Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/08/2014

Qu'est-ce qu'un barbare ?

Je ne sais plus où j’ai lu que le rôle actuel mené par l’Amérique dans le monde pourrait être comparé à celui des barbares à la fin de l’empire romain. En effet, si un pays civilisé en annexe un autre (comme l’Europe l’a fait très souvent à l’époque coloniale), il apporte de facto au pays annexé sa propre civilisation (supposée être supérieure) et une structure politique et administrative. On peut donc critiquer le fait de se rendre ainsi maître d’un pays tiers et d’y imposer sa loi, mais on ne peut pas qualifier cet acte de barbare puisque le pays ainsi soumis à l’autorité d’un autre Etat est administré et dirigé (souvent d’ailleurs pour le plus grand profit du colonisateur). Par action barbare, on entend plutôt le fait de piller et de  détruire tout ce qui existe dans un pays  sans rien lui apporter en échange. Ce fut le cas, par exemple, des invasions germaniques qui ont petit à petit fait vaciller l’Empire romain jusqu’à sa chute finale (destitution de Romulus Augustule par Odoacre en 476)

L’auteur de mon article, en voyant comment l’Amérique avait détruit des pays comme l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie, en ruinant leur économie et en abattant les structures politiques et administratives en place pour ne laisser subsister que le chaos, parlait à juste titre d’acte barbare. Si au moins les USA avaient apporté la paix et la prospérité, on leur aurait pardonné à moitié leur ingérence, mais à part tuer et détruire ce qui existait, ils n’ont rien fait. Ils ont détruit les structures qui existaient et n’ont rien mis à leur place.

Soit, ce raisonnement se tient assez bien. Pourtant, en y réfléchissant bien, je me demande au contraire si la position des USA n’est pas plutôt comparable à celle de l’Empire romain lui-même, quand celui-ci, en pleine décadence, ne parvenait plus à endiguer les nouvelles forces montantes.  En effet, devant la pression constante et incessante de ce déferlement des Barbares, Rome a dû se résoudre, à un certain moment, à en laisser entrer quelques-uns sur son territoire. Ces Germains, au contact des Celtes autochtones romanisés, ont commencé à se romaniser à leur tour. Ce qui fait qu’un ou deux siècles plus tard, quand des hordes entières et incessantes venues de l’Est se sont pressées aux frontières, Rome, qui n’avait plus la capacité militaire de les endiguer, a fait appel à ceux qui occupaient le terrain, à savoir les Gaulois et les Germains romanisés (on parle de Gallo-romains dans nos livres d’Histoire). Pour le dire autrement, ils ont délégué à d’anciens ennemis le soin de défendre leur empire.

Toute proportion gardée, je me demande donc si ce n’est pas ce que sont en train de faire les Etats-Unis. Après avoir subi de cuisants échecs militaires en Afghanistan et en Irak (non pas comme Rome pour protéger leur empire, mais pour tenter de l’agrandir encore davantage), ils se servent maintenant  des populations locales, qu’ils dressent les unes contre les autres.  En Libye déjà, on a vu que l’action militaire de l’Otan avait fait suite à un soulèvement spontané de la Cyrénaïque. En réalité, il s’agissait d’une révolte commandée à distance par Washington avec l’aide d’Al Quaïda (groupe terroriste que les USA combattaient par ailleurs depuis une décennie en Afghanistan).  En raison de ses échecs militaires antérieurs, Washington se sert donc de l’ancien ennemi musulman qu’il n’est pas parvenu à vaincre et le dresse contre d’autres musulmans pour accroître sa propre influence. En Syrie, cette tactique a été poussée beaucoup plus loin puisqu’officiellement aucun soldat occidental n’a mis un pied dans ce pays et que ce sont les djihadistes qui ont fait tout le travail (il paraît même qu’ils faisaient du « bon boulot » comme disait à une certaine époque Laurent Fabius, même si aujourd’hui il critique fermement les exactions de ces mêmes djihadistes en Irak)

