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19/05/2009

Le retour au pays natal (2)

En fait c'est une servante, la vieille nourrice d'Ulysse, qui le reconnaît à une ancienne blessure alors qu'elle lui lave les pieds dans un bassin. Elle est tellement étonnée que le bassin se renverse à terre (symbole pour dire que l'élément liquide, qui avait été un ennemi pour notre héros, perd maintenant tout pouvoir ?) Elle veut révéler la nouvelle du retour du maître, mais Ulysse lui demande de conserver le  secret. On notera que cette nourrice symbolise par excellence l'élément maternel. C'est elle qui a allaité Ulysse quand il n'était qu'un bébé. Elle incarne donc bien pour lui la terre d'Ithaque. Le fait que ce soit elle qui le reconnaisse n'est donc pas anodin. C'est une manière de légitimer son retour dans la terre natale.

Il se fait ensuite reconnaître de son fils Télémaque et de quelques fidèles serviteurs. Sa femme, Pénélope, elle, ne l'a pas reconnu. Or c'et le moment qu'elle choisit pour donner sa main à celui de ses prétendants qui parviendra à bander l'arc de son époux. Lassée d'attendre celui-ci, fatiguée de repousser l'assiduité de tous ces hommes qui veulent s'emparer du royaume en montant dans la couche nuptiale, elle cède donc au moment même où Ulysse arrive. Cette coïncidence permet à l'intrigue de se poursuivre sous nos yeux, mais elle accentue encore le désespoir d'Ulysse qui risque même de perdre son épouse adorée.

On connaît la suite. Aucun des prétendants ne parviendra à tendre l'arc. Alors Ulysse, qui avait eu soin de faire fermer toutes les portes du palais, s'avance et demande l'autorisation d'essayer lui aussi l'arc du divin Ulysse. Tout le monde s'esclaffe et Pénélope elle-même, si elle l'autorise à tenter sa chance, précise tout de même qu'il n'est pas question qu'elle l'épouse si jamais il parvient à réussir. Là-dessus, elle quitte la pièce et se retire dans ses appartements.  Ulysse commence alors à massacrer tous les prétendants à l'insu de la reine qui ne se rend compte de rien.

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Notons qu'Ulysse n'épargne que deux personnes. Le héraut qui s'était occupé de son fis quand celui-ci était petit et un aède qui promet qu'il va chanter ses exploits. Les « littéraires » chargés de conserver la mémoire des événements sont donc épargnés. Outre qu'il s'agit là d'une belle mise en abyme (puisque ce que le poète promet d'écrire et de chanter, c'est l'Odyssée en fait, ce grand poème que nous sommes justement occupés à lire - ou à écouter pour ce qui était des Grecs de l'Antiquité), il convient de souligner le rôle exceptionnel qu'Ulysse accorde à la poésie narrative.

 Enfin Ulysse paraît devant Pénélope, qui a du mal à reconnaître son mari dans ce héros qui se présente devant elle (il n'a plus alors l'apparence d'un vieux mendiant mais il est comme il est vraiment, c'est à dire avec vingt ans de plus que le jour de son départ).

 Pénélope, en femme rusée, soumet Ulysse à une dernière épreuve.

 « Si cet homme est bien le seul et unique Ulysse, nous nous retrouverons car entre nous il y a un signe secret et sûr, un signe irréfutable que nous sommes, lui et moi, seuls à connaître. »

Alors elle demande à ses servantes d'apporter la couche nuptiale, mais à ces mots Ulysse s'écrie que c'est impossible, car un des pieds du lit a été construit à partir du tronc d'un olivier vivant (ou si on préfère un des quatre pieds est en fait enraciné dans le sol puisque le lit a été construit autour de l'olivier vivant). A ces mots, la pauvre Pénélope tombe dans les bras d'Ulysse. Notons en passant la particularité de ce lit nuptial (c'est là sans doute que l'enfant du couple, Télémaque, a été conçu), qui est fait en partie d'un tronc d'olivier, lequel symbolise la vie par excellence (et l'olivier, toujours vert, plus qu'aucun autre arbre encore). De plus, par ses racines, il puise ses forces dans la terre d'Ithaque. La couche du couple royal semble donc l'aboutissement légitime et vital de cette terre, ce qui donne à leurs ébats amoureux un caractère pour le moins particulier, comme si la force de la terre natale se transmettait, via la sève de l'arbre, au lit nuptial et donc aux amants royaux chargés d'assurer une descendance légitime.

