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30/01/2012

Une maison à la campagne (1)

C’était une vieille maison que j’avais achetée pour presque rien.  Depuis que je vivais en ville, c’est-à-dire depuis fort longtemps,  la forêt me manquait. Ce n’étaient pas les trois arbres des boulevards qui pouvaient me satisfaire : c’est à peine s’ils renseignaient les passants sur le passage des saisons ! Des voitures, des voitures et encore des voitures. Du bruit, de la pollution et la foule omniprésente, envahissante, étouffante, voilà tout ce à quoi on avait droit dans cette cité tentaculaire. Alors, quand j’ai découvert cette ruine à la sortie d’un petit village, je n’ai pas hésité une seconde. Le prix en était plus que modique. Il est vrai qu’il n’y avait plus grand-chose qui tenait debout dans cette maison, mais après un an ou deux de bricolage et après avoir fait appel à différents corps de métier, elle était devenue habitable. Je n’ai pas dit confortable, j’ai dit habitable. En gros, une partie cuisine, une partie salle de séjour et deux chambres. Le reste attendrait, à commencer par la salle de bains. Ce n’était pas l’idéal de se laver à l’eau froide, le matin, dans l’ancienne écurie, mais mes finances ne me permettaient pas d’en faire davantage pour le moment. Après tout, je ne venais pas ici pour retrouver le confort de mon appartement citadin, mais pour redécouvrir la nature, la vraie.

Les jours où je me levais tôt, c’était un enchantement, en ouvrant mes volets, de découvrir la forêt, là tout près, qui s’éveillait elle aussi. En hiver un peu de brume flottait au-dessus de la cime des arbres dénudés, dont les branches étaient recouvertes de givre. En été, les premiers oiseaux chantaient, emplissant l’espace d’une harmonie enchanteresse. Curieusement leurs chants, si beaux, si équilibrés, renforçaient le silence environnant. Je veux dire que ce silence profond, propre aux grandes forêts, était en quelque sorte accentué par ces chants qui venaient l’interrompre un instant. Je m’accoudais à ma fenêtre et je regardais l’aube se lever. La lumière, d’abord bleutée, tournait à l’orange puis au jaune. Puis subitement le soleil apparaissait au-dessus du moutonnement des arbres et c’était un nouveau jour. Je ne me lassais jamais de ce spectacle et je me disais que la vie méritait d’être vécue, finalement.

Parfois, comme je lisais toute la soirée et jusqu’à une heure avancée de la nuit, il m’arrivait de me lever tard. En ouvrant mes volets, j’étais alors frappé par l’impression de paix qui régnait en ce lieu. Il était déjà dix heures du matin et pourtant tout était calme et silencieux. En ville j’aurais été accueilli par un concert de klaxons et de moteurs vrombissants. Ici, il n’y avait rien, rien que ce grand calme qui enveloppait toute chose, comme si j’avais atteint à une sorte d’éternité. Le soleil était déjà haut dans le ciel et le fait d’entrer ainsi dans une journée bien entamée me ravissait. C’était comme si tout m’était donné d’un coup, dans un geste gratuit. L’instant d’avant, j’étais dans la pénombre de ma chambre et subitement la vie était là, resplendissante et offerte. Il n’y avait qu’à la saisir.

C’est ce que je faisais, évidemment. Après un petit déjeuner rapide et frugal, je m’acheminais vers la forêt, que j’arpentais pendant des heures. Comme par enchantement, les soucis quotidiens ou professionnels s’évanouissaient au cours de ces longues marches. Mon esprit se vidait de tous ces tracas inutiles et finalement dérisoires qui empoisonnent notre vie de tous les jours. Petit à petit des idées plus sereines naissaient dans mon esprit et finalement je parvenais à relativiser tous les échecs que j’avais subis dans la vie. Puis ma lecture de la veille me traversait l’esprit et de fil en aiguille mon esprit vagabondait sur des thèmes littéraires. Il m’arrivait aussi de rêvasser à ma nouvelle compagne qui, la pauvre, avait dû rester dans la capitale pour son travail. Elle n’était jamais venue jusqu’ici et je me réjouissais déjà à l’idée de lui faire découvrir ces immenses forêts sans commencement ni fin qu’elle ne pourrait qu’apprécier. Je rêvassais donc comme cela, tout en marchant, et je croyais la voir à mes côtés, trottinant de son pas rapide et assuré. Pour un peu j’aurais écarté les branches qui obstruaient le chemin, afin qu’elle ne s’égratignât point le visage. 

