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03/04/2009

Mes aïeux!

Quelques lecteurs hier se sont mis à rêver sur le mot espagnol «abuela», la grand-mère et c’est vrai que ce terme a quelque chose de calme et de doux qui enchante l’âme. Du coup, intrigué, je me suis demandé quel en était l’étymon et après quelques recherches googelesques (ou googeliennes si vous préférez) j’ai trouvé, à ma grande surprise, que ce mot est apparenté à notre terme français «aïeul», ce qui ne saute pas aux yeux.

Abuelo (le grand-père) vient du latin «avus » (l’adjectif «avitus» existe aussi). A ce mot, on a joint un diminutif, sans doute pour exprimer l’affectivité et «avus» est devenu «aviolus». Le mot a ensuite évolué différemment selon les langues romanes et est devenu dans le Berry, aïol, en provençal aviol, en espagnol abuelo et en italien avolo.

En français, c’est l’accusatif d’aviolus, autrement dit aviolum qui a donné aviol puis aiol (plus facile à prononcer) au XIII° siècle et puis finalement aïeul au XVI° siècle.

En outre, il y aurait eu un étymon indo-européen antérieur à cet «avus».

Le Robert historique nous enseigne que le mot originel latin, «avus» ne désignait pas un terme de parenté mais qu’il était plutôt une appellation familière à l’égard d’un ancien du groupe, ce qu’on retrouve peut-être encore dans notre terme «aïeux» qui désigne les ancêtres en général, par opposition à «aïeuls», qui désigne directement les grands-parents (comme nous le rappelle Grevisse cette fois, dans son incontournable «Bon usage»).

Le vrai pluriel, le pluriel étymologique, est «aïeux» (d’après l’accusatif pluriel devenu le cas régime en ancien français). Ce n’est qu’au XVII° siècle qu’on aurait reformé le pluriel «aïeuls» d’après la forme du singulier. Ce qui est amusant, c’est de voir l’alternance du sens au cours des âges. Alors que le «avus» latin désignait plutôt l’ancien du groupe, «aviolus», avec son diminutif affectif, faisait bien, lui, allusion au grand-père. Pourtant, au XIII° siècle, c’est de nouveaux le sens d’ancêtres qui prédomine. Ce n’est finalement qu’au XVIII° siècle que la distinction actuelle (aïeux = ancêtres/aïeuls = grands-parents) s’est établie. Elle est finalement logique : le mot au pluriel désignant un grand nombre de personnes, c’est évidemment à l’ensemble des ascendants, autrement dit les aïeux, que l’on pense. Le singulier aïeul, quant à lui, ne pouvait que désigner le grand-père tout proche. Puis, comme on a en principe deux grands-pères et deux grands-mères (mais ce ne fut pas mon cas), on a dit « les aieuls » pour les désigner.

Notons encore, pour être complet, que le dérivé «avunculus» a donné le mot français «oncle».

Mais revenons à notre «abuela» initiale. Le mot castillan désigne la grand-mère, mais aussi une vieille femme en général. L’expression «cuentaselo a la abuela», familière, signifie « à d’autres ! ». «Habersele muerto a uno su abuela» signifie «être vantard», de même que «no tener uno abuela», un peu sans doute comme si l’absence de la grand-mère, qui symbolise la raison et la mémoire de la famille, permettait de divaguer et d’inventer n’importe quoi.

A côté de «abuela» existe le terme «abuelita», encore plus mignon avec son diminutif affectif. Le dictionnaire ne le traduit pas par grand-mère, mais par bonne-maman, ce qui est en effet plus intime. Ce qui est amusant, c’est qu’en Amérique (du Sud, évidemment car notre monde roman s’étend jusque là, devant le grand Pacifique) où on sait que les mots espagnols prennent parfois un autre sens, éloignement oblige, cette «abuelita» peut désigner un berceau ou un bonnet d ‘enfant. De l’aïeule, on passe à la toute dernière génération, peut-être parce que ce sont souvent les grands-mères qui s’occupent des petits-enfants.

