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26/08/2009

La serre

Maison poème

J'intitule ce texte « la serre » car je ne trouve pas d'autre mot pour désigner cette espèce de verrière qui prolongeait la cave, par une sorte d'aberration architecturale à laquelle personne n'avait jamais pu trouver le moindre sens. En effet, en principe, une serre renvoie aux concepts de clarté, de chaleur et de plantes quasi tropicales. Rien de semblable ici, évidemment. Les vieux carreaux consolidés avec du papier goudronné ne laissaient passer qu'une lumière diffuse, ce qui donnait à la cave adjacente des airs d'aquarium et pour un peu on se serait cru au fond de la mer. Sans compter que ladite verrière laissait abondamment passer l'eau les jours de pluie, ce qui renforçait encore la certitude que ce lieu entretenait avec l'élément aquatique des liens aussi profonds que secrets.

Pour mieux comprendre la topographie des lieux, il faut imaginer que l'excavation qui avait été faite pour construire la maison était exagérée par rapports à la surface de celle-ci. Les ouvriers s'étaient visiblement retrouvés avec un trou à devoir combler une fois l'habitation terminée et il me plait de penser que c'est par paresse qu'ils ont imaginé cette sorte de verrière qui venait donc prolonger la cave dans le sous-sol, mais qui en surface offrait l'énorme inconvénient de se situer au même niveau que la cour. Point de jeux de ballons pour l'enfant que j'étais, évidemment, car les carreaux auraient été immédiatement cassés. Je peux avouer aujourd'hui que cette situation m'arrangeait bien, car j'ai toujours eu pour les ballons une aversion viscérale et à vrai dire si profonde qu'elle doit être d'origine génétique, il n'y a pas d'autre explication. Il n'en restait pas moins que cette serre qui, à l'extérieur, se retrouvait de plain-pied avec le sol, constituait un véritable danger car quelqu'un d'un peu distrait ou qui aurait été victime d'un soudain étourdissement, se serait immédiatement retrouvé dans la cave après avoir été déchiqueté par la verrière.

Celle-ci représentait donc un danger potentiel et tout le monde s'en méfiait. Il nous fallait pourtant bien vivre avec elle, ce qui revenait à se comporter comme on le fait avec un animal qu'on nous dit être gentil mais dont on sait qu'il appartient à une race agressive. Bref, la serre, par son emplacement, constituait une menace permanente pour notre intégrité physique, ce qui n'était pas rien. Malheureusement, c'était loin d'être tout. Son état de vétusté était tel qu'on se demandait bien comment la vieille structure métallique toute rouillée parvenait encore à supporter le poids des carreaux, alourdis encore par le papier goudronné dont j'ai déjà parlé. A l'extérieur, on avait donc peur de passer par inadvertance à travers la verrière, de par sa position au niveau du sol, et à l'intérieur on redoutait de tout recevoir sur la tête, ce qui semblait de plus en plus probable au fur et à mesure que les années s'écoulaient. Ajoutez à cela le manque de clarté et les infiltrations de pluie et vous aurez compris que cette serre était devenue pour tous un véritable cauchemar et qu'elle alimentait souvent les conversations.

En tout cas, je lui dois mon premier cours d'économie domestique et la conscience que la lutte des classes n'est pas un vain mot. Je m'explique.

Chaque fois qu'il avait l'occasion de croiser le propriétaire (c'est-à-dire au moins une fois par mois), le père ne manquait pas de souligner la dangerosité de la situation. A chaque fois, évidemment, on lui répondait que ce n'était pas la saison, que les moyens manquaient, qu'il faisait trop chaud ou trop froid, bref, que cela pouvait bien attendre encore un peu, par exemple jusqu'à l'année prochaine. Allons, disons même jusqu'à la fin de l'année prochaine, ce sera plus sûr. Mais une fois la période prévue arrivée, le terme reculait aussitôt du même nombre de mois que l'année en comportait, ce qui fait que les travaux étaient reportés de douze mois et en réalité ne se faisaient jamais. Pourtant, sur le terrain, la situation empirait, ce qui fait que le père en vint à proposer un compromis. Pour autant qu'on lui payât les matériaux, il s'engageait à construire lui-même une nouvelle serre, ce qui en outre donnerait une plus value à cette maison qui ne lui appartenait pas. Le propriétaire écouta un peu plus attentivement ses propos, mais finalement il dit que non, que ce n'était pas possible dans l'immédiat : il ne disposait pas des liquidités suffisantes pour acheter les trois cornières de métal et la grande plaque de plastique ondulé qui seraient nécessaires. C'est qu'il avait à entretenir une bonne vingtaine de maisons et on n'imaginait pas tous les frais que cela occasionnait et qu'il devait assumer. Bref, au mieux, on verrait l'année prochaine, mais il ne promettait rien. Tenace, le père renouvela pourtant son offre plusieurs fois si bien qu'un jour, à la surprise générale, l'accord oral fut donné. Ce fut une surprise, assurément et on mit sur les qualités de persuasion du paternel d'avoir remporté la bataille. Certes, il fallut  encore attendre quelques mois avant que Crésus ne se décidât à ouvrir son portefeuille, mais après tout, on pouvait comprendre, ce n'était pas la saison, n'est-ce pas ?

Puis vint enfin le jour où les travaux débutèrent. Le père acheta donc lui-même ce dont il avait besoin et transporta comme il put tout ce matériel dans sa petite voiture (une quatre chevaux Renault), ce qui en soi constituait déjà un exploit. A la réflexion, ce fut même un miracle s'il y parvint et il faut croire que les dieux, touchés par notre obstination, avaient décidé de prendre notre parti.

C'est comme cela que la famille se retrouva avec une serre convenable, sur laquelle on avait moins peur de faire une chute fatale (puisque le panneau de plastique était solidement fixé à des chevrons de qualité), qui ne risquait plus de s'effondrer à la cave et qui, ô merveille, non seulement ne laissait plus passer l'eau mais qui en plus diffusait une lumière douce et agréable.

Nous en profitâmes pleinement deux mois entiers, jusqu'au moment où le propriétaire signifia qu'il rompait le bail pour occuper lui-même la maison. Le vieux grigou, âgé de près de quatre-vingt ans, venait de décider de prendre sa pension et de ne plus s'occuper de l'épicerie qu'il tenait dans le haut de la ville. Il loua donc son commerce au plus offrant et vint occuper notre maison, qui était la plus petite de toutes celles qu'il possédait et donc celle qui lui rapportait le moins. Mais vous comprenez, pour une personne seule, c'était bien suffisant, n'est-ce pas ?

Epilogue :

Avec le recul, je me dis que ce vieux monsieur, qui avait tout du père Grandet de Balzac, m'a donné une bonne leçon de vie. Malgré mes six ans, j'avais en effet compris qu'il existe des possédants et des possédés et que le sens moral qu'on essayait de m'inculquer ne concernait évidemment pas certaines catégories de la population. Leur argent les mettait au-dessus de tout cela puisque, de toute façon, il leur permettait d'obtenir le respect des autres.

15:34 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, la serre

12/08/2009

La mer

Je marche pieds nus sur le chemin sablonneux. Devant, ce seront bientôt les dunes et leurs herbes folles, indomptées, un peu coupantes aussi (il va falloir faire attention). Et puis ce sera la mer, celle qu'on ne voit jamais, celle dont on ne fait que rêver. Enfin, d'habitude. Derrière, se dressent les montagnes, je le sais, inutile de me retourner. Hier encore je gravissais leurs pentes, avec de solides bottines et un sac à dos. C'est de là-haut, tout là haut, que j'avais vu la mer, véritable toile de fond dans un tableau de la Renaissance. Malgré la chaleur, elle était d'un bleu intense et semblait éternelle. Les Grecs déjà, l'avaient parcourue, puis les Romains et tous ces autres venus du Nord, issus de ces pays sans soleil où la neige et le froid tiennent lieu de paysage.

La mer était donc là, comme dans le poème de Valéry, sorte de « toit tranquille où marchent des colombes », et soudain l'envie m'était venue d'aller la voir de plus près, de sentir son odeur, de la toucher du bout des doigts et de goûter la saveur du sel sur ma peau.