Quand je sortais de ma torpeur, il était plus de quatorze heures, je ne savais absolument pas où je me trouvais, et la faim commençait à me tirailler l’estomac. Le mieux était donc de rentrer. Oui, mais comment ? Généralement, j’étais complètement perdu. J’essayais bien de faire demi-tour et de m’y retrouver dans tous ces chemins, mais vous savez ce que c’est : les petits détails qu’on a enregistrés malgré soi (une flaque d’eau, un arbre tortueux, un rocher qui fait saillie) ne sont d’aucun secours quand on marche dans l’autre sens. J’errais donc souvent pendant des heures et quand enfin je me retrouvais dans des lieux connus de moi, j’étais à huit ou dix kilomètres de mon point de départ. Ces randonnées n’étaient pas pour me déplaire, je dois dire. D’abord parce que j’adore la marche et que ce n’étaient pas dix petits kilomètres en plus qui allaient me faire peur, mais surtout parce que l’idée de me perdre dans ces grands bois m’enchantait. C’était un peu comme si j’avais été coupé du monde. Tel un Dédale moderne, j’errais dans une sorte de labyrinthe dont il semblait tout d’abord illusoire de pouvoir sortir. Ce labyrinthe ressemblait finalement à la vie, où il n’est jamais très facile non plus de s’y retrouver. Pourtant, certains semblent avoir reçu des plans et des cartes d’état major à la naissance, car après avoir gravi rapidement tous les échelons de l’échelle sociale, ils en atteignent les sommets après un parcours sans faute. D’autres, comme moi, tâtonnent davantage et après avoir hésité beaucoup sur la route à suivre, finissent toujours par se tromper de chemin. Mais bon… Je me moquais bien d’avoir une grosse villa avec piscine et une Porche garée devant l’entrée. Mon bonheur n’était pas là, mais plutôt, justement, dans cette errance sans but précis, qui me permettait de mieux goûter à ce que le hasard de l’existence m’octroyait.

Je tournais donc en rond pendant des heures dans ma forêt et finissait par me prendre pour Robinson. Dernier homme sur la terre ou du moins seul homme  à arpenter ces contrées sauvages, il me semblait atteindre un point de non retour. J’allais me perdre définitivement et on n’entendrait plus jamais parler de moi. Comme j’ai une imagination débordante, je me demandais ce qu’il allait advenir de mon petit appartement. Il me semblait voir les voisins s’interroger et se poser des questions sur mon absence. « Voilà quatre semaines qu’on ne l’a plus revu ! » « Il est peut-être en vacances ? » « Impossible, il me donne toujours ses clefs pour arroser les plantes du salon ». Puis on prévenait la  police, qui finissait par convoquer un serrurier. On trouvait l’appartement vide et rien n’indiquait où j’avais bien pu aller. Alors on menait une enquête dans le département puis finalement  dans tout le pays et après deux ou trois années j’étais déclaré mort. L’appartement était mis en vente et les voisins s’empressaient de faire la connaissance du nouveau propriétaire, surtout si c’était une jeune dame d’allure sportive, toute mince et bien bronzée. Pouvais-je leur en vouloir ?

