être enseveli sous les décombres de l’escalier. Les tigres, eux, avaient disparu. Quand les premières pierres commencèrent à tomber autour de moi, je poussai un cri et me réveillai en sursaut. Ce fut pour constater que la terre tremblait réellement. Un grondement sourd emplissait tout l’espace et j’étais ballotté dans tous les sens. Ce n’était donc pas un rêve ! Les secousses étaient terribles et cela ne s’arrêtait pas.

Après une bonne minute, le bruit cessa enfin ainsi que les tremblements. Quel silence, subitement ! Mes compagnons, qui s’étaient réveillés, se regardaient tous d’un air ahuri. Il faisait encore noir, mais comment se rendormir après une telle frayeur ? On remit un peu de bois sur les braises du feu et on discuta sur ce qu’il convenait de faire. Nos pensées, cela va sans dire, allaient vers le village, sur la côte septentrionale. Avait-il été touché ? Forcément ! L’activité sismique avait été tellement importante qu’il ne faisait aucun doute qu’il y eût des dégâts. Ce que nous ignorions, c’était leur étendue. Fallait-il donc retraverser l’île à pied ou bien d’abord remettre le navire à flot ? Par lequel de ces deux moyens parviendrions-nous le plus rapidement sur les lieux du drame ? Car avec de telles secousses, nous ne doutions pas un instant qu’une catastrophe ne se fût produite là-bas. En retraversant par le col, nous étions certains d’arriver dans la soirée, mais il y avait le risque de croiser d’autres tigres. Personnellement, je n’étais pas très chaud pour adopter cette solution, car j’avais encore en mémoire les deux fauves rencontrés dans mon rêve. Avec le bateau, par contre, nous irions plus vite, pour autant, bien entendu, que nous puissions le remettre à flot dans la matinée, sinon…

Chacun discutait en avançant des arguments pour l’une ou l’autre des solutions et ce n’était pas facile de trancher. Au-dessus de l’océan, l’aube commençait à poindre et un fin liseré rouge barrait l’horizon. Il fallait se décider ! Je fis remarquer que la voie terrestre comportait encore un inconvénient auquel personne n’avait pensé : on risquait de se perdre à cause du nuage qui couvrait les sommets. Instinctivement, chacun se retourna pour regarder ce fameux nuage et là nous restâmes stupéfaits. Le jour se levait à peine, je l’ai dit, et on commençait seulement à deviner l’océan. Pourtant, devant nous, les sommets qui auraient dû être plongés dans l’obscurité étaient bien visibles. Une barre rouge, étincelante, éclairait la montagne et au-dessus d’elle, le nuage, plus impressionnant et plus noir que jamais, était bien visible. Nous fixions ce spectacle fantastique sans rien comprendre. « On dirait du feu » dit un des marins. Et en effet, en y regardant bien, on voyait que cette ligne rouge bougeait, comme si elle se déplaçait. Mais pas comme des flammes, non. Elle avançait d’une manière continue, uniforme, du haut vers le bas. On aurait plutôt dit une rivière. Une rivière de feu. De la lave ! Cette île s’était formée autour d’un volcan et il venait de se réveiller !

Aucun doute, c’était bien de la lave qui s’échappait d’un cratère et qui coulait le long de la montagne avant de disparaître sur l’autre versant, du côté du village. Au-dessus, l’énorme nuage de cendres n’en finissait plus de grossir. Impossible de passer par là, donc, la voie était coupée. Il n’y avait plus une minute à perdre, il fallait remettre à l’eau ce satané bateau. Sans nous concerter, nous nous levâmes tous en même temps et courûmes jusqu’à la mer.  On plongea dans l’eau et on se mit à creuser dans le  sable. On creusait si fort que les doigts nous faisaient mal, mais nous nous en moquions bien et nous poursuivions notre tâche avec une frénésie anormale. Après un quart d’heure, il fallut se rendre à l’évidence. Nous étions fort agités, mais complètement inefficaces. Alors on se calma un peu et on commença à s’organiser. On cala d’abord le bateau avec de nouvelles perches, puis on se remit à creuser, armés d’outils cette fois. L’idée était de faire un trou sous le bateau. Evidemment, avec son poids, il allait s’enfoncer, mais au moins quand la mer arriverait la hauteur d’eau sous la quille serait plus importante. C’était notre seule chance de réussir. Si cette tactique échouait, il n’y avait plus d’espoir.

