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22/12/2014

Tempête

Au creux de l’hiver, les vagues ont déferlé en des colères atlantiques, se fracassant contre les falaises, submergeant les rochers et se répandant au plus profond des terres. Elles ont déferlé avec fracas, coléreuses et vengeresses, furieuses d’avoir été trop longtemps contenues.  Je les ai vues envahir mon jardin, pénétrer dans ma maison et ruiner le mobilier ancien qui avait survécu à toutes les guerres. Les livres, délaissant leurs rayons,  se sont mis à flotter au gré de l’eau saumâtre, emportés par les flots aux quatre coins de la chambre, flottant comme des esquifs à la dérive.

J’ai repêché quelques volumes et je suis allé les porter à l’étage. Il y a avait là la Recherche et puis le Voyage. Ils dégoulinaient sur le plancher et c’était une pitié de les voir dans cet état, complètement trempés, ruisselants, avec de l’eau qui ressortait d’entre les pages quand j’appuyais sur la couverture.  C’était  une vraie désolation, j’en avais le cœur fendu.

De désespoir, j’ai abandonné la maison. J’ai enfilé mon manteau et suis parti vers le haut de la falaise pour contempler le spectacle de la nature en furie sans prendre le risque de me noyer.

La mer était enragée. Elle se précipitait contre les rochers à pic, qu’elle prenait littéralement d’assaut, terminant sa course en énormes gerbes d’écumes qui faisaient bien vingt mètres de haut.  Je n’avais jamais rien vu de semblable et me sentais bien petit au milieu de ce déchaînement des éléments. Paradoxalement, à cause de cette démesure même, la vie me semblait prendre tout son sens. Comme si le fait de sortir de la routine quotidienne donnait une autre dimension à mon  existence ou comme si le monde bien ordonné que j’avais toujours connu pouvait subitement être remis en cause par la sauvagerie de la nature.

Je suis resté là des heures, à contempler l’océan. Quand la nuit est venue, les phares de la côté ont tenté de trouer les ténèbres, tandis que les cornes de brumes criaient à l’envi leur désespoir.

Je suis redescendu et ai regagné ma maison. L’eau s’en était allée et il ne restait sur le parquet que les livres, épaves échouées et dispersées là par le hasard. 

Une page de mon existence venait d'être tournée.

 

Littérature

20:29 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature

Commentaires

Avec la Recherche et le Voyage à ré écrire, ça promet d' autres belles pages à tourner..
:)

Beau texte Feuilly

Écrit par : agnès | 23/12/2014

Difficile quand même de philosopher au milieu d'une tempête, non ?

Je verrais plutôt la peur, la boue, la mort et au diable la Recherche et le Voyage :)

Écrit par : Michèle | 23/12/2014

@ Agnès : de fait. Mais on passe sa vie à tourner des pages aussi, non ? :))Encore que la Recherche, quant à elle, est tournée vers le passé. Heueusement le titre "le Voyage" nous ouvre d'autres horizons.

@ Michèle, trop cartésienne : le héros ne philosophe, pas il est surtout triste d'avoir perdu ses bouquins.

Écrit par : Feuilly | 23/12/2014

:)

Au reste, j'aime beaucoup "des colères atlantiques"

Écrit par : Michèle | 23/12/2014

Parfois des pages, on en tourne trente à la fois, dans la vie comme lorsque les pages mouillées d'un livre ont séché et se sont collées, vous voyez, bouf de la page 56 à la page 109...alors là ça va vite tout d'un coup et faut un peu de temps pour comprendre qu'on a passé des chapitres, et que de toute façon, c'est fini ces chapitres, que c'est trop tard, qu'on pige plus rien à ça, là, le truc, la vie quand la vie vous trempe tiens de sa rage vitale justement.

Écrit par : cleanthe | 25/12/2014

@ Cléanthe : sauf que la vie ne comporte même pas 109 pages...

Écrit par : Feuilly | 26/12/2014

Les commentaires sont fermés.