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21/05/2013

De l'édition (suite et fin)

Une fois ce deuxième manuscrit envoyé, je me suis mis à attendre patiemment. En effet, je savais maintenant qu’il ne fallait pas espérer obtenir une réponse avant une bonne année.   Mais au moins, s’agissant d’un roman, cette fois,  j’étais sûr qu’on ouvrirait le manuscrit (ce qu’on n’avait évidemment pas fait dans le cas des nouvelles) et même s’il n’était pas retenu, on me dirait ce que l’on en pensait. Pour moi, c’était ce qui comptait.

Les mois se mirent donc à défiler les uns après les autres : huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze… J’en avais presqu’oublié que j’attendais une réponse ! C’est alors qu’eut lieu un salon du livre, que dans ma petite région on rebaptisa « Foire du livre », ce qui était assez honnête. En effet, l’ambiance qui régnait là n’avait rien à voir avec le calme feutré des librairies, où l’on entend juste le bruit les pages feuilletées par quelques amateurs de littérature. Non, ici, c’était la grosse foire commerciale, avec des micros qui hurlaient sans arrêt, indiquant aux badauds qu’il y avait des débats qu’ils ne devaient surtout pas manquer et des séances de dédicaces incontournables, qu’il aurait été malvenu de négliger. Il régnait là-dedans un bruit extraordinaire et une chaleur étouffante.  A certains endroits, on voyait une foule compacte se presser  devant un stand dans l’espoir d’avoir un autographe. En se hissant sur la pointe des pieds, on pouvait apercevoir le chapeau moyenâgeux d’Amélie Nothomb… Plus loin, c’était tout le contraire : deux auteurs parfaitement inconnus attendaient patiemment qu’un lecteur éventuel vînt leur prouver qu’ils ne s’étaient pas déplacés pour rien. Mais personne ne venait, manifestement, et pour se donner une contenance ils buvaient une gorgée au verre d’eau qu’on avait déposé devant eux (au cas fort improbable où ils auraient dû parler beaucoup).

Bref, je déambulais dans ce capharnaüm quand, par le plus grand des hasards,  je me suis retrouvé devant le stand de mon éditrice. Bon, elle n’était pas là en personne (en tout cas pas ce jour-là), mais son acolyte était là. Je me suis avancé pour demander s’il était normal de ne pas avoir de réponse après quatorze mois (pas dans le but de faire des reproches, mais simplement afin d’être rassuré. On ne sait jamais. On manuscrit se perd si vite !). C’est alors que quelqu’un de plus pressé que moi me brûla la politesse et vint s’enquérir de son propre manuscrit.

« Et vous vous appelez comment ? »

« XX »

« Oui… et le titre de votre manuscrit ? »

«  ZZ »

« Oui, parfaitement, je m’en souviens très bien. Il est arrivé il y a une bonne année, c’est bien cela ? »

« Seize mois exactement… »

« Oui, mais c’est normal, nous recevons tellement de textes. Mais rassurez-vous, je me souviens parfaitement de ce titre. Je me demande même si je ne l’ai pas revu récemment dans la pile que nous lisons en ce moment. »

Et voilà mon auteur en herbe qui s’en va tout content, certain de recevoir une réponse positive dans quelques jours.

Je me suis alors avancé, j’ai posé la même question et j’ai reçu la même réponse. La différence, c’est que je suis reparti beaucoup moins confiant que mon prédécesseur. Il est vrai que je commençais à avoir un peu d’expérience dans le monde mensonger de l’édition.

Quelques mois se sont encore écoulés et j’ai reçu une réponse : « …n’entre pas dans le cadre de nos collections ». C’était la première fois que je lisais cela. Ce ne serait pas la dernière, malheureusement.

Cependant, cette phrase assassine qui venait de briser tous mes espoirs était suivie d’une autre, beaucoup plus optimiste (ou beaucoup plus perfide, c’est selon) : «  … néanmoins, devant la qualité de certains textes, nous suggérons l’auto-édition. Vous trouverez ci-dessous la maison avec laquelle nous travaillons habituellement ». Suivait alors le nom d’une société parfaitement inconnue de moi, logée à la même adresse que ma chère éditrice.

Bon, j’avais compris. On ne m’éditait pas car mon texte ne serait pas rentable. Cependant, si je le trouvais bon, je pouvais prendre le risque de l’éditer à mes frais.

Aucun commentaire sur les « qualités » supposées du manuscrit, ni d’ailleurs sur ses éventuels défauts. N’étant pas encore complètement déniaisé, j’ai donc écrit un petit mail, où je remerciais pour le temps  qu’on avait consacré à me lire et demandais d’avoir un compte-rendu de quelques lignes. La réponse fut rapide cette fois (elle vint dans les cinq minutes), mais plutôt sèche. En gros, elle disait  : « Nous ne sommes pas des conseillers littéraires et n’avons pas pour habitude de donner un avis détaillé sur les manuscrits. Vu le nombre que nous recevons chaque jour, vous comprendrez aisément, bla bla, bla… ». Dont acte.