Bref, que les USA (et les Occidentaux en général) soient des barbares puisqu’ils ruinent les pays où ils mettent les pieds ou qu’ils se servent de barbares pour arriver à leur fin, où est la différence, finalement ? Faut-il les comparer aux Huns d’Attila ou aux Romains de la décadence ? Ne seraient-ils pas un peu tout cela à la fois ?

sans-titre.png

Commentaires

"Histoire du déclin et de la chute de l'empire romain", (Robert Laffont, Collection Bouquins), de E. Gibbon est le meilleur ouvrage que j'ai lu à ce jour sur le sujet.
On y lit notamment comment la chute de cet empire amena un renouveau culturel avec l'art byzantin et préroman... Renouveau politique aussi
Qu'amène aux peuples massacrés l'empire US ?
Cet empire n'a lui-même aucune notion de l'identité culturelle . En Irak,(Mésopotamie) ils ont détruit des trésors de la mémoire du monde.
Des Huns et des Vandales...

Écrit par : Bertrand | 22/08/2014

En Syrie, les djihadistes se sont chargés eux-mêmes de ces destructions. Mais ces vestiges antiques ne sont pas toujours perdus pour tout le monde. Ils circulent en Occident sur le marché noir. Tout cela est désespérant.

Remarquons que lorsque notre presse parle de ces destructions de sites archéologiques (rarement donc), elle ne le fait que pour préparer et justifier une intervention occidentale (les statues bouddhiques en Afghanistan, dynamitées par les Talibans, par exemple, ou encore les mausolées de Tombouctou au Mali). Le reste du temps, elle reste désespérément muette. Qui a parlé de l’état lamentable où se trouve la grande mosquée des Omeyyades à Alep ?

Écrit par : Feuilly | 22/08/2014

Le 20 août 2011, la Libye se débarrassait du régime de Mouammar Kadhafi, en place depuis 1969. L’intervention étrangère s’aventura bien au-delà du mandat fixé par la résolution 1970 des Nations unies du 26 février 2011. Les largesses en armes, logistiques et financières d’un certain nombre de pays du Golfe s’arrêtèrent aussi vite qu’elles avaient commencé. Ainsi font les grandes puissances occidentales, et singulièrement celles de l’Empire : elles ignorent tout d’une réalité arabe en totale mutation. Cela commence par la « fleur au fusil ». Et cela se termine par « après moi le déluge ». Certains pays comme Afghanistan, l’Irak et aujourd’hui la Libye, en font les frais.

La Libye souffre, la Libye pleure, la Libye meurt. Le peuple libyen paie le prix fort d’erreurs répétées d’appréciation d’une situation politique, de l’incompétence puis de l’indifférence générale à trouver des solutions durables pour permettre au pays d’assurer son avenir.

La Libye est anéantie. Ses élites sont en exil. Le pays est retourné, en moins de trois ans, dans les sables d’où il était sorti avec Kadhafi. L’exportation du pétrole, son principal revenu, a été divisée par dix ! Les réserves en devises par trois ! L’économie est exsangue. La partition du pays, tacite mais dans le sang et le feu, est en cours : la Libye revient à la subdivision d’avant 1951 !

Il n’est pas de jour sans vols et pillages, exécutions, extorsions, rapts et viols. Les aéroports de Tripoli et Benghazi sont inutilisables, la Libyan Airlines, détruite. Très privilégiés, les personnels diplomatiques ont quitté le pays. Mais par dizaines de milliers les travailleurs philippins ou égyptiens, eux, restent aux frontières que les pays « frères » de la Libye, l’Egypte ou la Tunisie, ont fermées…

Sans crédibilité, le énième gouvernement libyen est composé principalement de binationaux revenus de longs exils. Ils ignorent la Libye d’aujourd’hui dont la situation actuelle semble n’intéresser personne : fini les gesticulations médiatiques de tel philosophe ou de tel politique ! En revanche la récente aggravation des combats préoccupe les voisins de la Libye, dans une zone saharo-sahélienne instable après les pillages des arsenaux libyens et les trafics lucratifs. C’est pourtant maintenant que la Libye a besoin qu’on l’aide à s’en sortir.