Ou alors j’imaginais que pour une fois ma compagne était avec moi. Elle avait enfin pu se libérer de son travail pour trois jours et elle était venue me rejoindre ici, à la campagne. D’abord émerveillée par ma petite maison à moitié en ruine, qu’elle trouvait charmante, elle avait ensuite voulu faire une grande promenade dans la forêt. Et voilà qu’on s’était perdus. Comme nous étions deux, nous n’avions plus trop envie de retrouver notre chemin. Nous avions bien erré quelques heures, cherchant vaguement à nous repérer, mais nous n’avions fait que nous enfoncer davantage dans la profondeur des bois. Le soir venu, nous avions dormi enlacés sur un lit de fougères. Le lendemain, mieux reposés que dans une chambre d’hôtel, nous avions décidé de ne plus revenir vers la civilisation et de rester là, à arpenter sans fin ces bois merveilleux. Nous avions alors construit une petite cabane avec des troncs d’arbres et des branchages et nous avions vécu là tout l’été, coupés du monde, disparus pour tous.

 

Voila le genre de rêves un peu fous que je faisais tout en me promenant. La cause d’un tel délire, il fallait sans doute la chercher dans les livres. J’avais dû trop lire Jean-Jacques Rousseau et son mythe du bon sauvage avait dû éveiller en moi un désir de retour naïf à la nature. Bien sûr, je savais comme tout le monde qu’il n’y a rien de plus cruel que cette nature et que l’injustice y règne en maîtresse absolue, chaque espèce essayant de survire au détriment des autres. Mais bon, les livres, je vous dis, avaient faussé mon jugement et j’avais toujours en moi ce rêve de vivre coupé du monde, au cœur de la grande forêt primitive.

Bref, ce jour-là, donc, il était quasi vingt-et-une heures quand je suis enfin rentré chez moi, fourbu mais content. Je me suis préparé à manger, car je mourais de faim, puis, n’ayant pas trop envie de lire, je me suis aventuré, je ne sais trop pourquoi, vers le grenier, où je n’avais quasi jamais mis les pieds.

 Littérature

11:15 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

25/01/2012

Le cahier bleu

C’était un cahier bleu avec des pages blanches.

Des pages toutes blanches que je voulais remplir.

Dehors, de grands oiseaux tournoyaient dans l’infini des cieux

De grands oiseaux de mer qui venaient de très loin.

Sur ma table était posé un stylo à l’encre bleue

Une encre bleue qui ressemblait à la nuit.

Dans mon cœur il y avait les souvenirs des jours passés

Les jours passés à aimer.

Dans ma tête se pressaient tous les rêves

Ces rêves qui ouvrent les portes du lendemain.

Derrière moi, se trouvait une bibliothèque

Une bibliothèque où s’entassaient la plupart des écrits du monde.

 

J’ai ouvert le cahier à la première page

La première page toute blanche

J’ai regardé l’oiseau qui volait dans le ciel

Le ciel infini et bleu.

Dans ma main je tenais mon stylo

Ce stylo qui avait tant écrit déjà.

 

Ce jour-là pourtant je n’ai trouvé aucun mot

Aucun mot digne de figurer dans le cahier bleu.

J’ai regardé encore l’oiseau et le ciel

Le ciel rempli de rêves et de souvenirs.

 

Alors derrière moi j’ai pris un livre

Un livre qui parlait de la mer et de la nuit

Je suis resté longtemps à écouter le silence

Le silence qui régnait dans mon cœur.

Dehors le bel oiseau blanc était parti

Parti à jamais dans l’obscurité de la nuit.

 

J’ai déposé mon stylo, j’ai refermé le cahier

Le cahier bleu avec ses pages blanches. 


littérature

00:56 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

20/01/2012

Quand vient la nuit

Quand le soleil est descendu à l’horizon

Et que la nuit, lentement, s’est installée.

Quand les animaux se sont tus

Et que le vent est tombé.

Quand la mer, sur la plage, s’est retirée

Et que les montagnes ont disparu dans la brume.

