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27/12/2014

Enfance (2)

Je suis revenu souvent chez cet oncle, pour ainsi dire une fois par an. Nous passions nos vacances en Bretagne et de là nous faisions un détour par les Deux-Sèvres avant de remonter vers nos contrées du Nord. Après avoir connu pendant trois semaines le climat agité des Côtes d’Armor (qui en ces temps anciens s’appelaient  encore les Côtes du Nord), ce petit village du Poitou, à un jet de pierre de la Charente et de la Charente-Maritime, incarnait pour moi le Midi. Je me souviens des promenades dans les champs, des murets de pierres sèches si caractéristiques de la région et des rivières endormies qui coulaient si lentement qu’on se demandait si elles trouveraient un jour leur chemin. Il y avait aussi de vieux lavoirs et des villages blancs assoupis au milieu des vignes et des blés. Il faisait chaud, incroyablement chaud et les cultures étaient arrosées en permanence, ce que je n’avais certes jamais vu chez moi, où la pluie tombait en abondance. Point de forêts à cet endroit, mais des lignes de peupliers qui barraient l’horizon et qui le soir murmuraient doucement quand la lune se levait. Il y avait aussi « la prairie », sorte d’immense champ communal qui appartenait à tous et où tout un chacun pouvait se promener à son aise. J’ai su depuis que cette prairie avait servi pendant la guerre à la Résistance, qui y faisait atterrir de petits avions de tourisme au nez et à la barbe des Allemands.

La guerre, justement était toujours très présente dans les conversations. Pas seulement celle de quarante, mais aussi la guerre d’Algérie, qui venait à peine de se terminer. Mon oncle était boulanger et un de ses ouvriers revenait tout juste des djebels. Ca discutait donc ferme, à table, de l’Algérie française, du FLN, de De Gaulle et de toute cette politique à laquelle le gamin que j’étais ne comprenait rien du tout. Je n’avais d’ailleurs jamais vu autant de personnes rassemblées pour un repas. Outre mon oncle, ma tante et leurs cinq enfants, il y avait l’ouvrier de retour d’Algérie, un apprenti et un chauffeur (lequel faisait les tournées pour vendre le pain dans les fermes isolées). Ajoutez à cela mes parents et moi-même, nous étions donc treize à table.  

Les plats servis étaient dignes des meilleurs restaurants. Je me souviens surtout du potage, qu’on appelait « mijo » et qui était un mélange d’eau et de vin dans lequel on avait fait tremper du pain. On le servait froid, au sortir du réfrigérateur. En écrivant ces lignes, j’ai encore en bouche sa saveur bien particulière. Il faut dire que j’adorais ce potage, qu’on me servait malgré mes dix ans, ce qui me classait immédiatement dans le clan des adultes, puisqu’il contenait du vin. Il y avait ensuite une entrée, suivie du plat principal et enfin venait le dessert. C’étaient de véritables festins gargantuesques et j’ai toujours admiré ma tante qui parvenait à préparer tout cela sans s’énerver le moins du monde et avec un calme olympien. Essayez, vous, de préparer chaque jour un repas pour treize personnes !

Pendant que les adultes continuaient à discuter, je m’éclipsais discrètement dehors. J’écartais légèrement les volets qui donnaient un peu de fraîcheur à l’intérieur de la maison (laquelle, du coup, était plongée dans une semi-obscurité permanente qui m’enchantait) et je me retrouvais dans la cour écrasée de lumière et de chaleur. De là, j’allais vers le fournil, qui était un lieu magique. On trouvait là un immense pétrin en bois, dans lequel on préparait la pâte à la main. Il y avait aussi un pétrin électrique. La farine tombait directement du grenier par une sorte de trémie. Et puis il y avait le four ! Le premier que j’ai connu fonctionnait au bois. D’immenses fagots qui servaient à le chauffer s’alignaient d’ailleurs dans la cour. On pouvait aussi le réchauffer avec une espèce de lance-flammes qui m’impressionnait beaucoup. Plus tard, l’oncle s’était modernisé et il avait installé un four qui devait fonctionner au fioul. Il y avait aussi une sorte de tapis roulant sur lequel on étalait les panetons avant d’enfourner le tout en quelques secondes. Pour retirer le pain, on utilisait des espèces de pelles en bois munies d’une longue perche. C’était un régal de déguster au petit-déjeuner une baguette qui venait juste d’être cuite et qui était encore toute chaude. Honnêtement, je n’ai plus jamais rien mangé d’aussi bon.