Enfin, nous sommes partis de l’Etat du Texas, aux Etats-Unis, avec Mac Carthy et ses si jolis chevaux et nous revoilà en Amérique du Sud après avoir traversé l’Espagne et avoir parlé du Moyen-Age français et du latin de Rome. Comme quoi le temps et l’espace sont devant nous dès qu’on ouvre un livre.




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Commentaires

Quand je suis devenue grand mère pour la première fois,( il y a un peu plus de 10 ans ) c'est par courrier que je l'ai annonçé à ma meilleure amie qui était en Bolivie .... Chère Abuelita m'avait-elle répondu .... Les petits Indios dont elle avait la charge dans l'orphelinat où elle était bénévole nommaient aussi ainsi les femmes qui s'occupaient d'eux ... C'est en tout cas un terme très affectif, très doux , dans cet orphelinat cela devait avoir une autre dimension, car ces enfants sans repère ayant souffert se trouvaient sûrement en grande recherche d'amour ....
Chez les Gitans Kalés ( d'origine Espagnole ou d'Afrique du Nord) l'Abuela est la grand mère, la détentrice des traditions. L'ancien , pour celui qui dirige est plutot appelé Tio ( l'oncle ) c'est au Tio à qui on vient demander conseil ... C'est un ancien en fait , pas forcèment l'oncle ... Tio ou Tia au féminin est aussi un terme de respect ....

Écrit par : Débla | 03/04/2009

"Comme quoi le temps et l’espace sont devant nous dès qu’on ouvre un livre."
Tu vas dire que je suis emmerdant sans doute, ou le penser peut-être mais ça ne me vexera pas car ça ne sera pas méchant, mais moi j'aurais mis " dès qu'on ouvre un mot."
En tout cas, je ne me lasse jamais de lire l'origine de nos mots et merci d'avoir suggéré aussi la racine indo-europééenne.
Je m'amuse souvent, ici, avec les mots Polonais pourtant d'une texture difficile pour un latin, à retrouver cette racine indo-européenne. Et c'est passionnnant, cette musique que nous utilisons pour dire le monde et qui, finalement, est universelle, partie d'une même partition (sauf le Hongrois et le Finlandais.)

J'ai noté dans un manuscrit actuellement en lecture, à propos du mot "paien" qui, en le remontant consciencieusement nous emmène à " paysage " :

" C’est que j’ai trouvé la bonne clef pour ouvrir le mot. Comme pour les huîtres, une ouverture franche, qui n’égratigne pas le nacre, ça donne envie de goûter tout de suite le vert iodé de l’intérieur. Et il y a des mots, comme ça, qui frappent d’emblée plus fort que d’autres."

Je me cite non pas par forfanterie (y'a vraiment pas de quoi), mais pour que, si un jour ce manuscrit est publié, tu ne m'accuses pas in petto de plagiat (Sourire)

A Plus.

Écrit par : Bertrand Redonnet | 03/04/2009

Je viens de vous lire tous les trois. Un régal. Du grain à moudre (comme dit B) pour longtemps !
Je reviendrai, mettre mon grain de sel dans ce grain des mots.

Écrit par : michèle pambrun | 03/04/2009

Sur l'île déserte, on prend Le Robert historique, et c'est tout. De quoi ouvrir tous les mots, tous les rêves. Natacha

Écrit par : Natacha | 03/04/2009

@ Débla: merci pour le témoignage
@ Bertrand: le livre parce qu'on est parti de celui de Mac Carthy et de son extrait avec la abuela.
@Michèle: et ce grain de sel, où est-il?
@ Natacha: bonne idée, en effet. Et si on le met en pratique, ce dictionnaire, cela reprendra vingt siècles pour repasser du latin au français. Il y a belle lurette que nous aurons quitté l'île.

Écrit par : Feuilly | 04/04/2009

Les commentaires sont fermés.