Quand dans le ciel noir une étoile enfin a brillé

Et que dans le lointain un hibou l’a saluée

Alors, dans la forêt, les loups se sont levés

Et lentement se sont approchés.

Certains ont même vu luire leurs yeux dans l’ombre. 


littérature

07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

17/01/2012

Eté pluvieux

Trois gouttes d’eau descendent lentement

Le long d’une feuille,

Vestiges d’une averse

Au cœur de l’été.

 

Trois gouttes d’eau qui coulent

Le long de ta joue,

Et ton cœur en pleurs

En plein juillet.

 

Trois gouttes d’eau qui tombent sur le sol

Puis s’évaporent

Dans la chaleur estivale.

 

Trois gouttes d’eau au goût de sel

Qui tombent sur ton cœur.

C’est tout l’été qui pleure.

littérature

07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

14/01/2012

Tempête

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Dans ta région aussi, sans doute. Je me dis que tu dois être chez toi, toute seule dans ta maison, à l’entrée du bois.

J’essaie d’imaginer, car ta maison, je ne l’ai jamais vue.

On s’est écrit longtemps, pendant des mois, t’en souviens-tu ? On parlait de ces vacances durant lesquelles on s’était rencontrés là-bas, le long de l’océan. Il y avait eu un orage et on s’était réfugiés dans un petit abri de pêcheur. La pluie tombait avec rage sur le toit de tôle et cela faisait un bruit infernal. Ce n’était pas facile de faire connaissance dans un tel contexte. Alors on se taisait et sans rien dire on regardait la pluie tomber. A la lueur d’un éclair, j’ai vu ton visage de profil et j’ai su tout de suite ce qui allait se passer. Je n’ai rien dit, j’ai attendu. A l’éclair suivant, j’ai senti que c’était toi qui m’observais.  Je n’ai rien dit encore. Comment parler avec tout ce bruit ? Et puis je ne suis pas du genre entreprenant  Une inconnue reste une inconnue. Mais voilà, tu n’étais déjà plus n’importe qui, je le savais.

A un moment donné, l’averse s’est un peu calmée. Bientôt nous pourrions partir, chacun de notre côté. Dommage ! Continuer à garder le silence devenait gênant. Nous étions deux, là, à trente centimètres l’un de l’autre dans cet espace exigu, et le silence relatif qui nous entourait désormais exigeait qu’un des deux parlât. Pourtant aucun son n’est sorti de ma bouche. Forcément ! Que dire, si ce n’était faire remarquer que la pluie se calmait, ce qui aurait aussitôt entraîné ton départ ? Je n’allais quand même pas te donner des arguments pour me quitter, déjà… Mais j’avais beau chercher, je ne trouvais rien d’original à exprimer. Aucune phrase sensée, aucun mot pour te faire rire, rien. J’étais paralysé.

Les secondes passaient et j’étais désespéré, redoutant le moment fatidique où tu allais sortir sous la pluie fine et te mettre à courir, sans même te retourner. Mais tu ne bougeais pas. Tu attendais.

A ce moment, un éclair suivi presqu’immédiatement d’un roulement de tonnerre fracassant  nous fit sursauter l’un et l’autre. Sans même réfléchir, nous nous sommes regardés et nous nous sommes souri. La pluie s’est mise à redoubler, accompagnée cette fois de grêle et d’un vent violent. « Je crois», dis-je, « que nous ne sommes pas près de sortir d’ici ». « J’en ai bien peur », as-tu répondu. « Ceci dit», ai-je poursuivi, « la situation n’est pas si catastrophique. Nous pourrions être sous l’averse, ce qui serait bien moins agréable. » « Vous voulez dire que vous trouvez ma compagnie agréable ? » « Non ! Enfin, si… Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! Je voulais simplement faire remarquer qu’on est bien mieux ici, au sec, plutôt que sous l’averse. » Tu m’as regardé  d’un air un peu goguenard, un petit sourire imperceptible au coin des lèvres. Déjà tu avais tout deviné : mon trouble, mon malaise, mon désir de te parler, ainsi que mon impossibilité à le faire.