Durant la matinée, ça s’agitait beaucoup dans ce fournil et il valait mieux ne pas y mettre les pieds,  mais après le déjeuner, il était désert et je pouvais m’y faufiler discrètement. J’aimais par-dessus tout l’odeur de farine, de pâte et de pain cuit. Il faisait chaud, forcément, le four attendant une dernière fournée. Mon plus grand plaisir était de me glisser entre celui-ci et le mur, où il y avait un passage d’environ cinquante centimètres. Là, je fermais les yeux et j’écoutais les grillons qui avaient élu domicile là, dans la chaleur permanente du fournil.

Je me souviens aussi être allé avec mon oncle faire les tournées des fermes. Il possédait une camionnette Citroën qui s’aventurait dans des chemins périlleux, cernés par deux murs de pierres sèches, et qui étaient si étroits qu’il fallait klaxonner à chaque tournant. On arrivait dans des maisons improbables, coupées du monde, où une petite vieille venait acheter sa baguette et un kilo de pâtes (car la boulangerie faisait un peu épicerie). Elle ne payait jamais, mais on inscrivait sur une feuille le nombre de pains achetés et on réglait le tout à la fin du mois. Autrefois, on se contentait même d’un bâton en bois sur lequel on faisait une entaille par baguette achetée, bâton qui restait près de la porte de la ferme. C’était manifestement une autre époque, où tout le monde faisait confiance à tout le monde.

Ce que j’aimais par-dessus tout chez mon oncle, c’est qu’il me considérait pour ainsi dire comme un adulte. Je veux dire par là qu’il ne s’adressait pas à moi comme à un enfant (ce que faisaient mes parents, qui me faisaient sentir que j’étais là pour écouter et obéir) mais comme si j’avais été son égal, ce qui évidemment me plaisait beaucoup.

Je me souviens que lorsque j’avais eu douze ans, j’avais dormi non plus dans le corps de logis proprement dit, mais de l’autre côté de la cour, dans une chambre qui venait d’être aménagée dans un ancien grenier. Je m’étais donc retrouvé là complètement seul et isolé de tous, ce qui avait enchanté le jeune adolescent que j’étais. J’avais pu lire jusque fort tard dans la nuit, tandis que l’horloge de l’église sonnait les heures et les demies.  Avant de m’endormir, j’avais ouvert la porte pour contempler cette église, qui se trouvait juste en face, de l’autre côté de la route. C’était magnifique. J’étais là, seul, et je contemplais ce bâtiment de style roman éclairé dans la nuit. C’est une image qui ne m’a plus jamais quitté.

Une année, l’oncle était parti en vacances en même temps que mes  parents et comme nous étions dans le massif central (la Creuse, la Corrèze, le Lot ? Je ne sais plus), nous étions allés le retrouver à Beynac, en Dordogne, où il campait. Il y avait un château perché sur une falaise. Il était magnifique, le matin, quand il émergeait de la brume. Le jour où nous sommes repartis, à cinq heures du matin, l’oncle s’était évidemment levé pour nous dire au revoir. Et là, je ne sais pas pourquoi, j’ai été subitement très ému car j’ai eu la certitude que c’était la dernière fois que je le voyais. C’était un pressentiment vraiment inexplicable mais qui s’est malheureusement confirmé. Il est mort deux ans après, sans que je l’aie revu, des suites d’un cancer de la gorge, contracté probablement par la cigarette et par la poussière de farine qu’il avait respirée toute sa vie. Il avait à peine plus de soixante ans.

 

Littérature

02:16 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature

22/12/2014

Tempête

Au creux de l’hiver, les vagues ont déferlé en des colères atlantiques, se fracassant contre les falaises, submergeant les rochers et se répandant au plus profond des terres. Elles ont déferlé avec fracas, coléreuses et vengeresses, furieuses d’avoir été trop longtemps contenues.  Je les ai vues envahir mon jardin, pénétrer dans ma maison et ruiner le mobilier ancien qui avait survécu à toutes les guerres. Les livres, délaissant leurs rayons,  se sont mis à flotter au gré de l’eau saumâtre, emportés par les flots aux quatre coins de la chambre, flottant comme des esquifs à la dérive.

