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28/12/2008

Ovide et la création de l'homme

Création de l'homme (I, 76-88)

« Un être plus noble et plus intelligent, fait pour dominer sur tous les autres, manquait encore à ce grand ouvrage. L'homme naquit : et soit que l'architecte suprême l'eût animé d'un souffle divin, soit que la terre conservât encore, dans son sein, quelques-unes des plus pures parties de l'éther dont elle venait d'être séparée, et que le fils de Japet, détrempant cette semence féconde, en eût formé l'homme à l'image des dieux, arbitres de l'univers; l'homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l'homme, jusqu'alors inconnue à l'univers. »
Ovide, Les métamorphoses, I

On retrouve dans ce texte une conception de la création de l’homme proche de celle de la Genèse. L’homme naît comme cela, d’un coup. Soit il est sorti du néant par la volonté divine (« l'architecte suprême » dit le texte) soit il est issu directement de la matière (ce qu’on ne trouve pas dans la version biblique. Encore que : c’est en soufflant sur de la terre que Dieu crée l’homme). Il est, nous dit Ovide, « formé à l’image des dieux », ce qui signifie qu’il se distingue des animaux par essence. La preuve, c’est qu’il n’incline pas la tête vers le sol mais qu’il fixe les cieux.

C’est amusant de voir comment l’homme se voit lui-même comme un être d’exception. Si les loups ou les lions savaient parler et écrire, il y a fort à parier qu’ils diraient la même chose de leur propre espèce, mais passons.

Voulu par les Dieux, façonné à son image, l’homme, en levant le regard vers le ciel, peut contempler la divinité pour ainsi dire d’égal à égal. Cette conviction qu’un destin exceptionnel lui a été accordé a légitimé sa domination sur les animaux et sur la nature. Se croyant élu, tout lui était permis.

On voit aujourd’hui les limites de cette conception anthropocentrique de l’univers, avec notre monde pollué, notre climat déréglé et toutes les espèces menacées…

Et si on cesse un instant de regarder le ciel et qu’on se penche vers cette partie du monde où toutes ces croyances ont pris naissance, en l’occurrence le Moyen-Orient et plus précisément la Palestine, on se dit que c’est parce qu’il s’est cru l’élu de Dieu que l’homme est devenu intransigeant, y compris envers ses semblables.

Ces massacres perpétuels où les tirs de roquettes entraînent des bombardements sanguinaires, lesquels à leur tour suscitent d’autres massacres, ont de quoi nous attrister et nous révolter. Se croyant choisi par Dieu, chaque camp voue une haine féroce à l’autre et s’apprête à l’exterminer. L’un a les moyens techniques de le faire, l’autre pas. Le premier empiète sans arrêt sur le territoire du second, qui recule en se défendant comme il peut. Partout ce ne sont que combats, guerres, attentats et sang versé.

« Homo homini lupus est » disait justement un dicton latin. L’homme est un loup pour l’homme. Se croyant l’élue des dieux, chaque race méprise l’autre et s’approprie une terre qu’elle estime lui revenir de droit divin. Comme ceux qui sont en face pensent à peu près la même chose, cela débouche sur des massacres sans fin et seule la supériorité militaire permet à un des protagonistes de faire valoir ce qu’il estime être son bon droit. Les hommes qui s’affrontent ainsi en des combats fratricides seraient-il donc les descendants de ces géants dont parle Ovide, ces mortels qui par leur audace osèrent s’en prendre à la divinité elle-même avant que d’être vaincus par Jupiter et de donner une race violente et assoiffée de sang ?

Les Géants (I, 151-162)

"Le ciel ne fut pas plus que la terre à l'abri des noirs attentats des mortels : on raconte que les Géants osèrent déclarer la guerre aux dieux. Ils élevèrent jusqu'aux astres les montagnes entassées. Mais le puissant Jupiter frappa, brisa l'Olympe de sa foudre; et, renversant Ossa sur Pélion, il ensevelit, sous ces masses écroulées, les corps effroyables de ses ennemis. On dit encore que la terre, fumante de leur sang, anima ce qui en restait dans ses flancs, pour ne pas voir s'éteindre cette race cruelle. De nouveaux hommes furent formés : peuple impie, qui continua de mépriser les dieux, fut altéré de meurtre, emporté par la violence, et bien digne de sa sanglante origine."


ovide1.jpg

Commentaires

Merci pour cette lecture, qui donne envie de se plonger illico dans Ovide. Un souffle épique allié à ces doutes qui font les meilleures fables : "on raconte que... on dit encore...", "et soit que l'architecte suprême l'eût animé d'un souffle divin, soit que la terre conservât encore quelques particules d'éther"...

cette façon toute simple de rapporter les mythes nous entraîne loin dans le tourbillon du temps, et ça nous change des lourdes certitudes bibliques ou coraniques...

Écrit par : Pascal | 29/12/2008

Pascal,
Cela veut dire aussi qu'Ovide se donne en porte-parole de ce que l'on dit, sans trancher lui-même. Du coup, il redonne à la littérature tout son sens, celui de véhiculer des fables (auxquelles l'auteur ne croit peut-être pas lui-même).
Et effectivement cette mise à distance de l'écrivain est sympathique, car derrière son texte épique, il laisse transparaître ses propres doutes, ce qui donne plusieurs niveaux de lecture à son récit.

Écrit par : Feuilly | 30/12/2008

C'est une assez juste analyse des choses, y compris au Proche-Orient où les Palestiniens pourraient être les lointains descendants des Philistins (que David tuait et dont il ramenaient les prépuces -200- à Saül, qui n'en avait demandé que 100)

Cette anecdote m'a vivement amusée...

