31/12/2016
Le boiteux de Grattebourg de Rolande Michel (Editions Chloé des Lys)
Je termine à l’instant le livre de Rolande Michel et je dois dire d’emblée qu’il m’a beaucoup plu. L’histoire se déroule dans un petit village un peu hors du temps, où des événements de plus en plus curieux se produisent, ce qui fait qu’insensiblement le lecteur se retrouve dans une ambiance fantastique. C’est que dans ce village à première vue ordinaire (on retrouve un maire, un curé, un médecin et la palette classique des habitants, du boucher au fermier et du garde-champêtre au cafetier, en passant par une ou deux grenouilles de bénitier quelque peu médisantes), il va se produire toute une série d’événements. Au début, ceux-ci n’ont rien d’anormal en soi et peuvent s’expliquer rationnellement (par exemple, un chat qui gratte à la fenêtre en pleine nuit et qui effraie un enfant endormi) mais petit à petit, par leur répétition et leur côté étrange, on bascule insensiblement dans un univers insolite et inquiétant : la fenêtre contre laquelle le chat vient gratter est tellement haute qu’elle est en principe inaccessible, même pour un félin, ce chat agressif effraie de nombreux enfants, les eaux paisibles du lac se mettent à faire des vagues, les poules des villageois sont égorgées les unes après les autres, etc. Le lecteur est pris dans cette tourmente et l’inquiétude des habitants devient peu à peu la sienne. A la fin (fin que je ne raconterai évidemment pas ici), tous ces événements étranges nous plongent dans une situation qui est clairement fantastique. Celle-ci, que l’auteur a subtilement amenée, progressivement et par paliers, est finalement acceptée sans problème par le lecteur et elle vient clôturer un livre à la lecture duquel il a pris beaucoup de plaisir.
Il faut dire que dès le début ce village est décrit comme atemporel. La vie que l’on y mène semble celle d’une autre époque : on y vit en autarcie, comme dans les années 1930 (des fermes, de petites boutiques, une église, etc. et il y a même un moulin à vent pour moudre le blé). Pourtant, la présence épisodique de la télévision vient démentir cette impression. On est donc bien dans le monde d’aujourd’hui, mais le temps semble s’être arrêté.
L’endroit où se situe le village est lui aussi ambigu. On a parfois l’impression d’être dans une campagne reculée, éloignée de tout. Pourtant, on apprend que certains habitants vont travailler comme ouvriers dans la ville voisine. Des « étrangers », venus on ne sait d’où, viennent aussi s’établir parmi les habitants (mais à ceux-là, on préfère ne pas parler). Le médecin regrette d’être venu s’installer dans cette localité arriérée, aux mentalités archaïques et il s’en ira d’ailleurs à la fin. Les jeunes eux aussi quittent le village.
Que ce soit sur le plan géographique ou temporel, Grattebourg est donc « en marge », sans qu’on puisse rien préciser de plus. Cette situation est voulue par l’auteur et elle lui permet d’introduire plus facilement le côté fantastique de l’histoire.
Il y aurait beaucoup à dire sur les thèmes développés dans cet ouvrage, où la mort est omniprésente. Le principal protagoniste, Anselme, a un don de voyance car chaque fois qu’une personne va mourir dans le village, il a la vision terrifiante d’une charrette qui s’approche à grand bruit, conduite par un cocher habillé de noir et qui fouette ses chevaux. C’est le char de la mort qui vient pour emporter sa future victime. Le livre commence d’ailleurs par le décès d’un des habitants, Jules, mais il y en aura d’autres, comme Joe, qui se noie dans les remous mystérieux du lac. Le meunier, lui, avait été retrouvé pendu aux ailes de son moulin. Il faut dire qu’il venait de perdre sa femme, laquelle s’était noyée de désespoir après la mort de son enfant. On le voit, le mort est donc ici un thème central, qui oblige le lecteur à réfléchir à sa propre destinée.
On notera que la religion est abordée avec un sourire amusé. Le curé est bien brave, certes, mais on le sait gourmand et il préfère laisser un homme mourir seul sous prétexte qu’il doit aller dire une messe ailleurs. On le sent peu humain. Les sœurs du couvent préfèrent aussi s’adonner à leurs prières et à leur contemplation plutôt que de s’intéresser au sort des villageois. Anselme l’orphelin a pourtant été recueilli par elles, mais il reste livré à lui-même et on ne s’occupe pas de lui. On ne trouve donc rien de très chaleureux du côté de ces religieuses non plus.
Venons-en maintenant aux personnages principaux. Ils sont tous « en marge » par rapport aux habitants. Anselme est orphelin et boiteux, ce qui lui vaut la méfiance des habitants et les railleries des écoliers (et du coup il ne fréquente pas l’école, ce qui ne l’empêche pas de savoir lire, autre singularité). Joseph, le rebouteux, vit à l’écart du village et est parfois accusé de sorcellerie. Maria, elle, tire les cartes de tarot et semble avoir des liens avec un monde parallèle. Ces trois personnages ne sont pas originaires du village, ils viennent d’ailleurs (mais on ne sait pas d’où), ce qui accentuent encore la méfiance à leur égard. Ils ont pourtant le fond gentil et aident tout le monde. Joseph soigne les gens gratuitement avec ses remèdes et Anselme fera de même une fois qu’il sera devenu son élève dans l’art de guérir par les plantes. Anselme qui à la différence du curé sera resté auprès de Jules au moment où celui-ci mourait.
Ces personnages sont donc différents (tant par leur physique que par leur générosité) et leur comportement, basé sur le don de soi, contraste fortement avec la mesquinerie des habitants de ce village. C’est là sans doute que réside la morale de cette belle histoire.
12:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature
Commentaires
Je sens que je ne vais plus regarder le chat de la voisine de la même façon... ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
Écrit par : celestine | 31/12/2016
@ Célestine : eh, eh :)) Bonne année à toi.
Écrit par : Feuilly | 31/12/2016
Oui ce livre se mérite pas mal de notes de lecture et ça se comprend... Je connais Rolande et la malice joyeuse qui court dans son sourire... on ne peut imaginer qu'un vrai plaisir à la lecture de son roman - que je n'ai pas encore lu :)
Écrit par : Edmée De Xhavée | 04/01/2017
@ Edmée : oui, voilà, livre pas lu, mais auteur connu, ce qui est bien aussi (surtout dans le cas de Rolande) :))
Écrit par : Feuilly | 04/01/2017
Bravo pour votre blog que je découvre via nos amies communes Edmée et Célestine! Et meilleurs vœux pour l'année 2017.
Écrit par : Un petit Belge | 06/01/2017
Meri et bonne année !
Écrit par : Feuilly | 06/01/2017
Je place ici mon commentaire sur le billet à propos de la lecture, puisque je n'ai plus accès à votre page.
Votre analyse est intéressante, mais elle amène sur mes lèvres une question. D'où vient que dans ce monde de mensonge qu'est la littérature, dans cette multiplicité d'interprétations erronées et de sensibilités contradictoires, d'où vient que certains livres traversent les siècles sans prendre une ride, et nous parlent si vrai ? je pense que vous oubliez simplement un élément important qui s'appelle l'universalité. Et qui fait que si des millions de gens se retrouvent encore dans des romans ou des pièces de théâtres écrits il y a des siècles, voire des millénaires, c'est qu'ils transcendent nos différences et touchent directement notre humanité, qui est la même sous toutes les latitudes et dans toutes les époques.Et en cela, plus besoin de se demander qui est acteur et qui est passif. Engager le dialogue silencieux avec un auteur qui aspire à cette universalité, c'est de la part de l'écrivain comme de la part du lecteur, être acteur à part entière de la Culture, afin de la promouvoir, la transmettre et la faire perdurer. Une belle oeuvre de part et d'autre, non ?
¸¸.•*¨*• ☆
Écrit par : celestine | 09/01/2017
Bravo pour votre blog que je découvre via nos amies communes Edmée et Célestine! Et meilleurs vœux pour l'année 2017.
Écrit par : Un petit Belge | 09/01/2017
Bravo pour votre blog que je découvre via nos amies communes Edmée et Célestine! Et meilleurs vœux pour l'année 2017.
Écrit par : Un petit Belge | 09/01/2017
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