J’ai repêché quelques volumes et je suis allé les porter à l’étage. Il y a avait là la Recherche et puis le Voyage. Ils dégoulinaient sur le plancher et c’était une pitié de les voir dans cet état, complètement trempés, ruisselants, avec de l’eau qui ressortait d’entre les pages quand j’appuyais sur la couverture.  C’était  une vraie désolation, j’en avais le cœur fendu.

De désespoir, j’ai abandonné la maison. J’ai enfilé mon manteau et suis parti vers le haut de la falaise pour contempler le spectacle de la nature en furie sans prendre le risque de me noyer.

La mer était enragée. Elle se précipitait contre les rochers à pic, qu’elle prenait littéralement d’assaut, terminant sa course en énormes gerbes d’écumes qui faisaient bien vingt mètres de haut.  Je n’avais jamais rien vu de semblable et me sentais bien petit au milieu de ce déchaînement des éléments. Paradoxalement, à cause de cette démesure même, la vie me semblait prendre tout son sens. Comme si le fait de sortir de la routine quotidienne donnait une autre dimension à mon  existence ou comme si le monde bien ordonné que j’avais toujours connu pouvait subitement être remis en cause par la sauvagerie de la nature.

Je suis resté là des heures, à contempler l’océan. Quand la nuit est venue, les phares de la côté ont tenté de trouer les ténèbres, tandis que les cornes de brumes criaient à l’envi leur désespoir.

Je suis redescendu et ai regagné ma maison. L’eau s’en était allée et il ne restait sur le parquet que les livres, épaves échouées et dispersées là par le hasard. 

Une page de mon existence venait d'être tournée.

 

Littérature

20:29 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature

16/12/2014

La maison des vacances (suite et fin)

Une salle immense s’ouvrait devant moi, qui devait bien faire trente ou quarante mètres de profondeur et même peut-être davantage. Mais ce qu’il y avait d’extraordinaire, c’étaient les murs, où étaient suspendus une bonne cinquantaine de portraits. Nous nous sommes avancés, Marie et moi, et je dois dire que c’était vraiment impressionnant ! On se serait cru au milieu d’une foule, tant tous ces personnages étaient nombreux. Les premiers portaient des habits d’un autre temps et une épée pendait à leur côté. D’autres avaient l’air de militaires du temps de Louis XIV ou de mousquetaires. Il y avait des capitaines de navires, dont les trois mats étaient peints en arrière-plan au milieu d’une mer agitée. Plus on avançait, plus l’habillement se rapprochait de celui de notre époque. Il y avait des notables habillés en grands bourgeois qui n’auraient pas déparé dans un roman de Balzac, des banquiers dressés derrière leur comptoir, des notaires au visage sévère et aux imposantes lunettes métalliques. Venaient ensuite des espèces d’industriels, des érudits, des politiciens haranguant une foule imaginaire. Plus nous progressions au milieu de cette galerie, plus nous nous sentions mal à l’aise car ces personnages au regard perçant semblaient tous nous fixer et nous examiner d’un air désapprobateur. Il nous a fallu un certain courage, observés comme nous semblions l’être, pour continuer notre visite jusqu’au bout. Là, sur le mur du fond, se trouvaient les derniers descendants de cette famille illustre : des chercheurs en blouse blanche, des écrivains, des professeurs de faculté, des médecins, quelques ingénieurs et même un informaticien. Au bas du portrait de celui-ci figurait une date de naissance, mais pas encore de date de décès, ce qui me troubla profondément.

Nous sentant de plus en plus mal à l’aise, nous avons retraversé cette grande galerie pour rejoindre la sortie, mais plus nous avancions, plus il me semblait une nouvelle fois que les yeux des portraits nous suivaient. Par exemple, si j’en observais un qui se trouvait devant moi, sur la droite, son buste était tourné dans ma direction et son regard était plongé dans le mien, comme si j’avais eu affaire à un individu vivant. Mais quand j’arrivais à sa hauteur, le personnage me regardait toujours et son buste curieusement semblait droit. Par contre, lorsque j’ai jeté un bref coup d’œil en arrière après l’avoir dépassé, j’ai été stupéfait de constater qu’il me  fixait toujours et que son buste semblait à nouveau tourné dans ma direction.

Bref, c’est quasi en courant que nous avons atteint la sortie et là il s’est produit quelque chose de vraiment extraordinaire. Nous avions déjà quitté cette galerie, mais je me suis retourné encore une fois et là j’ai vu (ou en tout cas j’ai cru voir) tous les portraits qui étaient penchés dans ma direction, comme s’ils sortaient de la toile, et qui me fixaient. J’ai fermé les yeux un instant et quand je les ai rouverts, tout était normal, chaque personnage avait repris sa place initiale, celle que le peintre lui avait attribuée.

Nous avons regagné notre chambre et pour la première fois, je ne sais pourquoi, j’ai tourné la clef dans la serrure à double tour derrière nous. La réalité était que nous semblions aussi inquiets l’un que l’autre. Décidemment, la visite de cette maison nous avait plongés dans un drôle d’état. Pourtant, objectivement, il n’y avait rien de plus normal que de trouver les portraits des ancêtres dans une vieille demeure comme celle-ci. Marie s’est endormie une fois la lampe éteinte, mais son sommeil était agité et elle remuait sans cesse en gémissant sourdement. De mon côté, je ne parvenais pas à dormir et je gardais les yeux grand ouverts dans le noir, essayant de me souvenir à quelle famille illustre avait appartenu cette maison. A la fin, j’ai dû m’assoupir et j’ai fait un rêve étrange dans lequel apparaissaient plusieurs des personnages découverts dans la galerie des portraits. Ce rêve reste assez flou dans ma mémoire, mais j’en conserve le sentiment d’avoir été amené devant des juges et condamné irrémédiablement. C’est le notaire qui a lu le verdict final et devant les mousquetaires de Louis XIV qui riaient à gorge déployée, le capitaine au long cours m’emmena sur son bateau pour me conduire dans une île déserte où il devait m’abandonner.

Je me suis réveillé en sursaut et une sueur froide coulait sur mon front. J’avais au fond de moi un tel sentiment de solitude et d’abandon que j’en frémissais. J’ai allumé la lampe et à ma grande surprise j’ai vu que Marie était assise sur le bord du lit et ses yeux grand ouverts semblaient remplis de panique. « Ecoute » me dit-elle. Je prêtai l’oreille et j’entendis des voix qui provenaient du fond de la maison. On aurait dit que des dizaines de personnes s’étaient réunies là et qu’elles tenaient une assemblée politique ou un meeting. Ca parlait fort, ça criait, ça riait. Ce n’était pas possible ! Le propriétaire aurait-il loué une partie de la maison pour une fête ou un mariage et cela sans nous prévenir ? Cela n’avait aucun sens, d’autant plus qu’hier au soir, à part Marie et moi, cette maison était parfaitement déserte. Je me suis approché de la porte et précautionneusement j’ai tourné la clef. Une fois dans le corridor, les voix me parvinrent beaucoup plus distinctement. J’ai avancé lentement, sans faire de bruit, mais j’avoue que je n’en menais pas large. Marie, qui me suivait, est venue se blottir contre moi. Nous avons traversé le salon et la salle à manger découverts hier, mais ces pièces étaient vides. Les voix venaient de plus loin, probablement de la galerie des portraits. Nous avons donc pénétré dans les quatre salles vides, toujours sans faire le moindre bruit. Je sentais la main de Marie qui tremblait sur mon bras, ce qui ne me rassurait pas beaucoup. Les voix provenaient bien de la grande galerie aux portraits, dont la porte était fermée, mais un rai de lumière filtrait en-dessous. Nous nous sommes approchés et précautionneusement j’ai tourné la poignée. A la vue de ce qui s’offrit alors à moi, j’ai poussé un cri. Les personnages dont on avait peint autrefois les portraits semblaient être sortis de leur cadre en bois. Ils se penchaient à l’extérieur de celui-ci comme s’ils avaient été accoudés à une fenêtre Certains tenaient un verre en main, d’autres riaient, d’autres encore semblaient tenir entre eux une conversation animée. Quand ils nous virent, tous tournèrent la tête dans note direction. Cela ne dura qu’une seconde, puis la lumière s’éteignit brusquement. Je tâtonnai pour trouver l’interrupteur et quand la lumière réapparut, tout était normal : les portraits étaient immobiles dans leur cadre, comme ils avaient toujours été depuis des siècles.