Après une bonne, heure le travail était achevé et il n’y avait plus qu’à attendre la marée haute. Derrière nous, le volcan continuait à déverser ses flots de lave et une odeur de soufre se répandait jusqu’à l’endroit où nous nous trouvions. Ce fut un moment pénible car il fallait rester là sur la plage, inactifs et impuissants, tandis que les pires pensées traversaient notre esprit. Vers onze heures, nous nous remîmes à l’eau car le niveau avait déjà fortement monté, mais pas encore assez pour soulever le bateau. C’est à ce moment qu’il se produisit une effroyable explosion. Le volcan venait d’éclater et entrait dans un nouveau type d’éruption. Ce n’était plus seulement de la lave qui sortait de son sommet, mais un nuage de cendres incandescentes mélangées à des pierres en fusion. Celles-ci tombaient partout, y compris sur notre versant qui avait été épargné jusqu’à présent. Il ne fallait plus traîner, mais nous ne pouvions rien faire d’autre qu’attendre que le niveau de l’eau devînt acceptable.

Cette attente était insupportable et l’angoisse à son comble. Il y avait maintenant environ deux mètres d’eau sous la proue du navire, mais celui-ci ne bougeait toujours pas. En regardant le volcan, je vis que la lave s’écoulait maintenant de notre côté. A la vitesse où elle allait, dans moins d’une heure elle aurait atteint la plage et donc la mer. Nous allions être ébouillantés comme des écrevisses dans une casserole ! Et on entendait toujours les pierres qui tombaient un peu partout dans la forêt. Je me souviens qu’à un certain moment quatre tigres sortirent du bois en courant. Ils s’immobilisèrent sur la plage et regardèrent dans notre direction. Puis, toujours en courant, ils longèrent le rivage et disparurent de notre vue. Nous n’étions plus des  ennemis, maintenant que chacun essayait de sauver sa peau. La même peur nous unissait et la mort nous guettait pareillement. Je repensai à mon rêve : les tigres, le tremblement de terre, mon ami mort qui m’appelait. Tout cela semblait drôlement prémonitoire !

 

Littérature
 
 
 
 
Photo du Stromboli, dans les îles Eoliennes

 

 

 

 

 

00:12 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

Commentaires

Hé ben !

Écrit par : Michèle | 04/07/2011

Les passages qui évoquent la mort sont absolument pertinentes (une ile 15, 16 et 17). Malgré mon athéisme, je me suis parfois demandé si, au dernier moment de la vie, pris par une quelconque angoisse, je ne serais pas tenté par le pari de Pascal et d’entrevoir la possibilité d’une vie après la mort.
Il m’a été « donné » de me trouver dans cette situation, c'est-à-dire à la limite de la fin, et l’idée d’un dieu et d’une vie au-delà de mort n’ont pas effleuré mes pensées qui étaient sensées être les dernières. Je refaisais seulement le bilan de ma vie et, curieusement, je ne retenais que les moments heureux. Je trouvais que le bilan était "globalement positif " et l’idée de quitter ce monde n’était pas angoissante. Il n’y avait que ça.

Écrit par : Halagu | 05/07/2011

@ Halagu : un bilan "globalement positif", c'est déjà bien. Quant au calme que vous évoquez, cette absence d'angoissse, n'est-ce pas en partie de la résignation?
Par ailleurs j'ai toujours l'impression que dans ces moments-là on est tellement sous l'influence de la maladie qu'on n'a plus trop la force de penser. On reste donc dans un état second, prêt à tout accepter.

Écrit par : Feuilly | 08/07/2011

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