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24/03/2009

Dialogue (3)

Ils contemplaient le soleil qui se levait au-dessous d’eux. Les chevaux qui broutaient un peu plus loin sur un redan dressèrent la tête et le regardèrent. Rawlins but la dernière gorgée de son café et égoutta sa tasse et plongea sa main dans sa poche de chemise pour chercher son tabac.

Crois-tu qu’il y aura un jour où le soleil va pas se lever ?
Sûr, dit John Grady. Le jour du Jugement dernier.
Quand crois-tu que ce sera ?
N’importe quel jour qu’Il aura choisi.
Le jour du Jugement dernier, dit Rawlins. Tu crois à tout ça ?
J’sais pas. Oui. Sans doute. Et toi ?
Rawlins mit sa cigarette au coin de sa bouche et l’alluma et d’une chiquenaude il jeta l’allumette. J’sais pas, dit-il. Ca se peut.
J’savais bien que t’étais un mécréant, dit Blévins.
Toi tu sais foutrement rien, dit Rawlins. Ferme-la sans en rajouter à ta connerie.
John Grady se leva et traversa le bivouac et souleva sa selle par le pommeau et jeta sa couverture sur son épaule et les regarda. Allons-y, dit-il

Cormac Mac Carthy, « De si jolis chevaux »

Commentaires

Beaucoup de "et" dans cet extrait, je trouve...ça trébuche un peu..Non ?

Écrit par : Bertrand | 24/03/2009

C'est une chose qui m'avait dérangé aussi à la lecture des premières lignes de Mac Carthy. Par la suite on s'y habitue, c'est sa manière à lui de créer une ambiance en faisant de longues énumérations.

Mais je comprends ta réaction. J'ai eu la même au début. Maintenant je vois cela comme une sorte d'ambiance poétique.

Écrit par : Feuilly | 24/03/2009

Il paraît que Cormac Mc Carthy n'aime pas les virgules.
Il ne les fait pas disparaître comme Apollinaire l'avait fait, à la publication "d'Alcools".
Simplement il met une conjonction de coordination qu'il affectionne et la répète.
Mc Carthy est américain et son traducteur François Hirsch, traduit le "and", si jouissivement rebondissant comme sur un trampoline par "et", ce mollasson amorphe, cette courroie mal tendue.
Et finalement ce "et" paradant dans toute sa laideur donne une phrase magistralement mal fichue, exprimant par tous ses "et" le bric-à-brac, la déglingue, la mocheté.
Ce que veut Mc Carthy, non ?

(Lire sur "et" les deux pages que lui consacre Michel Volkovitch dans "Coups de langue", chez Maurice Nadeau, 2006)

Écrit par : michèle pambrun | 24/03/2009

une phrase magistralement mal fichue? C'est l'impression première que l'on a. Mais n'est-ce pas plutôt une manière de vouloir tout dire, en additionnant une succession d’actions ? N’entre-t-on pas finalement dans un monde parallèle, voire dans une vision tragique de l’existence ? Si je me contente de dire : « il ramassa ses affaires puis délia son cheval. Quand il eut tout fini, il l’enfourcha», c’est d’une affligeante banalité. Mais si je dis « il ramassa ses affaires et délia son cheval et il l’enfourcha », on a la scène devant nous. Cette action banale semble prendre un sens insoupçonné et s’inscrire dans une dimension existentielle.

Je suis aussi frappé par le nombre de tasses de café que l’on boit chez Mac Carthy. Jamais d’alcool, toujours du café, que l’on déguste à toute heure du jour et de la nuit. On le sirote, on le savoure. Là aussi, c’est autre chose qu’un simple détail. Il y a de la réflexion, de la rêverie, dans ce café que l’on boit en contemplant le paysage. Le héros se cherche lui-même et contemple le monde. Il y a là une véritable dimension ontologique.

Écrit par : Feuilly | 24/03/2009

Une vision tragique de l'existence, oui.

Et j'aime bien "Il y a de la réflexion, de la rêverie, dans ce café que l'on boit en contemplant le paysage."
Il me semble qu'il y a de cela aussi dans ton texte " Lumière". :-) . Je vais aller vérifier.

Écrit par : michèle pambrun | 25/03/2009

Non, c'est dans "Réveil matinal" :
(...)
"Goûter ce noir nectar
Au parfum des tropiques."

Bonne journée.

Écrit par : michèle pambrun | 25/03/2009

Les hommes, les chevaux regardaient le soleil se lever....
c'est une belle image fixée sur un lever du jour sur un paysage lointain au sortir d'une nuit de bivouac...C'est simple mais fort...

Écrit par : Débla | 25/03/2009

Oups c'est parti trop tôt.
C'est tout le poème qui est sur la rêverie en buvant un café. J'aime beaucoup ce poème.

Écrit par : michèle pambrun | 25/03/2009

Oui, c'était un poème sur l'état d'esprit que l'on a en se réveillant. Personnellement, il me faut toujours une tasse de café, cela permet de rêver un peu et de réfléchir à la fois aux songes de la nuit et à la manière dont on va organiser sa journée. Une manière de concilier le monde nocturne que l'on vient de quitter et le monde diurne vers lequel on s'avance.

Mais je vois, Michèle, que tu es devenue une véritable exégète de mes petits textes...

Écrit par : Feuilly | 25/03/2009

Pas étonnée que Debla aime !!!! C'est ton univers Debla.

Au risque de vous décevoir tous je n'accroche pas du tout avec cet écrivain.
merci de nous le faire connaître, je sais maintenant que malgré tout ce que je lis à son sujet je ne le lirai pas.

Je ne dois pas avoir l'esprit assez poétique.
Je n'aime pas trop le langage parlé qu'affectionnent les écrivains américains ce qui m'a toujours rebutée.
Leurs dialogues.
cette pseudo-spriritualité sur le jugement dernier, auquel plus personne ne croit et dont seuls les "mécréants" parlent....

Je préfère Philip Roth

Écrit par : Rosa | 25/03/2009

Le langage parlé dans les dialogues, on a déjà cela chez Faulkner.

Roth, ne ne l'ai jamais lu. Il faudrait bien, un jour... Je ne suis pas fermé à priori.

Écrit par : Feuilly | 25/03/2009

Raison pour laquelle je n'ai jamais aimé Faulkner.
Philip Roth est très européen dans sa manière d'écrire, avec beaucoup d'introspection, beaucoup d'humour et le sens de la dérision.
Si vous n'en lisez qu'un "Portnoy et son complexe".
Je n'ai pas lu les derniers... trop de thèmes récurrents.

Écrit par : Rosa | 26/03/2009

D'accord, merci.

Écrit par : Feuilly | 26/03/2009

Bonjour Feuilly

Bravo pour tes textes, que je viens de découvrir et apprécie beaucoup.
Puisque apparemment tu es fin connaisseur de la langue de Cormac McCarthy, peut-être auras-tu la réponse à une question que je me suis posée en lisant La route.
Les "et" sont omniprésents, quelques autres mots également : les "d'accord", alternativement par le père et le fils. Et "L'homme", et "le petit", seuls substantifs utilisés pour les désigner.
Sais-tu quels sont les mots utilisés dans la version originale ?

Pour ma part la répétition des "et", et l'absence de virgules m'a beaucoup gêné au début (j'ai presque renoncé à la lecture), mais on s'y accoutume très rapidement, et effectivement ils collent bien au rythme et à l'atmosphère décrits par l'auteur.

Ce livre est retournant.

Écrit par : Biny | 27/03/2009

Bonjour et bienvenue. Je ne suis malheureusement pas un fin connaisseur de la langue de Cormac McCarthy, mais disons qu’on s’interroge ici sur sa manière d’écrire, assez particulière, il faut bien le reconnaître. Voir article suivant.

Écrit par : Feuilly | 27/03/2009

Les commentaires sont fermés.