 

Nous nous sommes regardés, Marie et moi, puis nous nous sommes mis à courir en direction de notre chambre où nous nous sommes enfermés. Nous avons immédiatement rassemblé nos affaires, fourré le tout dans les sacs à dos et trois minutes plus tard nous descendions comme nous pouvions la montagne en direction de notre voiture, dans le noir et sous la pluie battante qui continuait à tomber. En nous retournant, nous avons aperçu la maison. Elle était silencieuse et on la distinguait à peine dans l’obscurité. Pourtant, avant de mettre le moteur en marche, il m’a semblé entendre comme un grand éclat de rire, mais je ne saurai jamais si j’avais rêvé ou non. 

 

Littérature

00:05 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

11/12/2014

La maison des vacances

C’était une grande maison.

Elle était beaucoup trop grande pour nous, mais nous l’avions louée comme cela, pas chère d’ailleurs, vu qu’il n’y avait ni eau ni électricité et qu’elle était loin de tout. C’est ça qui nous avait séduits, en fait. Pour l’atteindre, il fallait faire deux bons kilomètres à pied à partir d’une petite route communale où il ne passait jamais personne. Que rêver de plus pour passer des vacances tranquilles ? C’était l’idéal : pas de bruit, pas de voisins et une vue superbe sur les montagnes. Bon, le premier jour il avait fallu faire cinq allers-retours depuis la voiture pour acheminer dans des sacs à dos tout ce dont nous avions besoin. C’était un peu épuisant, je le reconnais, surtout après les mille deux cents kilomètres que nous avions derrière nous, mais il faut savoir ce que l’on veut dans la vie. En tout cas, ce soir-là, nous avons bien dormi, je peux vous le dire, sans savoir d’ailleurs si c’était à cause du silence environnant ou à cause de la fatigue, mais ce qui compte, c’est le résultat, non ?

Le lendemain, on s’est levé tard, mais dès qu’on a ouvert les volets, on s’est retrouvé au paradis. La montagne, la chaleur, le cri-cri des insectes, tout nous enchantait. On a pris le petit- déjeuner sur la terrasse (enfin sur une des trois terrasses) tout en admirant le paysage. Qu’est-ce que c’était beau ! Et qu’est-ce que cela nous changeait de la grande ville, avec tous ces passants qui vous bousculent sur les trottoirs, ces voitures bruyantes, ce stress permanent. Non, franchement, ni Marie ni moi ne regrettions d’avoir pris cette location. Puis nous avons mis une baguette et un saucisson dans un des sacs à dos et nous sommes allés faire une grande balade. Du haut des sommets, la vue était encore plus magnifique : derrière les montagnes, il y avait d’autres montagnes et tout derrière on apercevait la mer Méditerranée. Un véritable paradis, je vous dis. On est redescendu et quand on est arrivé à la maison, il faisait presque noir. On a mangé dans l’obscurité, sans lampe, pour épargner la bonbonne du Camping-gaz. Avec la lune qui s’était levée, on y voyait suffisamment. J’avais juste déposé une petite bougie sur la table et c’était romantique à souhait. La lumière tremblotante éclairait nos visages et Marie n’avait jamais été aussi belle. Cette nuit-là, nous avons fait l’amour comme nous ne l’avions plus fait depuis longtemps.

Puis le temps a commencé à défiler comme cela arrive toujours en vacances. Il faut dire que tous les trois jours il fallait redescendre au village pour faire les courses, puisqu’il n’y avait pas de réfrigérateur. A chaque fois, cela supposait plusieurs allers-retours entre la voiture et la maison. Autant dire que la nuit nous surprenait alors qu’on n’avait pas encore tout rangé dans les armoires. On s’endormait immédiatement et on ne se réveillait que vers dix heures du matin, tant on était épuisé par toutes ces marches. Il est vrai que les jours où nous étions libres (je veux dire quand il ne fallait pas faire les courses) nous n’arrêtions pas de gravir tous les sommets des alentours. Après deux semaines, nous avions escaladé les six pics qu’on voyait de la maison. Enfin, quand je parle de « pics » c’est un peu exagéré. Nous étions en moyenne montagne, avec des sommets qui ne dépassaient pas les mille huit cents mètres, mais cela nous faisait quand même des promenades avec des dénivellations de plus de mille mètres et avec cette chaleur, ce n’était pas toujours évident. L’eau était d’ailleurs notre principal problème. Pour faire notre toilette, il y avait la citerne d’eau de pluie (encore que nous l’utilisions avec parcimonie car j’avais constaté que le niveau d’eau était particulièrement bas à notre arrivée), mais pour boire, il fallait bien utiliser des bouteilles d’eau minérale. Evidemment, plus nous marchions en montagne, plus nous avions soif et plus nous buvions. Mais plus nous buvions, plus vite il nous fallait acheter des bouteilles et donc retourner au magasin, ce qui signifiait  de nouveaux allers-retours entre la voiture et la maison, où nous arrivions de nouveau assoiffés.

Bref, après deux semaines à ce rythme-là, nous devions avoir perdu chacun trois kilos, ce qui s’expliquait par nos grandes randonnées, mais aussi par le fait que nous avions décidé de rationner la nourriture, afin de devoir faire les courses le moins souvent possible. Les sentiers environnants avaient été parcourus dans tous les sens et nous allions commencer à nous ennuyer quand le temps s’est gâté. Il y a eu un orage terrible, qui a rempli complètement la citerne et qui a fait tomber la température. Du coup, nous avions moins soif et c’était  une bonne chose. Les jours qui ont suivi cet orage ont été franchement mauvais. De la maison, on ne distinguait plus les sommets, perdus dans la grisaille et les nuages. Impossible, donc, de faire la moindre balade sans risquer de se perdre. Alors on a sorti des placards les livres que nous avions eu la bonne idée d’emporter avec nous. J’adore lire, mais j’avoue qu’après être resté assis douze heures d’affilée,  je n’en pouvais plus. C’était à peine si mes yeux parvenaient encore à lire les lettres. Visiblement, Marie n’en pouvait plus non plus, alors pour la première fois nous sommes partis à la découverte de la maison. Cela va peut-être vous sembler étrange, mais elle était si grande qu’à part quelques pièces que nous avions parcourues le premier jour, nous ne l’avions pas encore visitée.

 

Nous avons donc erré de salles en salles et avons arpenté des centaines de mètres de corridors. Nous nous sommes ainsi retrouvés dans de grandes salles à manger aux beaux meubles en chêne, dans des salons dont tous les fauteuils étaient camouflés sous des housses, dans des salles de bain immenses dont les murs, recouverts de miroirs, multipliaient à l’infini notre image étonnée dans une sorte de mise en abîme fantastique. Nous avons ainsi découvert une bibliothèque dont le rayonnage, qui montait jusqu’au plafond, recouvrait les quatre murs. Les livres qui s’entassaient là devaient dater d’un autre temps, si on s’en tenait à leur couverture en cuir ouvragé. L’œuvre la plus récente que j’ai pu découvrir était la correspondance de Voltaire. Par contre, tout le XVI° siècle était bien représenté, depuis les Dames galantes de Brantôme jusqu’au Don Quichotte de Cervantès, en passant par les poésies de Ronsard. Curieux quand même. On aurait dit que le temps s’était arrêté et que ce qui était postérieur au XVIII° siècle n’avait pas franchi les murs de cette maison. J’étais en train de me demander à quelle époque elle avait été construite quand Marie, qui avait pris de l’avance dans la visite pendant que je fouinais dans les livres, m’appela avec insistance. J’ai traversé en hâte quatre pièces vides qui communiquaient entre elles par des portes intérieures et quand je suis arrivé devant la cinquième, je suis resté bouche bée. 

(à suivre)

 

Littérature

14:53 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature