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16/12/2014

La maison des vacances (suite et fin)

Une salle immense s’ouvrait devant moi, qui devait bien faire trente ou quarante mètres de profondeur et même peut-être davantage. Mais ce qu’il y avait d’extraordinaire, c’étaient les murs, où étaient suspendus une bonne cinquantaine de portraits. Nous nous sommes avancés, Marie et moi, et je dois dire que c’était vraiment impressionnant ! On se serait cru au milieu d’une foule, tant tous ces personnages étaient nombreux. Les premiers portaient des habits d’un autre temps et une épée pendait à leur côté. D’autres avaient l’air de militaires du temps de Louis XIV ou de mousquetaires. Il y avait des capitaines de navires, dont les trois mats étaient peints en arrière-plan au milieu d’une mer agitée. Plus on avançait, plus l’habillement se rapprochait de celui de notre époque. Il y avait des notables habillés en grands bourgeois qui n’auraient pas déparé dans un roman de Balzac, des banquiers dressés derrière leur comptoir, des notaires au visage sévère et aux imposantes lunettes métalliques. Venaient ensuite des espèces d’industriels, des érudits, des politiciens haranguant une foule imaginaire. Plus nous progressions au milieu de cette galerie, plus nous nous sentions mal à l’aise car ces personnages au regard perçant semblaient tous nous fixer et nous examiner d’un air désapprobateur. Il nous a fallu un certain courage, observés comme nous semblions l’être, pour continuer notre visite jusqu’au bout. Là, sur le mur du fond, se trouvaient les derniers descendants de cette famille illustre : des chercheurs en blouse blanche, des écrivains, des professeurs de faculté, des médecins, quelques ingénieurs et même un informaticien. Au bas du portrait de celui-ci figurait une date de naissance, mais pas encore de date de décès, ce qui me troubla profondément.

Nous sentant de plus en plus mal à l’aise, nous avons retraversé cette grande galerie pour rejoindre la sortie, mais plus nous avancions, plus il me semblait une nouvelle fois que les yeux des portraits nous suivaient. Par exemple, si j’en observais un qui se trouvait devant moi, sur la droite, son buste était tourné dans ma direction et son regard était plongé dans le mien, comme si j’avais eu affaire à un individu vivant. Mais quand j’arrivais à sa hauteur, le personnage me regardait toujours et son buste curieusement semblait droit. Par contre, lorsque j’ai jeté un bref coup d’œil en arrière après l’avoir dépassé, j’ai été stupéfait de constater qu’il me  fixait toujours et que son buste semblait à nouveau tourné dans ma direction.

Bref, c’est quasi en courant que nous avons atteint la sortie et là il s’est produit quelque chose de vraiment extraordinaire. Nous avions déjà quitté cette galerie, mais je me suis retourné encore une fois et là j’ai vu (ou en tout cas j’ai cru voir) tous les portraits qui étaient penchés dans ma direction, comme s’ils sortaient de la toile, et qui me fixaient. J’ai fermé les yeux un instant et quand je les ai rouverts, tout était normal, chaque personnage avait repris sa place initiale, celle que le peintre lui avait attribuée.

Nous avons regagné notre chambre et pour la première fois, je ne sais pourquoi, j’ai tourné la clef dans la serrure à double tour derrière nous. La réalité était que nous semblions aussi inquiets l’un que l’autre. Décidemment, la visite de cette maison nous avait plongés dans un drôle d’état. Pourtant, objectivement, il n’y avait rien de plus normal que de trouver les portraits des ancêtres dans une vieille demeure comme celle-ci. Marie s’est endormie une fois la lampe éteinte, mais son sommeil était agité et elle remuait sans cesse en gémissant sourdement. De mon côté, je ne parvenais pas à dormir et je gardais les yeux grand ouverts dans le noir, essayant de me souvenir à quelle famille illustre avait appartenu cette maison. A la fin, j’ai dû m’assoupir et j’ai fait un rêve étrange dans lequel apparaissaient plusieurs des personnages découverts dans la galerie des portraits. Ce rêve reste assez flou dans ma mémoire, mais j’en conserve le sentiment d’avoir été amené devant des juges et condamné irrémédiablement. C’est le notaire qui a lu le verdict final et devant les mousquetaires de Louis XIV qui riaient à gorge déployée, le capitaine au long cours m’emmena sur son bateau pour me conduire dans une île déserte où il devait m’abandonner.