Quand elle est bien certaine que c'est Ulysse qui est revenu, Pénélope défaille presque :

« ...le cher cœur et les genoux de Pènélopéia défaillirent tandis qu'elle reconnaissait les signes certains que lui révélait Odysseus. Et elle pleura quand il eut décrit les choses comme elles étaient ; et jetant ses bras au cou d'Odysseus, elle baisa sa tête. » 

Ulysse, lui aussi est presque en larmes. Ils s'acheminent vers le lit et Athéna retarde le lever du soleil pour que la nuit dure plus longtemps et que le couple enfin reconstitué puisse se raconter tout ce qu'il a à se dire.

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L'ordre est rétabli. Ulysse est rentré chez lui, il a reconquis son sceptre, il a retrouvé sa femme. Sa descendance est déjà assurée dans la personne de son fils Télémaque. La grande aventure s'achève dans le bonheur domestique.  Le temps des exploits est terminé. C'est chez lui, dans sa terre natale, qu'Ulysse va poursuivre calmement sa vie, comme s'il n'y avait qu'elle qui avait pu apaiser l'éternel voyageur, comme si l'unique sens de l'existence se trouvait là, sur ce rocher d'Ithaque, sur cette île perdue elle aussi au milieu de la mer (comme autrefois le navire d'Ulysse), mais sur laquelle il avait vu le jour.

La morale de l'histoire est donc qu'il faut partir pour accomplir des exploits et grandir, afin de  devenir un homme. Mais il faut aussi savoir revenir car seul l'endroit où on est né et où on a passé sa jeunesse peut apporter l'apaisement.

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Commentaires

" car seul l'endroit où on est né et où on a passé sa jeunesse peut apporter l'apaisement."

Eh, ben dis donc, je ne suis pas au bout de mes tourments ! (sourire)

Écrit par : Bertrand | 20/05/2009

@ Bertrnad: c'est ce que dit Homère. Il a pu se tromper.

@ Cigale: je comprends votre point de vue, mais personnellement je reconnais le paysage de mon pays natal, qui m'émeut toujourds autant. Les personnes, c'est autre chose. Les mentalités ont changé, la manière de vivre aussi.

Écrit par : Feuilly | 20/05/2009

Je ne résiste pas au plaisir, s'agissant de l'évocation du pays natal, de citer un passage de "Bicentenaire" de Lyonel Trouillot (qui sera au Mai du Livre à Tarbes le 27 ) :

(...)
Il aimait ce soleil de décembre qui se levait, léger, comme n'ayant rien à voir avec la flambée des prix, la rentrée universitaire, toutes les charges de la vie courante des mois précédents, la plus lourde de toutes, la corvée du retour à l'arbre dans la chaleur de septembre, les retrouvailles avec l'enfance, les filles des premières amours transformées par le temps en de robustes paysannes aux jambes arquées comme Pelé, avec des voix de certificat d'études primaires, des voix pleines de défiance et de reproches, respect dû à la réussite et haine envers le traître, des voix en mal de compréhension, lui rappelant que "tu nous trouvais jolies quand nous avions sept ans et tu guettais, sournois, l'absence des adultes pour nous mettre la main dans les lieux interdits, pour rire et par désir aussi". Qu'elles étaient douloureuses ces confrontations obligées avec les filles du mal d'enfance, pathétiques et sublimes de vaines attentes fondées sur le souvenir, leur légèreté debout à la pointe du sein, leurs bras tendus du fond des yeux, leur pauvreté de souveraines offertes mais candides qui lui parlaient comme dans un jeu : "fais voir tes mains", prenaient acte de la distance : "comme tes mains ont changé", concluaient, résignées : "tu as des mains de philosophe", et laissaient le reste au silence. Ah ! Quel bonheur, ces retrouvailles, si leurs yeux ne lui disaient pas "tu pues l'odeur de la grande ville, pourquoi es-tu parti sans nous ?" Si lui ne se demandait pas quel adulte il serait devenu si... Et le moment le plus pénible quand, installée sur sa chaise basse, les paumes croisées sur sa canne, aveugle, et toute de lumière, l'oreille épiant le moindre geste, sa mère lui demandait des nouvelles du petit.
(...)

Un texte intense qui dit les souffrances d'une société meurtrie. Le narrateur c'est Lucien, étudiant à Port-au-Prince qui, partant manifester lors du bicentenaire de l'indépendance d'Haïti, chemine inexorablement vers la mort.

Haïti, occultée de la mémoire du passé colonial de la France, tellement fut longtemps insupportable (souligne l'historien Marcel Dorigny) le fait que les presque 50 000 soldats, victorieux depuis 1792 à travers l'Europe, envoyés à Saint-Domingue (nom colonial d'Haïti) pour y rétablir la souveraineté française bafouée par un général noir qui avait osé promulguer une Constitution, furent vaincus par des nègres à peine sortis de l'esclavage, par les troupes noires et mulâtres de Toussaint Louverture, puis de ses successeurs Pétion, Christophe et Dessalines, et par les ravages des fièvres tropicales.
Quel manuel d'histoire générale de la période napoléonienne évoque-t-il la bataille de Vertières (18 novembre 1803), la première grande défaite des troupes napoléoniennes ? Lors des manifestations commémoratives les plus récentes, de mars à août 2004, il y eut au Musée de la Marine à Paris une grande exposition "Napoléon et la mer. Un rêve d'Empire" qui ne consacra pas une ligne, ni une image, à la guerre de Saint-Domingue et à la naissance d'Haïti, l'année même de leur bicentenaire.

Écrit par : michèle pambrun | 21/05/2009

Quand j’ai raconté l’Odyssée à Cerbère (c’est le nom de mon concierge), il m’a dit, en parlant d’Ulysse, à peu prés ceci : «II est ouf à lier (au mat de son bateau) c’bouffon. Il refuse les avances d’une déesse, un canon quoi, et il part au bled pour crever comme n’importe qui dans les bras de sa vieille, c’est portnawak ton histoire!». Diantre ! Il m’a pris de court, le bougre. Devant des arguments aussi clairs, je n’avais qu’une envie : m’éclipser pour retrouver mon prof de philo et lui faire part de mon désarroi.

Et puis, reprenant mes esprits, j’ai imaginé une autre version de l’Odyssée capable d’impressionner mon Cerbère : « Ulysse n’a aucune envie de mater sa meuf Pénélope ni son bled ni les embrouilles de ses cousins. Il se cale tranquiiiil avec Calypso. Sans déconner, un colis la meuf et lui il la kiffe grave». La réponse de Cerbère ne tarda pas à venir : « Là j'dis respect Ulysse ».Ouf! Je suis soulagé.

Vous imaginez le résultat ? Une catastrophe, que dis-je un séisme. Toute la mythologie grecque partie en fumée et avec elle toute la philosophie stoïcienne.

Écrit par : Halagu | 21/05/2009

Savoureux, proprement savoureux (si je puis me permettre)!

J'imaginerais bien, raconté dans le "français contemporain des cités", par de jeunes gens qui l'auraient lu, le passage où Ulysse, du fond de la huitième bolgue, raconte à Virgile son dernier voyage qui l'amena au-delà des colonnes d'Hercule ; ou, ces tercets hendécasyllabiques de "La Comédie" de Dante Alighieri, traduits par les mêmes, en sms.

Lecture, puis traduction contemporaine, nous serions peut-être surpris.

Écrit par : michèle pambrun | 21/05/2009

Merci pour ce passage de Trouillot, auteur que je ne connais pas du tout.

Quand à la réflexion de Cerbère, concierge de son état, elle est en effet pleine de bon sens. C'est pour cela que j'ai dit plus haut qu'on ne savait pas si Ulysse tentait vraiment de rentrer chez lui ou si au contraire il voulait un peu voyager avant de regagner ses pénates.

Les belles déesses qu'il rencontre sur sa route ou le chant mélodieux des sirènes devait tout de même le troubler et peut-être préférait-il toutes ces tentations à une épouse fidèle qui passait ses nuits à tricoter un linceul.

Plutôt que de rêver à des créatures qui habiteraient loin de son île, il préfère peut-être se déplacer et aller leur rendre visite. L'Odyssée devrait alors être comprise comme la quête d'un rêve, sa réalisation matérielle. Mais comme il faut une morale, il revient tout de même vers son épouse légitime. Celle-ci a failli ne plus être fidèle mais il rentre juste à temps. Dès lors, il ne regrettera pas son geste.

Pénélope, fixée sur son île marine, semble être aux antipodes de son père Icare, qui avec ses ailes allait se brûler au soleil.

Écrit par : Feuilly | 21/05/2009

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