13/02/2009
La cabane dans les bois (6)
Nous sommes restés au Cabo de Gata une quinzaine de jours peut-être, vingt tout au plus. Nous vivions en pleine nature, absolument seuls, dormant à la belle étoile et nous réveillant le matin devant la mer immensément bleue. Je ne retournais au village (si on peut appeler cela un village) qu’une fois tous les deux jours pour les provisions. Elle, elle ne m’accompagnait jamais, je ne sais pas pourquoi. On aurait dit qu’elle craignait de se faire remarquer, comme si elle avait commis quelque acte répréhensible. De plus, elle était farouche de nature, méfiante et perpétuellement sur ses gardes. Avec moi, cependant, toutes les barrières étaient tombées rapidement dès le premier regard échangé. On aurait dit qu’elle savait que je la cherchais depuis des mois, on aurait dit qu’elle n’était venue là que pour m’attendre. Cependant, quand elle ne se savait pas observée, je décelais dans son regard comme une grande tristesse qui me faisait craquer encore plus.
Nous parlions peu (elle s’exprimait bien en français, pourtant, ce qui, vu l’endroit où nous nous trouvions aurait dû attirer mon attention ). La journée se passait comme dans un rêve, à marcher le long de la mer ou à se laisser flotter sur l’eau. Il faisait si chaud que nous n’avions pas le courage d’explorer l’intérieur des terres et le seul fait de savoir que derrière nous se trouvait un quasi désert suffisait amplement à nous contenter. De plus, ces kilomètres de terres arides qui nous séparaient d’Almeria et de la civilisation renforçaient notre délicieux sentiment d’isolement. Etre ensemble au bout du monde, rien qu’à deux et complètement isolés de tous me procurait une joie que je n’avais jamais connue. Il faut dire qu’il aurait fallu être difficile pour ne pas être comblé, ma compagne se montrant de plus en plus entreprenante au fur et à mesure que les jours passaient.
Là, tout n’était que luxe, calme et volupté, disait le poète. Si nous n’avions pas le luxe, nous avions assurément le calme et la volupté. Je me souviens de ces nuits étoilées, face à la mer. Nos corps enlacés n’arrêtaient pas de se chercher et nous finissions par rouler dans le sable jusqu’à glisser dans la mer. Alors l’eau salée excitait encore plus notre désir et nous entamions des courses poursuites au milieu des gerbes d’eau écumantes. Quand je parvenais à la rattraper (mais je me dis aujourd’hui qu’elle s’arrangeait bien pour que ce fût possible) elle poussait un cri strident et c’est dans l’eau qu’elle se donnait comme jamais je n’ai vu une femme se donner. Alors elle devenait loquace et tout en m’embrassant elle me disait qu’elle m’aimait vertigineusement. Je trouvais curieux cette expression « aimer vertigineusement », mais au fond c’étaient exactement les mots qui convenaient. Dans la pénombre, mes mains caressaient sa peau sombre de fille du Sud et quand un rayon de lune éclairait son visage, je voyais deux braises au fond de ses yeux, deux braises qui n’en finissaient plus de me contempler et de dire le désir qu’ils avaient de moi. Je redoublais alors de caresses. Quand elle jouissait, elle criait sans retenue dans la nuit noire, sachant qu’ici il n’y avait personne et que le monde nous appartenait. Je n’ai jamais rien entendu de plus beau que ces cris qui manifestaient tout le contentement d’exister et d’être au monde. Jamais je n’ai été aussi heureux, jamais la vie ne m’a semblé aussi pleine de sens que quand nous étions nus sur cette plage, seuls dans l’éternité des galaxies, fragiles sans doute, mais puissants en même temps car c’est nous qui commandions aux forces de l’univers. Nous étions devenus des dieux dans la chaleur andalouse, au bord du monde, face à la mer.
00:37 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature
Commentaires
Des yeux de louve...
Écrit par : michèle pambrun | 13/02/2009
"...ma compagne se montrant de plus en plus entreprenante " , j'eusse aimé que le thème fût discrètement et délicatement développé....
B
Écrit par : B.redonnet | 13/02/2009
Tu voulais plus ou j'ai déjà trop dit?
Écrit par : Feuilly | 13/02/2009
Tu as dit beaucoup...en filigrane....en filigrane...
Écrit par : B.redonnet | 13/02/2009
Oui, j'ai failli couper dans le texte d'ailleurs et ne faire que suggérer par une phrase. Mais bon...
Écrit par : Feuilly | 13/02/2009
aimer vertigineusement ..... Trés belle image de cette magie entre deux êtres.....
Écrit par : Débla | 13/02/2009
"Aimer vertigineusement"...
Des mots qui portent la faim du coeur...
Écrit par : Mélody | 13/02/2009
A propos de"la cabane dans les bois (5)
J'ai eu les mêmes impressions que vous lorsque j'ai vu l'Andalousie. Curieusement, l'histoire de cette région à l'époque musulmane a été très rapidement évoquée (ou mal enseignée?) dans les lycées du pays arabe ou j'ai grandi. Cette négligence pédagogique a eu sur moi des conséquences détestables puisqu'elle a émoussé ma curiosité et pendant longtemps, je n'ai pas envisagé d'aller plus loin et j'ai fait mon deuil de la richesse et de la profondeur de la civilisation andalouse. Et c'est par hasard que j'ai atterri dans cette région et j'ai été subjugué par le spectacle sublime que j'ai découvert. Outre les merveilles architecturales, il y a là des propositions et des attitudes qui nous interpellent (ou qui devraient nous interpeler) à travers les siècles et que rien ne peut rendre obsolètes. Je veux surtout parler de l'évolution formidable de ce peuple dans les domaines les plus variés- philosophie, sciences,médecine, politique, arts...au sein d'un foisonnement de pensées, de convictions et de valeurs qui s'inscrivent dans les grandes visions du monde élaborées au fil de l'histoire depuis les grecs anciens. A mon avis, cette évolution n'est pas le fruit du hasard, elle est due principalement au dialogues des cultures et à l'humanisme(une innovation pour cette époque) qui sont devenus une règle de vie dans la cité andalouse, inspirée d'une vision explorée dans la Grèce antique. Voila ce que j'ai ressenti en découvrant cette superbe région.
Depuis cette époque, aucun pays arabe ou musulman ne s'est inspiré des règles et des idées qui étaient décisives dans l'épanouissement d'une civilisation authentique, ni médité les causes de «la remise des clefs». Mais cela est une autre question...
Écrit par : Halagu | 13/02/2009
Tout à fait, j'approuve. Il y a une spécificité andalouse qui ne peut que provenir de l'Histoire.
La remise des clefs? Préserver la vie des habitants, j'imagine.
On pourrait aussi parler de la relative tolérance des musulmans par rapport à la population chrétienne (ou juive) dans c epays occupé. Les catholiques se montreront beucoup plus intransigeants.
Et j ene pense pas que les musulmans actuels se montrent aussi tolérnts par rapports aux Arabes chrétiens de Gaza par exemple.
Écrit par : Feuilly | 13/02/2009
Plus je relis et plus je retrouve notre "Chercheur d'étoiles" dans cette quête d'autant plus admirable qu'elle est portée par une écriture limpide.
Comme l'avait très justement souligné Christiane, c'est une écriture très travaillée (même à votre insu) et qui paraît simple.
Je cite Christiane parce que je viens de relire tous vos textes et les commentaires qu'ils ont suscités et je retrouve cette idée -que vous approuviez- d'un seul et même texte qui s'écrirait tout du long.
Même "L'éternel instant" retrouve cette veine.
C'est tout simplement magnifique.
Écrit par : michèle pambrun | 13/02/2009
Magnifique? Ou je me répète à l'infini, c'est selon.
Heureux quand même que cela vous plaise.
Écrit par : Feuilly | 13/02/2009
Répétez-vous donc, aussi souventes fois que le pourrez.
Nous ne demandons pas mieux.
Écrit par : michèle pambrun | 13/02/2009
Cher Feuilly, on entend ici des choses qui laissent pantois !
Tu m'excuseras de lire désormais ta nouvelle en silence.
Amitié
Écrit par : B.redonnet | 14/02/2009
Mais ton silence empêchera-t-il les autres de s'exprimer et cela t'empêchera-t-il de rester tout de même pantois?
Écrit par : Feuilly | 14/02/2009
Cher Feuilly, je parlais de cohérence...Et tu le sais bien.
Tes questions qui n'en sont pas en ce qu'elles indiquent une réponse sont donc assez mal venues..;
Point final.
Écrit par : B.redonnet | 14/02/2009
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