Je me suis réveillé en sursaut et une sueur froide coulait sur mon front. J’avais au fond de moi un tel sentiment de solitude et d’abandon que j’en frémissais. J’ai allumé la lampe et à ma grande surprise j’ai vu que Marie était assise sur le bord du lit et ses yeux grand ouverts semblaient remplis de panique. « Ecoute » me dit-elle. Je prêtai l’oreille et j’entendis des voix qui provenaient du fond de la maison. On aurait dit que des dizaines de personnes s’étaient réunies là et qu’elles tenaient une assemblée politique ou un meeting. Ca parlait fort, ça criait, ça riait. Ce n’était pas possible ! Le propriétaire aurait-il loué une partie de la maison pour une fête ou un mariage et cela sans nous prévenir ? Cela n’avait aucun sens, d’autant plus qu’hier au soir, à part Marie et moi, cette maison était parfaitement déserte. Je me suis approché de la porte et précautionneusement j’ai tourné la clef. Une fois dans le corridor, les voix me parvinrent beaucoup plus distinctement. J’ai avancé lentement, sans faire de bruit, mais j’avoue que je n’en menais pas large. Marie, qui me suivait, est venue se blottir contre moi. Nous avons traversé le salon et la salle à manger découverts hier, mais ces pièces étaient vides. Les voix venaient de plus loin, probablement de la galerie des portraits. Nous avons donc pénétré dans les quatre salles vides, toujours sans faire le moindre bruit. Je sentais la main de Marie qui tremblait sur mon bras, ce qui ne me rassurait pas beaucoup. Les voix provenaient bien de la grande galerie aux portraits, dont la porte était fermée, mais un rai de lumière filtrait en-dessous. Nous nous sommes approchés et précautionneusement j’ai tourné la poignée. A la vue de ce qui s’offrit alors à moi, j’ai poussé un cri. Les personnages dont on avait peint autrefois les portraits semblaient être sortis de leur cadre en bois. Ils se penchaient à l’extérieur de celui-ci comme s’ils avaient été accoudés à une fenêtre Certains tenaient un verre en main, d’autres riaient, d’autres encore semblaient tenir entre eux une conversation animée. Quand ils nous virent, tous tournèrent la tête dans note direction. Cela ne dura qu’une seconde, puis la lumière s’éteignit brusquement. Je tâtonnai pour trouver l’interrupteur et quand la lumière réapparut, tout était normal : les portraits étaient immobiles dans leur cadre, comme ils avaient toujours été depuis des siècles.

 

Nous nous sommes regardés, Marie et moi, puis nous nous sommes mis à courir en direction de notre chambre où nous nous sommes enfermés. Nous avons immédiatement rassemblé nos affaires, fourré le tout dans les sacs à dos et trois minutes plus tard nous descendions comme nous pouvions la montagne en direction de notre voiture, dans le noir et sous la pluie battante qui continuait à tomber. En nous retournant, nous avons aperçu la maison. Elle était silencieuse et on la distinguait à peine dans l’obscurité. Pourtant, avant de mettre le moteur en marche, il m’a semblé entendre comme un grand éclat de rire, mais je ne saurai jamais si j’avais rêvé ou non. 

 

Littérature

00:05 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

Commentaires

En y regardant bien, on pourrait apercevoir dans ces tableaux la chevelure aux boucles dorées de Dorian Gray ou le costume de velours blanc de des Esseintes... :)

Écrit par : Michèle | 16/12/2014

@ Michèle : bien vu, Dorian Gray avec son fameux portrait, qui vieillissait à sa place. Et on connaît la fascination d'Oscar Wilde pour J-K Huysmans.

Écrit par : Feuilly | 16/12/2014

Les commentaires sont fermés.