Puisque la conversation était engagée, nous avons continué. C’était encore moins gênant de converser, maintenant, que de laisser un nouveau silence s’installer. On a évoqué l’orage, forcément, et cet été pourri où il pleuvait presque tous les jours. Tu as parlé d’autres vacances, en Andalousie, où tu avais eu tellement chaud que tu ne supportais plus aucun vêtement. Ta phrase m’a mis mal à l’aise. Je ne savais pas si tu disais cela en toute innocence ou si au contraire c’était une allusion voilée à la nudité de ton corps. Du coup, je n’ai pas répondu et me suis enfermé dans mon silence. C’est toi qui as repris la parole en me demandant si je venais souvent en Bretagne. Là, je me suis tout de suite senti plus à l’aise. J’avais enfin un sujet de conversation. Alors j’ai expliqué que je préférais le Sud et j’ai raconté en long et en large mes séjours en Provence, dans les Pyrénées Orientales ou en Espagne. J’étais devenu intarissable. Tout en parlant, cependant, je me demandais comment j’allais ramener la conversation sur toi, car c’est surtout cela qui m’intéressait. Pourtant, à un certain moment, j’ai remarqué que mes anecdotes te faisaient rire et cela m’a fait plaisir. En réalité je ne le faisais pas exprès, mais visiblement mes petites aventures à Caceres ou à Cordoba te plaisaient. Alors je n’ai plus pensé à rien et j’ai continué à te raconter toutes mes péripéties estivales. En passant, en évoquant le musée du Prado ou la Galerie des offices de Florence, j’ai senti que tu n’étais pas n’importe qui, mais que tu étais une personne cultivée et qui s’y connaissait pas mal en peinture et en histoire de l’art. Plus que moi, à vrai dire.  Cela ne m’a pas déplu, forcément.

Quand j’ai parlé de Venise, j’ai remarqué que tu me fixais d’une façon étrange. Alors moi, comme un idiot, plutôt que d’amener doucement la conversation sur le romantisme de cette ville et de décrire les couples d’amoureux  qui s’enlaçaient un peu partout le long des canaux, voilà que je me mets à te décrire toutes les peintures religieuses de la ville. Puis je m’embarque dans une description très longue et très animée de la « Cène » du Tintoret que l’on peut voir dans l’église de San Giorgio Maggiore. Quel idiot je fais, quand même !

A un moment donné, j’ai remarqué que tu ne m’écoutais plus. Tu ne m’écoutais plus, mais tu me regardais, moi, en train de te parler. En réalité, tu ne me regardais pas non plus, mais tu me fixais littéralement. Alors je me suis tu et nos regards ont plongé l’un dans l’autre.  

« Je crois qu’il ne pleut plus depuis un petit moment » as-tu murmuré avec un sourire.  « C’est fort possible », ai-je concédé. « Dommage, finalement on était bien ici, non ? » « C’est vrai », as-tu répondu. « J’aimais bien vous écouter raconter tout cela. » Et en disant ces mots tu n’arrêtais toujours pas de me fixer. « Si vous voulez, on peut encore rester un peu, mais c’est que j’ai déjà beaucoup parlé… » « Il n’est pas toujours nécessaire de parler » as-tu fait remarquer. Alors je me suis approché de toi et c’est comme cela que tout est arrivé.

Plus tard, on s’est promené sur la plage. La nuit était tombée et la lune brillait sur la mer. Il faisait un peu froid après l’orage et tu t’es blottie contre moi. On s’est assis sur des rochers et on a regardé longtemps les vagues qui venaient mourir à nos pieds. Alors c’est toi qui t’es mise à parler et qui m’as raconté ta vie.

A la fin des vacances, il a bien fallu se quitter, mais on s’est écrit pendant longtemps. Des mails de plusieurs pages presque chaque jour. Puis les messages sont devenus plus courts, ils se sont espacés et à la fin tu n’as plus écrit. J’ai encore continué pendant quelque temps à te parler de ce que j’éprouvais pour toi, mais tu n’as plus donné suite.

Voilà toute l’histoire.   

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Je pense à toi et à notre plage sous l’orage. Et je me dis qu’en ce moment tu dois être chez toi, dans la petite maison à l’entrée du bois dont tu m’avais souvent parlé. Peut-être regardes-tu, toi aussi, la pluie en train de tomber. Peut-être te souviens-tu. Ou peut-être pas.

Qui pourrait le dire ?

En attendant le vent souffle et emporte tout. 

littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

05/01/2012

Pause

Ce blogue est en pause.

04/01/2012

Présence-absence

Dans le miroir, j’ai aperçu ton reflet.

C’était impossible, je devais rêver.

J’ai mieux regardé et, en effet, il n’y avait rien.

Rien qu’un grand vide avec au fond tous mes souvenirs.

 

Dans le salon, j’ai cru sentir ton parfum.

Ce n’était pas possible, il y avait si longtemps…

J’ai ouvert la fenêtre et tout s’est évanoui

Sauf le désir que j’avais de te revoir.

 

J’ai pris le sentier qui mène au petit bois,

Celui où nous allions nous promener autrefois.

Dans la boue fraîche, sous les feuilles mortes,

J’ai cru distinguer l’empreinte de ton pas.

C’était sans doute celui d’une autre promeneuse.

Il y a si longtemps que tu n’es plus venue par ici…

 

Dans la clairière, sur le petit banc, un livre avait été oublié.

J’ai feuilleté ses pages, mais elles étaient toutes blanches.

La pluie, sans doute, avait tout effacé.

 

En descendant vers la plage, déserte à cette heure,

J’ai cru entendre ta voix, dans les lointains.

Ce n’était que le  bruit du vent dans les pins.

Du moins je crois.

 

Sur le sable, j’ai trouvé des traces de pas

Et je les ai suivies.

Elles menaient droit à la mer,

Où elles disparaissaient.

 

Alors j’ai compris que je t’avais vraiment perdue.

 Aquarelle peinte par notre ami Halagu, qui s'est inspiré de ce poème

littérature

littérature

18:58 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

02/01/2012

Histoire de famille (1) : la mère-grand.

On rendait assez souvent visite à la grand-mère. Après avoir roulé longtemps sur les voies rapides et les nationales, on se retrouvait sur de petites départementales avant de finir notre voyage sur des routes communales particulièrement étroites. Celles-ci n’avaient de routes que le nom, tant elles étaient sinueuses et dans un état pitoyable. A vrai dire, c’étaient plutôt de simples chemins qui escaladaient les collines comme ils pouvaient, franchissaient les rivières sur des ponts d’un autre âge et pénétraient dans des forêts qui semblaient n’avoir jamais de fin. Quand, après deux bonnes heures, on arrivait dans le village, au bout du monde, il fallait encore le traverser de part en part pour atteindre la maison de l’aïeule, en pleine nature, à l’entrée du bois.

La mère-grand était née à la charnière des siècles et elle avait connu toutes les guerres. Elle en parlait toujours comme si cela avait été hier. Nous, nous l’écoutions, à la fois fascinés et incrédules. Elle racontait comment en 1914 les Allemands avaient rassemblé sur la place tous les hommes du village et en avaient fusillé une vingtaine au hasard, pour l’exemple, à cause  d’un officier teuton qu’on avait retrouvé dans un champ de blé, une balle de fusil de chasse entre les deux yeux. Elle racontait sa peur à elle, dans son ventre de fille, quand elle croisait dans la campagne un groupe de soldats. Ils s’arrêtaient, la dévisageaient en riant, puis lui tenaient des propos étranges dans une langue qu’elle ne comprenait pas. Alors elle s‘enfuyait comme elle pouvait, sous l’hilarité générale. Elle avait quatorze ans. Elle nous racontait aussi les fermes incendiées par représailles, les femmes forcées et les cadavres des hommes qu’on retrouvait mutilés.

