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18/10/2009

Amour, écriture et amour de l'écriture

Dans un commentaire à la note précédente (un poème sur un amour malheureux), Halagu nous fait remarquer qu’il y aurait sans doute eu moyen de conquérir le coeur de la dame et de faire en sorte que cet amour devienne heureux, mais que ce n’est sans doute pas ce qu’aurait désiré le poète. Il a raison. Car à mon avis il y a toujours une souffrance ou du moins un manque à la base de l’écriture. J’ai longtemps pensé, d’ailleurs, qu’écrire c’était se complaire dans son malheur, ne pas oser aller de l’avant en quelque sorte, ne pas agir pour imposer sa vision des choses (ou ne pas s’adapter au monde ambiant). Ne pas grandir, en quelque sorte. Les gens qui sont vraiment impliqués dans la vie active, qui ne la regardent pas de l’extérieur avec un œil critique mais qui s’y trouvent bien car ils y agissent, ceux-là n’écrivent pas. Ils ne lisent pas non  plus, à vrai dire. Alors, pendant de longues années j’ai refusé d’écrire et j’ai essayé de vivre. Mais avec le temps on se rend compte qu’il n’y a rien à faire et qu’il reste un hiatus entre ce qu’on est réellement au fond de soi et cette vie qu’on nous fait mener. Alors, si on ne veut pas partir un jour sans avoir au moins essayé d’exprimer qui on est vraiment, il faut écrire. Modestement, certes, mais écrire quand même. Car à défaut de pouvoir changer le monde et d’y trouver une place à sa mesure, autant au moins dire la manière dont on voyait les choses, autant au moins exprimer ce qu’on aurait voulu que le  monde soit.

 

Un amoureux qui serait heureux n’écrirait pas. Halagu cite Werther, qui, s’il avait été heureux, n’aurait été « qu’un petit bourgeois de province lisse et sans influence ». Probablement, en effet. Devrons-nous aller jusqu’à remercier les belles princesses inaccessibles pour nous avoir permis de souffrir et donc d’écrire ? Ce serait quand même un comble.

 

Mais c’est vrai que le poète, devant un amour contrarié, va sublimer sa souffrance et son désarroi et va les transformer en objet esthétique. Il va se faire chercheur d’étoile ou il va crier sa douleur (je profite de l’occasion qui m’est ici donnée pour réactualiser des textes anciens que les lecteurs récents n’ont sans doute pas eu l’occasion de lire). Mais est-ce lui qui se complait dans son malheur au point de s’arranger pour chercher des amours impossibles (ce qui lui permettra en effet d’écrire) ou bien est-ce la vie qui est ainsi faite qu’il ne peut finalement que se blesser aux parois de sa cage, un peu comme l’albatros de Baudelaire sur le pont du navire ? Difficile à dire.

 

De toute façon, comme disait Aragon, « Il n’y a pas d’amour heureux. »

 

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
          Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
          Il n'y a pas d'amour heureux
          Mais c'est notre amour à tous les deux

 

00:43 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

Commentaires

Non, effectivement, « il n'y a pas d'amour heureux »... Et nous sommes forcés de constater que les plus beaux textes — de prose ou de poésie — ont comme fondement un amour malheureux, une déchirure, un manque... Remercions donc les princesses ! :)

Pour ce qui est de l'écriture, je crois qu'elle est un exutoire à pas mal de choses. Et je m'aperçois qu'elle m'est de plus en plus nécessaire.

Écrit par : PetitChap | 18/10/2009

En littérature le bonheur n'est pas source de beauté, parce qu'il n'est pas communicable, il n'est valable que pour celui qui le vit. Par contre la souffrance est génératrice d'émotion et l'âme humaine a besoin de secousses pour vibrer à l'unisson de celui qui souffre.Oui PetitChap, "Remercions donc les princesses !" qui inspirent les poètes. Le génie est un torrent qui jaillit des entrailles des êtres insatisfaits, âmes éternellement en quête d’idéal inaccessible.

Écrit par : Halagu | 18/10/2009

Je feuilletais l'autre jour le livre de P. Bergougnioux "agir écrire". Le début de votre billet m'y fait penser. Il parle longuement de cette posture "en retrait" de l'écrivain. il y voit plus une posture européenne, à vrai dire. Toute la fin du livre est un éloge de Faulner. Lequel serait parvenu à réconcilier agir et écrire. Lequel, à ma grande honte, je n'ai pas lu...
Pour ma part, j'ai connu tant de gens "impliqués dans la vie active", et qui ont vraiment des raisonnements et des agissements d'enfants, que je n'opposerais pas aussi frontalement écrire et trouver sa place dans la société. Trouver sa place dans le monde est peut-être plus simple qu'y trouver sa parole. Voilà pourquoi tant de gens y parviennent si bien.

Écrit par : solko | 18/10/2009

@ PetitChap: l'écriture comme exutoire: bien entendu.
@ Halagu: les princesses, probablement, n'en peuvent rien. Elles ont souvent leurs raisons lesquelles peuvent être valables, mais n'est-ce pas le poète lui-même, qui, en cherchant l'impossible (ce qui est dans sa nature) provoque son propre malheur? Ou, pour le dire autrement: n'est-ce pas dans sa nature d'être malheureux? Aucune princesse n'y pourra jamais rien, sans doute.

@ Solko: la position "en retrait" est en effet typiquement européenne parce que nous sommes une vieille culture. L'Amérique, plus jeune et sans doute plus naïve, fonce davantage dans le concret sans trop se poser de questions ou avec l'intention de changer la réalité et de la transformer. Le comble, c'est qu'ils y arrivent souvent. Maintenant je n'ai pas dit que j'appréciais leur point de vue...

Écrit par : Feuilly | 18/10/2009

J’aime ton texte, Feuilly, mais je ne suis pas certain d’être tout à fait d’accord avec toi. Je veux dire que je ne suis pas certain que c’est ainsi que j’ai vécu et que je vis les choses.
C’est un texte sincère, qui pose des questions essentielles et c’est pour cela que je l’aime.
Mais je sais trop que l’expression sur blog, contrainte à une certaine brièveté, est souvent elliptique et lapidaire, surtout lorsqu’elle aborde les fondements mêmes de ce que nous avons à dire et à vivre de plus humain.
Ça n’est donc pas un reproche et une critique en soi. Je parlerai donc de mon expérience personnelle, espérant ne pas être impudique. Pour dire aussi que, peut-être, il n’y a pas d’universalité relativement au sujet que tu proposes.
J’ai toujours eu besoin d’écrire et j’ai toujours écrit avec plus ou moins de bonheur.
J’ai écrit mon "Brassens" dans une période calme, sans bonheur excessif et sans souffrances insurmontables.
La dernière année où j’ai vécu en France, avant de faire le grand saut vers l’exil, j’ai vécu une période sombre, de douleurs et de tourments. Tant que cette douleur passait au physique et que j’avais même besoin de crier pour la faire sortir. Une période noire, une période de déprime, de doutes fondamentaux, une période où tout s’écroule, où l’on n' est plus rien, qu’un fétus de paille au vent de sinistres tempêtes.
Tout me dégoûtait : Manger, boire, discuter, la mer, les paysages, les soucis ou les joies des autres, la musique, la guitare, le ciel, les promenades....mais, en premier lieu, écrire. Parce que ce que je ressentais était inexprimable, trop lourd, trop vrai, trop épais, trop situé dans l’atome même de la vie.
Ce n’est donc pas le bonheur qui est inexprimable, Halagu, mais la souffrance au moment où elle est vécue…Parce qu’elle est prioritaire, parce qu’elle bouffe tout de l'individu, qu'elle a besoin de tout son sang, qu'elle doit être jugulée par d’autres moyens. Sous peine de mort. Et je pèse consciencieusement ce dernier mot parce je fus alors à deux doigts d'aller à sa rencontre...
Je suis persuadé maintenant, empiriquement et à titre éminemment subjectif, que l’écriture n'exprime la douleur qu’au passé. Une fois vaincue dans la chair de l'écrivain. Quand il peut la regarder dans les yeux et accrocher au coin de ses lèvres le sourire de la victoire.
Il est absolument incapable d’écrire sous les feux brûlants de la souffrance comme on est incapable d'écrire avec 40 de fièvre.... Baudelaire allait certainement beaucoup mieux quand il a écrit « Spleen ». Sans quoi il en serait assurément mort au fur et à mesure des mots..
Quant au bonheur…Je ne me hasarderai pas à le définir. Il réside pour moi dans ce que j’ai pu trouver au bout de ma fuite…Et là, j’ai été pris d’une frénésie d’écrire, de dire, d’aimer, et ce, depuis bientôt 5 ans.
L’écriture n’est pas un ersatz, n’est pas un médicament, n’est pas un succédané de ce caviar de vivre.
Non. Elle est plus et bien moins que cela. Ce serait bien long à définir et, en ce qui me concerne, il n’y a pas de définition.
Je ne me pose pas la question du pourquoi je respire.
Amitié sincère.

Écrit par : bertrand | 19/10/2009

"Ce n’est donc pas le bonheur qui est inexprimable, Halagu, mais la souffrance au moment où elle est vécue"

Evidemment. Il y a toujours un laps de temps entre une souffrance et le moment où on écrit sur elle.

Enfin, en principe c'est comme cela.

Quant au bonheur, Halagu a simplement dit que ce n'était pas un sujet littéraire, qu'il n'intéressait pas les lecteurs. Il n' pas dit que l'écrivian ne pouvait pas être heureux au moment où il écrivait (sur son passé malheureux).

Mais pour revenir à ce "malheur" et sans entrer dans des considérations trop personnelles, il m'est quand même arrivé d'écrire des textes sombres et poignants quasi en direct, quand l'amour est contrarié. Peut-être parce que la situation de ce moment-là renvoyait à d'autres situations antérieures, ça, c'est possible.

Écrit par : Feuilly | 19/10/2009

Peut-être parce que la situation de ce moment-là renvoyait à d'autres situations antérieures, ça, c'est possible.

C'est presque certain.

Mais je peux me tromper.

Écrit par : Bertrand | 19/10/2009

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