Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/12/2011

La grande marche

Nous sommes descendus des collines et nous avons marché vers la mer.

Cela nous a pris des semaines et des semaines, probablement des mois. Parfois, même, nous nous sommes égarés et il nous a fallu demander notre chemin.  

Nous avons traversé des forêts qui n’avaient pas de fin. La route fut si longue que les feuilles, déjà, jaunissaient alors que nous en étions encore à chercher la sortie. Nulle clairière où nous reposer. Nous marchions sans arrêt et, sous nos pieds, les feuilles finirent par former un tapis épais qui amortissait le bruit de nos pas.

Nous avons écouté le grand silence et nous avons compris que nous étions seuls.

Enfin, un  jour, nous sommes arrivés dans la plaine. Ce fut plus facile alors pour progresser. Il nous suffisait d’emprunter le chemin qui traversait les vignes et de le suivre jusqu’à l’horizon. Cela nous prit pourtant encore pas mal de temps. Chaque soir le soleil empourprait le ciel tandis que nous poursuivions en vain notre marche en nous guidant sur cet étrange incendie.

La nuit, les ceps dénudés tendaient leurs branches sans vie. Dans la pâle clarté lunaire, on se serait cru dans un cimetière, un cimetière qui n’aurait eu ni commencement ni fin. Au petit jour, des corbeaux lançaient leurs cris dans le brouillard, voix mystérieuses et invisibles qui sonnaient à nos oreilles comme d’imprécises menaces.

Enfin, un soir, sous sommes arrivés sur une plage, face à la mer écumante. Il n’y avait personne. Rien que le vent qui balayait le sable, créant des formes aussi étranges qu’improbables. Nous avons contemplé ces fantômes de poussière, semblables aux chimères qui hantaient nos rêves. Nous avons su alors que tout était perdu et qu’il n’y avait plus rien à attendre.

La vie était derrière nous, dans nos rêves d’enfants et nos désirs d’adolescents. Nous avions tous en mémoire des amours trop tôt disparues et nous savions maintenant que ce n’était pas ici, dans ce désert de sable, de vent et d’écume, que nous allions les retrouver.

Nous nous sommes assis et nous avons contemplé l’océan. Sa fureur n’avait plus rien à nous apprendre. Nous avions compris, désormais, que toute colère est vaine et que le temps perdu ne se rattrape pas.

Nous nous sommes couchés à même le sable, écoutant le bruit monotone des vagues qui, les unes après les autres, venaient mourir contre les rochers.

A la fin, épuisés, nous nous sommes endormis.

Aucun de nous ne s’est réveillé.

littérature

07:02 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature

Commentaires

Magnifique, visuelle et intemporelle cette procession qui se termine où commence l' horizon.
Dans la nuit, les ceps de vigne levaient les bras, comme le geste ultime des noyés..

Écrit par : agnès | 28/12/2011

Marcher vers l'Ouest. Rattraper le soleil pour découvrir la terre où l'on ne vieillit pas. Traverser forêts, cimetière, ces mystérieuses poches à sommeil dédiées aux métamorphoses obscures. Fuir le retour du bâton.
Mais la rétrospection est interdite, (interdite à la femme de Lot qui se retourne sur Sodome en flammes, interdite à Orphée qui se retourne sur sa femme qui remontait de chez les morts).
Alors la mort se "retourne" sur chacun d'eux :
"Aucun de nous ne s'est réveillé".

Écrit par : Michèle | 28/12/2011

@ Agnès : oui, une procession intemporelle qui est un peu notre vie à tous. Nos espoirs toujours devant, là où "commence l'horizon" jusqu'au moment où on arrive au bout de la course et qu'on se rend compte qu'il n'y a plus rien ou plutôt qu'il n'y a jamais rien eu. Quant aux ceps de vigne, ils symbolisent en effet notre désespoir. Ils sont comme un cri muet dans le silence de la nuit.

@ Michèle: le chemin descend des collines vers la mer. C'est une pente naturelle qu'il est impossible de remonter, de faire en sens inverse.