L’immense majorité de la population libyenne ne désire qu’une vie meilleure et paisible. Peut-on laisser un pays être la proie de quelques dizaines de milliers de voyous surarmés ?
La Libye n’est plus un Etat de droit. Bientôt elle ne sera plus un Etat du tout : un « Somaliland », avec les conséquences que l’on connaît pour son peuple mais aussi pour la sécurité de la région et de l’Europe. Qu’adviendra-t-il des générations futures ? Cinquante pour cent de la population a moins de seize ans…

Les milices qui aujourd’hui détruisent ce qu’il reste de la Libye sont pour la plupart issues des combats de 2011 et financées par l’Etat (par le truchement des allocations aux combattants extorquées par les milices à un gouvernement faible), par l’étranger, par les trafics d’armes et de drogue. Elles vont de bandes qui font aujourd’hui régner la terreur sur un quartier ou un pâté de maisons au conseil militaire des révolutionnaires de Zinten, aux brigades de Misrata, fortes de 40 000 hommes, selon leurs affirmations, à la brigades des martyrs du 17 février et ses 12 bataillons, aux forces du général Haftar, sans oublier Ansar al-Charia et quelques dizaines d’autres. Aucune d’elles n’a de légitimité à jouer un rôle dans la Libye de demain sauf à déposer les armes et à participer à un processus politique à venir. Dans l’est du pays, les Frères musulmans, pourchassés en Egypte, essaient de se refaire une santé. De multiples groupes proches d’al-Qaida, autrefois jugulée, réapparaissent.

En premier lieu il convient, par la négociation et avec l’appui d’une force robuste d’interposition et de transition des Nations unies, de désarmer les milices. C’est d’ailleurs une intervention de ce type que le Parlement libyen demande à la communauté internationale. En même temps, la Libye a besoin de reconstituer un Etat. Un Etat qui ait un projet politique de société pour le pays… et les moyens de le mettre en œuvre. Cela ne sera possible qu’avec une aide internationale forte, dans la durée, et des hommes politiques d’expérience ayant une bonne connaissance des territoires.La Libye regorge de talents : une fois la sécurité rétablie, le processus politique nécessaire de réconciliation nationale pourra alors commencer.

Le projet de la Libye de demain devra tenir compte des spécificités du pays : 1,7 million de kilomètres carrés, dont trois quarts de désert, pour un peu moins de 7 millions d’habitants. Trois régions clairement délimitées pourraient constituer les socles d’un Etat fédéral avec des gouvernements et des parlements régionaux et la reconnaissance du rôle sociétal majeur des quelque vint tribus les plus importantes. Il pourrait assurer aussi une vraie redistribution des richesses en hydrocarbure et éviter ainsi la mainmise étrangère sur un secteur très convoité…

Les Libyens veulent vivre libres et en sécurité dans leur pays. C’est le droit fondamental de tout peuple. Aidons-les à y parvenir. Vite. Avant qu’il ne soit trop tard.


Jean-François Galletout (président de l’association Orient Méditerranée Inter-Perspectives)

Écrit par : Michèle | 23/08/2014

@ Michèle : bel article plein de sagesse. Merci.

Écrit par : Feuilly | 23/08/2014

Le recopier est un bon exercice, ça te le rentre bien dans le crâne :)
En fait je voulais mettre le lien, sauf que c'est un article payant (réservé aux abonnés). Je suis abonnée à la version papier, j'ai donc "recopillé" :)

Écrit par : Michèle | 23/08/2014

Voilà une saine occupation :))))

Écrit par : Feuilly | 23/08/2014

Oui article édifiant et.... une nonne copiste ?: )))

Écrit par : Bertrand | 24/08/2014

Une nonne ? Comme tu y vas, Bertrand ! :)

Écrit par : Michèle | 24/08/2014

Ben, c'est que j'aurais heurté ton intégrité si j'avais mis "un moine copiste" :))

Écrit par : Bertrand | 26/08/2014

Un moineau alors :))

Écrit par : Michèle | 26/08/2014

Les commentaires sont fermés.