Plus tard, la paix revenue,  elle s’était mariée avec un paysan que je n’avais jamais connu, mais qui portait le même nom que moi puisque c’était mon grand-père. Sa photo trônait dans la chambre à coucher, au dessus du lit. Jeune, la moustache fière, un peu engoncé dans le costume neuf acheté pour ses noces, il avait des airs de guérillero mexicain et on avait du mal à imaginer la vie simple qu’il avait menée ici, vivotant de sa petite exploitation agricole. Le jeune ménage n’était pas riche, ça non,  mais cela n’avait pas empêché les enfants de naître les uns après les autres. Il y en avait sept quand une autre guerre éclata. Les mêmes soldats au parler étrange arrivèrent par les mêmes routes. La différence, c’est que cette fois ils étaient motorisés. Ils foncèrent sur Paris, qu’ils atteignirent en quelques semaines. Pour le reste, au village, on recommença avec les privations bien connues. La mère-grand me racontait qu’elle avait couru après un soldat allemand qui lui avait volé sa dernière poule. Malgré ses vociférations, celui-ci resta de marbre. « C’est la guerre », se contenta-t-il de dire dans un français approximatif, et pour couper court à la discussion, il coupa le cou du volatile devant mon aïeule médusée, qui hurla de plus belle. Pourtant, le soir, le même soldat vint apporter un peu de bouillon « pour les enfants » et la famille se consola en dégustant ce qu’il restait de sa poule.

Quand elle avait bien raconté, quand elle nous avait bien captivés et qu’elle voyait que nous allions passer la nuit à l’écouter, la grand-mère levait la séance et allait se coucher. Souvent je restais seul dans la cuisine, à lire un peu (dans les chambres sans chauffage, il faisait trop froid). Je m’installais auprès du poêle à bois, les pieds généralement posés sur une bûche car le carrelage était glacial. J’écoutais le silence. On n’entendait rien, absolument rien, dans cette campagne reculée. Aux alentours, c’était la nature à l’état pur. Si on entrouvrait la porte et qu’on risquait un pas dehors, on tombait dans la nuit absolue, une nuit d’encre semblable à celle des origines du monde. Au mieux, en prêtant l’oreille, pouvait –on entendre le cri de quelque bête sauvage, dans un endroit indéterminé de la forêt : probablement un renard qui glapissait ou alors une horde de sangliers qui fouinaient le sol. Mieux valait refermer la porte que de s’aventurer dans cette obscurité hostile. Je reprenais mon livre, mais le silence environnant était tel que je relevais bientôt les yeux, attentif au moindre bruit qui m’aurait indiqué que la vie continuait malgré tout. Mais non. Le renard s’était tu et les sangliers devaient être partis ailleurs. Je restais seul au monde, avec cette impression étrange que plus rien n’existait sauf moi-même.  Quand il pleuvait, on entendait juste le gargouillis de l’eau qui tombait de la gouttière. C’était un bruit monotone et apaisant, qui me permettait de me situer dans le temps et dans l’espace.

Plus tard, bien plus tard, quand le feu dans le poêle s’était éteint et qu’il ne subsistait que quelques braises qui ne dégageaient plus la moindre chaleur, j’éteignais tout et montais me coucher. C’était une vieille maison et pour atteindre ma chambre il fallait d’abord traverser celle de la grand-mère. Je ne voulais pas la réveiller, c’est pourquoi je n’allumais pas la lampe. Je gravissais les marches à tâtons, essayant d’éviter tout bruit. Parfois, une marche craquait sous mes pas et toute la nuit semblait alors résonner comme si quelque cataclysme s’était produit .

littérature

07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature