16/03/2017
La lectrice et son livre
Elle se livre parfois
Quand commence un nouveau chapitre
Et que l’écriture lui plaît
Elle se livre à livre ouvert
Tandis que lui, il tourne les pages
De son passé, de son présent
Elle lui raconte son enfance
Toutes ses turbulences
Et parfois lui lit un conte d’autrefois
Il l’écoute en feuilletant
Ce livre ouvert
A la page de l’amour
Il l’effeuille page à page
Caresse son visage
Contemple sa nudité
Son doigt glisse sur les pages
Le dos, la tranche
Et s’attarde en un point précis
Elle gémit lentement
Quand il pénètre au cœur de l’histoire
Et qu’il lui murmure son amour
Elle gémit dans le grand lit
Tandis qu’il tourne les pages
Et lui lit la suite de l’histoire
Puis arrive le mot « fin »
Le livre est refermé
La page est tournée
Il s’en est allé
Dans la bibliothèque
Le livre est rangé
Le conte est terminé
Elle rêve à cette histoire
A cet amour perdu
A ce livre merveilleux
Elle rêve à la manière dont il racontait l’histoire
Elle revoit sa main
Qui parcourait les pages
Sa main qui caressait son dos
Sa tranche, son ventre
Mais qui a fini par tourner la page
00:49 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature
07/03/2017
Nicolae Labis (mort à 21 ans)
On connaît peu la Roumanie, pour ne pas dire pas du tout. Pourtant le roumain est une langue romane, une langue soeur du français, au même titre que l'italien ou l'espagnol. Une langue bien douce à écouter en tout cas.
Nicolae Labis (1935- 1956), la mort de la biche (la traduction proposée ici n'est pas excellente, mais cela donne une bonne idée du contenu)
La sécheresse a tué tout vent.
L'ardent soleil coula du firmament.
Le ciel demeure un torride trou.
Du fond des puits remonte de la boue.
Et sur les bois, de plus en plus s'élancent
De sataniques feux qui dansent, dansent.
Je monte à coté de papa vers les cimes,
Blessé par les branches des rudes sapins.
On va à la chasse, la chasse aux chevrettes,
Au coeur des Carpathes accablés par la faim.
La soif me tourmente. Je vois que les gouttes
Qui choient sur la pierre vont s'évaporant.
Mes tempes paraissent gêner mes épaules.
Devant, une étrange planète s'étend.
On va aguetter dans un site où les sources
Gargouillent et frémissent encore dans leur lit.
C'est là le lieu où s'abreuvent les biches
Quand couche soleil et sa soeur resurgit.
Je souffre de soif, mais papa me fait taire.
Oh sources limpides, comme vous palpitez!
La soif me conjoint désormais à cet être
Que, contre les règles, on va supprimer.
La combe resouffle d'un air agonique.
Affreux crépuscule, celui qui descend!
Le rouge horizon dans des vagues déborde,
Couvrant ma poitrine de taches de sang.
Aux cieux les étoiles clignotent et scintillent,
Tandis que fougères s'enflamment aux autels.
Je prie qu'elle ne vienne, je veux qu'elle ne vienne,
L'offrande si triste d'un songe mortel!
Elle vînt en sautant et pausa près des sources,
Sondant le terrain d'un regard apeuré.
Et l'eau qu'elle éffleure de frêles narines
S'émeut dans des cercles glissant argentés.
Du fond de ses yeux se projette un mystère.
Je sais qu'elle approche la fin de sa vie.
Je crois reconnaître aux portes du mythe
La noble pucelle en biche convertie.
La lune baignait de jolies lumières
Sa face aux pétales de cerisier.
Combien je voulais que pour fois première
Le tir d'escopette se voie échoué!
Mais vînt le tonnerre. Fauchée et mourante,
Sa tête elle haussa vers le ciel un moment,
Et chut tout d'un coup, ébauchant sur la source
De rouges joyaux qu'emporta le courant.
Un cri déchirant transperça la ravine.