Quant à Ovide, je me souviens que les métamorphoses que j'ai traduites étaient assez sanguinaires et que de temps en temps, une histoire comme Philémon et Baucis, mettait un peu de baume sur notre mardi midi (jour des exercices latins...)

Écrit par : Pivoine | 30/12/2008

"Se croyant élu, tout lui était permis."

Bien sûr je ne suis pas d'accord.
Pendant des siècles l'homme a vécu en harmonie avec la nature et ne lui a pas fait de mal. Ce sont les progrès techniques qui ont rendu l'homme dangereux pour la nature, or c'est précisément la science qui lui a fait jeter la religion par-dessus les moulins.
Le "science sans conscience" ne vient pas de la religion que je sache.
Ni la notion de profit quii cause la destruction de la planète.
En ce qui concerne les massacres en Palestine, rien à voir ... Sauf peut-être pour les Juifs qui en sont restés à cette notion de peuple élu. L'Islam au contraire se veut, comme le christianisme une religion universelle dont la notion de peuple élu a disparu.
L'Islam s'est d'ailleurs répandu dans des pays et cultures très différents.

Écrit par : Rosa | 30/12/2008

Non, vous n'êtes jamais d'accord Rosa.

Forcément, vous êtes croyante et je ne le suis pas.

Par contre je n'ai rien d'un scientiste, loin de là et tout ce que vous dites des travers du progrès technique et de la recheche du profit, je l'approuve entièrement.

Mais il n'empêche. J'ai encore entendu, quand j'étais au lycée, un prof. de géographie (catholique) dire qu'il était normal d'enfermer les animaux et de les maltraiter pour notre plaisir car ils avaient été créés par Dieu exactement pour cela. J'avoue que c'est le genre de propos qui m'ont fait réfléchir sur la religion.

Quant à la notion de peuple élu, ele a joué et joue encore en tout cas en Israël. Et pour ce qui est de l'Islam, il y a toujours des fanatiques pour considérer que la valeur d'un homme se juge à sa religiosité et à son respect des lois du Coran. Ils ne sont pas la majorité,heureusement, et il me semble respecter ceux qui croient, quelle que soit leur religion, pour autant qu'ils ne soient pas fanatiques au point de commettre des meurtres au nom de cette religion.

Mais je maintiens que l'anthropocentrisme a joué et joue encore. L'homme s'est toujours cru supérieur, soit qu'il se sente d'essence divine, soit qu'il se croit plus intelligent (scientisme). Il l'est sans doute, mais quand on voit tous ces massacres sur la planète, on se dit qu'il ne vaut pas plus qu'un chien enragé.

Écrit par : Feuilly | 30/12/2008

Mon cher Feuilly ! Quand même ! un seul prof c... ne peut vous influencer à ce point. Vous étiez encore élève ?
Ceci dit je suis d'accord avec vous sur l'anthropocentrisme bien que, en tant que fille de vétérinaire, j'ai eu plutôt l'occasion d'être confrontée à l'anthropomorphisme qui écoeurait mon père vraiment très profondément.
Quand à la violence inérante à l'homme je pense qu'il faut lire René Girard mais qui ne doit pas être dans vos références...

Écrit par : Rosa | 30/12/2008

A tout hasard

http://www.denistouret.fr/ideologues/Girard.html

bon résumé de la thèse de Girard sur la violence en l'homme...

Écrit par : Rosa | 30/12/2008

@ Rosa :

Bien sûr que ce ne sont pas les opinions de ce professeur qui m’ont fait douter de la religion. Je le disais un peu en guise de boutade pour montrer qu’il y en a qui ont quand même de drôles de conceptions et que cette notion de supériorité de l’homme sur l’ensemble des êtres vivants, ce droit qu’il s’octroie sur eux, trouve encore des adeptes de nos jours et ce à partir d’un raisonnement religieux.

Mais rassurez-vous, ce n’est pas cette simple phrase qui m’a fait douter de la religion puis finalement renier la foi que mes parents m’avaient inculquée. Car voyez-vous, je ne suis pas issu d’une famille laïque et athée et c’est suite à une réflexion personnelle que je suis arrivé à la position qui est la mienne aujourd’hui (ce qui doit vous déranger encore davantage).

L’anthropomorphisme ? Vous voulez dire ces personnes qui attribuent à leur chien ou à leur chat des qualités humaines ? En effet, je comprends votre désarroi. Ceci dit, cela nous éloigne un peu d’Ovide, mais pourquoi pas.

Quant à René Girard, désolé de vous décevoir, mais je l’ai lu et avec beaucoup d’intérêt, même. Il y a toute sa théorie sur le bouc émissaire (« Des choses cachées depuis la fondation du monde ») et surtout celle sur le triangle du désir (« Mensonge romantique et vérité romanesque »).

Écrit par : Feuilly | 30/12/2008

Pourquoi serais-je déçue que vous ayez lu René Girard ?
De même pourquoi le serais-je pour votre cheminement personnel ?
L'essentiel est d'en avoir un !
Pour moi parcours différent c'est vrai : religion inculquée comme vous dites, bazardée en 68 puis rencontre d'un jésuite exceptionnel...
Ceci dit je me sens souvent plus proche de beaucoup d'athées que de nombreux croyants !!!
Et je vous envie car si en effet je suis dans la recherche spirituelle (que je préfère à religion), croyez moi que ce ne sont pas des convictions inébranlables.
J'envie les athées qui ont réglé cette question une fois pour toutes.

Écrit par : Rosa | 31/12/2008

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