Je suis redescendu des sommets dans la nuit qui tombait déjà et qui n'en finissait plus d'effacer les contours et les distances. Ce n'est qu'en franchissant le pont de la petite rivière que j'ai su que j'étais tout en bas. La chaleur était intense, obsédante, enveloppante aussi, comme dans ces rêves qu'on fait parfois et dont on sort au réveil trempé de sueur. Dans le lointain des forêts, un hibou solitaire hululait.

Aujourd'hui, je marche pieds nus sur le chemin sablonneux.

Au-dessus de moi le ciel est bleu, immense, d'encre profonde et de désir.

La lumière est aveuglante.

Je marche et dans ma tête défilent toutes les attentes et tous les espoirs. Une légère brise, déjà, se fait sentir. Voici les dunes et leurs herbes coupantes. Qu'y aura-t-il derrière ?

 

IMGP0239.JPGPhoto personnelle

 

 

09/08/2009

Partir, revenir...

Partir, revenir...

Des blogues s'éveillent lentement, après quelques semaines d'assoupissement, tandis que d'autres ferment seulement maintenant, leur auteur préférant le mois d'août pour prendre quelque repos. Les plus courageux continuent même comme si de rien n'était, sans interruption, imperturbables.

C'est comme dans la vie, finalement, certains sont toujours là quand d'autres sont sur le point de partir ou sont déjà partis.

Sauf que dans la vie, c'est l'âge, le hasard ou la malchance qui détermine le départ.

Sauf que dans la vie on ne revient jamais pour recommencer ce qu'on a interrompu. Mais ce n'est pas grave, la machine tourne quand même et on s'aperçoit à peine de l'absence de ces personnes qui ont pourtant compté. Terrible vérité qui nous oblige à rester modestes, toujours, et à prendre conscience que tout est éphémère. 

Mais puisque Internet est différent et qu'on a la chance de revenir et de recommencer, il faudrait en profiter et écrire de belles pages pour nos lecteurs impatients. Mais l'écriture ne se commande pas, elle est par définition personnelle et c'est assurément pour soi qu'on écrit. Alors, gagné par la torpeur estivale, on se dit que rien ne presse, qu'il est bon de continuer à vivre au ralenti, sans trop d'efforts, et que goûter les choses est aussi bien que de les (d)écrire.

Paresse ou art de vivre ? Qui sait ? Bien malin celui qui pourra répondre à cette question. Cela revient à se demander si l'écriture est la quintessence de la vie. Certes, on ne peut pas vraiment vivre sans écrire, mais est-ce qu'écrire c'est vraiment vivre ? Qu'est-ce qui est mieux, se laisser guider par l'existence sans trop réfléchir ou au contraire montrer beaucoup de lucidité tout en se réfugiant dans l'imaginaire ? Dans le premier cas, on subit, on est passif, dans l'autre on est actif, on crée un monde, un monde à soi, avec des personnages de papiers qui évoluent dans des paysages inventés (ou du moins déformés par rapport à la stricte réalité). Alors, vaut-il mieux être passif dans la réalité ou actif dans un songe ?

La question, donc, est insoluble mais en fait elle n'a pas de sens puisque lorsque j'imagine une histoire et que je la raconte, c'est encore moi qui m'exprime. Pour le dire autrement, c'est le génie humain de la pensée et des sentiments qui se manifeste ainsi, dans ces écrits pourtant inventés (comme il pourrait se manifester dans n'importe quelle autre activité). Le paradoxe, c'est que je ne serais donc vraiment moi-même que lorsque je quitte la stricte réalité pour aborder un monde créé par moi, un monde de rêves et de douleurs dans lequel je parviens à exprimer si pas tout mon être, du moins une partie de celui-ci.

Que voilà de graves réflexions, qui ne conviennent guères à cette période estivale. Aussi est-il préférable d'attendre encore un peu pour reprendre la plume et rouvrir ce site. Il convient de savourer le temps retrouvé de la lecture et de poursuivre ma rêverie intérieure. Internet est un outil magnifique, mais il est chronophage. A parler, écrire et dialoguer sans cesse on en oublierait les livres et le grand silence qui les entoure, quand on est seul à tourner les pages. J'ai besoin de ce silence et de cette rencontre avec moi-même. Après, seulement, peuvent venir l'écriture et les conversations à son sujet. Il ne faut pas brusquer les choses, jamais, mais se laisser porter par sa vérité intérieure.

 

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Photo Internet