Un sombre oiseau d'entre branches bondit
Portant sur ses ailes l'esprit de la biche,
Comme emple d'absence l'automne leurs nids.
J'allai lui fermer les ombrées paupières
D'un pas vacillant quand j'ouïs mon papa
Joyeux et ravi s'exclamer derrière:
'On a de la viande, on en mangera! '
J'ai soif. Mon papa me fait signe de boire.
Oh sources obscures, comme vous soupirez!
La soif me conjoint désormais à cet être
Que, contre les règles, on vient de tuer.
Mais que fait-on des règles et des lois
Quand on ne peut survivre presque pas?
Et à quoi bon coutumes et compassion
Quand j'ai ma soeur mourante à la maison?
De l'escopette sort de la fumée.
Sans vent les feuilles commencent à tournoyer!
Mon père fit un feu éblouissant.
Oh plus jamais le bois n'est comme avant!
Ma main saisit de l'herbe à mon insu
Une clochette au timbre soutenu.
Papa extrait des braises, à la main,
Le coeur de la chevrette et ses reins.
Le coeur? Quel coeur? J'ai faim, moi! Je veux rester en vie!
Pardonne-moi, pucelle, bichette, ma chérie!
Le feu grandit, s'élève... Je veux dormir... Etrange...
Que pense-t-il, mon père? Je pleure. Et je mange!
(1954)
(Traduit par Paul Abucean)
23:25 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, nicolae labis
03/03/2017
Joël Godart, "A la fin de ces longues années" (Editions Chloé des lys)
Une nouvelle fois, je suis sous le charme après la lecture du dernier livre de Joël Godart (« A la fin de ces longues années »), un livre de poèmes, bien entendu :
Dans son recueil précédent, il était question du rêve, de la mer, des nuages, de la femme et aussi de la mort.
Ces thèmes, on les retrouve dans ce second livre, mais il me semble que la conscience de la mort qui rode a pris plus d’emprise sur le poète :
A la fin de ces longues années
Quand nous devrons quitter cette terre
Nous déposerons sur le fleuve nos deux cœurs
C’est que le temps continue à avancer et que les années qui restent devant l’écrivain s’amenuisent petit à petit :
Les années ont passé comme feu de paille
déposant sur nos vies des brassées de feuilles
L’hiver s’avance et sur toutes choses
étend ses longs doigts blancs de givre
Cette prise de conscience n’est pas morbide, elle est simplement lucide. L’auteur a conscience qu’une grande partie du chemin est derrière lui et il décide, puisqu’i n’y a plus rien devant lui, de s’arrêter et de regarder la beauté du monde.
On sait que le poète habite maintenant en Bretagne, devant l’océan. Cette région devait forcément devenir un thème de prédilection :
Sur mes domaines les routes sont rares. Beaucoup de végétations battues par les vents, de chemins tracés en toute hâte (…) La nuit nulle lumière sur la lande mais des cris d’oiseaux.
Outre la description de la lande bretonne, un tel texte porte en lui une réflexion existentielle. Les routes qui se font rares sont celles de l’existence, le vent symbolise les difficultés de la vie et ces cris d’oiseaux dans la nuit noire ont quelque chose d’effrayant. On devine la mort tout au bout et le grand plongeon du haut de la falaise.
Pourtant, en ce lieu de repos et de recueillement, l’amour peut renaître :
J’avais oublié jusqu’à la blancheur de ta peau (…)
Tes yeux étaient deux promesses.
Parfois les vers de J Godart deviennent des jeux de mots tendrement érotiques aux consonances bibliques :
L’amour est olivier au jardin de mes caresses
Mais les saisons défilent et l’automne (ultime cycle de la vie) approche. Les arbres qui « bavardent dans la nuit mystique» vont perdre leurs feuilles :
Ainsi va comme une feuille
Le monde vers sa perte
Le poète (qui nous a parlé d’un autre livre qui devrait sortir bientôt et qui sera consacré au Père Lachaise) hante les cimetières et voit sur les tombes des noms de femmes. Il se demande si leurs amants se souviennent d’elles, de la douceur de leurs lèvres et de leurs mèches blondes. Mais
Seules les allées se souviennent et chuchotent sans fin vos noms dans les corridors du temps
Parfois, le poète par le de son « métier » d’écrivain :
Avec des mots j’ai fait une tresse
Descendant en guirlande jusqu’à mes pieds
A d’autres endroits, il parle de la musique comme d’une métaphore de ses poèmes :
Au son de ta mandoline
J’ai gravé ô Colombine
Mes accents sur le disque
D’amertume et de folie
Mais déjà le disque se raie
L’amour et l’érotisme sont bien présents (à quoi renvoie cette mandoline ? Au corps de la femme aimée peut-être…) mais la fin est bien là : le disque se raie.
Le recueil se termine sur neuf petits textes étranges et charmants où l’auteur met en scène des guerriers d’une peuplade primitive. Ceux-ci ont combattu vaillamment, mais ils attendent la mort.
Nous, les lecteurs, nous attendons plutôt les livres suivants de Joël Godard. Puissent-ils être nombreux !
00:20 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : joël godart, a la fin de ces longues années
02/03/2017
Mardi gras
Le Mardi gras était à l’origine une fête païenne, où on fêtait le retour du printemps et le renouveau de la nature. L’Eglise catholique, comme d’habitude, a incorporé cette fête dans son calendrier. Le mot « gras » indique qu’on peut manger copieusement une dernière fois (et même de la viande) avant que ne commence le carême, soir le Mercredi des cendres.
C’est l’époque des carnavals. Ce mot vient de l'italien carnevale ou carnevalo, altération du latin médiéval « carnelevare », lui-même issu de « carne » (la viande) et « levare » (enlever). Il s’agit donc bien de l’entrée en carême, cette époque durant laquelle la consommation de viande était interdite.
Pendant longtemps, le mot carnaval a eu le même sens que celui de « carême-prenant », autrement dit celui d’entrée en carême. Puis le terme a désigné la veille du carême et l’accent a été mis sur les réjouissances qui caractérisent ce jour-là.
Notons en passant que « carême » (d’abord orthographié « quaresme »), provient lui du latin populaire « quaresima », altération du latin classique « quadragesina » (quarantième jour avant Pâques).
Mais revenons au carnaval. Cette fête trouve son origine dans les Lupercales des Romains et les fêtes dionysiaques en Grèce.
L’historien des religions Mircea Eliade a écrit : « Toute nouvelle année est une reprise du temps à son commencement, c’est-à-dire une répétition de la cosmogonie. Les combats rituels entre deux groupes de figurants, la présence des morts, les saturnales et les orgies, sont autant d'éléments qui dénotent qu’à la fin de l’année et dans l’attente du Nouvel An se répètent les moments mythiques du passage du chaos à la cosmogonie »
Claude Levi-Strauss a étudié également ce besoin de se déguiser, d’inverser les valeurs (les pauvres devenant rois pour une journée) et de faire du bruit afin de marquer une rupture dans l’écoulement classique du temps. Le temps s’est arrêté et un nouveau cycle commence (le retour du printemps renvoie à la conception antique de l’éternel retour, de l’âge d’or qui immanquablement finira par revenir périodiquement).
Pour un jour, le vieux monde s’écroule. Le carnaval est en effet une sorte de « fin du monde », où les barrières sociales tombent ou s’inversent, où les licences érotiques sont permises. Bref, c’est un retour au chaos primitif avant la renaissance d’un temps nouveau.
Pour terminer, n’oublions pas la Laetare, qui a lieu le quatrième dimanche du carême (à la mi-carême donc) et qui marque une pause dans les privations. Le mot latin laetare est en fait l'impératif présent du verbe « laetari » et signifie donc « réjouis-toi ». C’est une époque où on retrouver également des fêtes carnavalesques.
Stavelot, Wallonie, dimanche de Laetare.
00:05 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Étymologie, carême, mardi gras