Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/12/2008

Réflexion sur la littérature (3)

"Agir, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l’écrivain de chercher des issues ? N’est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l’écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ?
La solitude sera son lot. Elle l’a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d’attention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c’est dans sa compagnie qu’ils trouvent l’essence du bonheur. C’est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe derisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d’une petite musique obsédante. L’écrivain est l’être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire, qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l’abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l’écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C’est cela, sa forêt. L’écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s’en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l’aube, c’est sous son regard éberlué – c’était au hasard, c’était malgré lui, malgré elle.
"
M.G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes. Extrait du discours…

Nous retrouvons donc ici le problème, déjà évoqué, du rapport entre littérature et action. Puis Le Clézio continue en parlant de la solitude, qui semble souvent liée à l’écriture. Est-ce parce qu’on est solitaire de nature qu’on a tendance à écrire (dans une sorte de tentative désespérée pour parvenir à se faire entendre quand même) ou bien est-ce le fait d’écrire qui en lui-même nécessite un repli temporaire sur soi ? Un peu les deux, sans doute, car d’une part tout auteur, même amateur, écrit pour être lu et pour exprimer ce qu’il est et d’autre part son travail d’observation nécessite une distance par rapport à la société des hommes. Il observe les autres vivre plus qu’il ne vit lui-même (d’où la nécessité impérieuse d’écrire qu’il ressent, pour parvenir enfin à une réalité autre).

Ce qui me plait, dans le texte ci-dessus, c’est que cette solitude est bien comprise comme contradictoire, puisqu’elle est à la fois douleur et délectation. C’est un peu ce que j’avais dit ici, moi qui ne suis même pas écrivain. Certains lecteurs avaient pu voir de la douleur dans ma démarche. Ils ont en partie raison, mais ce serait oublier toute la jouissance qu’il y a à écrire et à entendre dans le silence de la nuit le petit bruit régulier du clavier.


IMG_6269.JPG
Feuilly, Pyrénées, juillet 2008

Commentaires

Cher Feuilly,
Au retour, ce Noël, d'une de mes escapades solitaires, à travers Paris, consacrées aux captures d'images pour alimenter le Panopticon, ce jeu "icono-scriptural" que je partage avec JLK, j' ai lu vos "Réflexion sur la littérature 1,2,3" et votre texte "L'écriture et la nuit".

Confronté moi même quotidiennement à la solitude artistique et physique du créateur d'images, solitude paradoxale au milieu des foules et de la vie de Paris et de ses banlieues, j'ai été d'autant plus sensible à vos propos et vos réfexions sur les textes de Le Clézio et sur votre propre solitude nocturne.

Dans ce monde, marqué par le flux ininterrompu et agressif de production d'images, s'obliger à un temps d'arrêt, de prise de distance nécessaire à tout acte, à tout geste artistique est d'une importance primordiale.

Vagabonder avec son imaginaire, créer ses compositions, utiliser au mieux ses yeux, jouer en permanence avec le réel de la lumière, de la vie immédiate et mouvementée, choisir l'instant, le lieu, le sujet, le cadrage, le mode d'opération, tout en se préservant de cette même réalité captée, entraîne en soi sa propre exigence et nécessité de distance et de solitude.

J'aime rechercher à saisir tous ces petits espaces de la vie, que bon nombre de nos contemporains considèrent comme banals et sans intérêt.

La lecture et le besoin d'écrire jouent un rôle primordial pour moi, dans le processus créatif qui m'anime en tant qu'iconographe et capteur d'images. Les états que traverse l'écrivain dans l'exercice de son art me rendent très proche de lui, j'y retrouve des sensations que je ressens moi-même.

Ces jours je suis plongé dans la lecture des romans de Juan Carlos Onetti, "Laissons parler de Vent" et "Les bas-fonds du rêve" où le poète existentialiste uruguayen exprime si bien sa tendresse désolée pour tous les gens qui se ratent, qui s'aiment mal, qui souffrent.

Onetti définit aussi bien sa motivation profonde d'écrivain : "J'écris parce que c'est pour moi un acte amoureux qui me procure du plaisir. Je serais bien téméraire et je risquerais même de me condamner à la stérilité, si je décidais de découvrir et de révéler le mobile qui me force par moments, à manipuler, parfois en plein jour, parfois dans l'insomnie du petit matin, un stylo et un morceau de papier pour dessiner une phrase, remplacer un adjectif inadéquat qui s'est échappé le jour précédent, ou écrire deux ou trois pages. Je ne sais pas pourquoi j'écris. Je peux certifier que je n'anticipe pas le destin de mes livres et qu'ils sont libres de tout engagement. Y compris à l'égard d'hypothétiques lecteurs.

Esprit libre. Chaleureusement pour ces fêtes. Philip

Écrit par : Philip Seelen | 25/12/2008

Plaisir, comme toujours, à lire le billet de "Jean-François du Feuilly" (je pique la formulation de ce jour à Jean-Louis Kuffer).
Plaisir immense aussi à lire le texte de Philip Seelen, dont on apprécie tant les créations d'images dans le fameux Panopticon, mené avec Jean-Louis Kuffer.
Et pour les Pyrénées, je gagerais que ce ne sont ni les Hautes ni les Atlantiques. Reste donc la belle lumière des Orientales.

Écrit par : michèle pambrun | 25/12/2008

Et oui, Michèle, ce sont les Pyrénées orientales. Moins hautes, mais leur lumière incomparable et la végétation méditerranéenne qui les caractérisent leur donnent beaucoup de charme.

Écrit par : Feuilly | 25/12/2008

Oui, Philip, toute recherche d’image suppose aussi du recul et de la solitude. Pourquoi ? Parce qu’on ne se contente pas de copier la réalité mais d’y chercher ce qui nous y intéresse. Telle scène (ou tel objet), qui passera inaperçue pour la plupart des passants, attirera immédiatement l’attention de l’artiste parce qu’au départ il cherche dans le réel quelque chose qui corresponde à sa sensibilité, quelque chose qui traduise cette sensibilité. Il voit donc ce que les autres ne voient pas. C’est le regard qui est primordial. Le reste (important aussi, certes) c’est de la technique.

Vous dites que vous aimez saisir des espaces de vie que nos contemporains considèrent comme banals. En effet. Combien d’objet insignifiants autour de nous que nous ne voyons pas et qui prennent soudain tout leur sens quand on les regarde à travers les yeux de l’artiste. Une affiche déchirée, un volet qui pend, une maison en ruine, etc. peuvent nous émouvoir sur une photo alors qu’on ne les aurait pas forcément remarqués dans la réalité. Enfin pas vous, évidemment, car vos photos chez JLK sont superbes.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas le Panopticon en voici l’adresse :

http://carnetsdejlk.hautetfort.com/tag/panopticon

Bonne lecture que celle d’Onetti, dont j’ai lu autrefois « le Chantier » et « la vie brève ». Un écrivain lucide et donc pessimiste. J’apprécie la phrase que vous citez de lui: il écrit par amour et il reste libre par rapport à ses lecteurs. On est loin de la littérature de consommation dont on nous abreuve tous les jours.

De votre côté, continuez à promener votre appareil photo comme vous le faites. Vous n’atteindrez peut-être pas la célébrité (encore que… je vois bien un livre sortir de cette expérience du panopticon) mais vous serez reconnu par tous ceux qui ont encore un cœur.

Écrit par : Feuilly | 25/12/2008

Et quand l'écrivain, les écrivains - quand les historiens, les spécialistes et les chercheurs troquent leur première identité contre celle d'écrivain, n'est-on pas là dans l'agir plutôt que dans le souvenir. J'ai feuilleté hier soir quelques revues spécialisées sur l'histoire de l'Algérie française, avec quelques articles remarquablement écrits et documentés. Si c'est une revue d'histoie, on n'est pas vraiment dans la littérature, mais pourquoi faut-il toujours que la littérature soit le roman ?

D'autre part, j'ai souvent entendu dire aussi que les associations vivaient par leurs publications.

Je devrais lire ce livre de Le Clézio, pour me rendre compte, enfin, il m'a tout l'air d'avoir un point de vue extrêmement romantique sur la question... Mais sans doute n'y a-t-il pas que ce point de vue là !

Écrit par : Pivoine | 25/12/2008

Grave question que tu évoques là, Pivoine. Un historien qui écrit bien est-il un écrivain ? Pour moi il est d’abord un historien, mais c’est vrai que s’il écrit bien, son discours en prendra plus d’ampleur.
Je ne limite pas la littérature au roman. Il y a la poésie, le théâtre, etc.
Mais attention qu’en disant que tout qui écrit bien fait de la littérature, on prend des risques. Un journaliste serait alors considéré comme un écrivain. Non, pour moi il y a une différence, qui provient de cette distance et de cette solitude qui sont propres à tout artiste. Voir la belle chanson de ferré : « la solitude ».

Pour le Clézio, « la forêt des paradoxes » n’est pas un livre, c’est son discours pour l’obtention du prix Nobel

Écrit par : Feuilly | 26/12/2008

Je relève : Un écrivain lucide et donc pessimiste...
C'est vrai. L'inverse ne l'est pas forcément.
Je te pique Ferré : Le désespoir est une forme supérieure de la critique.

Écrit par : B.redonnet | 27/12/2008

Non, un journaliste qui écrit un article n'est pas un écrivain. Mais un journaliste qui écrit un livre d'étude ? Il y a l'essai aussi, conçu tout autant dans la solitude et la recherche. Et la mise à distance par rapport aux faits. Seulement, on n'est pas du tout dans la fiction, ni dans l'expression poétique, ni dans le dialogue théâtralisé...

Il est toujours aussi difficile de définir ce qu'est un écrivain.

Écrit par : Pivoine | 28/12/2008

Les commentaires sont fermés.