Écrit par : Feuilly | 29/12/2011

"Chaque soir le soleil empourprait le ciel tandis que nous poursuivions en vain notre marche en nous guidant sur cet étrange incendie."

Ils marchaient vers le soleil couchant, vers l'Ouest. L’Ouest est le pays du soleil éternel qui n'en finit pas de se coucher. D'être à l'Ouest l'Amérique est plus jeune, nous aurons toujours six heures de plus qu'eux. Cela suffit à faire de nous le "Vieux Monde" (comme le rappelle D. Sallenave dans "Passages de l'Est").
Voilà pourquoi je dis qu'ils marchent vers une jeunesse impossible et qu'on ne peut retourner vers ce premier écran (écrin) que fut l'eau :)

Écrit par : Michèle | 29/12/2011

@ Michèle : il y aurait toute une symbolique des points cardinaux à faire. L'Est, c'est le levant, mais aussi les pays de l'Est, la dictature communiste. Le Sud, c'est le soleil et une autre manière de vivre. C'est aussi la pauvreté de l'Afrique subsaharienne. Quant à l'Ouest... "A l'Ouest, toujours plus à l'Ouest", disait Tournesol dans le trésor de Rackham le Rouge...

Écrit par : Feuilly | 29/12/2011

"L’Est, c'est le levant, mais aussi les pays de l'Est, la dictature communiste."

Le monstrueux cortège de crimes, bannissements et terreurs, camps et pénurie, désastres, cris étouffés, des régimes totalitaires qui ont sévi pendant soixante-quinze ans en Union soviétique et dans les pays de l'Est, n'ont rien à voir avec le communisme, même si les dictateurs s'en sont réclamés. C'est à une trahison du communisme qu'on a eu affaire, à une trahison des idéaux de justice, d'égalité et de fraternité.
Le communisme est un idéal, "l'espoir que soit tenue un jour, - selon les mots de Mandelstam, mort dans un camp de Staline -, "la splendide promesse faite au Tiers-État".
Il reste à réaliser et il ne m'étonne pas que l'on continue à appeler communisme les crimes commis en son nom : il en sera toujours ainsi car cela sert les intérêts de ceux qui n'en veulent pas des idéaux de justice, et l'on connaît leur puissance si on la mesure à l'aune de l'état du monde.

Écrit par : Michèle | 30/12/2011

@ Michèle : merci pour cette précision, même si ce n'est pas moi qu'il faut convaincre. Le problème de nos jours c'est qu'il n'y a plus d'utopie et certaines personnes à droite prennent effectivement prétexte de la dictature stalinienne (ou russe en général, car Poutine me semble dans la logique de ses prédécesseurs, Tsars compris) pour dire qu'une politique de gauche est de toute façon impossible puisqu'elle ne peut que conduire à des atrocités. Raisonnement qui tient du sophisme, mais qui permet de justifier à bon compte leur politique libérale actuelle. Pourtant on voit ce que cela donne sur le plan social.

Écrit par : Feuilly | 30/12/2011

Exode d'après une catastrophe qui n'a laissé que des survivants en sursis.
Heureusement que la mémoire souffle l'histoire à travers les étendues immenses même après le non-réveil.

Écrit par : saravati | 30/12/2011

@ Saravati : oui, le non-réveil du narrateur implique, de manière un peu fantastique, une sorte de mémoire qui survivrait. La mémoire de l'humanité. Celle de l'Histoire.

Écrit par : Feuilly | 31/12/2011

@ Feuilly : superbe description de l’absurdité la vie, voyage débarrassé de justification ou enjolivure pseudothéologique, sisyphienne, prométhéenne ou autre, ton récit one-way-ticket-river-of-no-return remet l’humanité (globalement et en chacun des individus qui la composent) et son histoire à sa juste place : un scherzo insensé, simple instant, bref entracte entre deux demies éternités, celle qui la précède et celle qui la suit ! Nous venons de nulle part pour aller nulle part. Alors, à quoi bon la mémoire !?

@ Michèle : bravo pour ta mise au point sur le communisme ! Mais comment faire pour qu’il ne reste pas pure utopie ? Là est la question. Le «menschlich allzu menschlich» le permet-il ? Puisque le «chacun selon ses besoins» est censé y remplacer le «chacun selon ses mérites», comment ceux qui turbinent un max accepteraient-ils de ne pas vivre mieux que les jean-foutre ? Comme empêcher les petits (et grands) malins d’exploiter la naïveté ou la crédulité des autres ? Voilà pourquoi on n’a jamais su réaliser un semblant de socialisme réel (ne parlons même pas de communisme) sans dictature. Même la république jésuite « communiste » des Guaranis (a tout de même vécu 2 x plus longtemps que la soviétique) a exigé une dictature (dans ce cas non athée, mais théocratique).

Écrit par : giulio | 31/12/2011

Cher Giulio, oui, rêver d'un autre sort pour les hommes semble impossible. Alors quoi ? A quelles lois se rendre ? Aux lois naturelles ? La (comment disent-ils déjà) "concurrence libre et non faussée" ? Mangeons-nous les uns les autres... et paieront le plus cher toujours les plus démunis.
Mais nous ne baisserons pas les bras, nous savons l'équilibre de la démocratie fragile, nous nous obstinerons pour que continuent la civilisation, la civilité, l'horizon éthique...
C'est ce que je nous souhaite, ce sont mes vœux pour cette nouvelle année. Meilleurs voeux Giulio.

Écrit par : Michèle | 01/01/2012

@ Giulio : ce texte se veut tout cela à la fois. Absurdité de la vie, voyage vers un terme improbable et finalement dénué de sens. Quant à Sisyphe, je ne sais pas, car on ne recommence pas ici indéfiniment la même action, c’est plutôt la même action qui n’en finit pas. Quant à la mémoire de l’humanité, c’est tout ce qu’il nous reste. La « culture » (au sens large, telle que la définissait Levi-Strauss) qui a permis aux hommes de sortir un peu (mais si peu) de l’animalité. Dire et écrire l’absurdité de notre vie est encore le seul sens qu’on ait pu lui trouver.

Bonne année quand même à vous et à tous les lecteurs et lectrices.

Écrit par : Feuilly | 01/01/2012

Oui, les amis : Michèle, Feuilly, Saravati, Agnès et vous tous qui passez, mes meilleurs voeux pour une année 2012 aussi heureuse que vous pouvez la souhaîter !

Écrit par : giulio | 02/01/2012

Le sens est dans le voyage, sur le chemin, dans la déambulation où qu'elle mène.
Qu'importe le terme, nous le connaissons tous, c'est sans surprise.
Le surprises sont dans nos "inutilités" productives, la vôtre, les nôtres, et ce n'est pas si mal, en tout cas pas tout à fait rien, restons modestes :)

Bonne année, Feuilly, et à ceux qui passent ici, même si le contexte ne semble guère prometteur :)

Écrit par : Jean | 02/01/2012

@ Jean : j'aime bien votre expression ""inutilités" productives". Et c'est sûr que c'est le chemin qui compte, pas la destination. Il en va de même dans les randonnées en montagne ou en forêt. Le but n'est qu'un prétexte. Flânons donc au cours de cette année 2012, que je souhaite heureuse pour tous.

Écrit par : Feuilly | 02/01/2012

J'ai suivi cette quête éreintante, pas à pas, intriguée. Le suspens est entretenue avec discrétion. Il m'a menée jusqu'à la fin de tout, là-bas face à l'océan avec l'infini du ciel pour linceuil. Ce texte file droit devant, parsemé d'images qui captivent malgré leur modestie. Il porte en lui la force de la mort.

Écrit par : L'Oeil qui court | 12/04/2012

@ L'Oeil qui court : la force de la mort : voilà, ce texte raconte notre vie, finalement. Nous marchons sans cesse vers un but et quand nous l'atteignons...

Écrit par : Feuilly | 12/04/2012

Les commentaires sont fermés.