Quelques mois passèrent encore et je suis retourné une dernière fois à cette « Foire du livre » (depuis je n’y vais plus, dégoûté par son côté commercial et vente forcée). Et voilà que je retrouve l’acolyte de mon éditrice (elle, toujours absente et lui toujours aussi dynamique). Il expliquait justement à un petit jeune qu’il se souvenait parfaitement avoir vu son manuscrit dans une des nombreuses piles qui s’entassaient dans son bureau. Je n’ai pu m’empêcher de sourire. Comme je restais là, sans rien demander, c’est lui, je crois qui est venu vers moi. J’ai expliqué que non, que je n’attendais plus rien, que j’avais déjà reçu ma réponse et qu’elle était négative. Négative mais ambiguë quand même puisqu’elle disait qu’on n’éditait pas mon texte tout en reconnaissant que le manuscrit n’était pas mauvais (manière assassine de laisser un certain espoir aux pauvres « écrivants »).

 « Et on vous a proposé quoi ? De l’auto-édition ?»

« Ben oui… »

« Et vous avez fait quoi ? »

 « Rien, je n’ai pas accepté. »

 « Vous avez drôlement bien fait, cela ne sert strictement à rien. »

 « … »

 littérature

 

15:42 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

Commentaires

C'est avec un plaisir un peu maso que je viens de te lire. Ton texte est plein d'une verve, d'une texture rogue à peine voilée qui me vont droit à l'âme.
C'est quand on écrit du vécu que la plume se libère et plonge dans la belle écriture. Sois certain que ton marchand de soupe, là, n'a jamais lu de textes de cette qualité.Ta description de la foire est parfaite. On s'y croirait et ça me rappelle avec précision certaines foires du même acabit auxquelles j'ai pu assister. M'est arrivé, en Bretagne , d'être derrière un stand avec mon livre sur Brassens, de ne pas voir un clampin alors qu'on se bousculait à côté pour je ne sais plus quelle perruche de la littérature de supermarché. Catherine Nay ! Cela m'est revenu subitement en écrivant, là.... J'avais passé ma journée à observer le manège en buvant des bières....
Reste la désespérance dans un monde de menteurs, de bandits, de paltoquets sans foi ni loi qui font se métier comme d'autres vendent des moules ou des crevettes. Moins bien même car le poissonnier, lui, s'applique à te vendre des poissons frais.
Ils t'ont dirigé vers du compte d'auteur parce qu'ils se partagent les sous que le pauvre écrivain-jocrisse peut mettre dans la confection de son livre. Des horreurs, ces gens là. Des maquereaux !
Partout il faut les dénoncer...
http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2013/04/03/un-monde-de-chiens.html

Écrit par : Bertrand | 22/05/2013

Je ne connaissais même pas cette Catherine Nay, qui fréquente pourtant du beau monde (ce qui explique peut-être son succès) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Nay

Écrit par : Feuilly | 22/05/2013

Cette ignorance t'honore (!)

Écrit par : Bertrand | 23/05/2013

Je crois, oui :))

Écrit par : Feuilly | 23/05/2013

Tu ne seras sans doute pas étonné si je te dis que je n'ai jamais acheté un seul de ses bouquins! Plutôt crever o:))) Peuh ! Ces gens sont répugnants... Mais parfois, il y a un miracle incompréhensible. Je pense à Hélène de Monferrand... (Une auteure lesbienne, tu penses! Promise au pilon, à l'oubli, et j'en passe!) Elle a publié son premier long roman "Les amies d'Héloïse" chez de Fallois, et elle a récolté le Goncourt du nouveau roman. Elle lui a donné une suite, "Journal de Suzanne" que j'ai découvert, lu (avec intérêt et étonnement) à la Fnac. J'aimais beaucoup. Ca date du début des années 90 et je les lis et les relis régulièrement.

Je ne suis pas du tout d'accord avec elle, politiquement, mais j'aime son écriture et sa culture. Et puis, sur le plan de la littérature "homosexuelle" (alors à ses balbutiements), ça valait le coup. Ce qu'on a fait par la suite n'était pas vraiment à la hauteur, et je suis sûre que les dames "de la secte" m'étriperaient si elles me lisaient!

Mais si elle avait publié dans une petite maison d'édition, je ne l'aurais connue! Et pour cause, elle n'aurait jamais été à la Fnac). Ses livres suivants ont été publiés dans des maisons d'édition parallèles (qu'elle a contribué à créer) et n'ont pas connu le succès des deux premiers... Et pourtant, elle fait partie d'un réseau ... Qui fournit des lectrices, au minimum. Mais pas forcément le bon réseau, mais ça c'est un autre débat...

J'ai essayé de puiser un exemple atypique, mais qui illustre bien notre souci commun...

Écrit par : Pivoine | 25/06/2013

Naturellement, je résume et ne suis peut-être pas tout à fait exacte (ainsi, quant au succès de ses romans suivants, "Les enfants d'Héloïse" (suite des deux premiers) et "Retour à Sarcelles" ("roman des temps prolétariens") publié à La Cerisaie (qui me semble avoir fermé ses portes, mais je peux me tromper !) Il me semble qu'ils ont eu moins de succès, mais je n'en sais rien. J'ai tendance à le croire car ils ont sûrement bénéficié d'un tirage moindre.

Enfin, les deux premiers ont été édités en Livre de Poche... Ce qui est une consécration. Et ce n'est vraiment pas un auteur de gare. (Bien que je le répète, je ne sois pas d'accord avec toutes ses idées)...

Écrit par : Pivoine | 25/06/2013

Je ne connais aps du tout Hélène de Monferrand

Écrit par : Feuilly | 29/06/2013

Les commentaires sont fermés.